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Lhomond

Charles-François Lhomond naquit à Chaulnes (Somme) en 1727. Elève du collège d'Inville à Paris, il se fit ordonner prêtre, et devint ensuite principal du collège où il avait fait ses études ; puis il passa de cet établissement au collège du Cardinal Lemoine, en qualité de professeur de sixième. Tel était son dévouement pour ses jeunes élèves qu'il n'aspira jamais à des fonctions plus élevées : il refusa même l'avancement légitime qu'on lui proposait. Lhomond consacra plus de vingt années de sa vie à l'enseignement public ; et, quand il fut devenu professeur émérite de l'Université de Paris, il employa les loisirs que lui donnait sa retraite à composer plusieurs ouvrages élémentaires, inspires par les doctrines pédagogiques de Rollin. Enfermé à Saint-Firmin, en 1792, il ne tarda pas à recouvrer sa liberté, grâce à la protection de Tallien, son élève, qui avait conçu pour son ancien maître une vénération profonde. Lhomond n'avait encore que soixante-sept ans, quand, le 31 décembre 1794, la mort vint terminer sa carrière, toute d'honneur et de dévouement.

Si modestes qu'aient été les ouvrages de cet homme de bien, ils devaient illustrer sa mémoire. En 1850, la ville de Chaulnes, fière de l'avoir vu naître, lui éleva une statue ; et Paris, sa patrie d'adoption, en donnant le nom de Lhomond à l'une de ses rues, récompensa glorieusement une vie si modeste, mais si utile.

Les livres que Lhomond a composés sont au nombre de sept. Ce sont : 1° le De Viris illustribus urbis Romae ; 2° les Elémens de la langue latine : 3° les Elémens de grammaire française (1780) ; 4° l'Epitome historiae sacrae ; 5° la Doctrine chrétienne ; l'Histoire abrégée de l'Eglise ; l'Histoire abrégée de la Religion avant Jésus-Christ (1791).

Les éditions qui furent publiées en France des quatre premiers de ces ouvrages sont innombrables, et il est particulièrement à remarquer que le De Viris et l'Epitome se réimpriment encore aujourd'hui à l'étranger (Stuttgart, 1856, 59, 64, 68, 71, 74, etc. ; Brixen: 1844, 70, etc. ; Einsiedeln : 1864, etc. ; Trieste : 1856, etc.). En 1844, on donnait à Milan et à Vienne une 12e édition des Eléments de grammaire française, et ce ne fut sans doute pas la dernière.

Cette grammaire, petit volume de 89 pages, fut peut-être celui des livres de Lhomond qui eut, en son temps, le plus de succès. Elle fut placée, en l'an IV, au nombre des livres élémentaires approuvés par le Corps législatif à l'usage des écoles primaires. Voici les titres et les principales divisions des onze chapitres qui la composent ; ils en indiqueront suffisamment le plan:

CH. I. Le NOM. — CH. II. L'ARTICLE le, la, les. — CH. III. L'ADJECTIF. — CH. IV. Le PRONOM. — CH. v. Le VERBE (verbe auxiliaire avoir ; verbe auxiliaire être ; 1re, 2e, 3e, 4e conjugaisons ; verbes irréguliers ; accord du verbe avec le nominatif ou sujet ; régime des verbes actifs ; conjugaison des verbes passifs ; régime des verbes passifs ; verbes neutres, régimes des verbes neutres ; verbes réfléchis ; verbes impersonnels). — CH. VI. Le PARTICIPE. — CH. vu. La PREPOSITION. — CH. VIII. L'ADVERBE. — CH. IX. La CONJONCTION. — CH. X. L'INTERJECTION. — REMARQUES PARTICULIERES SUR CHAQUE ESPECE DE MOTS: des lettres, des noms composés ; noms de nombre ; noms partitifs ; pronoms ; remarques sur les verbes, sur les prépositions, sur les adverbes, sur le régime. — CH. XI. De I'ORTHOGRAPHE (orthographe des noms: noms en ace ou en asse ; en ance ou ence ; en ece ou esse ; en ice ou isse ; en sion, tion. xion, ction ; orthographe des verbes : présent de I indicatif ; imparfait de l'indicatif ; prétérit de l'indicatif ; futur de l'indicatif ; conditionnel présent ; présent du subjonctif ; imparfait du subjonctif. Remarques sur l'orthographe des pronoms, adverbes et autres mots). — De l'apostrophe. — Du trait d'union. — Du tréma. — De la cédille. — De la parenthèse. — De la ponctuation.

Tel est le plan de ce petit ouvrage. Quant à l'esprit dans lequel il a été conçu, on en jugera par cet extrait de la préface :

« Nous avons de bonnes grammaires françoises,

mais je doute que l'on puisse porter un jugement aussi favorable des abrégés qui en ont été faits pour les commençans. Les premiers élémens ne sauraient être trop simplifiés. Quand on parle à des enfans, il y a une mesure de connoissances à laquelle on doit se borner, parce qu'ils ne sont point capables d'en recevoir davantage. Il est surtout important de ne pas leur présenter plusieurs objets à la fois: il faut, pour ainsi dire, faire entrer dans leur esprit les idées une à une, comme on introduit une liqueur goutte à goutte dans un vase dont l'embouchure est étroite : si vous en versez trop en même temps, la liqueur se répand et n'entre point dans le vase. II y a aussi un ordre à garder: cet ordre consiste principalement à ne pas supposer des choses que vous n'avez pas encore dites, et à commencer par les connoissances qui ne dépendent point de celles qui suivent. Enfin, il y a une manière de s'énoncer, accommodée à leur foiblesse : ce n'est pas par des définitions abstraites qu'on leur fera connoître les objets dont on leur parle, mais par des caractères sensibles, et qui les rendent faciles à distinguer. »

N'est-ce point là un langage inspiré par la raison, et ne trouve-t-on pas résumées dans ces quelques lignes les solides vérités de la plus saine pédagogie? Mais, il faut bien le dire, si cette sage sobriété de faits, cette remarquable simplicité d'exposition, cette clarté lumineuse doivent être données en exemple aux jeunes maîtres, le fond même du livre, malgré toutes ces éminentes qualités, paraît aujourd'hui bien insuffisant. L'étude de la grammaire comparée, la découverte des lois qui ont présidé à la formation du français, la connaissance du développement historique et des évolutions de notre langue, en un mot l'esprit vraiment scientifique du siècle où nous vivons, nous rendent plus exigeants que Lhomond et ses contemporains sur l'exactitude des faits et la rigueur des définitions, même quand il s'agit des livres les plus élémentaires de nos écoles. Nous demandons aux jeunes intelligences de plus sérieux efforts, et nous ne croyons pas surcharger leur faiblesse en les invitant à réfléchir et à comprendre. Ce principe, qui domine aujourd'hui notre enseignement, et dont l'application inspirait à Lhomond trop de défiance, est en opposition formelle avec les procédés empiriques du vieux maître. Nous n'accepterions plus comme suffisants ces semblants de définitions : « On connoît un verbe quand on peut y ajouter je, tu, il, nous, vous, ils. — On appelle verbes réfléchis ceux dont le nominatif et le régime sont la même personne. — Les adjectifs verbaux. ne sont pas des participes, parce qu'ils n'ont point de régime. — La préposition est un mot qui sert à joindre le nom ou pronom suivant au mot qui la précède. — On appelle verbe actif celui après lequel on peut mettre quelqu'un, quelque chose. »

Cette simplicité, cherchée et trouvée, a pu avoir autrefois de nombreux approbateurs : aujourd'hui, elle nous paraît nue et stérile ; et l'on s'expliquerait difficilement l'immense succès d'un ouvrage où le jugement n'a aucune raison de s'exercer, si l'auteur ne l'avait composé spécialement pour servir d'introduction à des études plus larges et plus fécondes. C'est uniquement aux élèves des collèges que ce livre était destiné, et l'on y sent déjà comme un avant-goût du rudiment latin. On y voit figurer un nominatif français, un gérondif français, un participe futur français ; les adjectifs y ont un régime, comme en latin ; et, en prévision de certaines difficultés qui se présenteront un jour dans les thèmes, l'écolier y apprend à tourner l'actif par le passif, comme s'il y avait pour lui quelque peine à le faire dans sa propre langue. D'ailleurs, l'intention de Lhomond est nettement indiquée au commencement de sa préface : « C'est par la langue maternelle que doivent commencer les éludes, dit M. Rollin. Les enfans comprennent plus aisément les principes de la grammaire, quand ils les voient appliqués à une langue qu'ils entendent déjà, et cette connoissance leur sert comme d'introduction aux langues anciennes qu'on veut leur enseigner. »

Il ressort clairement de ces lignes que Lhomond, en composant ses Elémens de grammaire française, se proposa surtout de pourvoir aux premiers besoins de futurs latinistes. A ce titre, on peut excuser les lacunes de son ouvrage. Mais il est un autre point, bien autrement important pour nous, que révèle la lecture du début de sa préface : c'est l'utilité qu'il voyait à commencer la culture des jeunes esprits par l'étude de notre propre langue. Cette idée, qui nous paraît aujourd'hui si naturelle, était à l'époque de Lhomond une conception hardie ; et ce modeste professeur, en inaugurant une doctrine aussi nouvelle, devait heurter de puissants préjugés : on le voit au soin qu'il prenait de s'abriter sous l'autorité de Rollin. Cette tentative, qui eut un succès si brillant, ajoute singulièrement à l'estime que mérite l'oeuvre du vieux grammairien ; et l'on peut dire que, si par les hautes qualités de son coeur et de son esprit, Lhomond est pour nos jeunes maîtres un modèle qu'il faut suivre, ils doivent encore saluer en lui le fondateur de l'enseignement élémentaire du français.

Georges Edon