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Langues vivantes

I. Historique. — L'enseignement des langues vivantes a lentement conquis la position si importante qu'il occupe maintenant dans nos programmes universitaires. Tandis que dans toute l'Europe, et particulièrement en Angleterre et en Allemagne, le français était, dès le dix-septième siècle, étudié, parlé et lu par l'élite de la société, chez nous au contraire les langues étrangères restaient presque complètement ignorées. A la fin du dix-huitième siècle cependant, un mouvement d'opinion se dessine en leur faveur, dont on retrouve la trace dans les cahiers de 1789 et dans le plan d'organisation des écoles centrales élaboré par la Convention. En 1796, le Conseil des Cinq-Cents alla même jusqu'à voter que tous les élèves de l'enseignement secondaire apprendraient les langues vivantes, révolution prématurée que la loi du 11 floréal an X attenue de la manière suivante : « II y aura près de plusieurs lycées des professeurs de langues vivantes ». Le Statut de 1821 ajoute : « Les classes de langues vivantes ne sont données que sur la demande des parents et aux heures de récréation. Le prix en est payé à part. » Cet état de choses devait durer jusqu'en 1848, où les langues vivantes furent enfin classées, à partir de la cinquième, parmi les matières obligatoires.

Mais le temps fut parcimonieusement mesuré au nouvel enseignement, qui n'avait d'ailleurs trouvé ni ses sanctions, ni son personnel, ni ses méthodes. II ne fit guère que végéter jusqu'à Duruy, qui, devançant sur ce point, comme sur tant d'autres, les idées de son époque, sentit la nécessité d'un grand effort et tenta de l'accomplir : « L'étude des langues vivantes, écrivait-il. n'a produit jusqu'à présent que des résultats insuffisants. Elle a pourtant une double utilité pratique et morale que nul de nous ne méconnaît ; mais bien des raisons, qu'il est inutile d'expliquer, ont amené l'insuccès que nous déplorons. Désormais, dans l'économie de nos études scolaires, nous enseignerons à nos enfants les langues mortes pour leur apprendre à les écrire, les langues vivantes pour leur apprendre à les parler. La méthode à suivre est ce que j'appellerai la méthode naturelle, celle qu'on emploie pour l'enfant dans la famille, celle dont chacun use en pays étranger. » Le ministre novateur ne s'en tint pas aux paroles : il institua une épreuve de langues vivantes à l'examen oral du baccalauréat, et en fit aborder l'étude dès la sixième ; il accorda en même temps aux professeurs de langues étrangères une situation égale à celle de leurs collègues ; il établit enfin une nouvelle forme d'enseignement secondaire, où les sciences et les langues vivantes tenaient la place du latin et du grec. Ce fut l'enseignement dit spécial (loi du 21 juin 1865), auquel succéda en 1891 l'enseignement' moderne, réorganisé lui-même en 1902.

La réforme de 1902 donna à l'étude des langues vivantes dans l'enseignement secondaire une place qu'elle n'avait jamais eue. Jusqu'alors, le baccalauréat sanctionnant l'enseignement classique gréco-latin était exigé au seuil de la plupart des carrières libérales et permettait seul l'inscription aux facultés des lettres, de droit et de médecine. Désormais, quatre baccalauréats égaux étaient institués : latin-grec, latin-sciences, latin-langues vivantes, sciences-langues vivantes. Chacun d'eux, faisant suite à un cours d'études approprié, comprenait des épreuves de langues étrangères, les deux premiers sur une seule langue, les deux derniers sur deux langues, dont l'une au moins devait être l'anglais ou l'allemand. L'équivalence entre les humanités modernes et les humanités classiques comme moyens de culture de l'esprit était donc officiellement admise.

En même temps, ainsi qu'il était logique, on donnait aux langues vivantes, dans les emplois du temps fixés par l'arrêté du 31 mai 1902, un nombre de leçons convenable : cinq heures par semaine pendant les quatre premières années et deux ou trois heures pendant les trois dernières, sans parler du temps consacré à l'étude d'une seconde langue, dans les sections où cette étude est prescrite (dix heures par semaine réparties entre les trois dernières années).

Aux examens des baccalauréats latin-langues vivantes et sciences-langues vivantes, les langues étrangères sont représentées parmi les épreuves écrites sous la forme d'une rédaction.

LES LANGUES VIVANTES DANS L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE. — L'enseignement primaire ne pouvait pas rester en dehors du développement de l'étude des langues vivantes dans notre pays. L'esprit vraiment libéral et élevé qui inspira les lois scolaires de la troisième République devait naturellement comprendre la valeur éducative des langues et des idées étrangères, surtout pour des élèves privés de la culture ancienne, comme le sont ceux des écoles normales et primaires supérieures.

Déjà Duruy, dont nous venons de rappeler l'influence sur le progrès de l'enseignement des langues vivantes dans les lycées et collèges, avait fait une place à ces langues dans l'enseignement primaire lorsqu'il prit, en 1865 et en 1866, diverses mesures destinées à favoriser les progrès de cet enseignement, arrêtés depuis la réaction de 1850 contre les tendances libérales inaugurées par la loi Guizot en 1833.

L'article 9 de la loi du 21 juin 1865 disposait que, outre les matières déterminées par le paragraphe 2 de l'article 23 de la loi du 15 mars 1850, l'enseignement primaire peut comprendre le dessin, les langues vivantes étrangères, la tenue des livres et les éléments de la géométrie. La porte était dès lors ouverte aux langues vivantes, et, le principe étant ainsi posé, Duruy ne tarda pas à lui donner des conséquences pratiques.

Ecoles normales. — Le décret sur les écoles normales primaires, que Duruy fit rendre le 2 juillet 1866, décida que l'étude des matières facultatives inscrites à l'article 9 de la loi du 21 juin 1865 serait abordée dès la première année. En même temps, l'arrêté du 3 juillet 1866, relatif à l'examen du brevet de capacité, organisa, pour les candidats ayant subi avec succès les épreuves portant sur les matières obligatoires de l'enseignement primaire, une seconde série d'épreuves sur une ou plusieurs des matières de l'enseignement facultatif. Pour les langues vivantes, l'examen écrit comportait un thème et une version (durée : une heure) et une interrogation orale (durée : une demi-heure.

Mais cette mesure, confirmée par l'arrêté du 5 janvier 1881 qui réorganisa le brevet supérieur, demeura à peu près vaine tant que les écoles normales n'eurent pas de classes régulières de langues vivantes. II en fut ainsi jusqu'à ce que l'arrêté du 10 août 1885 rendît l'épreuve de langues vivantes obligatoire aux examens du brevet supérieur (à partir du 1er janvier 1888). Des cours de langues étrangères furent alors établis dans toutes les écoles normales, à raison de deux ou trois heures par semaine dans chaque année. Cette organisation, adaptée depuis aux nécessités de la réforme des études normales, accomplie en 1905, et mise en rapport, en ce qui concerne les méthodes, avec les idées actuelles, semble maintenant avoir fait ses preuves. Les discussions qui précédèrent la réforme de 1905 donnèrent cependant l’occasion à quelques adversaires des langues vivantes de proposer le retour au régime de 1881, c'est-à-dire de les rendre à nouveau facultatives. Ce projet, qui rappelait les entreprises réactionnaires de 1850 contre la culture générale des instituteurs, et dont la naissance coïncidait justement avec la victoire des langues vivantes dans l'enseignement secondaire consacrée par les programmes de 1902, fut vivement combattu et n'arriva qu'en juillet 1905 devant le Conseil supérieur de l'instruction publique. Répudié alors par le ministre, il fut écarté à une forte majorité.

En fait, donc, les langues vivantes ont gardé depuis 1885 la position qui leur avait été accordée alors dans les écoles normales primaires.

Cette position fut d'ailleurs immédiatement consolidée par diverses mesures destinées à préparer le recrutement du personnel enseignant. Lors de la tentative de 1879, une épreuve orale de langues vivantes avait été imposée aux aspirants au professorat des lettres dans les écoles normales, mais la règlementation de 1880 ne fait pas mention de celte épreuve, à laquelle on renonça pendant les années qui suivirent. Cependant, lorsque le décret et l'arrêté organique du 18 janvier 1887, pris en exécution de la loi du 30 octobre 1886, déterminèrent le programme définitif de l'examen, ils y firent entrer une composition écrite et une interrogation orale portant sur une langue étrangère.

Dans cette composition, qui comprenait d'abord un thème et une version, le thème a été remplacé, en 1904, par une rédaction. A l'examen oral, les explications de textes portent sur une liste d'auteurs fixée à l'avance et renouvelée tous les trois ans. Tout naturellement, les nombreux candidats au concours du professorat se trouvent ainsi conviés à poursuivre leurs études de langues vivantes en même temps que leurs autres études littéraires : à Saint-Cloud et a Fontenay, en particulier, des chaires de langues étrangères ont été créées et le concours d'entrée à ces deux écoles comporte, même pour la section des sciences, des épreuves de langues vivantes.

L'oeuvre de la législation de 1886-1887 fut complétée par l'institution d'un certificat d'aptitude spécial au professorat des langues vivantes dans l'enseignement primaire. Dans la pensée du législateur, ce certificat devait être particulièrement recherché par des maîtres déjà pourvus du professorat des lettres, et on encouragea en effet ces derniers à s'y préparer en leur accordant, après concours, des bourses d'études à l'étranger.

Expérimentée dès 1883, cette intéressante institution des bourses a été définitivement établie par l'arrêté du 9 janvier 1885. Le minisire de l'instruction publique d'alors, M. Fallières, y avait pris un intérêt particulier, et avait, au cours d'un voyage en Suisse, rendu visite, en compagnie de M. F. Buisson, directeur de l'enseignement primaire, aux professeurs boursiers qui avaient été envoyés à l'école normale de Kusnach. Depuis, sept ou huit jeunes professeurs de l'enseignement primaire, pour la, plupart sortant de Saint-Cloud ou de Fontenay, sont partis chaque année pour l'Allemagne, l'Autriche, l'Angleterre, ou même les Etats-Unis. Ils y ont travaillé avec succès à apprendre la langue du pays (presque tous ont conquis, à leur retour, d'abord le certificat primaire d'aptitude à l'enseignement des langues vivantes, puis le certificat secondaire ; une douzaine sont arrivés jusqu'à l'agrégation). Ils se sont appliqués en outre à observer la vie et l'organisation scolaire de ce même pays, à élargir ainsi leur horizon et à compléter leur expérience professionnelle. Beaucoup d'entre eux sont restés professeurs de langues vivantes, d'autres sont devenus inspecteurs primaires ou directeurs d'école normale. Leur séjour à l'étranger leur a permis d'apporter à l'enseignement primaire un concours plus éclairé et plus efficace.

Ecoles primaires supérieures. — Le certificat d'aptitude au professorat des langues vivantes dans l'enseignement primaire n'avait pas été institué seulement en vue des écoles normales. Les écoles primaires supérieures, qui organisaient parallèlement chez elles l'étude des langues étrangères, avaient un besoin plus grand encore de maîtres compétents, capables de donner à leurs élèves une connaissance pratique de ces langues. Dès la création du certificat d'études primaires supérieures, en 1882, il avait été décidé que l'examen oral comprendrait nécessairement une interrogation sur les langues vivantes. Depuis, à la suite de la division des écoles primaires supérieures en quatre sections (section d'enseignement général, section commerciale, section industrielle, section agricole), les élèves des deux dernières sections, qui sont d'ailleurs de beaucoup les moins nombreux, ne sont plus examinés sur les langues vivantes ; pour les autres, au contraire, l'examen oral portant sur une langue étrangère est resté obligatoire.

En dehors de cette sanction naturelle, l'enseignement des langues étrangères dans les écoles primaires supérieures a été encouragé, lui aussi, par la création de bourses de séjour destinées aux anciens élèves de ces écoles qui auront satisfait, après l'obtention du certificat d'éludes primaires supérieures, aux épreuves d'un examen spécial institué le 9 janvier 1885. Cette création a réussi au delà de toute attente : les jeunes gens de seize à dix-huit ans qui ont ainsi obtenu d'aller passer deux années à l'étranger ont trouvé ensuite de bonnes positions dans l'industrie et le commerce. De 1885 à 1907, 96 boursiers ont été envoyés en Allemagne, 74 en Angleterre, un en Espagne. Ils ont formé une association très active, qui les aide à trouver des emplois et qui les appuie au cours de leur carrière. Cette association a eu d'ailleurs le louable libéralisme d'admettre parmi ses membres les anciens boursiers des villes et des départements qui avaient imité l'Etat en accordant également les moyens de faire un séjour à l'étranger à un certain nombre de jeunes gens.

Ecoles pratiques de commerce et d'industrie. — A côté des écoles primaires supérieures, au nombre de 359 en 1907, nous devons mentionner les trente-neuf écoles pratiques de commerce, qui donnent un enseignement s'adressant à la même classe de la population et visant des résultats analogues. Les langues vivantes sont enseignées dans ces écoles à raison de six heures par semaine pendant trois années, et sont sérieusement représentées parmi les épreuves du certificat d'études pratiques commerciales, qui correspond au certificat d'études primaires supérieures.

A l'exemple du ministère de l'instruction publique, le ministère du commerce, qui dirige les écoles pratiques, a créé pour leurs futurs professeurs de langues vivantes, ainsi que pour leurs meilleurs élèves, des bourses de séjour à l'étranger.

Ecoles primaires élémentaires. — Quelques efforts ont été faits pour introduire l'étude des langues vivantes dans l'enseignement primaire élémentaire, notamment en Angleterre et en Autriche, d'ailleurs sans résultats bien décisifs. En France, les programmes des classes primaires installées dans les lycées et collèges de garçons et de filles comprennent deux heures par semaine d'enseignement des langues vivantes : le profit qu'en tirent les élèves est généralement assez faible, d'autant plus que, depuis la réforme de 1902, l'enseignement régulier des langues étrangères doit commencer en sixième.

Un certain nombre de villes ont en outre introduit les langues vivantes dans leurs écoles primaires publiques : on fait depuis 1880, aux élèves des écoles de Belfort, des cours d'allemand continués par des classes d'adultes ; il en est de même à Marseille pour l'italien ; à Paris, les sociétés d'enseignement populaire, la caisse des écoles du deuxième arrondissement et le Conseil municipal, ont institué des cours de langues vivantes pour les élèves des cours moyen et supérieur des écoles primaires.

Presque partout, d'ailleurs, et surtout dans les grandes villes, l'enseignement des langues étrangères est donné dans les cours complémentaires par les instituteurs chargés de ces cours ou par des professeurs spéciaux. En outre, les municipalités, les chambres de commerce, le6 associations d'enseignement, ont multiplié les cours gratuits de langues vivantes professés le soir à l'usage des adultes.

La question des langues étrangères dans les écoles primaires a été discutée assez longuement au Congrès international de l'enseignement des langues vivantes tenu à Paris à l'occasion de l'Exposition de 1900. Le voeu suivant, proposé par M. Charles Longuet, inspecteur des cours commerciaux de langues étrangères de la ville de Paris, fut adopté après quelques observations présentées par MM, Cohn, Kuhff, Walter et Michel Bréal : Il y a lieu d'introduire les langues vivantes dans l'enseignement primaire, au moins dans les écoles urbaines, et à titre facultatif. Cette introduction devrait être préparée par la formation d'un personnel enseignant convenable.

Ce voeu est resté sans conséquences. Il est permis en effet de penser que, même dans les villes, l'école primaire doit enseigner à ses élèves des matières d'une utilité plus pressante et plus générale, pour lesquelles le temps ne lui est d'ailleurs que trop étroitement mesuré. C'est au lendemain du certificat d'études, dans les cours d'adultes et dans l'enseignement primaire supérieur, que commencera naturellement l'étude des langues étrangères.

Avant de terminer cette revue sommaire des progrès si rapidement accomplis dans notre enseignement primaire par les langues vivantes, nous avons le devoir de mentionner le nom d'un des promoteurs les plus actifs de cet enseignement, Guillaume Jost, inspecteur général de l'enseignement primaire de 1882 à 1903, décédé en 1907, qui s'était fait vraiment l'apôtre de la diffusion des langues étrangères dans les écoles normales et primaires supérieures, le conseiller de leurs maîtres, le tuteur de leurs boursiers. Jost fut un de ceux qui luttèrent le plus vaillamment, au moment de la préparation des programmes de 1905, pour que les langue vivantes ne perdissent rien du terrain qu'elles avaient acquis jusque-là dans les écoles normales. Il semble bien que la bataille soit maintenant définitivement gagnée, et il faut s'en féliciter hautement à cause du bénéfice que tirent de l'élude des langues étrangères, pour leur culture, les futurs instituteurs et les futures institutrices. Il faut s'en féliciter aussi parce que les langues étrangères, si elles fussent devenues facultatives au brevet supérieur, auraient cessé d'être enseignées dans la plupart des établissements où l'on prépare à cet examen si populaire parmi les jeunes filles, et qu'il aurait été difficile de les maintenir au programme de la section générale des écoles primaires supérieures. On aurait donc dressé une barrière de plus entre la culture primaire et la culture secondaire. L'étude des langues modernes est l'une des disciplines fondamentales de l'éducation contemporaine . il est bon qu'elle soit amplement répandue, et que la bonne semence, distribuée d'un geste large et généreux, puisse tomber sur tous les terrains.

II. Les méthodes. — A mesure que l'enseignement des langues vivantes grandissait en importance et en popularité, son objectif et ses méthodes se précisaient. D'abord tout livresque, donné par des maîtres de second choix, privé de sanctions, il avait calqué ses procédés sur ceux des classes de langues anciennes : étude détaillée de la grammaire, traduction lente de quelques textes, thèmes et versions, peu ou point d'exercices oraux. A la fin de leur scolarité, les élèves n'avaient tiré, pour la plupart, de leurs classes d'allemand ou d'anglais qu'un profit très minime : ils étaient incapables de prononcer correctement, d'exprimer leurs idées avec quelque aisance oralement ou même par écrit, à plus forte raison de soutenir une conversation, si simple fût-elle. Sans contester la valeur de l'appui que l'enseignement des langues vivantes avait pu jusque-là prêter à l'élude du français et à la culture générale, I opinion publique, la presse et le Parlement demandèrent avec insistance, surtout à partir de 1890 environ, qu'il s'engageât dans des voies plus pratiques. Il est naturel que l'on applique aux langues mortes des méthodes désintéressées et littéraires : les langues mortes ne sont, pour nos écoliers, que des instruments d'éducation ; l'étude des langues vivantes, au contraire, a un but utilitaire et pratique. « Nous ne sommes pas exposés à rencontrer des contemporains de l'empereur Auguste, au lieu que nous coudoyons tous les jours des Allemands et des Anglais. N'avons-nous pas des expositions, des congrès, des conférences internationales, des rapports commerciaux? Vous dites que l'occasion de parler se présentera rarement ; mais si nous voulons que le Français sorte de son pays, il faut le munir pour le voyage. Quelle envie voulez-vous qu'il ait d'aller au loin si, après dix ans d'étude, il ne sait seulement pas prendre son billet de chemin de fer? » (Michel Bréal, De l'enseignement des langues vivantes, Paris, 1893, p. 19.)

Ce mouvement d'idées avait été suscité notamment par la fréquence chaque jour plus grande des relations internationales, ainsi que par l'exemple et le succès des écoles Berlitz où, au rebours de la méthode universitaire, on s'efforçait d'enseigner à parler les langues étrangères sans se servir de la traduction. L'impulsion définitive, préparée dès 1893 par le discours prononcé à la distribution des prix du Concours général par M. Schweitzer, professeur d'allemand au lycée Janson de Sailly, devait être donnée en 1902.

L'Allemagne nous avait d'ailleurs devancés. Le philologue et phonétiste Viëtor avait lancé en 1882, sous le pseudonyme de Quousque Tandem, un retentissant manifeste (Der Sprachunterricht muss umkehren) où il s'élevait contre les procédés traditionnellement employés dans les cours de langues vivantes et où il prêchait la « nouvelle méthode» . De nombreux disciples s'enrôlèrent sous sa bannière, des discussions passionnées s'élevèrent dans les revues et dans les congrès ; toute une littérature réformiste vit le jour en quelques années.

En même temps, la nouvelle méthode pénétrait peu à peu dans les manuels d'enseignement, dans la pratique pédagogique et dans les programmes officiels : il est aisé, par exemple, de suivre ses progrès, de 1891 à 1894, puis de 1894 à 1901, dans les instructions successives sur l'enseignement secondaire en Prusse.

Dans son rapport sur « l'enseignement des langues vivantes en Allemagne », Miss Mary Brebner résumait, dès 1898. les traits principaux de la nouvelle méthode dans les termes suivants :

I. Enseignement d'abord purement oral ;

II. Emploi de la langue étrangère dans les classes et autant que possible dès le début ;

III. Exclusion absolue ou partielle du thème oral ou écrit, excepté dans les classes supérieures ;

IV. Usage très discret de la version, écrite et orale ;

V. Dans les classes élémentaires, emploi fréquent des gravures, des tableaux et de tous les moyens de rendre l'enseignement aussi concret que possible ;

VI. Etude sérieuse des Realien, c'est-à-dire de la vie, des moeurs, des institutions, de la géographie, de l'histoire et de la littérature du peuple étranger ;

VII. Conversations nombreuses sur le livre de lecture, soit pour expliquer un nouveau passage, soit, plus fréquemment, à propos d'un passage déjà lu ;

VIII. Emploi du livre de lecture pour servir à l'enseignement intuitif de la grammaire.

En France, la Société pour la propagation des langues étrangères, fondée depuis peu et très ouverte aux idées nouvelles, avait mis au concours, en 1898, un mémoire sur la méthode directe dans renseignement des langues vivant s ; elle organisait ensuite, en 1900, à l'occasion de l'Exposition universelle, un Congrès international, qui posa nettement, devant le corps enseignant et devant l'opinion publique, la question du conflit des méthodes. Celte question était d'ailleurs débattue au même moment devant la Commission parlementaire pour la réforme de l'enseignement secondaire : elle y fut résolue dans le sens réformiste, après la déposition d'un grand nombre de personnalités qui s'accordèrent à déplorer le peu de résultats pratiques de l'enseignement des langues vivantes tel qu'il était donné jusqu'alors presque partout, bien que de notables progrès y eussent déjà clé accomplis. Le rapporteur de la Commission, M. Isambert, fut donc amené à demander l'adoption de méthodes faisant une plus large part à l'élude de la langue parlée. La Chambre et le Sénat se prononcèrent dans le même sens en donnant pour « premier et principal objet » à l'enseignement des langues étrangères vivantes « l'acquisition effective de la langue usuelle., pour la parler et pour l'écrire ».

Conformément aux voeux du Parlement, le ministre de l'instruction publique prépara un projet de réforme de l'enseignement secondaire où les programmes de langues vivantes étaient complètement modifies. Le Conseil supérieur, consulté, approuva ces modifications, mais, sur la proposition de M. Sigwalt, réserva la liberté du maître dans le choix de ses méthodes. Cette liberté fut résolument sacrifiée dans la circulaire et les instructions du 15 novembre 1901 ; on y lisait en effet : « Au lycée et au collège, les langues vivantes ne doivent pas être enseignées comme les langues mortes. On ne doit pas en faire un instrument de culture littéraire ou une gymnastique intellectuelle. Il faut employer la méthode qui donnera le plus rapidement et le plus sûrement à l'élève la possession effective de ces langues. Celle méthode, c'est la méthode directe. » Les nouveaux programmes (arrêté du 31 mai 1902) confirmèrent ces vues. Le ministre, M. Georges Leygues, fit savoir qu'il avait lui-même désiré que la méthode directe fût la seule méthode d'enseignement en usage dans les classes, et. qu'il n'avait pas hésité à prendre les mesures un peu radicales que réclamaient, d'après lui, l'intérêt national et. l'intérêt scientifique. Pour faire connaître la nouvelle méthode, désormais officielle, et pour en diriger l'application, M. Leygues nommait en même temps deux inspecteurs généraux, MM. Firmery et Hovelaque, qui, avec M. Jost, s'efforcèrent d'amener rapidement les maîtres à l'emploi judicieux des procédés directs, aussi bien dans renseignement secondaire que dans l'enseignement primaire.

Quels sont donc ces procédés et en quoi consiste cette méthode directe qui a été mise en possession de l'enseignement des langues vivantes en 1902, c'est-à-dire au moment où on faisait, à ce dernier, dans notre organisation scolaire, une place qu'il n'avait jamais eue? — Nous emprunterons l'analyse de la méthode directe à une excellente étude de M. Simonnot (Revue pédagogique, 15 juillet 1901), qui a publié avec M. Schweitzer le premier en date des cours complets de langue allemande rédigés d'après les nouveaux principes :

« Directe, en ce qu'elle transmet les vocables à l'oreille de l'élève, sans passer par la vue préalable du mot écrit on imprimé, la nouvelle méthode justifie encore son appellation par la manière dont elle suggère le sens des mots. Elle supprime l'intermédiaire de la langue maternelle, c'est-à-dire la traduction. A cet effet, elle débute par l''intuition. Elle associe les mots à la vue des choses et des êtres, à l'intuition de leurs attributs et de leurs modifications, à la perception de leurs rapports réciproques ; enfin, elle associe les mots aux actions des êtres » (Schweitzer). Or, cette acquisition intuitive du vocabulaire comporte trois degrés ou, si l'on veut, passe par trois phases successives, qui dictent an professeur son programme.

« D'abord l'intuition est directe, c'est à dire qu'elle s'exerce sur les choses réelles que l'élève peut voir ou manier dans le milieu immédiat où nous le prenons : la classe avec son matériel ; les actes de la vie scolaire ; l'enfant lui-même, son corps et ses vêtements ; les alentours de l'école ; enfin tout ce qui tombe directement sous les sens. Il y a là une matière très riche, qui suffit amplement à une année d'études.

« Cette matière épuisée, l'intuition indirecte entre en jeu. Au lieu de percevoir les êtres dans leur réalité, nous avons recours à leur représentation figuree. à l'image. Comme on ne peut songer à promener les élèves a travers le monde, l'image permet de faire entrer dans la classe quelques scènes intéressantes de la vie du dehors. « . Toutefois, si précieuses que soient ces ressources pour I étude de la langue descriptive, l'image n'a qu'une portée assez limitée. Ne pouvant représenter qu'un acte à la fois, qui reste pour ainsi dire figé, la langue de l'action lui échappe en partie : c'est alors qu'intervient la troisième forme de l'intuition, ou intuition mentale, par laquelle l'imagination, partant d'une action figurée, se représente la série des actes successifs qui la précèdent ou la suivent immédiatement. Tous ces actes forment comme les anneaux d'une même chaîne. Dès que nous tenons le premier, les autres suivent naturellement. On sait qu'un professeur français, M. Gouin, a attaché son nom à cette forme spéciale de l'intuition. Il en a fait la base de sa méthode des séries qui a eu une grande vogue à l'étranger.

« Ainsi ces trois formes de l'intuition se complètent l'une l'autre. Employées simultanément, elles offrent un élément précieux de variété pour la pratique de la méthode intuitive.

« Excellente pour la transmission du vocabulaire concret, cette méthode devient insuffisante pour la langue abstraite. Mais là où s'arrête l'intuition commence la lecture. Certains réformateurs ont même fait de celle-ci le centre de la méthode directe. Il est plus juste, sans l'exclure au début, d'en faire le terme d'arrivée de l'enseignement des langues vivantes. C'est par la lecture qu'on achèvera de prendre possession du vocabulaire qui échappe à l'intuition. Les mots concrets déjà connus des élèves formeront l'assise solide sur laquelle repose la langue abstraite. Par un emploi habile des exemples, de la définition, de la comparaison, de l'antithèse, de l'étymologie, des familles de mots, de la paraphrase et dès synonymes. on pourra expliquer le sens de presque tous les mots nouveaux sans recourir à la traduction. Tout le temps dispensé à l'étude des langues vivantes sera ainsi consacré à des exercices faits directement dans l'idiome enseigné. Le mot étranger restera associé étroitement à l'idée qu'il exprime et, par là même, l'élève arrivera plus vile à penser dans la langue étudiée.

« Par la suppression de la traduction, la méthode directe se rapproche de la méthode maternelle. Mais hâtons-nous de dire qu'elle ne se confond pas avec cette dernière. La méthode maternelle ne repose que sur l'empirisme. L'autre, au contraire, ordonne les notions enseignées. Elle fait appel au jugement et à la raison de l'élève ; elle l'invite à réfléchir sur le mécanisme de la langue étrangère. En d'autres termes, elle prend soin de constituer un enseignement grammatical solide sans lequel elle serait indigne de figurer dans nos écoles. Les promoteurs de la réforme sont unanimes sur la nécessité de la grammaire. Seulement, ce qu'ils demandent, c'est qu'on renonce à l'enseigner d'une façon abstraite et à priori, qu'on la débarrasse des détails inutiles et qu'on la ramène à son rôle naturel, qui est de constater l'usage déjà passé à l'étal d'habitude. La méthode directe n'admet que la grammaire inductive.

« De même aussi, les partisans de la méthode directe, bien que donnant la première place à l'enseignement oral, ne repoussent pas les exercices écrits, indispensables a la consolidation des notions acquises. Mais ils choisissent de préférence ceux qui amènent l'élève à s'exprimer et à penser dans la langue étrangère : dictées sur des textes déjà expliqués ; reproduction de mémoire de morceaux lus ; transposition de ces morceaux en changeant le nombre, les personnes, le temps, en mettant un discours direct en discours indirect ; interrogation écrite ; rédaction de lettres, narrations, compositions libres, etc.

« Notons enfin que la plupart des réformateurs ne poussent pas l'intransigeance jusqu'à bannir absolument toute traduction. En ce qui concerne les exercices oraux, ils l'admettent comme moyen de contrôle ou pour l'explication d'un passage difficile, à condition de ne pas y insister. Quant aux traductions écrites, ils les réservent pour le couronnement des études et en donnant le pas à la version sur le thème, dont on a rarement besoin de faire usage dans la vie réelle.

« Telle est la méthode directe dans ses traits généraux. Ce qui ressort de cet exposé, pour tout esprit non prévenu, c'est qu'elle représente le plus grand effort qui ait jamais été tenté pour orienter l'enseignement vers une fin pratique. »

La circulaire et les instructions du 15 novembre 1901, le plan d'études du 31 mai 1902, l'arrêté du 3 août 1903, donnèrent force de loi dans les lycées et les collèges aux idées des propagateurs de la méthode directe : les chefs de l'Université affirmèrent nettement, de toutes parts et à plusieurs reprises, que la connaissance pratique des langues vivantes était le but principal de leur étude, qu'on devait donc amener les élèves à les parler, qu'on y réussirait par de nombreux exercices oraux et par l'usage aussi exclusif que possible, en classe, de la langue étrangère elle-même. — Il ne restait plus qu'à étendre à l'enseignement primaire l'application de ces principes et des programmes qu'ils avaient inspirés.

L'enseignement primaire y était, à vrai dire, préparé de longue date. Les programmes rédigés en 1893 pour les écoles primaires supérieures prescrivaient déjà que « le professeur ne devra jamais perdre de vue que les langues vivantes doivent être enseignées surtout pour être parlées. Il parlera et fera parler les élèves dans la langue qu'il enseigne. » Et une très ancienne circulaire, expédiée aux recteurs le 26 octobre 1874 pour leur demander leur avis sur l'introduction de l'enseignement des langues vivantes dans les écoles normales, semble déjà avoir été écrite sous l'inspiration et presque sous la dictée des réformateurs de 1902 : « Cet enseignement nouveau, s'il était admis, ne saurait avoir le même caractère que celui qui lui est donné dans nos établissements d'enseignement secondaire. Il serait pratique plutôt que littéraire ; il porterait sur la langue pariée plutôt que sur la langue savante ou poétique ; l'objet principal serait, non d'ajouter à la culture de l'intelligence, mais de mettre à même de comprendre un idiome étranger et de s'en servir quand on en éprouverait la nécessité. »

Ce ne fut cependant qu'à la suite de son adoption dans les lycées et collèges en 1901-1902 que la méthode directe fut officiellement prescrite dans les écoles normales primaires. Dans l'intervalle entre 1874 et 1902, les langues étrangères s'étaient installées peu à peu dans ces écoles et y avaient été enseignées d'après les méthodes alors généralement en usage, c'est-à-dire par les exercices écrits et oraux de traduction. On pouvait d'ailleurs se demander, avant d'abandonner ces exercices, dans des établissements d'une nature et d'une destination si particulières, si les raisons qui avaient motivé la réforme de l'enseignement des langues vivantes dans les lycées et les collèges avaient ici la même valeur De bons esprits, qui avaient pris l'habitude de considérer l'étude d'une langue étrangère par les futurs instituteurs comme une sorte d'équivalent, pour leur formation intellectuelle, à l'étude du latin, ne se rallièrent pas du premier coup à la conception nouvelle. M Ch. Sigwalt, professeur d'allemand à l'école normale supérieure de Saint-Cloud, se fit l'écho de leurs craintes :

« Quand on a imposé la méthode directe dans l'enseignement secondaire, on a proclamé que celle méthode eût été inapplicable avec le nombre d'heures attribué anciennement aux langues vivantes (deux à trois heures par semaine pendant six ans). Depuis, on l'a imposée dans les écoles normales où l'on dispose de ce nombre d'heures insuffisant pendant trois ans seulement. Et, en poursuivant la chimère d'apprendre à nos futurs instituteurs à parler les langues vivantes, on a sacrifié le profit certain qu'ils pourraient tirer de l'étude comparative de deux langues pour leur culture générale. » (L'Enseignement des langues vivantes, p. 252 ; Hachette, 1906.)

Il est certain que, dans les écoles normales (où les langues vivantes n'ont encore obtenu que deux heures d'enseignement par semaine), l'application de la méthode directe présente les plus grandes difficultés.

La bonne volonté des normaliens et leur âge leur permettent sans doute de gagner du temps sur les enfants qui abordent en sixième l'étude d'une langue vivante. Mais les normaliens peuvent se comparer aux élèves qui, dans les sections B et D de l'enseignement secondaire, commencent l'étude d'une deuxième langue à quinze ou seize ans. Or, bien qu'aucune composition écrite sur la deuxième langue ne soit exigée de ces derniers au baccalauréat, on leur accorde quatre heures de classe pendant les deux années qui précèdent cet examen. Les normaliens ont deux fois moins de temps pour se préparer aux épreuves de langues vivantes du brevet supérieur, — qui comportent cependant une partie écrite, et l'explication, à l'oral, de textes littéraires empruntés aux auteurs étrangers. Comment espérer qu'ils y puissent réussir tous d'une manière satisfaisante? Ceux d'entre eux qui ne sont pas passés par une école primaire supérieure risquent fort de faire de très médiocres études de langues vivantes, qu'ils seront tentés d'abandonner au seuil de leur troisième année d'école normale, c'est-à-dire dès qu'ils pourront obtenir d'en être dispensés.

Le remède à cette situation difficile n'est assurément pas de diminuer l'importance relative attribuée aux épreuves de langues vivantes à l'examen du brevet supérieur ; ces épreuves, et particulièrement la lecture et l'explication d'un texte littéraire, doivent être conservées pour que, dans les écoles normales, où il s'adresse à des élèves presque adultes et à la veille d'entrer dans la vie, l'enseignement des langues vivantes soit nettement différencié de ce qu'il est dans les petites classes des lycées. Il faut plutôt chercher ce remède dans l'adoption de méthodes appropriées à l'âge et à la culture des élèves et conduisant rapidement à la lecture et à l'intelligence des textes, dans un judicieux aménagement de l'emploi du temps (trois classes de quarante minutes par semaine seraient sans doute plus fructueuses que deux classes d'une heure) et enfin dans l'introduction d'une épreuve de langues vivantes au concours d'entrée dans les écoles normales. La dernière de ces mesures, la plus efficace assurément, paraît avoir actuellement quelques chances d'être adoptée.

Dans les écoles primaires supérieures, les programmes de 1893, antérieurs à l'essor de la méthode directe, posaient déjà en principe, comme nous l'avons vu, que « les langues vivantes étaient enseignées surtout pour être parlées », et conseillaient judicieusement aux maîtres d'exercer leurs élèves à converser en anglais ou en allemand sur des sujets simples et pratiques. Ces programmes ont été, en 1909, refondus et mis en harmonie avec les idées nouvelles.

III. Les Programmes. — ECOLES PRIMAIRES SUPERIEURES (Arrêté du 26 juillet 1909).— Langues vivantes (3 heures par semaine). — L'enseignement des langues vivantes dans les écoles primaires supérieures doit tendre à l'acquisition effective de la langue courante. La méthode à employer est la méthode inductive et directe.

La méthode est directe, en ce sens qu'elle supprime, autant que possible, l'intermédiaire de la langue maternelle, les mots et les formes étrangers étant d'abord associés à la vue d'un objet ou d'une image, à un acte réellement exécuté ou figuré, et plus tard expliqués par les termes et les formes déjà connus. La méthode est inductive en ce sens qu'elle part de la pratique et de l'exemple concret pour s'élever jusqu'à la règle abstraite. Elle ne supprime donc pas la grammaire, mais l'associe étroitement à l'enseignement du vocabulaire ; la règle, une fois induite de l'exemple, devra être rigoureusement appliquée dans de nombreux exercices. Il n'est pas, en effet, d'enseignement sérieux d'une langue vivante sans une solide base grammaticale.

Loin d'enseigner les mots isolément ou par listes, le professeur aura soin de les rattacher constamment à un acte, exécuté par l'élève ou par le personnage mis en scène. Il exigera que l'élève lui réponde par des phrases à sens complet, et jamais par des monosyllabes. Il ne négligera pas d'introduire, dès le début, l'emploi des locutions idiomatiques courantes.

Pour enseigner le vocabulaire, le maître devra recourir : aux objets de la salle de classe et des collections que possède l'école ; — aux alentours de l'école, aux objets et aux êtres qui se trouvent dans la cour ou au jardin ; — aux tableaux muraux représentant des aspects de la nature, des scènes ordinaires de la vie ; — aux travaux de l'atelier et des champs, etc. ; — au dessin sur le tableau noir.

Des exercices de phonétique d'un caractère très élémentaire sont à conseiller. On entendra par là beaucoup moins la représentation phonétique des sons que des indications simples, avec croquis au tableau noir, de la position que doivent occuper les organes vocaux pour émettre correctement un son. Ce qui fait que les élèves sont souvent impuissants à se corriger, c'est qu'ils ne se rendent pas compte de la différence qui existe entre le son correct et celui qu'ils émettent.

Le maître insistera beaucoup sur l'accent tonique et le rythme de la phrase. Dans toutes les classes. la lecture et la récitation de morceaux de prose et de poésie, d'abord extrêmement faciles, sont à recommander.

Première année.

Enseignement du vocabulaire. — L'élève à l'école et à la maison. La numération, le temps, la température.

Enseignement de la grammaire. — Le professeur s'efforcera de déterminer les connaissances indispensables à l'expression d'un jugement simple et les fera apprendre systématiquement.

Ces connaissances seront évidemment plus complexes pour l'allemand que pour les autres langues, puisque, aux difficultés communes, viennent s'ajouter celle de la déclinaison du substantif et de l'adjectif, et les complications de la construction. Il suit de là que le professeur d'allemand, plus que les autres, insistera sur la grammaire en se limitant à un vocabulaire minimum.

Deuxième année.

1. Enseignement du vocabulaire. — La ville et la campagne. — L'artisan et le fermier. — Principaux métiers de la ville. — La maison rustique. — Occupations et distractions de la campagne suivant les diverses saisons. — La nature sous ses aspects divers : la plaine, la montagne, la mer, le ciel.

2. Enseignement de la grammaire. — Etude systématique des règles essentielles particulières à chaque partie du discours. — Insister sur le verbe, les particules verbales et les prépositions.

Troisième année.

Continuation et développement du programme de 2e année.

Le professeur insistera très sommairement sur l'histoire du peuple dont il enseigne la langue, en la rattachant, autant que possible, à la lecture des scènes et anecdotes classiques.

Section commerciale (4 heures par semaine dans chaque année).

Même programme que pour l'enseignement général.

Les élèves seront en outre exercés, d'abord, à nommer les marchandises, et à indiquer en langue étrangère leur provenance, leurs transformations et leurs usages. On leur présentera ensuite les locutions et les termes spéciaux usités dans les transactions dont ces denrées font l'objet, c'est-à-dire le marché, les affaires et la maison de commerce (tenue de livres, correspondance, etc.).

C'est seulement lorsque la langue des affaires leur sera déjà connue qu'ils seront invités à l'employer dans des lettres commerciales. Venant en dernier lieu, la correspondance s'appuiera ainsi sur un fonds solide, et n'apparaîtra plus comme une aride collection de formules.

Ces éléments n'épuisent pas, tant s'en faut, la langue des affaires ; mais l'élève qui en ajoutera la connaissance à celle de la langue générale sera capable de trouver, dans un journal étranger, les renseignements qui concernent son commerce ou son industrie, et, par lettre, d'entrer en relations avec une maison étrangère. Pour tenir la correspondance étrangère d'une maison quelconque, il ne lui restera qu'à apprendre une technologie particulière ; ce sera l'affaire de quelques semaines.

ECOLES NORMALES. — (Arrêté du 4 août 1905.) — Le programme de 1889 prescrivait déjà que « les langues vivantes doivent être enseignées surtout pour être parlées ». C'est en effet la méthode directe, intuitive et orale qui doit être suivie, et non plus la méthode de traduction. Les programmes qui suivent sont entièrement inspirés par celte nouvelle méthode entendent à faire entrer l'enseignement des langues vivantes dans la voie nouvelle : orale et pratique.

1re année 2 heures par semaine

2° année 2 heures par semaine.

3° année 3 heures par semaine.

Partout où ce sera possible, une heure de conversation sera ajoutée aux doux heures de cours (soit par un répétiteur, soit par le professeur lorsque l'horaire le permettra). Les élèves de 3e année reconnus incapables de suivre avec profit le cours de langues vivantes pourront, sur leur demande écrite et après avis conforme du Conseil des professeurs, en être dispensés par le directeur.

Première année.

La langue scolaire et domestique. — Le vocabulaire enseigné par des exercices de langage sous la forme de leçons de choses graduées.

a) L'école : la description de la salle de classe et du mobilier ; les actes de la vie scolaire ; les commandements de la classe en langue étrangère ; le personnel enseignant.

Le temps : la lecture du cadran, les heures, le jour, la semaine, le mois, l'année: les fêtes de l'année.

La température : les variations atmosphériques propres à chaque saison.

Les exercices de calcul : la lecture et l'écriture des nombres ; les exercices de calcul mental et écrit sur les quatre opérations en langue étrangère ; les poids et mesures du pays ; des problèmes simples.

Le corps humain : les parties du corps : la description, les mouvements et les fonctions des principaux organes ; les cinq sens ; les soins hygiéniques . les maladies.

Le vêtement : la description, l'usage, la fabrication des étoffes ; la confection des différents vêtements.

La nourriture : les aliments, leur préparation, leur usage.

La maison et la vie de famille : la description et l'usage de l'ameublement ; les membres de la famille ; les fêtes et les deuils.

b) Lectures appropriées au vocabulaire enseigné.

c) Morceaux faciles de récitation ; chants.

d) Devoirs écrits : dictées, interrogations écrites, résumés et reproductions écrits des lectures faites.

e) Grammaire élémentaire, en langue étrangère, rattachée aux différents exercices. Elle devra faire corps avec le vocabulaire enseigné.

Deuxième année.

La ville et la campagne. La nature. — Le vocabulaire enseigné par des exercices de langage sous la forme de leçons de choses graduées.

a) La ville : La vie économique ; la rue, les véhicules, la gare, la poste ; le marché ; les magasins ; les principales professions et industries.

La vie intellectuelle : les écoles ; les institutions les arts ; la justice ; l'armée.

Le village.

Les animaux domestiques : la description de ces animaux, leur utilité, les services qu'ils rendent.

La vie rurale : les travaux de la campagne au cours des quatre saisons.

L'univers : les montagnes, les plaines, les déserts, les mers, le ciel et les astres.

b) Lectures appropriées au vocabulaire enseigné ; exercices de conversation sur les textes lus.

c) Morceaux de récitation et chants.

d) Devoirs écrits comme en première année ; puis des récits faciles, des descriptions très élémentaires, des lettres d'un genre très simple.

e) Grammaire rattachée aux différents exercices.

f) Correspondance internationale.

Troisième année.

La vie commerciale, sociale, morale et intellectuelle.

a) En troisième année, la lecture constituera la base de l'enseignement. On y rattachera les exercices oraux et écrits et les révisions de la grammaire.

Les lectures porteront de préférence sur le pays dont on étudie la langue ; la géographie élémentaire ; les moeurs ou les institutions ; les légendes et faits historiques ; biographie des grands hommes, des écrivains, des artistes et des savants.

b) Morceaux de récitation et chants : exposés oraux très courts de ce qui vient d'être récité ou char té.

c) Notions de littérature et d'histoire à propos des textes lus et des morceaux appris par coeur.

D) Devoirs écrits : comme dans les années précédentes ; de petites compositions libres ; des réponses écrites à des questions posées ; des lettres.

e) Grammaire rattachée à la lecture des textes.

f) Correspondance internationale ; lecture de journaux étrangers.

Bibliographie. — Michel BREAL, De l'enseignement des langues vivantes, Paris, 1893. — Les langues vivantes dans l'enseignement primaire (Mémoires et Documents scolaires publiés par le Musée Pédagogique, 2' série, n° 35). — MISS BREBNER, The Method of teaching Modern Languages in Germany, Londres. — F. COLLARD, La méthode directe dans l'enseignement des langues vivantes, Bruxelles, Castaigne, 1901. — J. FIRMERT, L'enseignement primaire et l'élude des langues vivantes (Revue pédagogique, 15 juillet 1901). — C. FRITEAU, Les archives de l'enseignement des langues vivantes, Paris. — G. JOST, Les boursiers de l'enseignement primaire à l'étranger (Mémoires et Documents scolaires, n° 15). — Dr HARTMANN, Die Anschauung im neusprachlichen Unterricht, Vienne, Hölzel. — Ph. KUHFF, Les langues vivantes parlées, Paris, 1886. — LAUDENBACH, P. PASSY, DELOBEL, Méthode directe dans l'enseignement des langues vivantes, Paris, Colin, 1898.— Ch. SIGWALT, De l'enseignement des langues vivantes, Paris, Hachette, 1906.— E. SIMONNOT, Comment les langues vivantes sont enseignées à l'étranger (Revue pédagogique, 15 juillet 1901).— Dr VIËTOR, Der Sprachunterricht muss umkehren, Marburg, Elwert, 1882. — Dr WALTER, Beiträge zur Methodik des neusprachlichen Unterrichtes, Marburg, Elwert, 1907. — Divers auteurs, Methods of teaching Modern Languages, Heath's Pedagogical Library, Boston, 1901.

Maurice Kuhn