Nous nous proposons, dans les pages qui suivent, d'essayer de résumer l'histoire des méthodes d'enseignement de la lecture à l'école primaire en France, en ajoutant à cet exposé historique quelques détails sur les méthodes employées à l’étranger. De ce tableau des progrès accomplis en trois siècles dans ce domaine découleront naturellement, et sans que nous ayons besoin de les formuler en un corps de doctrines, les directions pédagogiques qu'il convient de donner aux maîtres d'aujourd'hui sur cet important sujet.
France
Le dix-septième siècle.— DEMIA.— Une des premières tentatives que nous connaissions en France d'une organisation méthodique de l'enseignement de la lecture se trouve dans les Règlemens pour les écoles de la ville et diocèse de Lyon, rédigés par Ch. Démia dans la seconde moitié du' dix-septième siècle (Lyon, chez André Olyer, 1 vol. petit in-4°, sans date). Nous allons analyser les instructions contenues au chap. II de cet ouvrage sur la « Méthode d'enseigner la lecture du latin et du français » ; on aura ainsi une idée aussi exacte que possible des procédés employés dans les meilleures écoles de cette époque.
Démia veut que le maître « divise son école en des classes différentes, par rapport à la capacité des écoliers, dont les uns en sont aux lettres, les autres aux silahes, ou aux mots, ou aux phrases, etc. Ainsi il rangera dans la Ire, ceux qui aprenent à connoître les lettres, que l'on peut montrer dans une grande table, ou dans un petit alphabet ; dans la IIe, ceux qui aprenent à épeler, c'est-à-dire à joindre les lettres pour en faire des silabes ; dans la IIIe, ceux qui aprenent à joindre les silabes pour en faire des mots ; dans la IVe, ceux qui lisent le latin par phrases, ou de ponctuation en ponctuation ; dans la Ve, ceux qui commencent à lire le françois : dans la VIe, les plus capables dans la lecture ; dans la VIIe, ceux qui lisent les manuscrits ; dans la VIIIe, ceux qui écrivent. »
Si l'école est nombreuse, chacune de ces classes doit être subdivisée en bandes. Ainsi la première classe comprend quatre bandes : « La 1re bande sera de ceux qui commencent à aprendre le nouvel alphabet disposé par des lettres simples, comme c, e, o, g, etc. ; la 2e, de ceux qui aprenent les lettres qu'on apele mêlées, comme a, b, c, d, e, etc. ; la 3e, de ceux qui aprenent les lettres abrégées ; la 4e, de ceux qui lisent les lettres doubles ». La deuxième classe se subdivise en trois bandes: « La 1re, de ceux qui comptent chaque lettre tout haut avant que d'épeler la silabe, comme D, o, de : m, i, mi : n, e, ne, etc. ; la 2e, de ceux qu'épelent sans compter, comme Do, mi, ne ; la 3e, de ceux qui épelent les silabes les plus dificiles de 3, 4, 5 et 6 lettres, comme est, bant, brant, spinx.» II n'est pas nécessaire d'indiquer la composition des bandes des six autres classes ; ce que nous venons de reproduire suffit pour montrer le principe du système : on part de l'étude des lettres isolées, en allant des plus faciles aux plus difficiles, pour passer ensuite à la formation des syllabes, puis à celle des mots ; et la lecture du latin précède la lecture du français, qui n'est abordée que dans la cinquième classe.
Démia donne au maître des directions pratiques sur la marche à suivre et les moyens à employer dans l'enseignement. Il nous paraît intéressant de les faire connaître en détail.
« Remarques générales sur la lecture. — Le maître ayant ainsi divisé son école, observera ce qui suit:
« 1° Que les enfans d'une même bande doivent être de la même capacité, rangés chacun dans sa place.
« 2° Avoir le même livre, de la même impression, et la même leçon.
« 3° Chacun doit regarder et tenir le doigt ou la touche sur le mot que l'on lit.
« 4° Le chef de chaque bande doit être pris de la bande supérieure, pour être capable de reprendre ceux qui manqueroient.
« 5° On ne doit jamais faire passer un enfant d'une bande inférieure à une supérieure, qu'il n'en soit bien capable.
« 6° Prendre garde qu'ils prononcent bien les finales des mots latins, corrigeant les mauvais accens, et prononciations.
« 7° Qu'ils ne soient mis en lecture du françois sans être bien versés en celle du latin.
« 8° Qu'ils fassent un peu de pose aux virgules, plus aux deux points, et encore plus aux points.
« 9° Qu'ils gardent la quantité, les accents, etc.
« 10° Qu'ils ne lisent pas ce qu'ils sçavent par coeur, comme le Pater.
« Manière de faire lire. — Les choses ainsi disposées, le maître, ou soumaître en sa place, aiant le livre que les enfans lisent à la main, se tenant derrière eux, donnera un petit coup de cloche, ou touchera avec une baguette l'un des écoliers qui doit être ordinairement le premier de la bande, lequel doit lire jusque à ce qu'il donne un second coup de cloche, ou qu'il touche le suivant, qui doit poursuivre la lecture : il interrompra quelquefois cet ordre pour surprendre ceux qui seroient abstrais. Au cas que l'écolier manque, le maître ne le reprend pas d'abord, mais lui donne du tems pour se reprendre, et s'il ne se reprenoit, comme il faut, il en désignera quel-qu'autre jusqu'à ce qu'il en ait trouvé un qui le sçache, le chef de bande faisant toujours signe avec la clochette, que l'on n'a pas bien dit : que si aucun des écoliers ne sçavoit la lettre ou le mot, le chef le dira, et au cas qu'il manquât lui-même, le maître le reprend le dernier, faisant repeter plusieurs fois aux enfans ce qu'ils n'ont sçu dire ; après la leçon dite, le maître pourra faire disputer un des derniers de la bande contre un des premiers, pour gagner s'il peut la place : le maître ou chef de bande marquant les fautes, etc., ce qui leur donnera beaucoup d'émulation. Le maître donnera de tems à autre quelques récompenses aux premiers de la bande, et marquera un mauvais point aux derniers, il pourra aussi par fois faire dire toute la leçon à un des écoliers, etc.
« Remarques pour chaque classe en particulier. — Pour ceux qui sont à la première et seconde classe, on peut se servir de grandes tables, ou cartes, ou du premier et second livre du premier alphabet, dont on peut coller les feuilles sur un petit ais propre à tenir à la main, ou à être attaché contre le mur ; on peut aussi se servir de carrés en forme de dez, où seront imprimées les lettres ou les silabes, dont il fera jouer les enfans, leur donnant un écolier plus capable pour arbitre de leur diférent, qui leur fera jetter le carré l'un après l'autre, et leur dira la lettre s'ils ne la sçavoient deviner ; celui qui devinera le mieux gagnera un bon point, ou quelque chose qui aura été désigné.
« Le maître rangera les enfans autour de la carte, et ne donnera que très peu de lettres à aprendre à ceux qui commencent, et les leur fera dire bien haut, leur montrant comment il faut ouvrir la bouche : il indiquera les lettres sur les cartes avec la grande baguette, touchant comme il a été dit avec la petite celui qui la doit dire : il prendra garde que tous les enfans aient la vue dessus ces lettres, qu'il fera ensuite voir dans leur petit alphabet.
« Pour la deuxième classe, la première bande doit compter et dire tout haut chaque lettre ; par exemple, en epelant ce mot de Domine, il faut dire comme suit D, o, de : m, i, mi : n, e, ne.
« Ceux qui sont à la 2° bande épelent en disant la silabe sans compter ni apeler séparément chaque lettre, comme Do, mi, ne.
« On doit laisser long-tems les enfans dans cette pratique, avant que de leur faire dire les mots tous entiers, ce qui s'observera comme il suit : en lisant par exemple In nomine patris, le premier de la bande dira in, le second no, le 3e mi, le 4e ne, le 5e pa, le 6e tris, et comme ceux qui commencent à lire dans les livres ont peine à suivre la lecture qui se fait de celte sorte, le maître désignera un écolier des mieux stilés pour leur faire tenir les yeux et la bouche sur ce qui se lit, et les faire lire à leur rang.
« A l'égard de la troisième et quatrième classe, où sont ceux qui lisent le latin, le maître observera :
« 1° Que les enfans lisent correctement, et qu'ils prononcent bien la valeur de chaque lettre : comme I dans sanctifîcetur il prendra garde qu'ils prononcent bien le c du milieu du mot, et l'r finale, disant ur, et non pas eur, etc.
« 2° La liaison qui se fait d'une consonne qui finit un mot avec la voïelle qui commence le suivant, comme dans ces deux mots es in il faut lier l's avec l'i suivant.
« 3° La différente prononciation de certaines finales, comme an, am, en, em, un, um, on, om, ur, eur, hac, ac, qui, cui, etc.
« Pour ceux de la cinquième classe, qui lisent le françois, il observera :
« 1° De leur donner peu de leçon au commencement. « 2° De leur faire remarquer la différente prononciation ou valeur des lettres et silabes du latin et du françois, comme um en françois se doit prononcer clairement comme un u et un m, exemple humble, et um en latin presque comme om, exemple, templum, lisés plom en fermant un peu la bouche et les lèvres ; qui. en françois, se doit prononcer comme ki, au contraire en latin on fait sonner doucement Vu au milieu du q et de l'i. Il y a plusieurs lettres muëtes dans le françois, comme l'nt à la troisième personne du pluriel, comme dans ces mots suivans ils alloient, et disoient, prononcez ils aloi, et disoi ; l's est muëte aux pluriels des noms substantifs et des adjectifs, comme les hommes sages, lisez les homme sage, etc.
« 3° Il fera lire au commencement par mots chaque écolier de la bande ; par exemple le premier disant pensée, le 2e chrétienne, le 3e pour, le 4e tous, le 5e les, le 6e jours, etc., ou bien le maître dira un mot, et l'écolier l'autre ; comme le maître Pensées, l'écolier chrétiennes, etc.
« Pour ceux de la sixième et septième classe, qui lisent le françois plus difficile, la Civilité, et les manuscris, on observera :
« 1° Que les écoliers lisent correctement selon les remarques générales ci-devant, et qui sont plus amplement specifiées dans l'article de l'ortographe.
« 2° On leur fera aprendre par coeur la valeur des accens, des points et tout ce qui regarde l'ortographe pour les faire lire ensuite par remarques, comme on verra cy-après.
« 3° Lorsque les écoliers sont capables dans la lecture du françois, on leur fait lire au commencement la Civilité, ensuite quelques lettres de main faciles, comme les copies d'ortographe des écoliers, puis des contrats plus ou moins difficiles, par raport à leur capacité, désignant par chiffres les leçons d'un chacun.
« 4° Pour faciliter la lecture des manuscris, on pourra faire un alphabet de différentes lettres de main sur une table noire, et un autre des silabes, pour leur faire voir la liaison des lettres, des unes avec les autres, ainsi que des autres dificultez. »
L'ECOLE PAROISSIALE. — Nous complétons cet exposé de la méthode employée dans les écoles du dix-septième siècle par quelques extraits d'un livre peu connu, l'Ecole paroissiale, par I. D. B., prêtre ; cet ouvrage, dédié au chantre de l'église de Paris, contient un cours d'études complet à l'usage des « petites écoles » (la première édition est de 1654). On verra que les procédés recommandés aux maîtres des écoles de Paris ne diffèrent guère de ceux dont on se servait dans celles de Lyon.
« Pour bien montrer à lire, dit l'auteur (éd. de 1705), il faut se bien garder d'embrouiller les enfans en voulant enseigner tout à la fois, à assembler et a lire en françois et eu latin : mais se servir de l'ordre, et ne point entreprendre de les faire voler dans la lecture avant que de sçavoir épeler les lettres, car voulant les avancer en leur apprenant tant de choses à la fois, on leur rend la lecture si confuse qu'outre qu'ils sont longtemps à apprendre, ils ne sçavent jamais bien lire, ni en latin, ni en françois. Pour procéder donc par ordre, il faut : 1° enseigner aux petits enfans à connoître les lettres ; 2° à les assembler, pour en faire des syllabes ; 3° à épeler les syllabes, pour en faire des mots ; et ensuite, lire les mots, pour en faire des périodes latines : puis à bien lire en françois. »
Les lettres doivent être montrées aux enfants sur un alphabet . c'est « un petit livre de quatre ou cinq feuillets, qui contienne : 1° les lettres communes, capitales, abbréviations, italiennes, grandes et petites ; 2° deux colonnes de syllabes, de toutes les lettres qui se peuvent assembler, tant avec les simples voïelles, comme ba, pa, qu'avec une liquide et une voïelle, comme bra, bla. Il doit y avoir en ce même livre le Pater, Ave, Credo, Misereatur, Confileor, Benedicite, Agimus, Et beata, et Angele Dei, imprimez en lettres communes, grosses, et bien distinguées, les syllabes séparées l'une de l'autre environ de l'épaisseur d'un teston de France. » Une fois que les enfants savent leurs lettres et commencent à épeler, on leur met entre les mains un second livre, « qui soit composé du Magnificat, Nunc dimittis, Salve regina, verset, et oraison, des sept psaumes, et des litanies des saints, du saint nom de Jésus, et de celle de la Sainte-Vierge ; d'une liste des nombres des chiffres communs, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 20, 30, 40, 50, 60, 70, 80, 90, 100, 200, 300, 1000 ; des versets et des réponses de la messe. » Un peu plus tard, les enfants reçoivent encore un troisième livre, contenant aussi des prières latines, mais imprimées en lettres « médiocres » ; et ensuite, « pour les rompre davantage dans la lecture latine, il leur faut donner des livres latins mal imprimez, comme des psautiers imprimez à Rouen et à Troyes ».
Voici comment le maître doit s'y prendre pour enseigner l'alphabet : « Pour bien montrer les lettres aux enfans, il faut les faire commencer à bien faire le signe de la croix : puis, avec une petite touche d'un bout de plume (et non pas de fer ou de cuivre, ce qui gâte et déchire les livrets), le maistre leur fera tenir le livret par le milieu, de la main gauche, et la touche de la droite. Après, les ayant encouragés a bien apprendre, il leur montrera les trois ou quatre premières lettres à la première leçon, leur faisant repeter trois ou quatre fois ; puis les prenant à rebours, leur fera montrer avec la touche, et nommer ces trois ou quatre lettres ; et ensuite les donnera à leur officier, pour avoir soin de leur faire repeter leur leçon, et apprendre les trois ou quatre suivantes. A la seconde leçon, il leur doit faire repeter la première ; et s'ils la sçavent bien, il leur fera repeter quatre autres lettres en suivant ; et ainsi les donnera à faire reciter la première et seconde leçon à leur officier, et ensuite en apprendre une autre pour le jour suivant. » L'auteur insiste pour que le maître se garde d'enseigner trop tôt à former des syllabes ; il faut qu'auparavant l'enfant connaisse bien les lettres en toutes sortes de caractères, » tant grandes qu'italiennes, gothiques, ligatures, abbréviations » ; de même, il est nécessaire que les enfants aient appris « a assembler toutes les syllabes du syllabaire, tant de deux que de trois lettres, avant que de leur faire épeler des mots entiers : car on leur donneroit une double difficulté » La raison pour laquelle on ne doit enseigner à lire en français qu'aux enfants qui savent déjà lire le latin, c'est que « la lecture françoise est bien plus difficile à prononcer que la latine ».
On a peine à concevoir aujourd'hui que le système qui consistait à débuter par la lecture du latin ait pu se maintenir si longtemps. Il est juste de faire observer qu'un des arguments invoqués en faveur de cet usage ne manquait pas d'une certaine valeur : en latin, disait-on, toutes les lettres se prononcent, et pour bien lire cette langue il suffit à l'enfant d'appliquer les règles qu'il vient d'apprendre ; il est avantageux pour lui de ne pas être plongé de prime abord, au sortir du syllabaire, dans le chaos de la lecture française, où tant de choses sont arbitraires, et de n'y arriver qu'après avoir essayé ses premiers pas sur les mots d'une langue où la prononciation est conforme à l'écriture.
PORT-ROYAL. — On sait que les grammairiens de Port-Royal proposèrent une réforme dans l'ancienne méthode d'épellation. « En prononçant séparément les consonnes et en les faisant appeler aux enfants, dit l'un d'eux, Guyot, on y joint toujours une voyelle ; sçavoir e, qui n'est ni de la syllabe, ni du mot : ce qui fait que le son des lettres appelées est tout différent des lettres assemblées. Par exemple, on fait épeler aux enfants ce mot bon, lequel est composé de. trois lettres, b, o, n, qu'on lui fait prononcer l'une après l'autre. Or, b prononcé seul fait bé ; o prononcé seul fait encore o, car c'est une voyelle ; mais n prononcée seule fait enne. Comment donc cet enfant comprendra-t-il que tous ces sons qu'on lui a fait prononcer séparément, en appelant ces trois lettres l'une après l'autre, ne fassent que cet unique son bon ? On lui a fait prononcer trois sons, dont il a les oreilles pleines, et on lui dit ensuite : assemblez ces trois sons et faites-en un, savoir bon. » Port-Royal proposait, pour remédier à cet inconvénient, « qu'on ne nommât les consonnes que par leur son naturel, en y ajoutant seulement l'e muet, qui est nécessaire pour les prononcer ». (Grammaire générale de Port-Royal, chap. VI.) L'idée première de ce procédé semble avoir appartenu à Pascal ; et nous savons par une lettre de sa soeur Jacqueline qu'elle employait ce mode d'épellation avec ses petites élèves : Voir Pascal (Blaise), Pascal (Jacqueline), Port-Royal.
J.-B. DE LA SALLE. — J.-B. de La Salle fut un réformateur remarquable pour son temps ; et parmi les services qu'il a rendus à l'enseignement primaire, on lui doit la substitution de la lecture du français à celle du latin. Mais, sauf sur ce point capital, sa méthode de lecture ne s'écarte pas sensiblement de celle qui était en usage avant lui. Il n'a pas adopté le procédé d'épellation de Port-Royal, soit qu'il ne l'ait pas connu, soit que l'origine janséniste de cette nouveauté la lui ait rendue suspecte. Dans sa Conduite des écoles chrétiennes, il expose de la façon suivante la manière dont la lecture doit être enseignée :
Au lieu de placer entre les mains des élèves un abécédaire, on doit leur apprendre les lettres et les syllabes au moyen de deux tableaux, ce qui facilite l'enseignement simultané : « Il y aura deux grandes tables attachées à la muraille, à la hauteur de six à sept pieds à prendre depuis le haut des tables jusqu'à terre. L'une des tables sera remplie de simples lettres Petites et grandes, diphthongues et lettres liées ; et autre, des syllabes à deux et trois lettres. » Pour que la division des écoliers apprenant l'alphabet ne reste • pas inoccupée pendant que le maître fait la leçon à la division qui apprend les syllabes, et réciproquement, la Conduite donne la prescription suivante : « Ceux qui lisent à l'alphabet suivront et regarderont avec ceux qui ont les syllabes pour leçon, pendant tout le temps qu'on y lira, et ceux qui lisent aux syllabes regarderont aussi à l'alphabet et y suivront pendant tout le temps de cette leçon. Pendant toutes les leçons de l'alphabet et des syllabes, le maître marquera toujours lui-même avec la baguette les lettres et les syllabes qu'il voudra faire dire. » Le nom des lettres est conforme à l'appellation traditionnelle : « M, n, se doivent prononcer comme ème, ène ; x comme icce, z se doit prononcer comme zède, etc. » Quand les élèves se sont familiarisés avec toutes les syllabes du second tableau, on leur donne un syllabaire, c'est-à-dire « un livre rempli de toutes sortes de syllabes françoises à 2, 3, 4, 5, 6, 7 lettres, et de quelques mots pour faciliter la prononciation des syllabes ». Voici la manière de donner la leçon à la division qui étudie le syllabaire : « Les commençans ne doivent pas y lire moins que deux lignes et les autres moins que trois, selon le nombre des écoliers et le temps que le maître aura pour les faire lire ; d'abord que quelque écolier sera mis à celte leçon, afin qu'il puisse s'accoutumer à lire dans son livre pendant que les autres lisent, le maître aura soin de lui donner durant quelques jours, selon qu'il en sera besoin, un compagnon qui lui en apprenne la manière, en suivant et le faisant suivre avec lui dans le même livre ; tenant tous deux ce livre, l'un d'un côté et l'autre de l'autre ; dans le syllabaire, les écoliers ne feront qu'épeler les syllabes, et ne liront point ; il sera nécessaire de leur faire bien connaître d'abord les difficultés qui se rencontrent dans la prononciation des syllabes, et qui ne sont pas petites dans le françois ; il faudra pour cela que chaque maître sçache parfaitement le petit traité de la prononciation, » Pour les élèves plus avancés, il y a des livres de lecture, au nombre de trois : « Le premier livre dont on se servira dans les écoles chrétiennes sera un discours suivi ; ceux qui y liront n'y feront qu'épeler, et on leur donnera toujours une page pour leçon. Ils y épelleront environ chacun trois lignes au moins, selon le temps que le maître aura et le nombre des écoliers. Le second livre sera un livre d'instruction chrétienne. Les écoliers ne l'auront point pour leçon, qu'ils ne sachent parfaitement épeler sans hésiter. Il y aura de deux sortes de lisans dans ce livre, les uns épellerront et liront, par syllabes, et ceux qui n'épelleront pas liront seulement par syllabes. Tous n'auront qu'une même leçon, et pendant qu'on épellera ou lira, tous les autres suivront, tant ceux qui épelleront et liront que ceux qui ne font que lire. Tous les lisans dans ce livre ne liront que par syllabes, c'est-à-dire avec pause égale entre chaque syllabe, sans avoir égard aux mots qu'elles composent. Les épelants épelleront environ trois lignes, et liront ensuite autant qu'ils auront épelé, et ceux qui ne font que lire liront environ cinq ou six lignes, selon le nombre des écoliers. Le troisième livre sera celui dont les frères directeurs conviendront avec le frère supérieur de l'institut dans chaque lieu. Tous ceux qui liront dans ce livre le feront par périodes et de suite, n'arrêtant qu'aux points et aux virgules ; on ne mettra dans cette leçon que ceux qui sçauront parfaitement lire par syllabes sans y manquer. On donnera chaque fois deux ou trois pages pour leçon, depuis un sens arrêté jusqu'à un autre sens, un chapitre, un article, ou une section. Les commençans y liront environ huit lignes, et les plus avancés douze ou quinze, selon le temps que le maître aura et le nombre des écoliers. »
La lecture du latin ne fut pas exclue des écoles chrétiennes ; mais J.-B. de La Salle la subordonna à la lecture du français, comme un simple accessoire. Il a expliqué les motifs de cette innovation dans une lettre à l'évêque Godet des Marais, citée par le chanoine Blain : « L'expérience m'a prouvé, écrivait-il, que les enfans qui savent bien lire dans leur langue maternelle apprennent aisément à lire des textes où, comme dans le latin, toutes les lettres doivent être prononcées ; il n'en est pas de même pour ceux qui n'ont eu d'abord, entre les mains, que des ouvrages en langue latine. La lecture du françois conserve pour eux toutes les difficultés qu'elle offre à ceux qui ne sçavent que réunir des lettres pour en former des syllabes ou des mots. Aussi la plupart des enfans pauvres quittent-ils l'école ne sachant pas lire le françois et ne lisant le latin que d'une manière ridicule ou incorrecte. Enfin, dans nos écoles, la lecture du françois peut seule aider les maîtres à développer l'intelligence des enfans et à former leur coeur. Les ouvrages latins ne renferment pour eux qu'une lettre morte et des mots incompris ; ils n'ont à s'en servir que pour suivre les offices de l'église ; lorsqu'ils lisent en françois, ils peuvent, au contraire, utiliser aussi leurs loisirs, dans leur famille, par de bonnes et fructueuses lectures. »
La Conduite des écoles dit, à propos de la lecture du latin : « Le livre dans lequel on apprendra à lire dans le latin est le psautier ; on ne mettra dans celle leçon que ceux qui sçauroient parfaitement lire dans le françois. Il y aura trois sortes de lisans dans le latin: les commençans, qui ne lisent que par syllabes, les médiocres, qui commenceront à lire par pauses, et les parfaits, qui liront par pauses sans faire aucune faute. »
Le couronnement des exercices de lecture, dans les écoles des frères comme dans les petites écoles du dix-septième siècle, était la lecture de la Civilité et celle des manuscrits ou registres. On lit dans la Conduite : « Lorsque les écoliers sçauront parfaitement lire dans le françois, et qu'ils seront dans le troisième ordre du latin on leur apprendra à écrire, et on leur enseignera à lire dans le livre de la Civilité chrétienne. Ce livre est imprimé en caractères gothiques, plus difficiles à lire que les caractères françois. On n'épellera point et on ne lira point par syllabes dans ce livre : mais tous ceux à qui on le donnera liront toujours de suite et par pauses. Lorsque les écoliers seront dans le quatrième ordre de l'écriture ronde, ou qu'ils commenceront à écrire dans le troisième ordre en lettres bâtardes, on leur apprendra à lire des papiers ou parchemins écrits à la main, qu'on appelle registres. Dans le commencement on leur en donnera à apprendre des plus lisibles, et puis des moins faciles, et ensuite des plus difficiles à mesure qu'ils avanceront, et toujours ainsi en avançant, jusqu'à ce qu'ils soient en état de pouvoir lire dans les écritures les plus difficiles qui se puissent rencontrer. »
Le dix-huitiéme siècle jusqu'à la Révolution. — Avec le dix-huitième siècle paraissent en foule les novateurs de tout genre. L'idée de renouveler les anciennes méthodes d'éducation, de rendre l'étude facile et attrayante, est une de celles qui passionnent le plus les esprits ; et, dans le domaine spécial qui nous occupe, elle a pour résultat de faire naître de nombreux systèmes d'enseignement de la lecture, parmi lesquels nous mentionnerons ceux de Py-Poulain Delaunay ; de Dumas (bureau typographique) ; de M. de Vallange et de ses imitateurs Bertaud, Alexandre, Michel, etc. ; de Cherrier ; de Viard ; de l'abbé de Radonvilliers et d'Adam ; de Dupont (de Nemours).
PY-POULAIN DELAUNAY. — La Méthode de ce grammairien, imprimée en 1719, était restée à peu près inconnue : « Le peu d'exemplaires que mon père en avait fait imprimer ne fut point débité », a écrit son fils en 1741. lin heureux hasard a placé entre nos mains un exemplaire de cet ouvrage, exemplaire acquis par le Musée pédagogique. Il est intitulé : « Méthode du sieur Py-Poulain de Launay, ou l'art d'aprendre à lire le français et le latin, par un nouveau sistème si aisé et si naturel qu'on y fait plus de progrès en trois mois, qu'en trois ans par la manière ordinaire. Paris, chez Nicolas Le Clerc et Jean-François Hérissant, MDCCXIX. » La rencontre inattendue de cet ouvrage nous permet d'exposer les véritables principes de la méthode de Delaunay, dont le livre de son fils (Voir Delaunay) ne donne qu'une idée imparfaite, et de publier quelques renseignements inédits sur l'état de la question des méthodes de lecture au commencement du dix-huitième siècle.
Py-Poulain Delaunay explique son système dans un dialogue qui occupe les 58 premières pages de son livre. Il déclare à son interlocuteur Démée que les défauts de l'ancienne manière d'apprendre à lire tiennent essentiellement aux noms qu'elle donne aux consonnes, noms qui sont un obstacle à l'épellation ; pour lui, il se contente d'ajouter un e muet au son naturel de chaque consonne, et c'est là le fondement de toute sa méthode. — Mais, dit Démée, êtes-vous le premier qui ayez songé à cette nouveauté? — Delaunay répond que l'abbé de Saint-Cyran, au témoignage de beaucoup de personnes, « avoit enseigné à lire à peu près par une pareille méthode à feu Monseigneur le duc de Bourgogne, au roi d'Espagne (alors le duc d'Anjou) et à Monseigneur le duc de Berry ». Il ajoute que M. de Saint-Cyran avait communique sa méthode à quelques personnes ; « mais apparemment qu'elles ne l'ont jamais bien compris, car je me souviens très bien qu'étant alors à Versailles, une de ces maîtresses voulut me dire quelque mot de ce qu'elle en avait apris, mais le peu qu'elle m'en dit me parut si confus et si embrouillé et j'en fis si peu de cas, que je fus près de trois ans sans y faire aucune réflexion ». Toutefois c'est le souvenir de cette conversation qui le mit sur la voie. « La petite lueur dont j'avois été frapé, il y avoit trois ans, me fit d'abord mettre en pratique ce que j'en sçavois, mais c'étoit si peu de chose que j'ai été bien deux ans à y donner quelque forme. » A une nouvelle question de Démée, qui lui demande « s'il n'avoit jamais rien lu qui aprochât de ces principes-là », il répond : « Je sçais que plus de dix ans auparavant un ami me prêta un petit in-douze, composé, autant que je puis m'en souvenir, par un religieux bénédictin, et qui rouloit à peu près sur les principes dont je me sers ; mais comme dans cet auteur il y avoit beaucoup de théorie et peu de pratique, je sçais seulement qu'il y faisoit entrer une si grande quantité de principes, qu'ils empêchoient de bien concevoir ce qu'il prétendoit y établir. Après avoir rendu ce livre, il ne m'a pas été possible de recouvrer ni celui-là ni l'autre pareil, quelque recherche que j'en aie pu faire. » Démée le félicite de ce que des personnes si spirituelles ont déjà reconnu la bonté et la nécessité de cette méthode en la mettant en pratique à leur manière ; sur quoi Delaunay ajoute : « Je viens d'être confirmé dans mon sentiment par une grammaire qui m'est tombée ces jours-ci entre les mains, — elle est, à ce que je croi, de Porl-Roïal, son édition est de 1664, dans laquelle il y a un petit chapitre d'une page, qui traite de la manière d'aprendre à lire en peu de tems, où elle ne fait qu'insinuer en passant que pour y réussir, il faut prononcer les consonnes par leur son naturel, en y joignant seulement après un e muet : elle donne pour exemple le b et le d qu'elle dit qu'il faut prononcer comme à la fin de tombe et de ronde, ajoutant que plusieurs gens d'esprit ont déjà fait cette remarque. Ce que cette grammaire propose là convient-il à votre méthode? — Très parfaitement, et c'en est là le premier principe qui est le fondement de tous les autres. »
Il nous a paru intéressant de montrer, par cette citation, combien la méthode de Port-Royal était restée ignorée du public, puisque Py-Poulain Delaunay, guidé par quelques vagues indications, l'avait en quelque sorte découverte une seconde fois.
On sait que de nos jours les auteurs de quelques méthodes de lecture veulent qu'on évite même de faire entendre un e muet en nommant la consonne, et font prononcer à l'enfant l'articulation pure, sans addition d'aucune voyelle. Ce perfectionnement — si c'en est un — de la méthode de Port-Royal n'est pas d'invention moderne : Delaunay nous apprend que quelques-uns de ses contemporains y avaient déjà songé, et il se divertit à leurs dépens. « Ne seroit-ce pas plus tôt fait, fait-il dire à son interlocuteur, de bannir entièrement toutes sortes de voïelles et même votre e muet? — Il est impossible, réplique-t-il, de faire sonner ou entendre une consonne sans voïelle ; ce seroit s'en gager dans le ridicule de quelques personnes que je connois, qui, croïant éviter cet e muet, font faire à leurs élèves des sifflements de gosier où d'efraïantes contorsions de bouche, pour leur aprendre à épeller ou à lire, sans faire attention qu'ils le redoublent pour une consonne jusqu'à sept ou huit fois. »Delaunay examine ensuite s'il convient de faire épeler. Quelques personnes, dit-il, ont voulu lui persuader qu'il ferait mieux de renoncer à l'épellation. C'est en effet ce que peuvent faire de mieux ceux qui conservent aux lettres leurs noms ordinaires, qui rendent l'épellation si absurde ; mais sa méthode à lui n'offre pas cet inconvénient, et l'expérience lui a prouvé qu'il est plus avantageux d'épeler. « Pour épeller, je ne fais que nommer tout simplement le nom des consonnes, comme dans l'alphabet, aussi bien que les voïelles qui les accompagnent. Mais les sillabes des mots françois et latins ne sont pas toujours fabriquez d'une seule consonne ni d'une seule voïelle, et ces lettres et ces sillabes changent souvent de sons en les prononçant ; sans cela la manière d'épeller seroit si facile, que sçachant le nom des lettres de l'alphabet, il ne s'agiroit plus que de nommer ces lettres pour bien épeller. Il faut donc, de plus, faire aprendre par coeur à son élève un certain nombre de sons, de consonnes et de voïelles doubles ou triples, etc., qu'il faut prononcer d'une seule voix tant en épellant qu'en lisant. Après que l'on sçait son alphabet et les sons diférens des consonnes et voïelles doubles, triples, etc., il ne reste plus pour épeller qu'à les nommer les unes après les autres, comme elles se rencontrent dans toutes les sillabes des mots. »
Reste une dernière difficulté : que faire des lettres qui ne se prononcent pas? C'est bien simple, répond Delaunay : « Je les marque tout exprès en lettres rouges ou italiques, au lieu que les autres sont à l'ordinaire ; et non seulement je mets des lettres rouges ou italiques pour distinguer les lettres qu'il faut passer en épellant sans les nommer, mais j'en mets encore dans la lecture, pour marquer toutes les lettres qu'il ne faut pas prononcer en lisant. Lorsque l'élève sçait parfaitement lire dans le livre où est cet arrangement, je l'accoutume ensuite clans des livres imprimez à l'ordinaire ; et alors il ne me faut pas deux jours pour l'y rompre entièrement. »
Ce procédé, dont l'invention appartient incontestablement à Delaunay, a été souvent employé depuis.
Le système de Py-Poulain Delaunay est certainement l'une des tentatives les plus remarquables et les plus sensées qui aient été faites pour simplifier l'enseignement de la lecture. Notons encore que seul parmi ses contemporains, avec J.-B. de La Salle, il veut que l'on commence non par la lecture latine, mais par la lecture française, « parce qu'étant la langue naturelle, le disciple en a plus besoin, et il y trouve d'abord plus de plaisir, sachant déjà une bonne partie des mots qu'il épelle ou qu'il lit ».
DUMAS ET LE Bureau typographique. — Dumas, homme de lettres, né à Nîmes (1676-1744), l'inventeur du bureau typographique, avait imaginé ce procédé pour l'instruction de son élève, le jeune de Candiac, qui mourut à l'âge de sept ans, en 1726, après avoir été exhibé par son précepteur dans les principales villes de France. Il y avait un peu de charlatanisme dans les façons d'agir de Dumas, qui prétendait réformer, non seulement l'enseignement de la lecture, mais celui de la musique et des sciences ; et sa méthode de lecture — indépendamment de l'emploi du bureau typographique, qui n'est qu'un accessoire — est l'oeuvre d'un esprit chimérique.
Cette méthode est exposée dans l'ouvrage intitulé La Bibliothèque des enfants, que Dumas publia en 1733, en trois volumes contenant, le premier, l'explication du bureau typographique, le second l'abécédaire latin, et le troisième l’abécédaire français. Dumas adopte, pour les consonnes b, p, v, f, d, m, n, l, r, l'appellation proposée par Port-Royal ; mais il a imaginé pour les autres des désignations bizarres, qui compliquent inutilement l'alphabet : ainsi le c doit s'appeler ce-ka-qu, le g ge-ga-gu, le t te-ci, le s ze-ce, l's se-ze. Après avoir fait apprendre à l'élève l'alphabet, il lui présente, comme exercices d'épellation, de longs tableaux de syllabes et de mots, qui, sous prétexte d'offrir des exemples de toutes les combinaisons possibles, accumulent les plus étranges et les plus grotesques assemblages de lettres. Puis viennent des morceaux de lecture dont les spécimens ci-dessous feront juger la valeur :
Leçon CII. — Pièce de lecture difficile.
Ce que je dis est vrai, tu lis la loi des Juifs.
Tu sais que chés le Turc, je plains tous nos gens vifs.
Zèle, Axe, Yeux, Thon, Roy. Prix, Fleur, Hargneux, Xerxès, Vice.
Noix, flux, ris, zizanie, home, lynx, Kébec, lice.
Rinmut, Flysmaurhosex, Bisdosquasdesquassois,
Dellehebbe, Jypgoque, oiseaummoissouilluinois, etc., etc.
« Leçon CIII
Chigneillourstrasplyphthougt, phlanctoenthroextroxiaxe, Oueucheauillergnyphrouth, chouilleugnilphlanctiaxe, etc.
Ce n'est pas tout. L'élève est invité à étudier des exercices de ce genre :
« Leçon CIV.
« C'st d ct mnr, Mnsr mn chr lctr, q vs prz vs prfctnr dns l lctr d l lng frnçs ; et vs dvz rgdr cs lgns cm d ptts et prfts mdls d'gzrcc, » etc., etc.
« Leçon CVI. — Mots tirés du livre des voyages de Gulliver et de l'apotéose de Corelly.
« Maldonada, Glonglungs, Houyhnhnms, Flandona, Gagnolé, Glubbdubdrib, Luggnag, Struldbrugs, » etc., etc. « Leçon CVII. — Lignes à lire de droite à gauche, et à rebours, de gauche à droite.
« C’est de cette manière, mon cher lecteur, que vous pourrez vous perfectionner dans la lecture de la langue française…
Ajoutons que Dumas veut que la lecture du latin précède celle du français.
Ces niaiseries auraient pu faire tort à l'invention du bureau typographique, si l'emploi de ce dernier procédé eût été lié a l'adoption d'exercices aussi absurdes. Mais le bureau typographique possédait, comme moyen d'enseignement, un mérite intrinsèque indépendamment des fantaisies de son inventeur. C'est ce mérite qui lui valut l'approbation de plusieurs contemporains. Rollin, dans le Supplément au Traité des études publié en 1734 et qui forme aujourd'hui le premier chapitre du Traité, en a parlé en termes élogieux. « Le bureau typographique, dit-il, est une table beaucoup plus longue que large, sur laquelle on place une sorte de tablette qui a trois ou quatre étages de petites loges, où l'on trouve les différents sons de la langue exprimés par des caractères simples ou composés sur autant de cartes. Chacune de ces logettes indique par un titre les lettres qui y sont renfermées. L'enfant range sur la table les sons des mots qu'on lui demande, en les tirant de leurs loges, comme fait un imprimeur en tirant des cassetins les différentes lettres dont il compose ses mots. » Ce procédé offrait l'avantage, ajoute Rollin, « d'être amusant et agréable, et de n'avoir point l'air d'étude » ; mais d'autre part il était d'un emploi difficile dans l'enseignement public. Il fut toutefois adopté dans quelques établissements d'éducation, entre autres dans l'école dirigée par Herbault (Voir Herbault) ; François de Neufchâteau a décrit de la façon suivante la manière dont Herbault avait organisé l'application du système de Dumas : « Au-dessus du bureau typographique était dressée une planche, présentant un pupitre disposé de manière à recevoir deux rangées de cartes contenues par une ficelle tendue le long de la planche. Celui qui était chargé de diriger les exercices (c'était un élève de la classe supérieure) tenait en sa main un petit livret, et dictait un mot à chaque élève ; celui-ci allait chercher dans les logettes les lettres nécessaires à former ce mot, et les rangeait ensuite sur la planche, jusqu'à ce que les deux lignes fussent formées : alors les élèves s'asseyaient et chacun lisait à son tour son ouvrage et celui des autres, qui écoutaient attentivement. »
On peut considérer la méthode du bureau typographique comme le prototype des nombreux procédés qui consistent à placer entre les mains de l'enfant des caractères imprimés sur des fiches ou sur de petites tablettes, quel que soit d'ailleurs le nombre de ces caractères et le principe d'après lequel on les fait assembler à l'élève pour former des mots et des phrases.
MÉTHODE DES HIÉROGLYPHES OU DES FIGURES SYMBOLIQUES : DE VALLANGE, BERTAUD, ALEXANDRE, MICHEL.— En 1719, M. de Vallange, dans un ouvrage intitulé Nouveaux systèmes ou nouveaux plans de méthodes pour parvenir en peu de temps et facilement à la connaissance des langues et des sciences, des arts et des exercices du corps, exposa un procédé de son invention, qui consistait à enseigner à lire au moyen de figures symboliques correspondant aux divers sons de la langue. Cette idée fut reprise par l'abbé Bertaud, qui l'exécuta en 1744 sous le nom de Quadrille des enfans. Ayant fixé à 160 le nombre des sons fondamentaux de la langue dont la connaissance est nécessaire pour la lecture, il les représenta par autant de figures, véritables hiéroglyphes, images d'objets familiers à l'enfance comme des bas, un nez, un lit, des os, un bossu, un cheval, un verre, une fleur, une dent, etc. On fait observer à l'enfant ces figures et nommer l'objet qu'elles représentent ; ensuite on lui montre les caractères ou les groupes de caractères dont le son correspond aux noms des figures qu'il vient de voir. Parmi ces noms, il en est dont il ne faut retenir, pour la prononciation du caractère ou des groupes de caractères, que le son final ou le son de l'écho, comme bas. a, moulin. in, éventail. ail. L'enfant ne doit jamais épeler ; les groupes de plusieurs lettres lui sont présentés comme des unités qu'on ne décompose pas. Au bout d'un certain temps d'exercice, l'élève s'est assez familiarisé avec les caractères pour pouvoir en articuler les sons sans le secours des figures : il est alors en état de lire n'importe quelle phrase, tous les mots qu'il peut rencontrer ne lui offrant que les combinaisons de sons et de lettres qu'il a appris à reconnaître et à prononcer.
Le système dû à de Vallange et à Bertaud jouit d'une vogue qu'il conserva assez longtemps. On raconte que Crébillon et Marivaux le firent éprouver en leur présence par deux ramoneurs qui, au bout d'un mois, moyennant deux leçons par jour, furent en état de lire couramment. L'abbé Desfontaines appelait ce procédé la pierre philosophale pour l'enseignement de la lecture. En 1777, un professeur émérite de l'Ecole militaire, Alexandre, simplifia le Quadrille des enfans, en réduisant le nombre des sons, et par conséquent des figures, à quatre-vingt-quatre. On mettait entre les mains de l'élève des fiches de différentes couleurs, sur lesquelles étaient collées d'un côté la figure, de l'autre les lettres représentant le son qui s'y rapporte ; une fois qu'il pouvait nommer sans se tromper tous ces noms ou syllabes, on lui donnait un livre contenant des morceaux de lecture composes de mots où se trouvent les sons des fiches. L'ouvrage d'Alexandre fut employé pour l'éducation des enfants d'Orléans, sous la direction de Mme de Genlis. Au commencement du dix-neuvième siècle, un professeur de grammaire nommé Daubanton, reprenant la méthode de Bertaud, l'appliqua aussi à l'enseignement de l'écriture (Lecture par écho, 1810 ; Application de la lecture par écho à l'écriture, 1811). Jusqu'à nos jours, du reste, on n'a cessé de réimprimer le Quadrille des enfants, et nous en avons sous les yeux une édition portant ce titre : « Le Quadrille des enfants ou système nouveau de lecture, par Bertaud ; 14e édition, refondue et perfectionnée ; Paris, Arthus Bertrand, 1852. »
En 1751, un anonyme a fait paraître une variante du système de Bertaud sous ce titre : Méthode facile pour apprendre à lire, dédiée à M. le prince de Bouillon. Dan9 cet ouvrage on n'emploie qu'une seule figure, celle d'un homme habillé à la française, sur laquelle sont gravées toutes les lettres simples et composées : le bras représente le son de l'a, la jambe celui du 6, le pouce celui du c doux, le coude celui du d, etc.
Il faut accorder une mention spéciale au livre publié par N. Michel à Paris en 1779, sous le titre de Plan méthodique des premiers principes de lecture françoise : ces principes sont renfermés en deux tableaux élémentaires, accompagnés d'un assortiment de cartes à jouer imprimées sur le revers, pour en former des jeux typographiques. Le premier tableau est intitulé Les trente-quatre sons pleins de la langue françoise, indiqués comme échos ou derniers sons des noms de trente-quatre petites figures, avec les caractères élémentaires de chacune ; ces trente-quatre sons comprennent seize voyelles et dix-huit consonnes ; les figures, assez heureusement choisies, sont un rabat (a), un compas (â), un pâté (é), un dais (ê), un couteau (o), une plume (m), une robe (b), une serpe (p), une cuve (v), une carafe (f), etc. L'étude de ce premier tableau met l'élève en état de lire et de représenter tous les mots de la langue française en caractères élémentaires ; mais comme il faut aussi lui enseigner les combinaisons artificielles de notre orthographe, l'auteur a composé un second tableau, indiquant l'application qu'on fait des trente-quatre sons pleins aux différentes lettres françaises et à leurs combinaisons. Les cartes à jouer qui accompagnent les tableaux sont divisées en six paquets, qui renferment : 1° Les trente-quatre figures du premier tableau ; 2° Les caractères élémentaires des sons sans les figures ; 3° Les diphtongues-voyelles et les diphtongues-consonnes en caractères élémentaires ; 4° l'alphabet des grandes et des petites lettres ; 5° les ligatures de lettres, les accents et les chiffres ; 6° les voyelles et consonnes avec accents ou cédilles, et les voyelles ou consonnes formées de deux caractères, comme ai, ch. Au moyen de cet assortiment de cartes, l'étude des deux tableaux s'exécute par une série de jeux typographiques, et en montant toujours de degré en degré, de manière qu'une chose connue serve de préparation pour parvenir à une nouvelle connaissance.
OPINION DE ROUSSEAU. — Toutes les méthodes que nous venons d'énumérer s'adressaient aux parents qui avaient le temps d'instruire eux-mêmes leurs enfants ou qui pouvaient leur donner un précepteur ; on ne songeait pas encore à réformer et à améliorer l'enseignement routinier qui se donnait dans les écoles ; les tentatives d'application de ces systèmes à l'enseignement public (comme nous l'avons vu pour le bureau typographique dans l'école d'Herbault) demeurèrent à l'état d'exception. Ces procédés ingénieux, trop ingénieux parfois, n'eurent donc pas grande utilité pratique ; ils facilitèrent quelques éducations particulières, et servirent à amuser des élèves qui n'en eussent pas moins appris à lire. Rousseau, dans une boutade de son Emile, nous a donné son opinion à ce sujet. « On se fait, dit-il, une grande affaire de chercher les meilleures méthodes d'apprendre à lire ; on invente des bureaux, des cartes ; on fait de la chambre d'un enfant un atelier d'imprimerie. Locke veut qu'il apprenne à lire avec des dés. Ne voilà-t-il pas une invention bien trouvée? Quelle pitié! Un moyen plus sûr que tout cela, et celui qu'on oublie toujours, est le désir d'apprendre. Donnez à l'enfant ce désir, puis laissez là vos bureaux et vos dés : toute méthode lui sera bonne. »
CHERRIER. — Le chanoine Cherrier est l'auteur d'un livre curieux sur l'enseignement de la lecture, intitulé : Méthodes nouvelles pour apprendre à lire, etc., par S. CH. Ch. R. C. d. N. et d. P. ; Paris, 1765, in-12. Il y passe en revue les diverses méthodes imaginées avant lui, et les apprécie en juge impartial et éclairé ; puis il propose à son tour la sienne. Il approuve les grammairiens de Port-Royal d'avoir voulu nommer les consonnes au moyen de l'e muet, et demande s'il ne serait pas à propos, pour faire mieux encore, « de mettre à tous un e muet devant et après, en cette sorte : eu-be euc-ce eu-de eu-fe eug-ge, etc. » ; puis il ajoute fort judicieusement que le procédé de Port-Royal et le perfectionnement qu'il suggère n'ont d'utilité que si l'on veut absolument conserver l'usage d'épeler : « car si l'on n'épelle plus, on peut sans grand inconvénient nommer les consonnes bé, ce, dé, effe, etc., à l'ordinaire, comme les savans conservent alpha, beta, gamma delta, etc., pour la langue grecque ». Quant à lui, son avis est qu'il est préférable de ne pas épeler : « Il est à propos de ne pas faire épeler les lettres pour syllaber, mais de faire prononcer les syllabes aux enfans dés qu'ils connoissent les lettres ». Il veut que l'on débute par la lecture du latin, parce que « les principes de la lecture en latin étant les plus simples, sont par consequent plus aisés pour des commençans ». Son ouvrage se termine par des « alphabets et syllabaires méthodiques, latins et françois, avec des lectures utiles et agréables en l'une et l'autre langue ».
VIARD ET LUNEAU DE BOISJERMAIN.— En 1759, Viard, maître de pension, fit paraître les Vrais principes de la lecture, de l'orthographe et de la prononciation françoise. Cet ouvrage, qui eut de nombreuses éditions, fut refondu en 1778 par Luneau de Boisjermain, et réimprimé encore en l'an VI. François de Neufchâteau dit « qu'il a servi utilement à plus de vingt mille éducations particulières ». Il n'offre rien d'original ; c'est un abécédaire avec de nombreux tableaux de syllabes et de mots. L'appellation donnée aux lettres est celle de la grammaire de Port-Royal ; les syllabes doivent être lues sans que l'enfant épèle : « Il ne faut pas lui faire dire be-a-ba, mais tout d'un coup ba ».
METHODE DES MOTS ENTIERS. — Tous les novateurs que nous avons passés en revue jusqu'ici n'avaient rien changé, en définitive, à la base de la méthode traditionnelle : tous étaient partis de l'alphabet. Quelques-uns avaient proposé de modifier le nom des consonnes ; d'autres avaient supprimé l'épellation des syllabes ; d'autres encore avaient substitué à l'alphabet usuel un alphabet plus étendu, comprenant tous les sons qu'ils regardaient comme fondamentaux, et avaient associé aux caractères alphabétiques des figures destinées à aider la mémoire ; mais tous commencent par les éléments des mots, pour aboutir à l'assemblage de ces éléments. Nous allons maintenant voir apparaître pour la première fois le principe d'une méthode entièrement nouvelle, de la méthode inverse : celle qui part des mots entiers, et n'arrive à l'analyse des syllabes et à la connaissance de l'alphabet que lorsque l'élève sait lire.
L'abbé de Radonvillers, de l'Académie française, est le premier, croyons-nous, qui ait suggéré l'idée de cette méthode. On lit ce qui suit dans son traité De la manière d'apprendre les langues (Paris, 1768) :
« J'observerai à cette occasion que la difficulté qu'on éprouve quelquefois à apprendre à lire aux enfans vient de la même cause (de ce qu'on voudrait enseigner par le raisonnement ce qui ne peut s'apprendre que par l'habitude). On épuise le peu d'attention dont ils sont capables à leur faire assembler des syllabes, et on exige que, par un raisonnement dont ils sont très incapables, ils concluent de la réunion des syllabes le son du mot. Pourquoi ne pas s'y prendre plus simplement? Prononcez d'abord un mot, par exemple traité ; l'enfant le répétera. Lorsqu'il le prononce aussi bien que ses organes le permettent, montrez-le-lui sur le livre, et répétez-lui : traité ; il s'accoutumera à joindre le son traité à la vue des lettres dont ce mot est composé. Passez ensuite au mot d'après, ne fatiguez pas son attention, ne le grondez point ; ce n'est pas sa faute si sa mémoire est lente ou infidèle ; mais recommencez avec patience "la même leçon ; n'exigez jamais de lui autre chose, sinon qu'en regardant tel mot écrit, il prononce tel son : et s'il l'a oublié, répétez-le-lui. Il n'est pas possible qu'en peu de teins la vue des ligures ne rappelle les sons, et alors l'enfant saura lire. »
L'abbé de Radonvilliers s'est borné à cette simple indication. Mais l'idée a été reprise et développée pratiquement par un grammairien peu connu, Nicolas Adam, qui a publié en tête de sa Vraie manière d'apprendre une langue quelconque (Paris, 1787) quelques pages intitulées : « Nouvelle manière d'apprendre à lire aux enfans sans leur parler de lettres et de syllabes ». L'auteur s'étonne qu'on ait pris jusqu'ici le contre-pied de ce qu'il fallait faire pour enseigner à lire aux enfans. On les tourmente longtemps pour leur faire connaître et retenir un grand nombre de lettres, de syllabes et de sons, où ils ne doivent rien comprendre parce que ces éléments ne portent avec eux aucune idée qui les attache et les amuse. Lorsque vous voulez faire connaître un objet à un enfant, par exemple un habit, vous êtes-vous jamais avisé de lui montrer séparément les parements, puis les manches, ensuite les devants, les poches, les boutons, etc.? Non, sans doute ; mais vous lui faites voir l'ensemble, et vous lui dites : Voilà un habit. C'est ainsi que les enfants apprennent à parler auprès de leurs nourrices : pourquoi ne pas faire la même chose pour leur apprendre à lire ? Eloignez d'eux les alphabets et tous les livres français et latins, amusez-les avec des mots entier à leur portée, qu'ils retiendront bien plus aisément et avec plus de plaisir que toutes les lettres et les syllabes imprimées. Ecrivez en beaux caractères sur un chiffon de papier : papa ; montrez-le à votre enfant, et dites-lui que c'est papa ; il ne vous croira sûrement pas. Faites lire ce papier en sa présence au premier venu et à plusieurs personnes successivement ; alors il commencera à vous croire. Il voudra revoir le papier, qu'il examinera avec attention, il lira papa comme les autres, et le voudra faire lire à son tour. Prêtez-vous à ce badinage, et écrivez sur un autre papier de forme différente maman ; en moins d'un quart d'heure vous verrez qu'il les distinguera à merveille. Sans doute la forme des deux papiers contribuera beaucoup à cette opération : mais pourquoi lui refuser ce petit secours? d'ailleurs il n'en aura pas longtemps besoin.
Ce jeu fini, ayez soin de mettre ce commencement de provision dans une boîte dont vous ferez présent à l'enfant : elle deviendra bientôt son plus cher trésor. Toutes les fois que vous le trouverez de bonne humeur, demandez-lui à voir papa et maman ; faites-lui porter ces papiers d'une chaise à l'autre, car les enfants aiment le mouvement ; glissez-en un troisième, et puis un quatrième, sur lequel vous aurez écrit mon frère, ma soeur, ou tout autre objet que l'enfant connaisse ; et l'expérience vous convaincra que votre jeune élève mettra beaucoup moins de temps à savoir ces six mots, papa, maman, mon, ma, frère, soeur, qu'il n'en aurait fallu pour le rendre capable de distinguer sûrement un a d'avec un 6 ou un c.
Lorsqu'il y aura dans la boîte deux ou trois douzaines de ces papiers, écrivez de nouveau ces mêmes mots sur des cartes à jouer égales, et faites accoupler par l'enfant le papier avec la carte correspondante : en très peu de temps les papiers deviendront inutiles et le seul assemblage des lettres qui composent les mots suffira pour les faire prononcer sur les cartes. Multipliez ces cartes de jour en jour à mesure que l'enfant profite, observant scrupuleusement de n'y mettre que des objets connus, comme les petits meubles que l'enfant manie, les choses qu'il mange, les fleurs, les fruits, les animaux, etc. ; et quand vous les aurez fait monter au nombre de trois ou quatre cents, et qu'il les saura imperturbablement, écrivez-lui sur d'autres cartes de petites phrases intéressantes pour lui, par exemple, qu'il a été sage, qu'il a été obéissant, qu'il n'est point gourmand, qu'il a été généreux, charitable, etc. : vous ne sauriez croire avec quelle rapidité il apprendra à lire une centaine de ces petits éloges. Pensez que, quand vous lisez vous-même, vous ne lisez que des mots et des phrases entières, et non pas des lettres et des syllabes, et que, quand vous chantez, vous saisissez tout à la fois des mesures entières, et non pas de simples notes.
On suppose, comme la raison et l'expérience le prouvent, que le jeune élève sache lire au bout de trois mois une historiette écrite de votre main ; voulez-vous alors le faire lire l'imprimé? Donnez-vous la peine d'écrire de nouveau ce qu'il sait déjà ; sans lui en rien dire, déguisez dans chaque mot une seule lettre à laquelle vous donnerez la forme de l'impression, papa, maman, etc. Cette légère altération ne l'empêchera pas de reconnaître son mot ; et quand il sera ferme dans cette nouvelle édition, augmentez peu à peu le nombre de ces altérations, et vous le conduirez insensiblement à lire l'imprimé.
Quand votre élève saura lire sans hésiter, faites-lui] alors distinguer les syllabes pa-pa, ma-man, etc., I et finissez par les lettres dont celles-ci sont composées ; et vous aurez suivi l'ordre naturel. C'est une! affaire de trois ou quatre jours, et qui le préparera à l'écriture, laquelle doit nécessairement commencer par ; la formation des lettres.
Par ce résumé du procédé d'Adam, on voit que celui-ci proposait précisément la méthode qui, indiquée par Gedike en 1779, a été reprise de nos jours en Allemagne, perfectionnée et popularisée sous le nom de méthode des mots normaux. Nous y reviendrons plus loin.
ECRITURE-LECTURE. — L'idée d'enseigner simultanément la lecture et l'écriture aux enfants est fort ancienne. Montaigne raconte qu'on lui apprit en même temps à lire et à écrire, en mettant les lettres, les sons et les mots qui devaient lui servir d'exemples, sous des feuilles de corne ou de papier transparent, en sorte qu'il n'avait qu'à tracer les figures des lettres trait par trait. Delaunay fils, en 1741, conseille aux parents qui enseignent à lire à leurs enfants « de leur mettre la plume à la main dès qu'ils commencent la lecture, et de les faire écrire, quelque jeunes qu'ils puissent "être ». Le chanoine Cherrier indique, comme « un expédient plus simple que tous les autres pour enseigner à lire », le procédé suivant: écrire sur une ardoise avec de la craie une ou deux lettres à la fois, et obliger les enfants de les nommer et même de les imiter, également avec de la craie ; s'ils forment mal ces caractères, on les efface pour les leur faire recommencer ; on leur donne ensuite des syllabes et des mots qu'on leur apprend de même à écrire et à prononcer. « On peut par ce moïen, ajoute-t-il, former en peu de temps de jeunes enfans à lire et à écrire tout à la fois. On en a connu qui avoient été instruits de cette manière, et qui à l'âge de cinq ans lisoient assez couramment et formoient passablement bien leurs lettres et toutes sortes de chiffres. »
On trouve plusieurs tentatives de systématisation pratique de la méthode d'écriture-lecture à l'époque de la Révolution. Un citoyen H G. publia en l'an III une Méthode pour apprendre en même temps à écrire, à lire, et à écrire sous la dictée, qui est citée par François de Neufchâteau. L'auteur de cette méthode montre qu'on gagne beaucoup de temps eu réunissant deux études qui s'entr'aident ; il ajoute qu'un seul instituteur peut instruire à la fois un grand nombre d'élèves ; il suffit pour cela de placer dans la classe un tableau sur lequel on trace les lettres, les syllabes, etc. Un peu plus tard, en l'an VII, le jury d'instruction de l'arrondissement de Trêves fit paraître un Plan d'organisation intérieure des écoles primaires dans lequel il est recommandé de commencer par l'écriture, à laquelle l'enfant doit être exercé « avant d'apprendre à lire ».
Dupont (de Nemours) va plus loin encore. Selon lui, la lecture n'est rien, l'écriture est tout. Historiquement et logiquement, l'écriture précède la lecture : celui qui sait écrire sait lire. « Il faut, dit-il, commencer l'instruction littéraire des enfants par leur apprendre à écrire, et l'on ne doit s'embarrasser aucunement de la lecture, dont on n'aura pas besoin de faire une élude à part, si l'écriture est bien enseignée. J'ai eu le bonheur d'avoir à élever plusieurs enfants qui sont aujourd'hui des hommes de mérite, et qui n'ont jamais appris spécialement à lire. » (Vues sur l'éducation nationale, an II.)
RESUME ET CLASSIFICATION. — Nous pouvons maintenant, en jetant un coup d'oeil rétrospectif sur le chemin parcouru, essayer d'établir un principe de classification qui nous permette à la fois de nous rendre un compte systématique de ce que nous avons déjà vu, et de nous orienter pour ce qui nous reste à voir. Comme nous l'avons dit plus haut, les plus anciennes méthodes ont toutes cela de commun, qu'elles partent de l'alphabet, des éléments les plus simples de la lecture, pour arriver à la composition des syllabes ou des mots : elles procèdent par synthèse. Ainsi font les maîtres des petites écoles (Démia, l'Ecole paroissiale), les grammairiens de Port-Royal, les Frères des écoles chrétiennes, Py-Poulain Delaunay, Cherrier, Viard, aussi bien que Dumas, aussi bien que de Vallange, Bertaud et leurs imitateurs. Quelques-uns, au nom de la logique, modifient le nom traditionnel des lettres de l'alphabet (Port-Royal, Delaunay, Dumas, Cherrier, Viard) ; d'autres suppriment en outre l'épellation et font prononcer les syllabes d'un seul coup (Cherrier, Viard) ; d'autres encore substituent à l'alphabet de vingt-cinq lettres un alphabet qu'ils déclarent plus rationnel et où ils font entrer tous les sons simples de la langue (de Vallange, Bertaud, Alexandre, Michel). Les procédés comme le bureau typographique, l'emploi des figures symboliques avec ou sans fiches, sont de simples moyens auxiliaires, qui pourraient s'adapter à des méthodes diverses, sans en affecter aucunement le principe fondamental. — En opposition à ces méthodes se placent celles qui, prenant pour point de départ le mot entier, le présentent d'abord tel quel à l'élève, et le font ensuite décomposer pour en tirer l'alphabet : celles-là procèdent par analyse (Radonvilliers, Adam). — Enfin, en dehors et à côté de ces deux systèmes opposés,, nous voyons apparaître l'idée de l'enseignement simultané de la lecture et de l'écriture, ou même de l'enseignement de l'écriture substitué à celui de la lecture, l'élève se trouvant savoir lire par cela seul qu'il aura appris à écrire.
Toutes les méthodes que nous verrons se produire encore, tant en France, qu'à l'étranger, se rattacheront à l'un ou à l'autre des principes ci-dessus : ou bien on partira de l'alphabet (marche synthétique), ou bien on partira du mot entier (marche analytique) ; quelquefois, c'est à l'écriture qu'on demandera de fournir à l'enfant les éléments alphabétiques, qu'on lui fera ensuite assembler, soit en écrivant, soit en lisant (écriture-lecture avec marche synthétique) ; ou encore, par une combinaison de tous ces procédés, on partira des mots entiers, on les décomposera, on apprendra à l'élève tout à la fois à tracer les lettres et à les nommer, puis on lui fera, au moyen de ces lettres, recomposer des mots (écriture-lecture avec marche analytique et synthétique).
La Révolution et le premier tiers du dix-neuvième siècle. — La Révolution, qui se proposa une transformation si radicale de l'enseignement public, aurait dû, semble-t-il, susciter quelque importante réforme dans cette partie capitale de l'instruction primaire : l'art d'enseigner à lire. Il n'en fut rien cependant. En dehors des quelques ouvrages que nous avons déjà signalés, et dont celui de Dupont (de Nemours) est le plus important, il ne se fit pas, durant l'époque révolutionnaire, de publication digne d'attirer l'attention. En l'an IV, Lakanal, rendant compte aux Cinq-Cents des résultats du concours ouvert par la Convention pour la composition des livres élémentaires, disait : « Le concours n'a produit, sur l'art d'apprendre a lire et à écrire, aucun ouvrage que le jury ait jugé digne d'être adopté dans les écoles primaires de la République. II est même persuadé qu'il n'en existe pas en français, et que jusqu'ici la patience des instituteurs et de leurs élèves a tout fait. »
Cependant la nécessité d'organiser, dans les écoles primaires, un enseignement méthodique et régulier de la lecture était évidente. Ce fut pour répondre à ce besoin que François de Neufchâteau, ministre de l'intérieur, composa et publia en l'an VII sa Méthode pratique de lecture. Dans une préface adressée au citoyen Janny, son compatriote, professeur à l'école centrale des Vosges, il explique en ces termes le but qu'il s'est proposé : « Les méthodes décrites dans le livre de Cherrier ne sont guère applicables qu'aux éducations privées. Leurs auteurs n'avaient en vue que les enfants des grands, et n'avaient pas songé au peuple. Les méthodes faciles pour enseigner à lire aux nobles et aux riches ne pouvaient pas remplir le but que je me proposais, de mettre un simple instituteur à portée de montrer les éléments de la lecture à beaucoup d'enfants des deux sexes, d'une manière non coûteuse et qui pût convenir aux campagnes comme aux cités. C'est ce que l'examen et la réflexion nous avaient prouvé à tous deux. Nous revenions sans cesse à ce problème intéressant. Vous aviez de votre côté cherché à le résoudre en essayant vous-même d'apprendre à lire à des enfants d'un village de nos montagnes. Enfin, de la combinaison de toutes nos idées, il est résulté un système justifié déjà par une heureuse expérience. C'est le fond de l'ouvrage que je vous adresse aujourd'hui, divisé en quatre parties. La première rend compte des difficultés principales de l'art d'apprendre à lire. La seconde donne une idée des diverses méthodes proposées jusqu'ici pour lever ces difficultés. La troisième expose le plan que doit suivre un instituteur chargé de cent élèves, pour leur montrer tout à la fois à lire et à écrire. Enfin la quatrième comprend les tableaux nécessaires à l'exécution du plan, et qui dispensent les élèves des frais et du tourment des livres. Le tout est précédé du tableau général des voix et des articulations de la langue française. Vous apprendrez avec plaisir que cette méthode pratique va être démontrée aux instituteurs de Paris, par un grammairien habile, l'un de mes illustres collègues de l'Institut national, et l'un des dignes professeurs des écoles centrales du département de la Seine. Le zélé et lumineux Urbain Domergue saisit avec empressement cette occasion d'ennoblir le premier degré de l'enseignement, en descendant des hauteurs de la science grammaticale aux notions abécédaires. C'est s'élever sans doute que de descendre ainsi. Puissent les professeurs des écoles centrales suivre partout cet exemple I Hélas ! jusqu'à présent l'enfance est abrutie par les leçons de la routine. Il est temps que la liberté et la philosophie s'introduisent au sein des premières écoles. La constitution le veut ; la politique le demande. La révolution des lumières peut seule consolider celle du gouvernement. »
François de Neufchâteau compte trente-quatre voix et articulations fondamentales : quatorze voyelles et vingt consonnes. Il commence par faire connaître aux élèves les diverses manières de représenter ces trente-quatre sons. Au fond de la classe est un grand tableau noir divisé par des lattes horizontales dont l'angle intérieur est un peu rabattu de manière qu'on puisse y introduire et y fixer des tablettes de carton sur lesquelles sont peints des caractères alphabétiques ; les élèves sont pourvus chacun d'une tablette unie et peinte en noir, et d'un morceau de craie. Le maître place sur le tableau noir, au moyen des lattes en coulisse, la première voix de l'alphabet, en la présentant sous ses quatre formes, e, eu, eu, oeu. Il la prononce, la fait prononcer à trois ou quatre élèves, puis à tous simultanément. Chaque élève doit ensuite reproduire sur sa tablette les caractères qu'il vient de lire. Le maître trace lui-même ces caractères à la craie sur le grand tableau, afin de montrer comment il faut s'y prendre. On passe ensuite à la seconde voix, puis à la troisième, etc. ; en cinq ou six jours, en dix ou quinze tout au plus, les élèves connaissent toutes les voyelles et toutes les manières de les représenter. Par le même procédé, ils apprennent ensuite à connaître les consonnes, qu'on leur fait prononcer au moyen de l'e muet. Puis on les fait épeler en appliquant successivement les différentes voyelles aux différentes consonnes ; et ils écrivent sur "leurs tablettes toutes les syllabes qu'ils épèlent. Ils ne passent aux syllabes composées que lorsqu'ils sont absolument rompus aux syllabes simples, et on ne leur parle de mots que quand ils n'éprouvent plus la moindre hésitation sur les syllabes composées, « dût-on pour arriver là épuiser toutes les combinaisons possibles des voyelles et des consonnes ». Restent les difficultés provenant des irrégularités de la prononciation, des lettres muettes, des lettres qui ont plusieurs sons différents ; on en vient à bout par l'exercice suivant : on propose aux enfants de deviner les lettres d'un mot qu'on prononce à haute voix: on place ces lettres au tableau et on les fait écrire à mesure qu'elles sont devinées ; c'est ce que François de Neufchâteau appelle épeler sous la dictée.
Ces préliminaires achevés, les enfants s'affermiront dans la lecture au moyen d'exercices où ils trouveront des applications régulières de ce qu'ils ont appris. Ces exercices sont distribués méthodiquement en seize tableaux, comprenant des mots et de courtes phrases. Après avoir parcouru ces seize tableaux, les élèves, qui n'ont pas encore eu de livre entre les mains, abordent enfin la lecture courante : l'instituteur leur fait lire un livre de morale et un traité d'orthographe.
La méthode de François de Neufchâteau, dont l'adoption générale eût constitué un progrès considérable pour l'enseignement primaire, avait reçu l'approbation du Conseil d'instruction publique. Mais le changement politique qui fut la conséquence du coup d'Etat du 18 brumaire arrêta brusquement les réformes que projetait le gouvernement républicain ; les écoles primaires cessèrent d'être l'objet de la sollicitude du pouvoir, et tout progrès, dans le domaine des méthodes d'éducation, fut ajourné pour longtemps.
L'ABBE GAULTIER. — Pendant les quinze premières années du dix-neuvième siècle, on se contenta en général de rééditer, à l'usage des éducations particulières, les méthodes du siècle précédent, le Quadrille des enfants ou le bureau typographique. Nous devons toutefois une mention spéciale au procédé de l'abbé Gaultier, qui simplifia d'une façon heureuse le système typographique pour le faire entrer dans le cadre de ses jeux instructifs. Sa « boîte typographique » est une boîte d'un pied de long sur six pouces de large ; l'intérieur est divisé en vingt-quatre compartiments, composés chacun de deux petites feuilles de carton qui se réunissent dans le fond de la boîte en formant ensemble un angle droit, et deux autre» côtés qui ne sont que des séparations verticales. La boite, placée, d'un sens ou de l'autre, en face de l'enfant, lui présente ainsi quatre lignes, offrant chacune comme six petits pupitres qui portent tous une des vingt-quatre lettres de l'alphabet. D'un côté se trouvent les majuscules seules, de l'autre les minuscules avec les majuscules répétées., La boîte est accompagnée de trois alphabets semblables à ceux des compartiments, mais imprimés sur de petits morceaux de carton détachés.
On tourne d'abord la boîte de façon que l'enfant y voie l'alphabet des majuscules : on lui apprend à les connaître, et à placer dans leurs compartiments respectifs les lettres imprimées sur les cartons. L'abbé Gaultier, on le sait, veut intéresser l'élève à l'étude au moyen des jetons qu'il lui fait gagner ou perdre : on paie un jeton à l'enfant pour chaque lettre qu'il nomme ou qu'il place correctement, et on lui fait payer un jeton chaque fois qu'il se trompe. On lui enseigne ensuite les lettres minuscules de la même manière, en retournant la boîte ; les majuscules qu'il connaît déjà, et qui sont reproduites à côté des minuscules, l'aident à retrouver celles-ci. Quand il sait bien son alphabet, on lui fait composer des syllabes, puis des mots et des phrases.
L'abbé Gaultier a publié cinq volumes de lectures graduées, pour faire suite aux exercices de la boîte typographique.
LA METHODE DES ECOLES D'ENSEIGNEMENT MUTUEL. — Avec la création de la Société pour l'enseignement élémentaire en 1815, l'instruction primaire reçoit en France une nouvelle et féconde impulsion. Un groupe d'hommes distingués se donne pour mission de créer des écoles d'après le système monitorial, et se met à la recherche des méthodes les plus sûres et les plus rationnelles pour l'enseignement des branches élémentaires. La méthode de lecture des écoles mutuelles, imitée de celle de Lancaster, mais adaptée au génie de la langue française, fut l'oeuvre de Choron (qui avait publié dès 1805 une remarquable Méthode pour apprendre à lire et à écrire), de Jomard et de l'abbé Gaultier. Elle offrait, comme la méthode de François de Neufchâteau, à laquelle elle ressemble beaucoup, l'avantage de faire marcher l'enseignement de l'écriture du même pas que celui de la lecture. Nous allons en indiquer les principaux traits, d'après le Journal d'éducation (numéro de mai 1816).
L'enseignement de la lecture dans les écoles mutuelles françaises devait se donner au moyen d'un Syllabaire, formant 38 tableaux répartis entre les huit classes de l'école, et de Leçons de lecture, formant 50 tableaux à l'usage des quatre classes supérieures seulement.
La première classe (10 tableaux) ne s'occupe que de l'alphabet ; il est présenté de trois manières différentes : 1° suivant l'ordre accoutumé, et pour apprendre à l'élève la dénomination des lettres ; 2° selon la forme droite, angulaire ou courbe des lettres, et pour apprendre à les tracer sur le sable ; 3° suivant la nature des sons, distingués en voix et articulations et rangés dans l'ordre adopté par Choron (14 voix, monogrammatiques ou digrammatiques, et 21 articulations, également exprimées par un signe ou par deux). Les alphabets sont en caractères romains et en caractères cursifs. Les enfants, avec l'index de la main droite, tracent sur le sable toutes les lettres majuscules et minuscules, romaines et cursives.
La seconde classe (3 tableaux) épèle des syllabes de deux lettres (une articulation simple et une voix monogrammatique, et l'inverse). Les élèves font aussi l'épellation par coeur : le tableau retourné, le moniteur interroge ; il dit de : le premier élève reprend d, et le second e, de. Ils écrivent sur l'ardoise des syllabes de deux lettres, données par le moniteur.
La troisième classe (6 tableaux) épèle des syllabes formées d'une articulation simple et d'une voix digrammatique (bou, beu), et l'inverse ; d'une articulation double et d'une voix monogrammatique (bla), et l'inverse ; d'une voix monogrammatique ou digrammatique entre deux articulations simples {bal).
La quatrième classe (4 tableaux) épèle des syllabes formées d'une articulation double et d'une voix digrammatique [brou), et l'inverse ; d'une articulation triple et d'une voix monogrammatique ou digrammatique (stri) ; d'une voix monogrammatique oudigrammatique entre deux articulations, simples, doubles ou triples (tris, trist, strid, strict). Dans l'épellation par coeur, les enfants commencent par dire la syllabe, puis ils la décomposent en prononçant toutes les lettres.
La cinquième classe (5 tableaux de syllabaire et 7 tableaux de lecture) commence à considérer les syllabes comme formant des mots. Les tableaux du syllabaire contiennent un vocabulaire des monosyllabes, disposés sous la voix ou l'articulation à laquelle se rapporte leur son principal : par ce moyen, l’élève aperçoit d'un coup d'oeil quelle doit en être la prononciation, et apprend à connaître toutes les notations équivalentes d'un même son. Les tableaux de lecture offrent des phrases monosyllabiques et disyllabiques avec divisions (sentences et proverbes). Les enfants, qui, dans la troisième et la quatrième classe, n'ont écrit que des syllabes, commencent à écrire des mots entiers, mais d'une seule syllabe.
La sixième classe (5 tableaux de syllabaire et 18 tableaux de lecture) étudie un . vocabulaire de disyllabes, et lit des phrases polysyllabiques avec divisions (sentences, proverbes, maximes de l'Ancien Testament). Les enfants écrivent des mots de deux et de trois syllabes.
La septième et la huitième classe (5 tableaux de syllabaire, 25 tableaux de lecture, communs aux deux classes) étudient un vocabulaire de polysyllabes, et lisent des phrases polysyllabiques sans division (histoires de la Bible). C'est ici que l'on commence à mettre des livres entre les mains des enfants (catéchisme, histoires morales). Les élèvent écrivent des mots, de trois, quatre et cinq syllabes ; ceux de la huitième classe se servent d'encre et de papier.
La méthode que nous venons de résumer, officiellement adoptée par la Société pour l'instruction élémentaire, offrait un ensemble systématique dont toutes les parties étaient logiquement combinées, et qui reposait sur une analyse rationnelle des éléments de la langue. C'était la tentative la plus remarquable qui eût été faite, avec celle de François de Neufchâteau, pour organiser à l'école l'enseignement collectif de la lecture. Cette méthode était toutefois susceptible de quelques perfectionnements, et, comme l'attention publique était vivement attirée à ce moment du côté des problèmes d'éducation, on vit se produire en assez grand nombre des essais plus ou moins heureux. Nous citerons entre autres le syllabaire de Butet(de la Sarthe), qui réduisait les éléments de la prononciation à treize sons et à dix-neuf articulations. Tout en admettant l'enseignement simultané de la lecture et de l'écriture, Butet voulait qu'il fût précédé d'exercices de syllabation orale. Son syllabaire fut l'objet d'un rapport favorable à la Société pour l'instruction élémentaire (Journal d'éducation, septembre 1817). Un autre grammairien, Brun (auteur d'une Nouvelle méthode d'enseignement qui avait été distinguée en l'an IV par le jury des livres élémentaires), voulait faire débuter les élèves par la numération, verbale d'abord, puis écrite ; après avoir écrit des chiffres, l'enfant commence à tracer des lettres, les voyelles en premier lieu, puis les consonnes, qu'il associe aux voyelles en prononçant la syllabe sans épeler ; en rapprochant des syllabes, il forme ensuite des mots, qu'il lit en même temps qu'il les écrit (Journal d'éducation, janvier 1818). L'avantage que Brun croyait trouver à commencer par la numération est fort contestable : l'art de représenter des nombres au moyen des chiffres semble moins à la portée d'une intelligence enfantine que l'art de représenter des sons par des caractères alphabétiques. Le linguiste et physicien Lemare proposa une méthode à marche analytique, dans le curieux livre qu'il a intitulé « Cours de lecture où, procédant du composé au simple, on apprend à lire des phrases, puis des mots, sans connaître ni syllabes ni lettres, composé de 41 figures », 4e édit., 1817.
Nous devons une mention spéciale à trois méthodes qui prétendaient toutes les trois opérer une révolution dans l'art de la lecture : la méthode de Jacotot, la statilégie de M. de Laffore et la citolégie de II.-A. Dupont.
JACOTOT. — Nous n'avons pas à exposer ici dans leur ensemble les théories paradoxales du créateur de l'enseignement universel (Voir Jacotot) ; nous nous bornerons à rappeler que la méthode recommandée par Jacotot pour apprendre à lire est seulement l'une des applications particulières de ses principes généraux.
Jacotot présente à son élève la première phrase du Télémaque : « Calypso ne pouvait se consoler du départ d'Ulysse ». Le maître lit à haute voix ; l'élève répète ; puis on lui fait écrire celte phrase, et on vérifie qu'il distingue tous les mots, toutes les syllabes, toutes les lettres. On retient l'élève sur cette première leçon jusqu'à ce qu'il la sache imperturbablement.
On passe ensuite à la seconde phrase, puis à la troisième, que l'élève étudie de la même manière ; ou lui fait répéter ce qu'il a déjà lu et écrit ; on lui demande de distinguer telle syllabe, telle lettre. « Montrez ca, pou, pouv, lyp, ait, un c, un i, etc. ; faites-les montrer à l'élève. Il faut, le plus tôt possible, exiger que l'élève, qui connaît les mots, fasse attention aux lettres et aux syllabes ; ce sera utile pour la grammaire. Dans pouvait, a, i, indiquent l'imparfait, et t est le signe de la troisième personne du singulier : l'élève le verra bien ; mais il faut qu'il connaisse parfaitement l'orthographe de ce mot. Il faut lui demander où est pou, où est pouv : cette décomposition du même mot de plusieurs manières différentes lui sera d'un grand secours dans l'étude des langues étrangères. La connaissance de la syllabe pouv lui fera deviner le mot pouvoir, et on le conduira ainsi à faire lui-même l'anatomie exacte des mots composés. »
Il suffit de six leçons et de cinquante lignes du Télémaque pour enseigner à lire : « Quand l'élève sait par coeur jusqu'à Calypso étonnée, on ne s'occupe plus de la lecture ».
Le procédé que Jacotot annonçait avec tant de pompe comme une invention merveilleuse était tout simplement celui qui avait été proposé au siècle précédent par l'abbé de Radonvilliers et Nicolas Adam : c'était la marche analytique substituée à la marche synthétique. Ce procédé, dans la forme où Jacotot l'employait, était peut-être la manière la plus simple d'enseigner la lecture soit de la langue maternelle, soit d'une langue étrangère, à. un adulte, à un élève capable d'un certain degré de raisonnement et d'abstraction, mais il était inapplicable avec des enfants de cinq ans. Nous verrons plus loin, en décrivant la méthode des mots normaux, dans quelle mesure et à quelles conditions il est possible d'employer le procédé analytique lorsqu'on veut enseigner la lecture à des enfants.
LA STATILEGIE. — M. de Laffore, auteur de la Statilégie, a cru découvrir ce qu'il appelle la « loi fondamentale de la lecture ». Elle consiste en ceci, que les consonnes sont des sons distincts, aussi bien que les voyelles : « Lire n'est autre chose que prononcer successivement les voyelles et les consonnes dans l'ordre où elles sont écrites et sans combinaison des unes avec les autres » ; donc il ne faut pas lire les mots par syllabes, mais seulement « prononcer l'une après l'autre les lettres convenablement apprises : les syllabes et les mots résultent inévitablement pour notre oreille de la seule prononciation chronologique des voyelles et des consonnes ». On voit que M. de Laffore applique tout simplement le procédé synthétique, mais en supprimant la synthèse élémentaire, la syllabation ; et encore est-il obligé de tenir compte de l'existence des syllabes, comme nous le verrons plus loin : seulement, pour lui, les syllabes ne sont pas constituées par l'union intime d'une voyelle et d'une consonne prononcées d'une seule émission de voix (puisqu'il y a, dit-il, autant d'émissions de voix qu'il y a de lettres, voyelles ou consonnes), elles ne sont que des divisions artificielles du mot, et il n'enseignera à son élève à les distinguer que pour lui donner un moyen de reconnaître la « valeur de position » de certaines lettres.
Ce principe posé, M. de Laffore énumère les voyelles et les consonnes de la langue française : il en compte vingt-huit, huit voyelles (a, é, i, o, e, u, ou, oi) et vingt consonnes (p, b, f, v, c dur, g dur, t, a, s, z, x, ch, j, r, l, ill, m, n, gn, h). Pour lui, les voyelles nasales n'existent pas : il pense que an, in, on, un sont des syllabes et non des voyelles, c'est-à-dire que la consonne n s'y fait entendre distinctement, quoique avec une valeur un peu différente de celle qu'elle a d'ordinaire. Il est inutile d'insister sur cette opinion erronée, qui tient simplement à ce que l'auteur de la statilégie, né à Agen, avait l'accent de sa province.De ces vingt-huit sons élémentaires, les uns sont représentés dans l'écriture usuelle par un signe unique et invariable (comme les voyelles a, u, les consonnes l, m, n), les autres par plusieurs signes équivalents (par ex. : o, au, eau ; f, ph ; s, ç, c). La réunion de tous ces signes monogrammes ou polygrammes, au nombre de soixante-deux (en y comprenant les consonnes doubles), forme l'alphabet statilégique.
L'élève apprend tout cet alphabet, en prononçant les consonnes comme si elles étaient suivies d'un e muet. Lorsqu'il a acquis la connaissance de ces soixante-deux signes, on lui révèle qu'outre leur valeur alphabétique, certains d'entre eux possèdent une ou plusieurs valeurs de position, selon qu'ils sont suivis, dans la syllabe, de telle voyelle ou de telle consonne. Il est donc nécessaire que l'élève apprenne à diviser le mot en syllabes. On lui donne à cet effet une règle tout empirique : « Il faut toujours laisser avec la voyelle placée à droite une consonne, simple, composée ou double, c'est-à-dire l'une des consonnes de l'alphabet statilégique, et rien qu'une seule ». Puis on lui enseigne les diverses valeurs de position des voyelles et des consonnes. Après quoi, de peur qu'il ne soit tenté de joindre aux consonnes, dans la lecture, l'e muet qui lui a servi à les nommer dans l'alphabet, on l'exerce à prononcer l'articulation pure, sans voyelle : il doit « produire à la vue de chaque consonne un petit bruit ou sifflement, un son qui fait reconnaître cette lettre ; il est essentiel de continuer longtemps cet exercice, afin que l'élève se rende bien compte du son exact de chaque consonne représentée ».
Ces laborieux préliminaires achevés, l'élève, s'il a bien retenu ce qu'on lui a enseigné, doit être en état de lire, puisque la lecture consiste dans la prononciation successive des voyelles et des consonnes qui forment un mot. « L'élève n'a absolument aucun effort d'intelligence à faire, il n'a qu'à prononcer l'un après l'autre le son que chaque signe alphabétique bien appris doit lui rappeler. Il est impossible de concevoir une chose plus simple. »
Les critiques adressées par la pédagogie moderne à la statilégie ont été résumées a l'article Laffore. Rappelons seulement ici qu'après avoir, à l'époque où l'auteur prit un brevet d'invention (1827), joui d'une vogue momentanée et recueilli les suffrages d'hommes comme Mignet, Francoeur et Magendie, qui avaient été frappés de l'apparente simplicité du principe sur lequel elle est fondée, la méthode lafforienne est tombée dans l'oubli.
LA CITOLEGIE. — H.-A. Dupont, instituteur, a publié sous le nom de Citolégie des tableaux d'épellation (première édition en 1814, nombreuses rééditions à partir de ] 825 », gradués d'une façon ingénieuse, et dont l'emploi pouvait faciliter aux instituteurs de cette époque l'enseignement de la lecture. Il commence par l'alphabet, et adopte pour les consonnes l'appellation de Port-Royal ; il fait ensuite épeler oralement, sans montrer les lettres : b-a, ba, d-a, da, f-a, fa, etc., jusqu'à ce que l'élève sache épeler par coeur ; l'enfant étudie ensuite des tableaux de syllabes et de mots. Les exercices d'écriture sont associés à ceux de lecture. La citolégie n'est pas, on le voit, une méthode nouvelle ; c'est tout simplement une des formes de l'ancienne méthode synthétique, dans laquelle les exercices ont été gradués par un instituteur expérimenté. Nous ne nous y arrêterons pas davantage.
LA LECTURE SANS EPELLATION, PAR LAMOTTE, PERRIER, MEISSAS ET MICHELOT. — Nous terminerons ce chapitre en mentionnant la tentative faite en 1832 par Lamotte, Perrier, Meissas et Michelot pour créer une méthode de lecture qui, s'inspirant des indications de l'expérience et du bon sens plutôt que de théories plus ou moins hasardées et paradoxales, tint compte toutefois des innovations dont la pratique semblait avoir confirmé l'utilité, et pût s'adapter indifféremment à l'enseignement mutuel, à l'enseignement simultané et a l'enseignement individuel. « Voués depuis longtemps à l'instruction de la jeunesse, disaient les auteurs de la Méthode de lecture sans épellation, nous avons dû examiner avec le plus grand soin les différentes méthodes de lecture, faire ou voir l'expérience du plus grand nombre, C'est parce qu'aucune de celles que nous connaissons ne nous a entièrement satisfaits, que nous nous sommes décidés à rédiger l'ouvrage que nous offrons aujourd'hui aux personnes qui sont chargées d'instruire ou de faire instruire soit les enfants, soit les adultes qui ont été privés du bienfait de l'éducation. »
On commence par l'étude des quatorze sons simples -{ou voyelles) et des seize articulations simples (ou consonnes ; ces dernières sont prononcées au moyen de l'e muet) ; puis viennent de nombreux tableaux : voyelles simples suivies d'une articulation simple, articulations simples suivies d'une voyelle simple, sons équivalents de sons simples, articulations équivalentes des articulations simples, etc., etc. Les syllabes étant regardées comme les véritables éléments des mots, toute espèce d'épellation est rejetée. La classification des syllabes et leur distribution méthodique en tableaux gradués, telle était la tâche à remplir. « La base réelle de cette classification est la plus ou moins grande difficulté que les ««lèves éprouvent à reconnaître et à prononcer les syllabes, difficulté qui dépend, soit du nombre des lettres qui les composent, soit du nombre des lettres qui ne se prononcent pas, soit des altérations que l'usage a fait subir à la prononciation de certaines lettres et même de certaines syllabes. » On peut regarder la disposition du syllabaire de Lamotte, Pérrier, Meissas et Michelot comme réalisant certains progrès sur celui des écoles mutuelles de 1815.
Méthodes contemporaines. — Une étude détaillée des innombrables publications faites en France dans les cinquante ou soixante dernières années sous le nom plus ou moins justifié de méthodes de lecture dépasserait de beaucoup les limites d'un simple article ; celte étude, d'ailleurs, n'offrirait qu'un médiocre intérêt et ne nous montrerait à peu près rien de nouveau. En effet, dès la fin du dix-huitième siècle, comme nous l'avons vu, les divers systèmes possibles (marche synthétique, marche analytique, écriture-lecture avec marche synthétique, écriture-lecture avec marche analytique et synthétique) avaient été formulés et expérimentés ; en sorte que ceux qui avaient la prétention d'innover encore ne pouvaient plus, en réalité, que proposer des modifications, qui n'étaient pas toujours des perfectionnements, de procédés déjà connus. Nous allons donc nous contenter d'énumérer brièvement les principales méthodes françaises modernes ; nous ajouterons que si nulle d'entre elles n'apporte et ne pouvait apporter un système entièrement nouveau, quelques-unes ont rendu de réels services à l'enseignement, soit en améliorant ou en simplifiant telle ou telle partie de la méthode, soit en proposant quelque moyen auxiliaire à la fois pratique et ingénieux, soit simplement en vulgarisant des idées justes.
Nous grouperons ces diverses méthodes d'après les principes que nous avons déjà indiqués plus haut.
MÉTHODES A MARCHE SYNTHÉTIQUE. — Parmi CCS méthodes, les unes font épeler, les autres recommandent la non-épellation. Toutes adoptent la nouvelle appellation des consonnes au moyen de l'e muet. La méthode Maître, l'une des plus anciennes, fait étudier sur un tableau, appelé tableau syllabique, tous les éléments des syllabes (éléments-consonnes et éléments voyelles) ; à mesure que l'élève connaît les éléments isolés portés sur le tableau, on les lui montre réunis et formant syllabes deux à deux, au moyen de deux rubans verticaux, dont le premier, immobile, présente la série des éléments-consonnes, et le second, mobile, celle des éléments-voyelles. On lui apprend ensuite à diviser les mots en syllabes au moyen de trois règles très simples, mais d'un caractère tout empirique.
La méthode Gervais procède de la même façon. Elle se sert d'un tableau mural, où sont imprimés tous les éléments de la lecture ; d'un appareil nommé syllabateur, jouant le même rôle que les rubans de M. Maître : c'est un tableau beaucoup plus haut que large, sur lequel on place, du côté gauche, des cartons fixes contenant les consonnes, tandis que du côté droit d'autres cartons mobiles, contenant les voyelles, vont et viennent de manière à placer successivement toutes les voyelles en regard de toutes les consonnes ; enfin d'un livret qui reproduit toutes les combinaisons obtenues à l'aide du syllabateur, et qui contient en outre des mots et des phrases.
La méthode Chéron remplace les rubans et le syllabateur par l'exercice des deux baguettes. L'une sert à montrer, sur un grand tableau, les articulations et les sons isolément ; l'autre, surmontée d'un appareil destiné à recevoir des cartons sur lesquels sont imprimées les consonnes et les voyelles, a pour objet de rapprocher les articulations des sons pour former des syllabes. Ainsi l'articulation b, fixée à l'extrémité de la seconde baguette, est successivement rapprochée des sons a, o, e, etc., du tableau ; l'élève épèle : b-a, ba, b-o, bo ; lorsqu'il est assez exercé, il prononce sans décomposer : ba, bo, etc.
La méthode Néel a simplifié l'exercice des baguettes. Les tableaux placés devant l'élève contiennent une série de consonnes disposées en une colonne verticale, et la série des voyelles disposées sur une ligne horizontale : le maître, muni d'une baguette, montre fixement un des sons, que l'élève énonce ; puis avec une autre baguette le maître parcourt la colonne des articulations et indique successivement chacune d'elles ; l'élève assemble par la pensée l'articulation et le son, et les énonce par une seule émission de voix, sans épeler. Dans ces tableaux, les articulations sont imprimées en noir et les sons en rouge ; dans les livrets, les articulations sont imprimées en caractères gras, et les sons en caractères ordinaires. Lorsque l'enfant connaît suffisamment les sons et les articulations, on le fait passer à la lecture des syllabes et des mots : pour lire une syllabe, il doit prononcer d'abord isolément le son, et en second lieu le son uni à l'articulation ; ainsi pour lire les syllabes du mot combinaison, l'enfant dira : om-com, i-bi, combi, ai-nai, combinai, on-son, combinaison. Ajoutons que M. Néel recommande de faire écrire l'enfant dès qu'il commence à lire, sans toutefois associer organiquement dans sa méthode l'enseignement de la lecture à celui de l'écriture : et qu'il offre à l'élève, à côté des phrases formant les premiers exercices, des images qui doivent servir de sujet à des leçons de choses.
La méthode Mignon dispose les consonnes en colonnes verticales et les voyelles en colonnes horizontales, et les fait assembler en syllabes sans épellation. Elle obtient en outre la mobilité des éléments alphabétiques au moyen d'un « tableau mural à caractères mobiles ». L'écriture et les leçons de choses trouvent leur place à côté des exercices de lecture, comme dans la méthode Néel.
La méthode Thollois est une simple réédition du bureau typographique de Dumas et de la boite typographique de l'abbé Gaultier.
La méthode Béhagnon a la prétention d'indiquer un chemin entièrement nouveau, une voie unique « entre toutes les voies excentriques », pour conduire l'élève d'une façon rationnelle à la connaissance de la lecture. « L'ancienne épellation présente des difficultés qui ne peuvent être vaincues que par la routine. La nouvelle épellation, telle qu'on l'a établie, donne lieu à une double anomalie qui empêche le procédé d'être logique, et la méthode d'être simple. Enfin la non-épellation laisse forcément subsister l'une des deux anomalies. » M. Béhagnon se déclare en faveur de la nouvelle épellation, mais reformée et régularisée. Partant de l'alphabet, il fait prononcer les consonnes d'abord « avec e non écrit », puis « avec e écrit », et enfin avec les autres voyelles, sans épeler. Il nomme ces syllabes simples les « éléments distincts ». Il passe ensuite aux syllabes composées, qu'il fait épeler, non lettre par lettre, mais en énonçant les « éléments distincts » qui la constituent : ainsi mal s'épellera ma-l, fleur f-leu-r, arc a-r-c.
M. Bahic, auteur de la Méthode normale accélératrice, ne montre pas à l'élève toutes les lettres à la fois (c'est du reste un trait commun à toutes les méthodes modernes), et fait composer au fur et à mesure, avec les lettres connues, des syllabes simples, qu'il appelle « syllabes racines ». Il recommande un procédé qui n'est, dit-il, ni l'épellation ni la non-épellation, et qui consiste en ceci : Première opération, analyse : le maître montre à l'élève la consonne et la voyelle, p. a ; seconde opération, synthèse : l'élève lit la syllabe sans la décomposer, pa. C'est un peu jouer sur les mots ; en réalité l'élève a épelé en suivant des yeux les lettres montrées par le maître, seulement il n'a pas nommé les lettres à haute voix. Dans une autre publication, la Méthode mnémonique accélératrice, M. Bahic a proposé un exercice assez ingénieux. Il choisit un certain nombre de mots contenant des syllabes simples, et les présente sur trois lignes, la première offrant les consonnes, la seconde les voyelles, la troisième les syllabes ; exemple :
d n s f
i é o a
di né, so fa.
En étudiant une dizaine de ces mots, les élèves sauront l'alphabet, et seront initiés au mécanisme de l'épellation. C'est la méthode des mots normaux, mais appliquée en sens inverse, procédant par la synthèse au lieu de procéder par l'analyse.
La méthode Régimbeau reprend une idée que nous avons déjà vue appliquée par les auteurs du Quadrille des enfants et leurs imitateurs, entre autres N. Michel et Daubanton : M. Régimbeau présente à l'enfant des images, celles d'une épée, d'un puits, d'un tonneau, d'un cadenas, etc., et lui enseigne, par le son final de ces mots, le son des voyelles et celui de quelques consonnes ; il lui montre en même temps les lettres correspondantes. Ensuite, à l'aide de ces quelques signes, il compose des mots faciles et de petites phrases ; quand l'enfant a vu tout l'alphabet, il sait lire ou à peu près. L'épellation est proscrite. Le caractère particulier de la méthode de M. Régimbeau est « la décomposition du langage en sons purs et en sons articulés » ; aussi n'admet-il pas les consonnes dites doubles, comme br, fl ; dans ses exercices élémentaires, il place un point après chaque consonne lorsque celle-ci n'est pas suivie d'une voyelle (a-r.b.re, o-b.s.ti-né) ; ce point rappelle à l'élève que chaque articulation doit être considérée séparément. Les tableaux de la méthode Régimbeau sont convenablement gradués. Ajoutons que dans les exercices destinés à préparer l'élève à l'orthographe, l'auteur emploie un procédé déjà imaginé par Py-Poulain Delaunay : il écrit en italique les lettres finales ou autres qui ne se prononcent pas.
La méthode de M. L.-C. Michel se recommande par une heureuse simplicité de moyens. L'auteur débute en présentant à l'élève les trois voyelles a, i, e et la consonne p, dont il forme immédiatement des syllabes et des mots ; la première leçon est ainsi disposée :
a i e
p pa pi pe
pa pa pa pe pi pe
pi pa a pi pi e
Viennent ensuite deux nouvelles voyelles, é et o, avec la même consonne p ; puis ces cinq premières voyelles avec p et r ; chaque leçon offre des syllabes et des mots dans lesquels entrent chaque fois de nouvelles lettres, jusqu'à ce que l'enfant ait. vu tout l'alphabet.
Pierre Larousse a voulu avoir, lui aussi, sa méthode de lecture, qu'il a appelée, nous ne savons pourquoi, Méthode lexicologique. Au moyen d'un alphabet à images, baptisé du nom d'alphabet phonétique et qui est tout simplement l'alphabet à écho de N. Michel et de Daubanton, l'élève apprend les lettres ; puis il étudie un syllabaire, que Larousse nomme la table de Pythagore appliquée à la lecture, et ensuite des exercices gradués. Dans quelques-uns de ces exercices, les consonnes nulles pour la prononciation sont représentées par des lettres blanches (idée empruntée à Py-Poulain Delaunay).
MÉTHODES A MARCHE ANALYTIQUE. — Ces méthodes sont beaucoup moins nombreuses, et n'ont pas reçu du public enseignant un accueil très favorable. Le principe sur lequel elles se fondent, celui qu'ont préconisé l'abbé de Radonvilliers, Adam, Lemare, Jacotot, semble paradoxal au premier abord, et l'application, en tout cas, en est difficile dans la pratique scolaire.
M. Dewik-Potel a emprunté à Jacotot l'idée première de son procédé ; mais il a donné à cette idée une forme systématique, il en a fait une véritable « méthode de lecture par mots », qu'il a décorée du nom prétentieux de Dewikologie. L'auteur choisit un certain nombre de mots, dont chacun servira à enseigner aux élèves une des majuscules de l'alphabet et quelques minuscules : ce sont des noms de baptême, Anatole, Barnabé, Caroline, Didier, etc. Voici le résumé de la première leçon : Le maître écrit au tableau noir, en lettres moulées, le mot Anatole. On fait compter les lettres aux élèves ; ils constatent qu'il y en a sept. Puis on divise le mot en syllabes, Anatole, et les élèves comptent quatre syllabes. Alors on procède à la décomposition du mot : on efface la dernière lettre e, il reste Anatol ; on efface l il reste Anato ; on efface la syllabe to, il reste Ana ; on efface la syllabe na, il reste A. Puis on recompose le mot, et on le décompose de nouveau en effaçant les lettres de gauche à droite. Au cours de ces opérations, on fait remarquer aux élèves la forme de chaque lettre : « La lettre A ressemble à la toiture d'une maison, et puisque cette lettre apparaît à nos yeux comme un Abri contre les Averses de l'Avenir, et semble d'un Air Avenant et avec Amitié nous offrir un Asile, nous la surnommerons Amanda (!) ; la lettre n, qui se dandine comme une niaise et avec nigauderie sur ses deux petites jambes, sera surnommée la naine ; la voyelle a, si coquette, si gentille, si mignonne, sera surnommée la boucle d'oreille ; » et ainsi de suite. On retient les élèves sur le même mot jusqu'à ce qu'ils en connaissent bien toutes les lettres et toutes les syllabes, et qu'ils soient capables de le dicter de mémoire. Puis on continue les mêmes exercices sur les mots Barnabé, Caroline, Didier, Eulalie, etc. Le jour où les élèves possèdent à fond la connaissance de ces vingt-cinq noms de baptême, non seulement ils savent toutes leurs lettres, mais ils possèdent plus de cent syllabes. Cette première série épuisée, on passe à une seconde, composée de noms de métiers, aubergiste, bimbelotier, charpentier, drapier, etc. ; les élèves s'y familiarisent avec de nouvelles difficultés. Puis on arrive aux exercices d'écriture et d'orthographe, qui doivent amener l'élève, maître de l'alphabet, à lire couramment : on lui fait apprendre par coeur des phrases mnémoniques du genre de celles-ci : « Cécile a vu à Besançon, sur la façade d'un bonnetier, un caleçon pendu à un hameçon ; Hugues subjugue ses juges par cette fugue composée à Bruges ; » chacune de ces phrases doit être décomposée, recomposée, dictée de mémoire, puis écrite. Les bizarreries auxquelles s'est laissé entraîner M. Dewik-Potel ne doivent pas nous faire perdre de vue que le principe de la « méthode par mots » est une idée juste et féconde, susceptible d'applications sérieuses.
M. Audan, qui s'adresse surtout aux adultes illettrés, leur enseigne l'alphabet et la composition des syllabes au moyen d'une demi-douzaine de phrases très courtes qu'il fait apprendre par coeur et analyser ; chacune de ces phrases est accompagnée d'une figure qui s'y rapporte et qui vient en aide à la mémoire de l'élève. Ainsi, la première leçon présente l'image d'un dragon vomissant des flammes ; en montrant cette figure à l'élève, on lui dit : « Il a une gueule de feu ». Cette phrase lui fait apprendre dix lettres, que l'auteur dispose ainsi :
L'élève combine immédiatement les voyelles et les consonnes pour former des syllabes et des mots. Dès sa première leçon il lit ; il lit des phrases qui ont un sens, qu'il comprend, au lieu de ces mots sans suite qui se trouvent généralement dans les méthodes de lecture ; il croit savoir lire, c'est l'essentiel, il n'est plus effrayé par les difficultés qu'il trouve et avance sans crainte. » Le procédé de M. Audan peut offrir quelques avantages « aux personnes qui voudront employer un moment de leur loisir pour instruire un de leurs amis illettrés » ; mais nous doutons qu'il puisse être utilement appliqué dans l'enseignement collectif, et surtout dans celui des écoles primaires. M. D.-A. Jacquemart a proposé d'enseigner la lecture « par l'orthographie (sic) des mots oraux et par l'indication de leurs signes graphiques et de leur prononciation ». Voici comment il justifie ce mode de procéder : « Il n'y a pas d'enfant de six ans qui ne connaisse de cinq à six mille mots familiers qu'il a appris de son entourage, mots dont il a les idées à l'esprit, mots dont il sait la signification. En lui enseignant l'orthographie intégrale et absolue de ces mots et ensuite la composition graphique et la prononciation ou lecture de ces mots, on lui inculquerait, tout à la fois, la connaissance de l'orthographie des mots et la connaissance de leur lecture et celle des syllabes, et la, connaissance de la valeur des lettres, orthographie, lecture et valeur des lettres qu'il retiendrait facilement et rapidement. » Il s'agirait donc de montrer aux élèves des mots entiers, de les épeler à haute voix devant eux en leur indiquant chaque lettre, et de leur faire répéter ce double exercice jusqu'à ce qu'ils sussent par coeur l'orthographe du mot et qu'ils en reconnussent chaque lettre Dans une langue où l'orthographe est presque toujours arbitraire, comme dans la nôtre, la nécessité d'apprendre par coeur la manière dont s'écrivent les mots est évidente ; et c'est précisément pour obéir à cette nécessité que, dans la plupart des écoles, on oblige les enfants a étudier des recueils de mots usuels tels que celui de Pautex. L'idée de M. Jacquemart, dans ce qu'elle a d'essentiel, se trouve par conséquent appliquée depuis longtemps déjà par l'ancienne pratique scolaire.
MÉTHODES D'ÉCRITURE-LECTURE, SIMPLE OU COMBINÉE AVEC LA MÉTHODE DES MOTS NORMAUX. — Dans sa Scriptolégie, dont la première édition remonte à une cinquantaine d'années, M. Peigné a voulu, comme le ! recommandent Dupont (de Nemours) et plusieurs Allemands, enseigner la lecture par l'écriture. Il fait tracer aux élèves des pleins et des déliés, puis les lettres i, u, t, l, m, n, p, qui leur font nommées au fur et à mesure ; une fois en possession de ces lettres, les élèves écrivent les syllabes il, ti, li, im, mi, etc., en les énonçant ; les exercices continuent avec de nouvelles syllabes ; dès la huitième leçon viennent des mots entiers, ami, midi, animal, papa, etc., et de petites phrases. Chaque leçon se divise en trois parties : 1° le maître écrit et nomme ' ce qu'il a écrit ; les élèves regardent, puis reproduisent sur l'ardoise ce qu'ils ont vu écrire, et l'énoncent tout bas (Exécution) ; 2° le maître se borne à écrire la même matière ; les élèves nomment ce qu'il écrit (Mémoire) ; 3° les élèves écrivent sous la dictée (Mémoire et Exécution).
M. Mougeol est l'auteur d'une méthode entièrement semblable, pour le fond et pour la forme, à celle de M. Peigné. La méthode Mougeol est appliquée depuis 1868 au lycée ottoman de Galata-Seraï, à Constantinople, avec un grand succès.
M. Schiller (pseudonyme de M. Maurice Block) s'est inspiré de la méthode allemande des Normal-Wörter de Lüben et de Vogel, dont nous parlerons plus loin. Débutant par quelques exercices de dessin fort simples (combinaisons de lignes droites), la méthode Schüler fait ensuite écrire la voyelle i, dont elle enseigne le son au moyen du mot île ; l'image d'une île, présentée en même temps aux élèves dans un tableau mural, sert d'occasion à un exercice de langage et à une leçon de choses. La marche de la méthode est à la fois analytique et synthétique : analytique, parce que c'est dans un mot entier qu'elle va chercher les éléments alphabétiques ; synthétique, parce qu'une fois ces éléments trouvés, elle les emploie immédiatement pour recomposer des syllabes et des mots. Avec « la méthode analytique-synthétique d'écriture-lecture combinée avec les leçons de choses et de langue », nous sommes arrivés au dernier terme des perfectionnements réalisés par la pédagogie moderne pour l'enseignement de la lecture.
METHODES DIVERSES. — II nous reste à mentionner quelques méthodes qui ne pouvaient pas entrer dans le cadre que nous nous sommes tracé, et qui, du reste, n'offrent guère, au point de vue pédagogique, qu'un intérêt de curiosité.
Adrien Féline, connu par ses travaux pour la réforme de l'orthographe française, conseille d'enseigner d'abord à l'élève un alphabet phonétique dont chaque caractère n'a qu'une valeur unique et invariable. A l'aide de cet alphabet, qui comprend quinze voyelles et vingt consonnes, on écrit les mots sans tenir compte de l'orthographe usuelle (halle, aimer, paix, jeune, s'écrivent al, eme, pé, jen), et l'élève, n'étant plus arrêté par les difficultés qu'offre notre manière habituelle d'écrire, peut lire dès qu'il connaît les lettres. Lorsqu'il lira couramment l'écriture phonétique, il se familiarisera avec l'écriture usuelle, soit en comparant, dans le Manuel de Féline, les deux colonnes en écriture usuelle et en écriture phonétique, soit en étudiant un ouvrage composé spécialement à cet effet, l'Histoire de Pierre Lavisé, divisé en quarante-huit chapitres dont chacun ramène peu à peu de l'écriture phonétique à l'écriture usuelle. Le procédé de Féline peut avoir quelque utilité pour enseigner à un étranger la prononciation française, et il a obtenu, paraît-il, un certain succès en Allemagne.
Mme Pape-Carpantier a voulu introduire dans les salles d'asile le procédé phonomimique de M. Grosselin, et elle a publié à cet effet un syllabaire des salles d'asile où les lettres de l'alphabet sont associées aux gestes de la phonomimie. Mme Pape-Carpantier avait cru qu'à la mémoire de l'oeil et à celle de l'oreille il était utile d'ajouter celle du mouvement. Elle voyait à l'adoption de ce procédé un autre avantage : c'est qu'il supprimait l'immobilité, cause d'ennui insupportable et de souffrance physique pour l'enfant, et qu'il transformait la leçon de lecture en un véritable exercice de petite gymnastique. Nous reviendrons sur cette question à l'article spécial que nous consacrons à la Phonomimie.
M. H. Chavée, dans son Enseignement scientifique de la lecture (1873), s'est livré à une étude fort intéressante des sons constitutifs de la langue française. La « gamme orale » est formée de sept voyelles, dont chacune correspond à l'une des couleurs : a est le bleu, i le rouge, ou le jaune, ai le violet, au le vert, u l'orangé, oeu le gris ; ces voyelles ont chacune deux pôles, ou deux sexes : la voyelle femelle a un son large, doux et chantant, â ; la voyelle mâle a un son bref et rude, a. Il y a en outre deux voyelles neutres, asexuées : é et eu, et quatre voyelles nasales, an, in, on, un. Les consonnes se divisent en soufflantes, explosives, tremblantes et murmurantes. Le petit écrit de M. Chavée contient nombre d'observations justes ou ingénieuses, associées à des théories contestables ; mais nous ne pensons pas que cette analyse de l'alphabet, quelle qu'en puisse être la valeur, constitue une méthode de lecture.
ÉTRANGER.
Les difficultés de l'enseignement de la lecture varient très sensiblement d'un pays à l'autre, suivant le caractère de la langue qu'on y parle.
Les langues méridionales néolatines, comme l'italien et l'espagnol, font sonner toutes les lettres d'un mot: la prononciation s'y rapproche naturellement de l'orthographe, bien plus que dans le français ; en outre certaines lettres étymologiques, les th, les ph, les y, ont été résolument supprimées par les écrivains ; et en Espagne l'Académie de Madrid, animée d'un esprit réformateur bien rare, est allée plus loin encore : elle a travaillé à une simplification systématique de l'orthographe castillane, si bien qu'aujourd'hui, en espagnol, toutes les anomalies orthographiques ont disparu. Pour les écoliers d'Espagne, et pour ceux d'Italie à un moindre degré, le travail nécessité par l'apprentissage de la lecture se réduit donc, à peu de chose près, à l'acquisition de l'alphabet et à l'intelligence du mécanisme élémentaire de la syllabation. La langue allemande ne possède pas ces avantages au même degré ; cependant son orthographe est beaucoup plus régulière que la nôtre ; aussi le problème à résoudre, s'il est moins simple qu'en Italie ou en Espagne, ne présente-t-il pas autant de complications que celui de l'enseignement de la lecture française.
En anglais, la tendance à réduire les mots par la contraction a dénaturé le son primitif des voyelles et de la plupart des consonnes, et la langue parlée s'est de plus en plus éloignée de la langue écrite ; aussi pourrait-on presque dire que l'écriture anglaise, tout en conservant l'apparence d'une écriture alphabétique, a perdu en réalité le caractère analytique : chaque mot y forme une espèce d'hiéroglyphe dont la prononciation nécessite un apprentissage spécial. Les difficultés de la lecture sont donc incomparablement plus grandes en Angleterre et aux Etats-Unis que partout ailleurs.
Toutefois, les considérations qui précèdent ne suffisent pas à elles seules à rendre compte du plus ou moins d'importance qu'a dû prendre, dans tel pays donné, la recherche des meilleures méthodes de lecture. Il faut encore y joindre un autre facteur, à savoir la place faite à l'école primaire et à l'instruction des masses dans l'histoire de ce pays.
On conçoit aisément que l'Italie et l'Espagne, où l'instruction populaire a été si longtemps négligée, et où d'autre part l'art de la lecture n'exige guère d'autre étude que celle de l'alphabet, n'aient attaché qu'une médiocre importance aux méthodes de lecture, et n'aient rien produit de remarquable dans ce domaine. L'Allemagne, au contraire, terre classique de la pédagogie, a dû se préoccuper de bonne heure de la recherche des meilleurs moyens d'enseigner à lire aux enfants du peuple ; et comme la langue allemande, grâce au caractère de régularité dont elle est empreinte, ne présentait pas d'obstacles particuliers, il a été plus facile aux éducateurs allemands qu'aux nôtres de se placer sur le terrain de la théorie pure, de la logique abstraite. Les Anglais et les Américains, qui n'ont commencé qu'après les Allemands et après nous à développer leur enseignement primaire, ont pu profiter des travaux de leurs devanciers ; et les difficultés particulières qu'offrait leur langue les a conduits en outre à l'adoption de certains procédés spéciaux, tels que l'épellation par coeur des mots entiers (spelling) et l'écriture phonétique.
Un coup d'oeil jeté sur l'histoire des méthodes de lecture en Allemagne nous montrera que le chemin parcouru a été le même qu'en France, et que de part et d'autre on est arrivé, par la reconnaissance des mêmes principes, aux mêmes résultats. Dès le seizième siècle, des grammairiens allemands protestent contre l'ancienne routine et indiquent avec beaucoup de bon sens les réformes à introduire. Un contemporain de Luther, Valentin Ickelsamer, prescrit de faire épeler sans nommer les lettres, en se bornant à en énoncer le son ; pour faciliter l'étude de l'alphabet, il veut qu'à chaque lettre soit associée une image, comme celle d'un moine (Mönch) pour la lettre m, celle d'un âne (Esel) pour la lettre e, celle d'un anneau (Ring) pour la lettre r, etc. En 1533, l'imprimeur Jordan, s'inspirant des idées d'Ickelsamer, publia sous le titre de Leyenschuol un abécédaire illustré, où il recommande en outre l'enseignement simultané de l'écriture et de la lecture : « Dès que les élèves, dit-il, connaissent les cinq voyelles et savent les prononcer, il faut leur enseigner à les écrire. » Ratich, Comenius, Reyher sont du même avis ; mais malgré leurs écrits ; malgré la vogue de l'Orbis pictus et les nombreuses imitations qu'il suscita, l'ancien système continua à régner presque sans partage dans les écoles pendant le dix-septième et même le dix-huitième siècle. Basedow chercha à rendre l'enseignement de la lecture attrayant ; il imagina des jeux assez semblables à ceux qui furent inventés en France vers la même époque (par exemple le jeu des lettres, où les voyelles et les consonnes sont écrites sur trente-deux cartes qu'on môle : l'enfant qui reconnaît la lettre demandée reçoit une récompense ; ou bien les lettres sont en pâte ou en sucrerie, et l'enfant apprend à les nommer en les mangeant). Un disciple de Basedow, Campe, publia en 1778 une méthode de lecture où sont appliqués déjà les principes de la méthode analytique-synthétique. Gedike, .dans deux ouvrages publiés en 1779 et en 1791, donna la théorie et la pratique de la « méthode par mots », précisément au même moment où l'abbé de Radonvilliers et N. Adam la préconisaient en France. Parmi ceux qui, vers la même époque, s'occupèrent de l'enseignement de la lecture et travaillèrent à le réformer, il faut citer Heinicke, Heu-singer, Olivier, l'auteur d'une méthode qui porte son nom et qui eut un moment de célébrité. Pestalozzi ne saurait être rangé au nombre de ces réformateurs : car le procédé qu'il emploie, et qui consiste à faire épeler par coeur à l'enfant de longues listes de syllabes de plus en plus compliquées, n'est qu'une application de la vieille méthode synthétique sous sa forme la moins recommandable.
Toutefois, si Pestalozzi n'a pas formulé lui-même les vrais principes d'une méthode de lecture rationnelle, l'impulsion générale qu'il donna aux études pédagogiques eut pour résultat de faire trouver à d'autres ce qui lui avait échappé, C'est à partir de ce moment que les idées nouvelles sur l'enseignement de la lecture, un peu vagues et flottantes jusque-là, aboutissent en Allemagne à la constitution de systèmes déterminés. Stephani publie (1803) sa Méthode élémentaire, dont le trait essentiel consiste dans la prononciation des consonnes sans l'adjonction d'aucune voyelle (procédé déjà recommandé en France, nous l'avons vu, par des contemporains de Py-Poulain Delaunay) ; et sous le nom de Lautier-Melhode ou méthode phonique, son système de lecture est introduit dans les écoles d'une partie de l'Allemagne. Un peu plus tard, Graser, en opposition à Stephani, propose un système qu'il appelle aussi Méthode élémentaire, et dans lequel l'écriture précède la lecture : c'est la Schreiblese-Methode (Voir Ecriture-Lecture). Les deux systèmes sont combinés par Scholz. Puis, sous l'influence des idées de Jacotot, le procédé analytique vient s'adjoindre au procédé synthétique. Au lieu de prendre pour thème de l'exercice analytique une phrase quelconque, ainsi que le voulait Jacotot, son disciple Graffunder choisissait un certain nombre de « phrases normales » (Normal-Phrasen) ; de là à revenir au procédé de la lecture par mots, qu'avaient indiqué Gedicke et l'abbé de Radonvilliers, il n'y avait qu'un pas : et la méthode des « mots normaux » (Normal-Wörter) de Lüben et de Vogel, partant de l'analyse d'un certain nombre de mots simples, y étudiant les éléments alphabétiques, puis aboutissant à la synthèse de ces éléments, se trouva constituée. C'est cette méthode, à la fois analytique et synthétique, et réunissant l'enseignement de l'écriture à celui de la lecture, qui, adoptée aujourd'hui en Allemagne par les représentants les plus autorisés de la pédagogie contemporaine, a été introduite récemment en France sous le nom de méthode Schüler. — Ajoutons à ce rapide résumé de l'histoire de l'enseignement de la lecture en Allemagne, que l'emploi des moyens auxiliaires, des Lesemaschinen, s'il a joué un moins grand rôle chez les Allemands que chez nous, ne leur est pas resté étranger : déjà Basedow et les philanthropinistes se servaient de boîtes typographiques ; deux instituteurs, Plato et Dolz, réinventèrent à la fin du dix-huitième siècle le « bureau typographique » à l'usage de l'école qu'ils dirigeaient à Leipzig ; de nos jours, on a aussi des syllabateurs de formes variées (Lesestäbe).
C'est aux Etats-Unis plutôt qu'en Angleterre qu'il faut étudier les divers systèmes essayés pour la lecture si difficile de l'anglais. Dans les bonnes écoles des Etats-Unis, on a renoncé à l'ancienne méthode d'épellation. On y a substitué d'abord la phonic method, dans laquelle le maître enseigne premièrement à prononcer les sons de la langue, puis à distinguer les signes par lesquels on les représente. Mais comme les lettres anglaises ont plusieurs valeurs différentes, qui ne peuvent s'apprendre que par l'usage, la méthode phonique appliquée à l'alphabet ordinaire ne donnait guère de résultats. Aussi a-t-on essayé d'y substituer une méthode dite phonétique, qui remplace l'alphabet ordinaire par un alphabet spécial, dont chaque caractère a une valeur fixe : cette innovation est due au Dr Leigh, de New York, et elle a été adoptée dans beaucoup d'écoles. La marche de la phonetic method est nécessairement synthétique : on fait en premier lieu connaître à l'élève les sons élémentaires et les caractères conventionnels qui les représentent, puis on passe aux combinaisons variées de ces sons, en commençant par les monosyllabes pour arriver aux mots les plus compliqués. Il s'agit ensuite de passer de la lecture phonétique à la lecture ordinaire : la transition offre quelques difficultés au début, mais elles sont en général assez promptement surmontées. — La méthode analytique ou des mots entiers, word method, a aussi de nombreux partisans ; elle permet d'intéresser l'enfant auquel on présente, avec des images, les noms d'objets connus, et qui, dès les premiers exercices, lit de petites phrases : l'élève reconnaît les mots comme des signes d'idées, sans arrêter d'abord son attention à la décomposition par lettres ; mais lorsqu'il doit extraire de ces mots les éléments alphabétiques, et chercher à recomposer des mots nouveaux, les obstacles suscités par l'arbitraire de la prononciation anglaise rendent les progrès beaucoup plus lents qu'en allemand ou en français. — Dans un certain nombre d'écoles, on combine la word method avec la phonetic method : c'est ce que les Américains appellent la méthode éclectique, et c'est celle qui paraît donner les meilleurs résultats pratiques. Du reste, ni par une méthode ni par l'autre on n'échappe à la nécessité d'imposer aux élèves les longs et ennuyeux exercices de spelling, qui consistent à apprendre par coeur des listes de mots avec leur orthographe.
Nous devons nous borner à ces indications très générales sur les méthodes étrangères : il serait impossible d'essayer de passer en revue les divers procédés employés dans chaque pays, comme nous l'avons fait pour la France ; et d'ailleurs nous n'aboutirions ainsi qu'à des redites fastidieuses. Les personnes qui désireraient étudier de plus près ce qui concerne l'enseignement de la lecture à l'étranger, trouveront des renseignements techniques et bibliographiques, que nous ne pourrions reproduire ici, dans le Rapport sur l'instruction primaire à l'Exposition de Vienne et le Rapport sur l'instruction primaire à l'Exposition de Philadelphie, publiés à l'Imprimerie nationale.
Législation. — L'enseignement de la lecture ayant formé de tout temps et dans tous les pays le premier et parfois l'unique objet de l'instruction primaire, il est évident que toutes les législations scolaires sont d'accord pour le ranger au nombre des matières obligatoires.
En ce qui concerne la méthode à suivre, il ne pouvait être question d'imposer officiellement aux instituteurs l'emploi de tel ou tel procédé. Le plus souvent l'autorité scolaire s'est abstenue de toute prescription et n'a rédigé aucun programme ; lorsqu'elle l'a fait, elle s'est contentée de quelques directions ou recommandations d'un caractère très général.
En France, la circulaire ministérielle du 18 novembre 1871 avait indiqué de la manière suivante la série des exercices de lecture de la première année d'études :
« 1er trimestre. — Etude des éléments: sons et articulations. — Combinaison de ces éléments et application immédiate à la lecture de mots simples et usuels. — Lecture de petites phrases simples et graduées. Explication de ces phrases.
» 2° trimestre. — Exercices de syllabation. — Lecture au tableau et dans les livres. — Explication du sens des mots et des phrases.
» 3e trimestre. — Lecture courante de phrases courtes renfermant des connaissances usuelles. — Explication du sens des mots et des phrases.
» 4° trimestre. — Lecture courante dans les livres. — Explication du sens des mots et des phrases. » Le programme des écoles maternelles veut que, dans la section des petits enfants (enfants de deux à cinq ans), il ne soit fait aucun exercice de lecture proprement dite ; pour la section des enfants de cinq à six ans, il porte ce qui suit : « Exercices combinés de langage, de lecture et d'écriture préparant à l'orthographe ».
Le programme des écoles primaires élémentaires perte ce qui suit pour la section enfantine (élèves de cinq à sept ans) :
« Premiers exercices de lecture. — Lettres, syllabes, mots. »
Et plus loin, comme au programme des écoles maternelles :
« Exercices combinés de langage, de lecture et d'écriture préparant à l'orthographe. »
Comme on le voit, toute latitude est laissée à l'instituteur et à l'institutrice pour le choix de ses pro cédés.