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Lexicologie

Certains grammairiens entendent, sous le nom de Lexicologie, la partie de la grammaire qui traite de l'étude des mots considérés au point de vue de leur forme et de leurs variations. Dans cette acception, la lexicologie s'oppose à la syntaxe, et se trouve souvent désignée par le terme de morphologie, ou étude des formes. Plus généralement, le mot de lexicologie désigne la science qui s'occupe des mots au point de vue de leur origine, de leur formation ou de leur sens. C'est ainsi que nous l'entendions dans cet article.

Les exercices lexicologiques tiennent une place importante dans l'élude de la langue maternelle. Les enfants des écoles primaires ont en général un vocabulaire très restreint et peu précis ; l'instituteur devra s'efforcer de l'étendre et de lui donner de la précision, non seulement à l'aide de la lecture courante et de la lecture expliquée, mais aussi par la connaissance élémentaire des lois qui président à la formation des mots, par une élude méthodique et suivie des variations de sens que peut offrir une même expression, ou des parentés de sens que présentent des termes différents.

Toutefois, en considérant qu'il s'adresse à des enfants très jeunes, et que la science des mots, au point de vue du sens et de l'étymologie, est hérissée de difficultés, il bannira avec soin de ses exercices lexicologiques tout appareil prétentieux, et devra s'attacher à ne donner que des notions simples, claires, mais avant tout exactes.

Depuis le P. Girard et surtout depuis la publication des ouvrages de Pierre Larousse, on a beaucoup usé et même abusé des exercices lexicologiques dans l'enseignement primaire. Il s'en faut de beaucoup que tous aient une égale valeur, et quelques-uns d'entre eux pourraient avec avantage être relégués à l'arrière-plan, ou même être supprimés sans inconvénient. Nous examinerons rapidement ici ceux qui sont d'un usage courant, en appréciant les services qu'ils peuvent rendre dans nos écoles primaires.

Origine et formation des mots. — La partie fondamentale de la lexicologie est celle qui s'occupe d'établir l'origine et la formation des mots ; mais c'est un domaine exclusivement scientifique, dans lequel l'instituteur pourra faire de nombreuses incursions pour sa culture personnelle, sans pouvoir songer toutefois à faire profiter directement ses élèves des découvertes qu'il y aura pu faire. Il lui sera très utile de connaître les règles principales qui ont présidé à la transformation du latin populaire en langue romane, puis en langue française. Par là s'éclaireront certaines règles grammaticales concernant la formation du féminin et du pluriel, la conjugaison, les particularités de forme de certains mois ; il apprendra à connaître et à distinguer les mots de formation populaire et les mots de formation savante. De cette étude, il retirera, en ce qui touche la forme et le sens des mots, des notions qui lui seront d'un grand secours dans l'enseignement de la grammaire et dans la lecture expliquée ; il pourra pratiquer avec plus de méthode et de sûreté les exercices relatifs aux familles de mots.

Familles de mots. — L'étude des familles de mots sera l'exercice lexicologique par excellence à l'école primaire, à l'école primaire supérieure, et même à l'école normale. Le groupement des mots en famille autour d'un même radical tend, en effet, les plus grands services pour l'étude du sens des mots et la formation du vocabulaire : il permet à l'élève, au cours d'une lecture, d'établir par un simple rapprochement lexicologique le sens exact d'une expression, et par conséquent de mieux pénétrer la pensée de l'écrivain ou de saisir une nuance qui aurait pu passer inaperçue ; au cours d'une composition française, il fournira souvent le terme précis cherché, et contribuera à la variété et à la propriété du style.

L'étude des familles de mots pourra être commencée de bonne heure, dès le cours élémentaire. Les plus jeunes enfants sont capables de saisir la parenté de sens entre maison et maisonnette, entre faire et défaire, entre rouge, rougeâtre, rougir, rougeur, etc. Mais il ne faudra pas perdre de vue que ces exercices doivent être très modestes au début si l'on veut qu'ils soient profitables. Présenter ensemble et sur un même plan tous les mots d'une famille serait un contresens pédagogique du plus fâcheux effet. Autant cet exercice est intéressant quand l'élève peut découvrir lui-même le lien qui unit ces mots, autant l'exercice lui paraît artificiel et fastidieux quand ce rapport lui échappe.

A partir du cours moyen, on pourrait commencer l'étude des mots dérivés et des mots composés. A l'aide de quelques exercices intuitifs, on mettra facilement en évidence la valeur et la signification des suffixes et des préfixes. De fréquents exercices d'application, de forme variée, fourniront à l'élève l'occasion de rapprocher d'un mot simple ou d'un radical donné les mots dérivés ou composés qui en proviennent. Mais pour que l'exercice soit vraiment fructueux, il ne suffit pas que les mots aient été trouvés, prononcés ou écrits, il importe que l'élève, guidé dans les premiers exercices par le maître, puisse montrer qu'il a saisi le rapport de sens qui unit ces mots. Voici un exemple d'un exercice de ce genre, emprunté à l'excellente Lexicologie de Pessonneaux et Gautier:

« Famille du mot CAMP (Radicaux : camp, champ).

« Un camp est l'espace de terrain plat où une armée dresse ses tentes. S'établir ou demeurer dans un camp, c'est camper ou former un campement) lever le camp, c'est décamper. Une étendue de pays plat forme une campagne : ce mot s'emploie par opposition à la ville. L'habitant de la campagne est un campagnard ; un rat qui vit dans les champs porte le nom de campagnol.

« Un espace de terre plat et cultivé est un champ ; ce qui tient aux champs est dit champêtre, etc. »

Avec des exercices de ce genre, chaque mot apparaît dans la famille avec sa valeur exacte, absolue et relative, et l'élève aperçoit mieux les modifications de sens que les affixes ont apportées au radical.

Dans beaucoup de familles de mots, le radical se présente sous différentes formes. Il sera bon de réserver aux élèves les plus âgés l'étude de ces familles étendues, et de ne pas présenter dans un même groupe des mots que des dérivations de sens et des transformations de radical ont rendus à première apparence étrangers les uns aux autres, comme tordre, tourment, trousseau ; bois, embuscade, bûcheron. Dans ce dernier cas, les mots pourront avec avantage être répartis en plusieurs sous-familles qui seraient ensuite reliées entre elles à l'aide de termes intermédiaires. Ainsi la famille du mot bois pourrait donner naissance à trois sous-familles :

1° Bois, boiser, boiserie, déboiser, reboiser, déboisement, reboisement ;

2° Bocage, bosquet, bouquet, bouquetier, bouquetière, embusquer, embuscade, débusquer, embûche ;

3° Bûche, bûcheron, bûcher, Bûchette.

En établissant un travail analogue à celui que nous avons cité plus haut, on trouverait facilement les termes de transition entre ces trois sous-familles.

En général, il est inutile de recourir aux mots latins ou grecs pour éclaircir la signification des mots : les élèves ne sont que trop enclins à se donner des airs de savants en cirant des étymologies souvent barbares. Il est rare d'ailleurs qu'on ne puisse trouver une étymologie française : c'est ainsi que les mots insigne, signal, dessin se rattacheront facilement au radical français signe. Dans les mots tirés du grec, on peut se contenter d'indiquer l'idée exprimée par les différentes parties du mot. Ainsi dans zoologie, en disant simplement que la partie zoo contient l'idée d'animal, et que la partie logie, sorte de suffixe, contient l'idée de science, on amènera sans difficulté l'élève à conclure que la zoologie est la science qui s'occupe de l'élude des animaux.

Le sens des mots. — L'élude du sens des mots peut donner lieu à un grand nombre d'exercices très intéressants, dont la plupart peuvent être faits oralement. Après avoir établi à l'aide de quelques exemples le sens propre d'un mot, ou fera chercher le sens dérivé (ou étendu) et le sens figuré. Ex. : les ailes du corbeau (sens propre), les ailes du moulin (sens étendu), les ailes de la renommée (sens figuré).

Certains mots très employés, comme main, jour, faire, etc., entrent, par extension de sens, dans une foule de locutions où il est intéressant de les suivre et de constater les modifications qu'a subies leur signification. Ex. : Travailler jour et nuit ; vivre de longs jours ; être dans son bon jour ; être dans un faux jour ; mettre à jour ; prendre jour, etc. L'explication de ces locutions est un moyen très simple et très profitable d'initier les élèves à ce qu'on a appelé la vie des mots.

Les synonymes. — L'étude du sens des mots conduit naturellement à grouper les mots qui présentent une grande analogie dans leur signification : ce sont les synonymes. On a souvent abusé des exercices sur la synonymie des mots ou des expressions. Dans une langue bien faite, comme le français, il n'y a point de synonymes : les expressions les plus voisines par le sens présentent toujours une différence qui ne permet pas de les employer l'une pour l'autre. Le seul exercice valable sur les synonymes serait donc de montrer les différences de sens qui les séparent ; mais c'est un travail délicat, qu'on pourrait tout au plus tenter à l'école normale primaire. Avec des élèves plus jeunes, comme ceux du cours moyen ou supérieur, on peut se contenter de faire compléter une phrase à l'aide d'un synonyme choisi dans une liste donnée. Est-il nécessaire d'ajouter que la phrase doit être construite de façon à ne permettre aucune hésitation dans le choix? Ainsi pratiqué, l'exercice sur les synonymes aboutit, en somme, à montrer qu'il n'en existe pas. Inutile d'ajouter que l'instituteur doit proscrire avec soin les exercices dans lesquels on propose de substituer à certains termes d'un texte des termes prétendus synonymes. Les enfants ne sont déjà que trop portés à se servir de termes impropres : il serait peu raisonnable de les y encourager à l'aide d'exercices réglés.

Les homonymes. — On range sous le nom d'homonymes les mots qui ont la même prononciation sans avoir le même sens, comme saint, sein, seing : quand les homonymes ont exactement la même forme, on les appelle quelquefois homographes, ainsi mousse (plante) et mousse (apprenti matelot) ; s'ils ont le même son sans avoir la même forme, on les nomme parfois homophones ; exemple : auteur, hauteur.

On a consacré jadis beaucoup de temps dans les écoles à des exercices sur les homonymes ; aujourd'hui cette faveur semble un peu passée, et c'est justice. L'abus de l'homonymie confine au calembour ; tels mots qui sont homonymes dans le Midi ne le sont plus dans le Nord, ainsi le saule de la prairie, le sol de la France, enfin l'esprit ne retire aucun bénéfice de ces exercices de pure forme.

Une leçon de grammaire suffirait à signaler le cas particulier des homographes, qui peuvent être rangés en trois groupes :

1° Noms qui changent de genre en passant du sens propre au sens dérivé : aide, critique ; garde, manoeuvre ;

2° Noms qui changent de genre en changeant d'acception : le manche d'un outil, la manche d'un habit ;

3° Noms qui n'ont aucun rapport de sens : un aune, une aune.

Quant aux autres homonymes, dont le nombre n'est pas très grand, il importe, si l'on juge à propos de leur consacrer quelques exercices, d'éviter tout ce qui peut ressembler aux jeux de mots.

Les paronymes. — Près des homonymes, on range quelquefois les paronymes, c'est-à-dire les mots dont la prononciation Offre quelque analogie. Exemple : consommer, consumer ; anoblir, ennoblir. Leur étude n'est pas inutile, mais les exercices auxquels elle peut donner lieu doivent être choisis avec soin. Il faut avant tout éviter toute confusion possible entre les deux termes ; sinon, en voulant mettre l'esprit en garde contre une méprise possible, on n'aurait réussi qu'a y graver une forme vicieuse. Le remède serait pire que le mal.

Les contraires. — On sait combien il est difficile de faire une bonne définition : les enfants surtout y sont inhabiles, et l'on est souvent obligé de recourir à des procédés indirects pour leur faire exprimer un jugement, une définition, une observation relative à un objet ou à un fait. Au nombre de ces procédés, on range l'exercice des contraires (quelquefois appelés antonymes) ; il est fréquemment employé non seulement pour étendre le vocabulaire, mais aussi pour fixer le sens de deux mots à l'aide du contraste que présentent leurs significations. Voici un élève qui a rencontré dans une lecture le mot pusillanime : il ignore ce que signifie ce mot, mais le contexte le lui montre opposé de sens à brave, hardi, courageux ; dès lors le sens du mot est en partie connu, puisqu'on sait que celui qui est pusillanime n'est ni brave, ni hardi, ni courageux. Cela ne vaut assurément pas une bonne définition, mais c'est déjà un travail d'approche qui peut rendre de réels services.

Les exercices relatifs aux contraires plaisent beaucoup aux élèves, mais ils présentent l'inconvénient très sérieux, qu'ils partagent d'ailleurs avec plusieurs autres exercices lexicologiques, de favoriser l'à peu près, l'imprécision, l'impropriété même des termes, s'ils ne sont pas choisis avec le plus grand soin. Il y a des cas où doux a pour contraire dur, et d'autres cas où son contraire serait salé, amer, rude, froid, rugueux, emporté, fort. Un choix s'impose donc. Dans certaines expressions, rond sera opposé à carré, mais il est inexact de conclure que l'un de ces termes, est le contraire de l'autre. On doit donc, dans les exercices de ce genre, choisir les termes dans une acception bien précise, de façon que le terme contraire soit, lui aussi, bien déterminé. Dans ces conditions, la recherche des contraires est un exercice très recommandable.

L'analogie. — Il est un autre genre d'exercices dont l'usage se généralise de plus en plus : il consiste à nommer, à faire trouver, à classer ou à définir les mots relatifs à une idée donnée. Ainsi, à propos du mot marin, on peut rassembler les termes suivants, ou proposer aux élèves de les trouver :

Noms : Marin, marinier, mousse, matelot, gabier, vigie, pilote, timonier, soutier, patron, novice, pêcheur, corsaire, pirate, armateur, navigateur, nautonnier, nocher, rameur, calfat, maître-coq ;

Adjectifs : Marin, sous-marin, maritime ; pleine mer, haute mer, basse mer, mer houleuse, grosse, démontée, calme.

Verbes : Amariner, arrimer, calfater, débarquer, embarquer, équiper, gréer, haler, louvoyer, naviguer, chavirer, échouer, doubler, etc.

Sans doute l'opération d'esprit qui consiste à grouper autour d'un mot donné tous les vocables qui se rapportent à une même idée est profitable en elle-même ; toutefois, ce profit est assez limité, car de deux choses l'une : ou l'enfant connaît les mots et, dans ce cas, le seul travail utile consiste à les rassembler ; ou l'enfant ne les connaît pas tous, et le maître les lui présente en un tableau plus ou moins complet : il y a bien des chances alors pour que ce vocabulaire reste pour lui lettre morte ; forcément des confusions se créeront dans son esprit entre certains de ces termes nouveaux pour lui.

On doit donc vivifier, autant que possible, ces exercices, en employant les termes dans de petites phrases combinées de telle sorte qu'elles aident à faire acquérir la propriété du style. Tel adjectif conviendra particulièrement à tel nom ; tel sujet ou tel complément s'emploiera de préférence avec tel verbe. Ces exercices de rapprochement entre mots d'un même groupe seront une préparation utile à la composition française.

Nous voyons ainsi que les exercices lexicologiques offrent au maître des moyens très variés et très intéressants d'augmenter le vocabulaire des élèves. Tous ces exercices n'ont pas une égale valeur, et même parmi les meilleurs une certaine expérience est nécessaire pour en faire un emploi judicieux et profitable. Ce sera donc au maître à laisser résolument de côté ceux dont la classe ne peut tirer d'effet utile et à ne garder que ceux qui sont de nature à donner au vocabulaire de ses élèves plus d'étendue et surtout plus de précision.

Léon Flot