bannière

l

Lessing

Gotthold-Ephraïm Lessing, un des meilleurs écrivains et des plus profonds penseurs de l'Allemagne, naquit à Kamenz (Saxe), en 1729, et mourut à Brunswick en 1781. Il s'était d'abord fait connaître par des traductions, des articles d'érudition, des éludes de critique littéraire ou dramatique, par des fables et quelques pièces de théâtre. Changeant de voie tout à coup, il accepte une place de secrétaire auprès du général Tauenzien et se mêle (1760-1765) à la vie et à l'agitation des camps. Il profite de ses fonctions pour étudier les moeurs militaires, et il en trace bientôt dans Minna de Barnhelm une vivante et attachante peinture. L'Allemagne charmée salue dans l'oeuvre nouvelle la première et heureuse tentative d'un théâtre vraiment national. Le succès de Minna de Barnhelm vaut à Lessing la direction du théâtre de Hambourg (1767-1769). Il en prend occasion de publier une série d'études de la critique la plus pénétrante sur les pièces et les auteurs du théâtre contemporain. La Dramaturgie de Hambourg, tel est le nom que prend la publication, renouvelle les théories alors régnantes sur le drame, et affranchit le goût public des traditions scolastiques, des préjugés séculaires. Le Laocoon, qui avait paru en 1767, n'opérait pas, de son côté, une moindre révolution dans les habitudes de la critique d'art, et déterminait l'objet et les limites de la poésie et de la sculpture avec une précision et une sagacité jusque-là inconnues.

En 1770, Lessing accepte l'emploi de bibliothécaire à Wolfenbüttel. Il met à profit les trésors qui lui sont confiés pour renouveler la critique théologique du temps, comme il l'avait déjà fait pour la critique littéraire et dramatique. La publication, faite par lui, sous le titre de Wolfenbüttelsche Fragmente, de fragments d'un ouvrage inédit de Reimarus (mort en 1768), où les droits de la libre raison, de la théologie naturelle, sont soutenus avec une courageuse habileté, jette dans un grand émoi et une vive irritation tout le camp des théologiens orthodoxes. Le plus fougueux d'entre eux, le pasteur Goeze, se fait l'interprète de l'indignation commune, et entreprend de réduire à néant les propositions hérétiques de l'auteur. Lessing engage, sans hésiter, contre ses nombreux et puissants adversaires une polémique où l'ignorance, la maladresse, les ridicules du contradicteur donnent beau jeu à son érudition, à sa dialectique et à sa verve railleuse. L'approbation accordée à l'Anti-Goeze par les esprits libres et éclairés ne réussit pas à protéger Lessing contre les menées perfides et les dénonciations de ses ennemis, ni à prévenir l'intervention maladroite et brutale de la cour et des autorités publiques dans un débat où les armes pacifiques de la libre discussion étaient seules de' mise. L'énergie indomptable de Lessing ne fléchit pas un seul instant. Les longues agitations de la lutte avec les théologiens n'altèrent en aucune façon la haute sérénité de sa pensée. Son beau drame en vers de Nathan le sage (1779) nous livre, avec l'expression suprême de la foi morale et philosophique de Lessing, le secret de sa résignation, de sa fermeté, de sa tranquille assurance. Dans cette oeuvre aujourd'hui populaire, Lessing se plaît à mettre aux prises, mais pour faire ressortir toute la supériorité morale du premier, un Juif affranchi des préjugés de sa race et de son culte, qui ramène à la loi unique de l'amour du prochain les dogmes et les devoirs de la religion ; un patriarche chrétien et un musulman, enfermés l'un et l'autre dans les croyances et les pratiques étroites de leurs religions contraires, et qui s'éloignent d'autant plus de l'humanité qu'ils prétendent se rapprocher davantage de Dieu.

Les oppositions religieuses du judaïsme, du christianisme, de l'islamisme, dont gémit le noble coeur de Nathan, la haute raison de Lessing fait effort pour les expliquer pour les accorder avec sa foi dans la sagesse providentielle, dans l'Education de l'humanité (1780). Les erreurs des religions passagères et multiples sont, aux yeux de Lessing, les prémisses indispensables de la vérité une et définitive. Les religions diverses répondent aux besoins différents, aux facultés inégales que présente l'humanité aux âges successifs de son développement. Leurs symboles sont comme les voiles de plus en plus transparents dont s'enveloppe la vérité, pour ne pas offusquer par son éclat trop vif des regards qui ne s'affermissent que peu à peu. Les mêmes vérités ne peuvent être saisies dans la même mesure par des intelligences inégalement douées, inégalement préparées. Le genre humain reçoit ainsi de la sagesse mystérieuse et providentielle qui veille sur les destinées du monde une sorte d'éducation morale et religieuse, appropriée aux forces et aux aptitudes de chaque peuple. Les ménagements ingénieux, les ruses victorieuses de l'art providentiel peuvent servir de leçons à cette autre providence terrestre et faillible, que chaque enfant doit trouver dans les soins de son précepteur.

Dans ces deux écrits, qui sont comme le testament philosophique de sa pensée, Lessing a fait, dans une certaine mesure, oeuvre de pédagogue.

Les maîtres intelligents sauront extraire des beaux vers de Nathan le sage de généreuses exhortations à la charité et à la tolérance.

Le livre sur l'Education de l'humanité ouvrira l'esprit des jeunes maîtres à la compréhension sereine et impartiale de ces grands faits historiques qu'on appelle les religions positives. Lessing les aidera à en mieux saisir le sens, comme à moins s'irriter de cette diversité des croyances religieuses, qui déconcerte au premier abord une raison inexpérimentée. Ils puiseront dans la lecture de l'Education de l'humanité des motifs d'indulgence et de tolérance ; et les besoins auxquels la diversité des croyances a répondu dans le passé les aideront à mieux entendre ceux qu'elle continue à satisfaire dans le présent.

Désiré Nolen