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Langue maternelle

 Ecoles primaires élémentaires. — On peut dire sans exagération de la langue maternelle qu'elle est le fond même de l'enseignement à l'école primaire. Elle domine et pénètre toutes les autres études ; elle fournit par son seul objet le moyen pour chaque individu d'affirmer, de développer, de perfectionner sa personnalité. Grâce à la connaissance élémentaire, mais précise, qu'il en emporte en sortant de l'école primaire, l'élève est à même de comprendre et de goûter toutes les belles oeuvres de notre patrimoine littéraire ; il devient apte à suivre et à noter les progrès de l'esprit humain ; il peut, au contact des bons écrivains, former son jugement, affiner son goût, trouver mille moyens d'orner son esprit, d'affermir sa volonté, de rectifier son caractère, d'accroître son sens moral. Par là il devient, même s'il reste dans la sphère la plus humble, un élément de valeur pour la société, une force utile mise par l'école au service du pays.

C'est donc avec raison que la langue maternelle occupe la place la plus importante dans les programmes scolaires. L'instituteur ne se borne plus aujourd'hui à apprendre à ses élèves la lecture, l'écriture et le calcul : il doit s'efforcer de les mettre en état de comprendre ce qu'ils lisent, de connaître avec précision le sens des mots, de suivre dans un texte la liaison des idées et de pouvoir traiter dans une langue claire et correcte un sujet donné. Examinons les moyens qu'il peut mettre en oeuvre pour atteindre ce but.

Les exercices de langage. — L'enfant apprend les premiers éléments de sa langue sur les genoux de sa mère, dans le contact journalier avec le milieu familial, dans ses jeux avec les enfants de son âge. Il acquiert ainsi un vocabulaire dont l'étendue, la recherche, la correction sont en rapport avec le milieu où il vit. Très souvent ce vocabulaire enfantin présente des incorrections dont la nature varie : l'enfant aura été accoutumé, par exemple, à désigner les êtres à l'aide d'expressions enfantines, dada, toutou ; de ses relations avec ses petits camarades, dont le vocabulaire est aussi limité que le sien, il aura gardé l'habitude d'employer des termes vagues qui le dispensent de chercher le mot propre : chose, machin ; dans les grandes villes son langage naïf s'émaillera de termes empruntés à l'argot ; dans les campagnes, c'est le patois ou les expressions locales qui viendront se mêler, ou se substituer, au français, indépendamment de l'accent qui, brochant sur le tout, variera avec la région.

Le premier soin de l'instituteur doit donc être de rectifier les vices de prononciation et d'habituer l'enfant à se servir d'expressions correctes. Il s'aidera surtout, dans cette tâche, des exercices de langage que le programme officiel a sagement prescrits pour la classe enfantine. L'élève sera fréquemment invité à reproduire de vive voix une histoire racontée en classe, à raconter un fait très simple ; à nommer les parties d'un ensemble, les personnes, les animaux et les choses représentés sur une gravure ; il dira leurs formes, leurs attitudes, l'expression de leurs physionomies, employant ainsi des mots de toute espèce dans des phrases très simples.

La lecture. — A ce premier âge, l'étude de la lecture occupe naturellement une place importante ; il est bon que, même dans ce premier contact avec la langue écrite, l'enfant se rende compte que les mots expriment des idées. Aussi doit-on arriver le plus tôt possible aux exercices de lecture portant sur des phrases complètes, dont le sens sera expliqué, s'il y a lieu ; toutefois il ne faut pas oublier que les explications doivent être brèves, car ici c'est l'apprentissage mécanique de la lecture qui est l'essentiel.

A partir de la classe enfantine, la lecture devrait être envisagée à un double point de vue : lecture courante et lecture expliquée. La lecture courante est à peu près la seule qu'aient connue les écoliers d'autrefois, et, à vrai dire, son importance est très grande : il est de toute nécessité que l'élève sortant de l'école sache lire couramment et correctement, puisque la lecture sera peut-être pour lui l'unique moyen d'acquérir des connaissances. Mais on ne peut bien lire qu'à la condition de comprendre ce qu'on lit : d'où la nécessité des explications. Et alors une question d'ordre pratique se pose : comment arriver à faire lire tous les élèves d'une division nombreuse dans le temps restreint fixé par l'horaire, si l'on doit employer une partie du temps à des explications de mots et d'idées ? Nos instituteurs résolvent facilement ce problème en employant pour la lecture courante des ouvrages écrits dans une langue simple et ne renfermant que des idées facilement accessibles aux jeunes esprits. Deux sortes d'ouvrages actuellement en usage dans les classes répondent à ce but. Les uns sont des espèces de romans scolaires : le héros du livre est généralement un enfant, dont les aventures fournissent des sujets de descriptions géographiques, historiques, scientifiques ou littéraires ; en général les élèves s'intéressent beaucoup à ce genre de récits, et prennent goût à la lecture courante. D'autres ouvrages, composés sur un plan tout différent, ne leur offrent pas moins d'intérêt, car ils flattent leur curiosité et leur amour du changement : ils se composent d'une série d'historiettes ou de contes moraux, et se proposent surtout pour but l'enseignement moral et civique, la formation du caractère et du coeur.

Ce qui importe, dans l'emploi de ces ouvrages, c'est que le fond soit facilement saisi et nécessite peu d'explications. Ici encore le maître ne doit pas oublier que c'est la lecture qui est l'objet principal de la leçon et que les longues digressions ne seraient pas de mise.

Mais à mesure que l'intelligence se développe, une part de plus en plus importante doit être faite à la lecture expliquée. Celte fois il n'est pas nécessaire que le texte soit très étendu : ce sera un beau passage de prose ou de poésie dont on étudiera les mots, les idées, la composition selon l'âge et la force des élèves. Assurément c'est là l'exercice le plus relevé et le plus profitable pour la connaissance de la langue maternelle, car il met en jeu la réflexion, le raisonnement, il permet à l'élève de pénétrer la pensée d'un écrivain, d'apprécier et de critiquer les idées d'autrui et de se faire ainsi une opinion personnelle: mais il exige de la part du maître un travail de préparation très sérieux, car on n'improvise pas facilement une explication française, portât-elle sur un texte en apparence très simple. Toutefois le temps qu'on y consacrera sera d'autant mieux employé que souvent la leçon de lecture expliquée pourra servir de préparation ou de contrôle à d'autres exercices, comme l'étude de l'orthographe, l'analyse, la composition française.

La grammaire. — Il ne saurait être question à l'école primaire d'apprendre la grammaire pour elle-même : l'instituteur ne doit la considérer que comme un moyen d'établir l'orthographe exacte des formes ou des mots en accord et de construire les phrases d'une manière correcte.

Comme nous le verrons à l'article Syntaxe, des réformes récentes ont débarrassé l'enseignement grammatical d'une foule de subtilités qui ne se maintenaient que par une sorte de tradition ; mais il appartiendra encore à l'instituteur d'apporter beaucoup de simplicité et de clarté dans l'enseignement des notions indispensables. Ainsi l'étude des formes est dominée par quelques règles générales qu'il suffit de faire constater sur de nombreux exemples : formation du féminin, du pluriel des noms et des adjectifs ; accord des adjectifs avec le nom ; conjugaison ramenée à deux types : les verbes en e, les verbes en s. Il n'est pas jusqu'à l'accord des participes, qui occupait jadis tant de place dans l'enseignement grammatical, que l'on ne puisse réduire à un ou deux préceptes simples. Ainsi dégagée des subtilités que l'obscurcissaient, solidement appuyée sur quelques principes directeurs faciles à saisir, l’étude de la grammaire devient moins aride, plus concrète, plus vivante ; elle laisse dans l'esprit des traces plus profondes et produit des résultats plus durables.

L'orthographe et l'analyse. — Parmi ces résultats on doit placer au premier rang une connaissance précise et rationnelle de l'orthographe et de l'analyse.

L'orthographe était autrefois, disons même est encore la pierre de touche des bonnes études primaires. L'instituteur y consacrait tous ses soins, et la dictée était considérée comme le plus important des exercicices de langue maternelle : il revenait à tout instant dans l'horaire, et nous avons dit à l'article Dictée les défauts qu'on a pu lui reprocher. Sans doute l'acquisition d'une orthographe correcte est désirable, mais que de temps, souvent, perdu à étudier des bizarreries de formes sans intérêt ! Reconnaissons cependant que l'abus des dictées n'est pas imputable à l'instituteur seul ; beaucoup d'examens, à commencer par le certificat d'études primaires, comportent comme épreuve principale une dictée ; c'est de là que vient le mal. Toutefois il n'est pas aussi grave qu'autrefois, car depuis quelques années il est de règle d'ajouter aux épreuves d'orthographe des questions sur le sens des mots et des expressions ; modification heureuse, car elle permet de juger plus équitablement la valeur intellectuelle d'un élève, elle attire aussi l'attention du maître sur l'importance de la lecture expliquée, puisque les réponses de l'élève aux questions posées ne sont en somme que l'écho des explications dont il aura pris l'habitude à propos de la lecture commentée des textes.

Si la dictée a pu susciter de nombreuses critiques relativement à nos habitudes scolaires, nous devons avouer que l'analyse ne lui cède en rien sur ce point. Que de récriminations n'a-t-on point entendues sur ces analyses grammaticales, interminables et fastidieuses au plus haut degré, sur ces analyses logiques dont la nomenclature bizarre et changeante semblait un langage mystérieux, variable non seulement d'une école à l'autre, mais d'une classe à la classe voisine. Ici encore, que d'heures perdues à rechercher si le sujet est simple ou multiple, complexe ou incomplexe ! Nous avons exposé à l'article Grammaire les simplifications qui pourraient donner à l'analyse son véritable caractère ; nous pourrons donc nous contenter maintenant de résumer brièvement le rôle qui lui revient dans nos exercices de français. Assurément il est nécessaire de faire de l'analyse, d'une part pour reconnaître la forme des mots et pour les écrire correctement ; d'autre part pour reconnaître le sens des termes ou des propositions et les fonctions qui leur sont dévolues dans une phrase donnée. Les exercices d'analyse doivent donc avoir toujours en vue soit l'accord des mots entre eux, soit l'intelligence du texte. Tout exercice qui ne concourt pas à l'un de ces buts est formel, vide et inutile.

Le vocabulaire. — A côté de l'étude des règles grammaticales vient se placer l'étude du vocabulaire. Au moyen d'un petit nombre de règles simples, sans prétention à la science étymologique, on peut montrer les rapports de sens qui unissent les mots d'une même famille et faire connaître les procédés de dérivation ou de composition que le français emploie pour former des mots nouveaux. Nous en parlons avec plus de détails à l'article Lexicologie ; mais nous pouvons indiquer ici quelle place occupent ces exercices dans l'apprentissage de la langue maternelle. Leur importance est très grande : le seul fait d'apprendre à un enfant la signification d'un radical comme spect, struct, d'un préfixe comme ou ex, d'un suffixe comme aison ou age, ouvre à son esprit la signification précise d'une foule de mots et lui fait retirer de la lecture plus d'effet utile, car beaucoup de mots dont le sens serait demeuré vague ou obscur lui apparaissent immédiatement avec leur véritable valeur.

L'étude du vocabulaire peut se faire de deux manières : soit d'une façon occasionnelle, au cours d'une lecture expliquée, soit d'une façon méthodique, dans des exercices spéciaux ; mais toujours il est bon d'obliger l'élève à montrer qu'il a saisi le rapport de sens du mot simple aux mots dérivés ou composés : c'est la condition nécessaire pour que l'exercice soit fructueux. De même, quand l'exercice de vocabulaire porte sur les synonymes, le maître devra choisir des exemples montrant avec netteté en quoi les synonymes sont voisins par le sens et aussi en quoi ils diffèrent. L'élève pourra ainsi acquérir de précieuses notions sur la propriété des termes, condition indispensable de la précision du style.

Exercices synthétiques. — Toutes les notions de langue dont nous venons de parler reposent en grande partie sur des faits d'analyse : analyse de la forme, de la fonction et du sens des mots ou des propositions. Ce n'est donc qu'un côté de la question, car il ne suffit pas de savoir analyser sa langue : si on l'étudie, c'est avant tout pour s'en servir. Il nous reste donc à nous occuper des exercices de synthèse, qui mettent en oeuvre les éléments de langage que l'analyse a permis de dégager.

Les exercices synthétiques ont leur place marquée à tous les degrés de l'enseignement. Ils pourront être oraux ou écrits, selon les besoins, et porteront d'abord sur des choses très simples. Supposons connues les notions de nom, de sujet, de complément, il sera intéressant de faire trouver des noms répondant à des conditions données, le sujet qui convient à tel ou tel verbe, quel complément on peut ajouter à un verbe pour exprimer l'objet, le temps, le lieu. Plus tard, l'élève devra trouver des propositions de natures différentes, remplissant des conditions déterminées ; il s'exercera à remplacer un terme par un équivalent, par exemple un adjectif par une proposition relative, un nom complément par une proposition conjonctionnelle. Aux élèves plus âgés, on proposera des exercices plus compliqués : permutations entre les propositions, vers à mettre en prose, etc.

La composition française, — Ces premiers exercices servent pour ainsi dire d'adjuvant à la composition française proprement dite, qui est le couronnement des études synthétiques de langue maternelle, de même que la lecture expliquée est le couronnement des études analytiques Toutefois, nous n'entendons point dire par là qu'on ne doive y exercer que les élèves des classes supérieures. C'est une erreur pédagogique qui a pu avoir cours autrefois, mais qui ne se rencontre plus dans nos écoles publiques. L'art de la composition peut trouver à s'exercer chez les plus jeunes élèves : ce n'est qu'une question de méthode et de degré. Dès qu'on a mis l'enfant en mesure de raconter avec précision et correction, ne fût-ce qu'en une phrase, un fait qui s'est passé sous ses yeux, on a fait un exercice méritoire de composition française. Il suit de là que la forme des exercices sera variable selon la force des élèves ; mais avant tout il sera bon de veiller à ce que ces exercices soient méthodiquement gradués, sous peine d'aboutir à des échecs certains. — Voir Composition et style.

En ce qui concerne la forme, les exercices pourront être oraux ou écrits. Les exercices de langage du cours enfantin et du cours élémentaire sont déjà des exercices de composition française orale. On peut y joindre les exercices d'élocution ou d'invention imaginés à propos d'une lecture, d'un fait de la vie scolaire, de l'observation d'une gravure ou d'un objet. Ces exercices oraux sont de la plus haute importance, car ils apprennent aux enfants à observer avec méthode et précision, à passer de l'ensemble aux détails ou des détails à l'ensemble suivant une marche bien réglée, à désigner par le mot propre chaque chose, chaque qualité, chaque altitude, chaque action. Ils ont on outre l'immense avantage de permettre la correction immédiate des fautes et de faire collaborer toute la classe à la composition entreprise. On conçoit facilement combien il est nécessaire que ces exercices soient bien préparés : le maître doit s'être tracé pour chacun d'eux un plan bien clair auquel il ramènera en fin de compte tout l'exercice oral. Ce plan sera précisément celui que devrait se proposer l'élève s'il avait à traiter le sujet par écrit.

Ainsi l'usage des exercices oraux habitue l'élève à établir le plan d'une composition française, et cela de deux façons, soit que, partant d'une idée d'ensemble, il cherche les principales divisions du sujet et groupe autour de chaque division les détails qui s'y rapportent, soit au contraire que, d'une foule de détails ou d'observations de valeur diverse, il dégage les plus importantes, les ordonne convenablement et termine par une appréciation d'ensemble.

Si les exercices oraux peuvent servir de préparation aux exercices écrits, il apparaît cependant qu'ils comportent toujours une part de collaboration dont l'importance échappe dans une certaine mesure à l'instituteur. Aussi est-il de toute nécessité de leur associer de bonne heure les exercices écrits. Il va sans dire que le choix des sujets doit être fait avec plus de méthode et de prudence encore que pour les exercices oraux, car c est souvent faute d'avoir apporté dans ce choix tout le soin désirable que la composition française semble donner de médiocres résultats. A ce point de vue, de grands progrès ont été réalisés dans nos procédés d'enseignement, et au décousu des exercices d'autrefois nous voyons se substituer, d'une façon de plus en plus générale, une gradation vraiment rationnelle des sujets.

Dans les séries d'exercices écrits, la méthode doit reposer sur ce principe : observer avec soin, exprimer avec correction le résultat de l'observation. On partira naturellement de l'observation d'un objet ou d'un fait simple, pouvant s'exprimer à l'aide d'une seule proposition, et l'on compliquera peu à peu les difficultés. Voici quelques termes d'une gradation de ce genre :

Expression d'un fait simple : forme, couleur, action ;

Description d'un objet simple : une plume, un encrier ;

Description d'un objet plus compliqué : un couteau, une montre, une lampe ; Description d'un arbre, d'une fleur, d'un fruit. Faire exprimer ce que perçoit chaque sens : vue, odorat, goût, toucher, ouïe ;

Description d'un être vivant au repos, en mouvement ;

Portrait physique, portrait moral : le jardinier, l'écolier soigneux ;

Exprimer des actions : isolées, concourant à un but, comportant une appréciation morale, etc. ; Narrations : d'après images, d'après observation directe ;

Narrations d'après des récits, en modifiant les données ;

Lettres sur des événements simples, sur des sujets particuliers, etc.

Dans ces sujets, la part laissée à l'imagination, restreinte d'abord, augmente peu à peu. L'élève, habitué à observer, à noter des détails de forme, de couleur, d'expressions, à décomposer une action complexe, à percevoir par ses sens et à, trouver le terme qui exprime avec vérité ou avec originalité ce qu'il a perçu, devient apte a traiter des sujets plus relevés ; il sait maintenant manier sa langue et peut lui faire traduire avec fidélité ses réflexions ou ses sentiments.

Ainsi, par le jeu concerté de ces exercices de français, se trouve réalisé le but de l'enseignement de la langue maternelle. Désormais l'élève peut quitter l'école : il sera apte à comprendre et à goûter ce qu'il lira, apte également à exprimer avec correction, sinon avec talent, ce qu'il aura vu ou senti. Le formalisme d'autrefois a fait place à un enseignement vivant, vraiment humain, qui, développant les plus nobles facultés de l'esprit, améliore la valeur intellectuelle et morale de l'homme.

Ecoles primaires supérieures. — Les nouveaux programmes (1909) pour les écoles primaires supérieures de garçons et de filles consacrent cinq heures par semaine à l'enseignement de la langue maternelle. Sur ces cinq heures, trois sont employées à la lecture et à la récitation, une à la grammaire et aux exercices qui s'y rapportent, une à la composition française.

S'adressant à des élèves plus âgés, et choisis parmi les meilleurs, l'enseignement de la langue à l’école supérieure ne saurait avoir le même caractère qu'à l'école élémentaire. Cependant, si l'on compare les instructions qui accompagnent les programmes aux vues que nous avons exposées ci-dessus pour l'enseignement élémentaire, on constate qu'il n'y a entre elles qu'une différence de degré, non de méthode. Les programmes de l'école primaire supérieure sont comme une condensation des principes qui doivent, à notre avis, dominer l'enseignement du français dans les écoles élémentaires. Nous en trouvons la preuve dans la répartition même des cinq heures d'enseignement : l'exercice qui a la part la plus grande dans l'horaire est la lecture. La lecture comprend des exercices de deux sortes :

Explications de textes, portant sur des morceaux choisis, sur des textes courts. Le professeur est invité à insister sur le détail ; il doit habituer l'élève à comprendre ce qu'il lit et former sa diction : « On s'attachera à dégager d'un développement l'idée essentielle ; à reconnaître le sens précis des mots et à en apprécier la propriété ; à sentir dans la mesure du possible le caractère et la beauté du morceau. On ne négligera pas de replacer en quelques mots le fragment étudié dans le cadre auquel il est emprunté, ni, quand il y a lieu, de donner des renseignements sommaires sur la vie et l'oeuvre de l'auteur. »

Lectures plus longues, faites partie en classe, partie à l'étude ou dans la famille. Ces lectures tantôt littéraires, tantôt portant sur la morale, l'histoire, la géographie ou les sciences, sont destinées à éveiller la curiosité des élèves, à leur donner le goût de la lecture. Le professeur peut, par un commentaire discret, signaler les passages sur lesquels doit se porter l'attention des élèves, ou encore, à l'aide de questions, se rendre compte de l'impression produite par la lecture et du profit que l'élève en aura retiré.

L'enseignement grammatical, limité à une heure par semaine, n'est, au point de vue grammatical, qu'une vérification des connaissances acquises à l'école élémentaire, une sorte de révision, éclairée de quelques notions de grammaire historique. Les exercices lexicologiques y auront une place importante. Quant aux exercices d'analyse, ils devront surtout avoir en vue de faire distinguer avec précision les éléments de la pensée.

Dans les exercices de composition française, qui prendront en deuxième et en troisième année un caractère spécial en rapport avec la section adoptée par l'élève, le professeur devra surtout, disent les instructions, voir un moyen d'aider la pensée des élèves à se former ; il pourra ainsi connaître leur activité mentale et contrôler leur justesse d'esprit. Dans ce but, on recommande de proportionner les sujets aux facultés des élèves, de les graduer méthodiquement et de les rattacher à des lectures.

Ces exercices pourront d'abord porter sur des sujets généraux: descriptions, récits, lettres, comptes-rendus de lecture ; mais, en deuxième et en troisième année, leur importance grandira en même temps que diminuera celle des exercices spéciaux d'orthographe. Les sujets seront alors d'un ordre plus relevé ou plus difficile ; on pourra demander à l'élève le compte-rendu d'un voyage, d'une excursion, d'une visite d'usine. « On s'éfforcera de mettre en action ses facultés d'observation, d'imagination, de sensibilité. On lui enseignera à ne pas se contenter d'expressions vagues, de formules toutes faites, mais de chercher le mot et la phrase qui rendent le plus exactement sa pensée, de dégager en un mot le plus possible sa personnalité. »

En somme, au moment où l'esprit de l'adolescent se forme et où sa raison s'affermit, les programmes prennent pour base de l'enseignement du français les deux exercices éducatifs par excellence : la lecture expliquée et commentée, la composition française. On peut donc en attendre d'excellents résultats pour la culture générale des élèves de nos écoles primaires supérieures ; mais il ne faut pas se dissimuler que, dans ce cas, le succès dépendra surtout de la culture intellectuelle des professeurs tant vaudra le maître tant vaudra l'élève.

Ecoles normales primaires. — Les programmes des écoles normales primaires ont été remaniés en 1905. Les élèves qui entrent à l'école normale étant munis du brevet élémentaire, on a estimé que deux années d'études devraient suffire à la préparation du brevet supérieur, et que la troisième année pourrait être avantageusement consacrée à la préparation professionnelle des élèves-maîtres, ainsi qu'a des études personnelles capables de développer la culture intellectuelle des futurs instituteurs et institutrices et de leur donner le goût des recherches originales.

De ce chef, les programmes de langue française ont été modifiés de façon à répondre au but nouveau qu'on se proposait. Le nombre d'heures total a été conservé, mais la répartition en a été faite suivant d'autres vues. Voici la comparaison de la répartition des heures de français dans l'ancien programme et le nouveau :

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On voit par ces chiffres que le temps total consacré à la lecture expliquée est augmenté de trois heures, qui sont prises à la composition française (une heure en deuxième année) et a la grammaire (deux heures, dont une dans chaque année). La tendance que nous avons signalée à propos des écoles primaires supérieures se marque donc ici avec plus de force encore : diminuer l'importance des exercices formels et du verbalisme, augmenter l'importance des exercices qui font appel à la réflexion, au jugement. Parmi ceux-ci, les programmes de 1905 placent au premier rang la lecture expliquée.

Ces programmes étant déjà en vigueur depuis quelques années, il peut être intéressant de les comparer aux anciens programmes et de noter les avantages que présente la réforme, ainsi que les points sur lesquels il semble que certaines améliorations puissent encore être réalisées. Nous empruntons les considérations qui suivent à une étude publiée sur ce sujet dans le Volume (1907) par un professeur d'école normale, dont la compétence en cette matière nous a paru particulièrement autorisée.

PREMIERE ET DEUXIEME ANNEES. — Lecture expliquée. — Une liste d'auteurs à étudier a été fixée. Autrefois on se contentait presque toujours de faire expliquer en première année des pages empruntées à des recueils de morceaux choisis. On n'abordait guère qu'en deuxième année l'étude des auteurs imposés pour le brevet supérieur. Or il y a grand avantage à lire dès le début des oeuvres complètes : les morceaux choisis ont l'inconvénient de laisser dans l'esprit de l'élève des notions fragmentaires et souvent fausses ; en outre on ne comprend jamais à fond un texte isolé, car son véritable sens est éclairé par ce qui précède et par ce qui suit. Le nouveau programme, en imposant l'étude d'une tragédie, d'un sermon, d'un chapitre de La Bruyère, remédie à cet inconvénient. Sans doute, on n'expliquera pas en classe toute la tragédie, ni même tout le sermon, mais les élèves les auront lus, et ils seront ainsi mieux préparés à comprendre le morceau qu'on aura choisi pour une étude détaillée.

Une autre conséquence qui se dégage des instructions accompagnant les programmes de 1905, c'est que les textes ne seront plus considérés comme des matières à analyses grammaticales ou logiques. Il faudra avant tout mettre les idées en relief et, pour cela, expliquer le sens des mots et montrer leur valeur expressive.

Le commentaire des textes aura pour objet de donner aux élèves quelques notions d'histoire littéraire, et cela dès le deuxième semestre de la première année. Le cours d'histoire littéraire, qui était si malencontreusement relégué dans la troisième année, se fera petit à petit, au cours de la première et de la deuxième année, et pour ainsi dire sans qu'on s'en aperçoive. En outre, il sera fait de la seule manière raisonnable, c'est-à-dire à propos des oeuvres qu'on étudie, et au moment même où on les étudie. Enfin on ne s'attachera plus, autant que par le passé, à conter des anecdotes plus ou moins authentiques sur la vie des écrivains, sur les représentations de leurs oeuvres ; on négligera la critique dogmatique ou purement esthétique, à la façon de Nisard, pour suivre, au contraire, la méthode de Sainte-Beuve, de Villemain, de Taine ou de Brunetière : on s'efforcera d'expliquer dans quelle mesure l'oeuvre a été influencée par le milieu social et, d'autre part, quelle a été la répercussion de l'oeuvre sur l'esprit du siècle. En un mot, on n'étudiera pas seulement l'oeuvre en elle-même et pour sa beauté propre, mais aussi pour sa valeur documentaire et pour la lumière qu'elle projette sur la civilisation d'une époque.

Lectures personnelles. — Les nouvelles instructions contiennent trois recommandations relatives aux lectures personnelles :

1° Au début de l'année, le maître fera comprendre aux élèves l'utilité de la lecture pour la formation de l'esprit ;

2° Il donnera une liste des livres qui sont à la portée des élèves ;

3° Le maître « prendra à part chaque élève et causera avec lui de l'ouvrage qu'il lit, lui faisant dire ses souvenirs, ses réflexions. Le livre en main, il tâchera de lui faire comprendre telle partie dont l'élève n'a pas vu le sens et la portée ; il rapprochera les idées de l'auteur de la réalité, il essaiera d'exciter l'intérêt, d'éveiller l'imagination. C'est, comme on le voit, une sorte d'initiation, qui doit s'exercer avec suite, mais avec discrétion. »

Les deux premières recommandations sont faciles à suivre ; la troisième, qui est excellente, sera bien difficile à mettre en pratique, faute de temps, dans les écoles qui ont un contingent nombreux. Il nous semble que, dans celles des écoles normales où la difficulté est vraiment insurmontable, on pourrait continuer à demander aux élèves des comptes-rendus écrits et procéder ainsi : on donnerait aux élèves une méthode pour faire leurs résumés ; on leur demanderait, par exemple, de toujours noter l'impression que leur a produite un livre, d'en résumer les faits ou les idées, d'en dégager la conclusion et d'étudier l'art de l'auteur ; — de temps en temps on ferait faire, en classe de lecture expliquée ou de composition française, un compte-rendu oral par un élève ; — de temps en temps aussi on s'entretiendrait individuellement avec quelques-uns d'entre eux ; enfin on se contenterait d'annoter les résumés de ceux dont on n'aurait pu contrôler le travail par l'un des moyens indiqués ci-dessus.

Grammaire. — Il n'y a plus qu'une heure réservée à la grammaire, au lieu de trois heures qui se décomposaient ainsi : deux en première année et une en deuxième année.

Si l'enseignement du français à l'école normale a consisté trop longtemps dans l'enseignement presque exclusif de la grammaire, il ne faut pas pousser trop loin la réaction contre les anciens errements : on bannira la casuistique grammaticale, mais on continuera à faire apprendre les règles du langage et de l'orthographe. On les enseignera d'une façon suivie en première année seulement ; en deuxième année, on se contentera de rappeler ces règles à propos des textes que l'on étudiera.

Comme certaines règles de la grammaire sont fondées sur la raison et les autres sur l'usage, on justifiera les premières par le raisonnement et on éclairera les autres par l'histoire de la langue ; mais il faudra bien se garder de vouloir tout expliquer. « L'élude de la grammaire consistera surtout en un choix d'observations sur la langue, sur l'accord et l'arrangement des mots conformément à son génie et aux lois de l'usage. » II n'y aura plus de cours dicté de grammaire historique ; on ne s'engagera pas dans l'érudition, où l'on risquerait fort de s'enliser ; on se contentera d'expliquer comment s'entretient et s'enrichit le vocabulaire d'une langue (composition et dérivation, néologismes, doublets, synonymes, idiotismes, etc.).

En réduisant le temps consacré à la grammaire, les auteurs du programme n'ont pas voulu sacrifier cet enseignement, ils se sont inspirés de cette vérité qu'on n'apprend pas seulement sa grammaire par des exposés théoriques, mais encore et surtout par la lecture, par la récitation, par les exercices de langage, par la composition française, et, pour nos élèves-maîtres, par des exposés oraux. Ils ont voulu convaincre les maîtres et les élèves que l'enseignement de la langue n'était pas uniquement l'enseignement de l'orthographe, et qu'il était plus nécessaire de connaître le sens des mots, les lois de la construction, la vie du langage, que les formes orthographiques.

Une conséquence de la façon nouvelle de concevoir l'enseignement grammatical, c'est la disparition de la dictée. On pourrait trouver de bons arguments pour la défendre, mais il est certain qu'on en avait abusé ; que le plus souvent elle était faite d'une façon machinale et, partant, sans efficacité.

On pourra s'étonner que les analyses grammaticale et logique n'aient pas partagé le même sort. Ce sont de bons exercices qui, eux aussi, se font presque toujours d'une façon machinale et deviennent un simple étiquetage de mots et de phrases. Du moins, en les maintenant, les auteurs du programme ont pris bien soin de mettre les professeurs en garde contre les abus qu'ils pourraient entraîner : ils ne seront pas trop fréquents et se feront surtout de vive voix. Ainsi les maîtres pourront s'assurer que les élèves comprennent bien les termes qu'ils emploient et ne se livrent pas à un travail qui, par routine, devient pour eux une sorte de jeu de patience.

De l'ensemble des recommandations relatives à la grammaire, il résulte que cet enseignement perdra son caractère exclusivement formel ; il deviendra plus rationnel et plus éducatif, et, pour reprendre la phrase même des instructions, il habituera à réfléchir, à composer, à juger, et contribuera ainsi à la culture intellectuelle des élèves-maîtres.

Composition française. — Cet enseignement, auquel le nouveau programme accorde une heure pour chaque année, a pour objet de développer chez les élèves le jugement, l'attention, le goût, l'imagination ; — il peut concourir à l'éducation morale ; — enfin le futur instituteur doit s'habituer à écrire d'une manière agréable, d'un style pur, avec grâce ou avec force, afin d'apprendre plus lard à ses élèves à s'exprimer dans un langage simple et correct.

Pour que la composition française développe ces qualités, il faudra, disent les instructions, demander aux élèves de penser par eux-mêmes et d'exprimer sincèrement leurs idées ou leurs sentiments. Le meilleur moyen de les y provoquer sera de ne leur donner que des sujets simples, nettement formulés et que l'on aura trouvés soi-même, ou sur lesquels on aura réfléchi. Ces sujets seront des descriptions, des portraits, des récits de choses vues sous forme de narrations ou de lettres ; des explications de gravures ; de petits problèmes de conscience ; des discussions de proverbes. On fera également traiter quelques sujets littéraires, mais en graduant les difficultés.

Bien que les auteurs du programme aient réduit d'une heure le temps consacré à la composition française, ils n'ont pas voulu diminuer l'importance de cet exercice ; et ils ne pouvaient pas en avoir la pensée, puisque tout l'enseignement du français tend à mettre les élèves en état d'exprimer des idées clairement et correctement, soit par la parole, soit par la plume. Mais ils ont estimé que deux heures de lecture expliquée, ajoutées en deuxième année, seraient plus efficaces pour préparer à bien écrire qu'une heure spécialement réservée à la composition française et employée à des considérations théoriques sur l'art d'écrire. Aussi les cours dictés de rhétorique sont proscrits, ce dont tout le monde se félicite.

La nécessité de préparer les élèves au brevet supérieur en deux ans amènera les professeurs à faire traiter plus tôt qu'autrefois des sujets littéraires ou de petites dissertations morales : on n'en proposait guère aux élèves qu'au cours de la deuxième année : désormais il faudra le faire dès la première année. Il n'y a aucun inconvénient à cela, bien au contraire : il est des sujets littéraires fort simples qui obligent les élèves à réfléchir ; quant aux dissertations morales (et les discussions de proverbes recommandées par le programme ne sont pas autre chose que de petites dissertations), elles auront pour effet de les habituer à conduire un raisonnement.

Sans doute, on conseille de faire faire encore des descriptions, des récits, des portraits ; mais il est certain que ces exercices devront battre en retraite devant des sujets plus sérieux. Descriptions, récits et portraits ont leurs avantages, surtout au début, alors qu'il s'agit avant tout d'amener l'élève à -faire des phrases claires et correctes ; mais il y aurait, croyons-nous, de sérieux inconvénients à prolonger ces exercices. La description, pour être réussie, exige des qualités d'artiste et de poète ; le récit est déjà plus intéressant, car, si l'élève raconte un fait dont il a été l'acteur ou le témoin, il est obligé d'exprimer des sentiments, il est amené à réfléchir sur lui-même et sur les autres, ce qui est plus profitable que de démêler des sensations. Beaucoup plus profitables encore seront les dissertations littéraires et morales, car les élèves seront amenés à réfléchir et à comparer ; ils devront classer et exprimer non plus des faits, mais des idées.

En somme, en se conformant aux instructions relatives à la composition française, on pourra habituer les élèves à la sincérité, à la simplicité, à la clarté. En outre, l'application du programme permettra de développer chez eux, plus que par le passé, l'habitude de raisonner rigoureusement.

TROISIEME ANNEE. — En troisième année, le programme est tout nouveau. Les élèves, libérés du souci de préparer un examen, consacreront tout leur temps à la préparation professionnelle et à une certaine culture générale libre et désintéressée. La culture générale aura pour objet de leur donner le désir et le moyen de travailler intellectuellement lorsqu'ils auront quitté l'école normale, et de leur faire prendre le goût et l'habitude des recherches personnelles.

Les deux exercices qui doivent concourir à ce but sont la lecture expliquée (deux heures) et la composition française (une heure).

Lecture expliquée. — Les classes de lecture n'auront plus le même caractère qu'en première et en deuxième année ; les élèves y auront la parole presque tout le temps : » le professeur doit de moins en moins exposer et même interroger ; c'est l'élève qui doit parler d'une manière continue ».

Les élèves pourront choisir les textes de leurs explications dans trois séries de sujets les uns sont relatifs à la littérature moderne et contemporaine ; les autres, à la littérature ancienne et étrangère ; les derniers sont ceux qui seraient susceptibles d'être lus dans les « Lectures populaires ».

Les premiers sont vraiment intéressants parce qu'ils permettent d'étudier l'évolution des principaux genres littéraires en France. Nous sommes certain que les élèves y prendront goût et en tireront grand profit : en préparant le petit exposé, — qui doit précéder nécessairement leur lecture et dont la lecture ne sera que la confirmation, — ils peuvent être amenés à faire des recherches intéressantes, découvrir des rapprochements ingénieux et trouver des idées neuves.

Les seconds sujets n'auront probablement pas le même succès, et nous doutons fort qu'ils attirent les élèves. Les Episodes des Géorgiques, l'Alceste d'Euripide, les fragments des Guêpes pourront-ils leur procurer des émotions littéraires bien profondes? Leur fourniront-ils même des clartés bien vives sur la civilisation antique? La poésie s'évapore dans les traductions, et il est à craindre que les chants de l'Iliade et de l'Odyssée, même présentés par M. Boucher, ne leur paraissent fastidieux. Reconnaissons toutefois que l'avantage des lectures de ce genre sera de leur faire connaître les légendes de la Grèce et de Rome, qui ont si souvent inspiré les écrivains français ; mais il n'en reste pas moins vrai que ces textes anciens, qui ont perdu leur beauté littéraire en passant dans une traduction et qui transporteront nos élèves dans un monde qui leur est presque étranger, n'exerceront pas un grand attrait sur leur esprit.

Au contraire, il faut approuver sans réserve l'idée de faire chercher aux élèves, pendant qu'ils sont à l'école, des textes qu'ils pourront lire plus tard dans les « Lectures populaires ». Trop souvent on se contente d'y lire du Labiche ou des histoires puériles, alors qu'il est tant de contes, de nouvelles, d'extraits de romans ou de voyages qui pourraient émouvoir et instruire un auditoire même ignorant.

Ces lectures complèteront celles de la première série et fourniront comme elles l'occasion de faire faire aux élèves de petits travaux personnels, puisque chaque lecture devra être accompagnée d'un exposé. Ces exposés pourraient être choisis par l'élève de telle sorte qu'ils concourent tous à la préparation d'un sujet unique, d'une sorte de mémoire, qu'il composerait à loisir pendant le cours de sa troisième année et dont on pourrait lui tenir compte à son examen de fin d'études normales.

L'intervention du maître serait dans ce cas particulièrement utile : sans entraver l'initiative de l'élève, il lui indiquerait les exposés et les lectures expliquées dont il pourrait tirer parti pour la préparation de son travail écrit, il lui montrerait comment on établit une bibliographie, comment on prend des notes, à quelles conditions un exposé est clair et porte sur l'auditoire. En un mot, il tâchera de lui éviter les tâtonnements, les pertes de temps, les maladresses, mais ensuite il le livrera à lui-même pour les recherches et la composition du sujet. Pour parler pendant vingt minutes, l'élève sera obligé de travailler pendant plusieurs semaines, et il est certain qu'un pareil effort lui sera des plus profitables.

Composition française. — En troisième année, les travaux écrits de français sont de deux sortes :

1° Chaque élève devra faire, par quinzaine, une composition française du genre de celles qui se faisaient précédemment, mais pour laquelle on lui laissera le choix entre trois sujets ;

2° Il devra faire des travaux personnels de plus longue haleine sur des questions qui l'intéressent particulièrement.

Ce sont ces travaux personnels, dont le programme parle d'une façon un peu vague et qu'il semble considérer comme des compositions françaises un peu plus étendues, que nous voudrions voir transformer en un mémoire unique, où viendraient se concentrer tous les efforts de l'élève pendant sa troisième année.

Le maître devrait naturellement guider les élèves dans le choix de leur sujet de mémoire. Si on leur laissait une entière liberté, il est certain qu'ils s'engageraient, comme font les débutants, dans des questions trop vastes, dont ils ne verraient ni l'ampleur, ni les difficultés. On leur proposerait de petits problèmes d'histoire littéraire ; on leur demanderait de comparer la manière de deux ou de plusieurs écrivains qui ont traité des genres analogues: de tracer l'évolution des idées d'un auteur ; d'élucider quelques points de sa biographie à l'aide des correspondances ou des mémoires contemporains ; on pourrait même leur demander d'étudier le vocabulaire d'un écrivain qui a su se créer une langue originale. En un mot, il faudra que les sujets soient assez restreints pour qu'ils puissent être approfondis, qu'ils exigent des recherches précises et des comparaisons qui développeront le jugement.

Voici quelques-uns des sujets qui semblent susceptibles d'être traités sous cette forme : nous ne les jugeons pas tous également intéressants, tous n'offrent pas non plus l'ensemble des conditions souhaitables, mais tous offrent quelque intérêt et nous paraissent à la portée des meilleurs élèves :

Biographie critique de Boileau (d'après ses oeuvres et d'après sa correspondance) ;

Biographie critique de J.-J. Rousseau (d'après ses oeuvres et d'après sa correspondance).

Les voyages de Pierre Loti (comparer avec les au -très voyageurs littéraires) ;

Les voyages de Th. Gautier (comparer avec les autres voyageurs littéraires) ;

Comparer Cinq-Mars d'Alfred de Vigny et la Chronique du règne de Charles IX de Mérimée ;

Comparer les fables de La Fontaine et celles de Florian ;

Comparer les Lettres persanes de Montesquieu et les Lettres philosophiques de Voltaire ;

Voltaire, apôtre de la tolérance ;

Victor Hugo, apôtre de la bonté ;

P.-L. Courier : sa vie, sa correspondance, ses pamphlets, son style.

Préparation professionnelle. (Grammaire et lecture, une heure par semaine). — Dans la première demi-heure, les élèves doivent faire l'adaptation pédagogique d'une question de grammaire, tantôt aux élèves du cours élémentaire, tantôt à ceux des cours moyen et supérieur. Pour être conventionnel, l'exercice n'en est pas moins excellent.

Dans la deuxième demi-heure, les élèves-maîtres doivent faire des lectures expliquées semblables à celles qu'ils auront à faire plus tard à l'école primaire : ce sera un exercice d'adaptation du même genre que le précédent. Les élèves ont fait de nombreuses lectures expliquées en première et en deuxième année ; on leur a enseigné une méthode : maintenant, on leur demande simplement de l'adapter aux différents cours de l'école primaire ; ils s'habitueront ainsi à se mettre à la portée de leur jeune auditoire.

En somme, le nouveau programme aura des effets heureux, du moins en ce qui concerne le français, que nous examinons seul ici. Il permettra de mieux préparer les futurs instituteurs à leur tâche professionnelle, et les mettra en mesure de réussir sans trop de tâtonnements dans les oeuvres post-scolaires : lectures, conférences.

Les élèves-maîtres, qui auront travaillé presque librement, auront éprouvé tout le plaisir que procure le travail personnel, lorsqu'il est fait avec intelligence. Ils acquerront le goût et l'habitude de faire des recherches, et ceux qui conserveront ce goût et cette habitude formeront l'élite des instituteurs. Enfin, et ce serait une des conséquences les plus heureuses de la réforme, ils seront peut-être armés d'un peu d'esprit critique.

[LEON FLOT.]

Programmes. — ECOLES MATERNELLES. — Section des petits enfants (de deux à cinq ans). — Exercices de prononciation. — Exercices en vue d'augmenter le vocabulaire de l'enfant ; petits exercices de mémoire (chants, fables, récits) ; questions.

Section des enfants de cinq à six ans. — Exercices combinés de langage, de lecture préparant à l'orthographe.

1° Exercices oraux : Questions très familières ayant pour objet d'apprendre aux enfants à s'exprimer nettement ; corriger les défauts de prononciation ou d'accent local.

2° Exercices de mémoire : Récitation de très courtes poésies.

3° Exercices écrits : Premières dictées d'un mot, puis de deux ou trois, puis de très petites phrases.

4° Lectures très brèves faites par la maîtresse, écoutées et racontées par les enfants.

ECOLES PRIMAIRES ELEMENTAIRES. — Section enfantine (de cinq à sept ans). — (Même programme que celui qui figure au programme de la section des enfants de cinq à six ans dans les écoles maternelles.)

Cours élémentaire. — Notions premières, données oralement, sur le nom (le nombre, le genre), l'adjectif, le pronom, le verbe (premiers éléments de la conjugaison). — Idée de la formation du pluriel et du féminin, de l'accord de l'adjectif avec le nom, du verbe avec le sujet. Idée de la proposition simple.

1° Exercices oraux. — Questions et explications notamment au cours de la leçon de lecture, ou de la correction des devoirs. Interrogations sur le sens, l'emploi, l'orthographe des mots du texte lu. Epellation des mots difficiles. — Reproduction orale de petites phrases lues et expliquées, puis de récits ou de fragments de récits faits par le maître.

2° Exercices de mémoire. — Récitation de poésies d'un genre très simple.

3° Exercices écrits. — Dictées graduées d'orthographe usuelle et d'orthographe de règles. Petits exercices grammaticaux de forme très variée. — Quelques dictées relatives à l'alcoolisme, sa laideur, ses dangers. — Reproduction écrite (au tableau noir, sur l'ardoise, sur cahier) de quelques phrases expliquées précédemment. — Composition de petites phrases avec des éléments donnés.

4° Exercices d'analyse. — Analyse grammaticale (le plus souvent orale, quelquefois écrite). — Décomposition de la proposition en ses termes essentiels.

5° Lecture à haute voix par le maître, deux fois par semaine, d'un morceau propre à intéresser les enfants.

Cours moyen. — Grammaire élémentaire. — Les dix parties du discours. — Conjugaison. — Notions de syntaxe. — Règles générales du participe passé. — Notions sur les familles de mots, les mots dérivés et composés. — Principes de la ponctuation.

1° Exercices oraux. —Elocution et prononciation. — Interrogations grammaticales. Reproduction de récits faits de vive voix ; résumé de morceaux lus en classe.

2° Exercices de mémoire. — Récitation de fables, de petites poésies, de quelques morceaux de prose.

3° Exercices écrits. — Dictées prises, autant que possible, dans les auteurs classiques, et sans recherche des difficultés grammaticales. — Exercices d'invention, de construction de phrases ; homonymes, synonymes. — Correction mutuelle des dictées et des exercices par les élèves. — Reproduction écrite et non littérale de morceaux lus en classe ou à domicile, et de récits faits de vive voix par le maître. — Premiers exercices de rédaction sur les sujets les plus simples et les mieux connus des enfants. Prendre quelquefois pour sujet les conséquences de l'alcoolisme.

4° Exercices d'analyse. — Analyse grammaticale, surtout orale. — Analyse logique, bornée aux distinctions fondamentales.

5° Lecture à haute voix par le maître, deux fois par semaine, de morceaux empruntés aux auteurs classiques.

Cours supérieur. — Révision de la grammaire et de la syntaxe. — Etude de la proposition et des principales sortes de propositions. — Fonctions des mots dans la phrase. — Principales règles relatives à l'emploi des mots et à la concordance des temps. — Cas difficiles que présente l'orthographe de certains noms, pronoms, adjectifs, verbes irréguliers. — Notions d'étymologie usuelle et de dérivation.

1° Exercices oraux. — Suite et développement des exercices d'élocution.— Compte-rendu de lectures, de leçons, de promenades, d'expériences, etc. — Exposé de vive voix par l'élève d'un morceau historique et littéraire qu'il a été chargé de lire et d'analyser.

2° Exercices de mémoire. —• Récitation expressive de morceaux choisis, en prose et en vers, de dialogues, de scènes, empruntes aux classiques.

3° Exercices écrits. — Dictées prises dans les auteurs classiques et sans recherche des difficultés grammaticales. — Exercices sur la dérivation et la composition des mots, sur l'étymologie, sur l'application des règles les plus importantes de la syntaxe. — Rédaction sur des sujets simples ; prendre quelquefois pour sujet les dangers et les effets de l'alcoolisme. Compte-rendu de leçons et de lectures.

4° Exercices d'analyse. — Questions d'analyse grammaticale à propos de cas difficiles rencontrés dans la lecture. — Exercices oraux d'analyse logique.

5° Lectures par le maître, avec le concours des élèves, sujets littéraires, dramatiques, historiques.

ECOLES PRIMAIRES SUPERIEURES DE GARÇONS ET DE FILLES (Programmes de 1909). — Section d'enseignement général. — (Même programme pour chacune des trois années). — A. Lecture et récitation (3 heures par semaine).

1° Explication du texte ; lecture accentuée et expressive.

2° Lectures plus longues faites partie en classe, partie à l'élude ou dans la famille, librement ou sur les indications du maître.

3° (Le programme ci-dessous n'est qu'une indications très générale qui laisse au professeur la liberté de choisir lui-même les lectures qui conviennent le mieux à ses élèves :)

I. Choix d'oeuvres ou de fragments d'oeuvres des principaux prosateurs du dix-septième, du dix-huitième et du dix-neuvième siècle.

II. Morceaux choisis des grands poètes français.

III. Choix de pièces ou de fragments de pièces du théâtre français des dix-septième, dix-huitième, dix-neuvième siècle.

IV. Lectures sur la société du dix-septième et du dix-huitième siècle, tirées surtout des mémoires et des correspondances.

V. Lectures sur le dix-neuvième siècle : correspondances, mémoires historiques, souvenirs de voyages et récits d'explorations, extraits d'oeuvres scientifiques.

VI. Lecture de quelques chefs-d'oeuvre des littératures étrangères.

B. — Grammaire, orthographe, analyse et vocabulaire (1 heure par semaine).

C. — Composition française (1 heure par semaine).

Les sections spéciales, en deuxième et troisième année, ont chacune leur programme particulier. La section agricole (garçons) a 4 heures de français par semaine dans les deux années, dont 3 heures en commun avec la section générale, et l’heure spéciale à la section agricole. La section industrielle (garçons) a 3 heures de français par semaine, même programme que pour la section générale. La section commerciale (garçons) a 4 heures de français par semaine, même programme que pour la section générale. La section maritime (garçons) a 4 heures de français par semaine : les lectures et narrations doivent porter fréquemment sur des événements de mer ; en troisième année, il est fait des rédactions de rapports de mer. La section commerciale (filles) a 4 heures de français par semaine, même programme que pour la section générale. La section ménagère (filles) a 3 heures de français par semaine : même programme que la section agricole des écoles de garçons.

ECOLES NORMALES D'INSTITUTEURS ET D'INSTITUTRICES (programmes du 4 août 1905). — PREMIERE ET DEUXIEME ANNEES. — 1° Lecture et récitation (3 heures par semaine en première et en deuxième année). — Lecture à haute voix d'oeuvres classiques. Lecture expliquée des principaux morceaux ; les passages les plus importants seront appris par coeur. — Lectures personnelles indiquées par le maître ou choisies sous sa direction par l’élève.

2° Grammaire et exercices grammaticaux (1 heure par semaine, en première année seulement). — Etude raisonnée de la grammaire française, en l'éclairant de quelques notions essentielles de grammaire historique.

— Exercices, surtout oraux, d'orthographe et de vocabulaire, d'analyse grammaticale et logique.

3° Exercices de composition (1 heure par semaine dans chaque année).

Programme pour les lectures.— Première année: Lectures ayant pour objet de former le goût littéraire des élèves et de les intéresser à divers problèmes de morale. [Le programme énumère diverses oeuvres ou fragments d'oeuvres de Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Boileau, Bossuet, Pascal, La Bruyère, Mme de Sévigné, Lamartine, Victor Hugo, les moralistes des dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècle, les critiques Nisard et Sainte-Beuve.] — Deuxième année. [Le programme énumère un choix d'oeuvres et d'auteurs divisés en cinq groupes : 1° Moyen âge ; 2° Renaissance ; 3° Dix-septième siècle ; 4° Dix-huitième siècle ; 5° Révolution et Dix-neuvième siècle.] — [Les deux listes du programme n'étant données qu'à titre d'indication, nous ne les reproduisons pas in-extenso. — Les « Directions pédagogiques relatives au programme de première et de deuxième année » ont été publiées à la suite des programmes, dans les fascicules VI et VII ; elles sont identiques pour les élèves-maîtres et les élèves-maîtresses: leur étendue neuf pages — nous empêche de les reproduire ; elles ont du reste été analysées plus haut.]

TROISIEME ANNEE. — 1° Lecture expliquée (2 heures par semaine) ; 2° composition (1 heure par semaine) ; 3° grammaire (1 heure par semaine.)

Programme pour la lecture expliquée. — 1re partie. Lectures et exposés destinés à expliquer les sujets suivants : Tragédie classique et drame romantique ; — La comédie depuis Molière : Marivaux, Beaumarchais, Emile Augier ; — La transformation de l'histoire au dix-neuvième siècle : d'Augustin Thierry à Fustel de Coulanges ; — Le roman au dix-neuvième siècle : Hugo, Sand, Balzac, Flaubert, Zola, Daudet ; — Les principaux maîtres de la critique littéraire au dix-neuvième siècle : Nisard, Sainte-Beuve, Taine ; — Les grands poètes modernes : Chénier, Lamartine, Hugo, Musset, Vigny, Leconte de Lisle, Sully-Prudhomme.

2° partie. — Lecture de chefs-d'oeuvre de la littérature ancienne et étrangère : l'lliade, chants VI, XXII, XXIII, XXIV ; l'Odyssée, chants VI, XI, XXIII ; Eschyle, les Perses ; Sophocle, OEdipe roi, Philoctète ; Euripide, Iphigénie à Aulis, Alceste ; Aristophane, les Guêpes (fragments) ; Démosthène, Philippiques (la lre) ; Plutarque, deux Vies parallèles ; Platon, Apologie de Socrate, la fin du Phédon, le Criton. — Lucrèce, De la Nature des choses, Ve livre ; Virgile, les Géorgiques (épisodes), l'Enéide (chants VI et IX) : César, Guerre des Gaules (livre IV, Moeurs des Gaulois) ; Tacite, les Annales (livre VI, Mort de Tibère ; livre XVI, Néron sur le théâtre) ; — Shakespeare, Macbeth, Richard III, Hamlet ; Goethe, Iphigénie ; Schiller, Guillaume Tell ; Dante, la Divine comédie (l'Enfer, chants Ier, II, III, VII, XXVI, XXXIV) ; Cervantes, Don Quichotte (extraits).

3e partie. — Choix de lectures pour les conférences populaires.

Directions pédagogiques.

Les instructions qui ont été données relativement à l'enseignement du français dans les deux premières années s'appliquent, pour la plupart, aux exercices de troisième année. Il est nécessaire pourtant que le travail personnel des élèves augmente et que le rôle du professeur diminue et se modifie. C'est pourquoi on n'a gardé que deux classes de lecture par semaine, classes qui demanderont parfois aux élèves quatre ou cinq heures de préparation. Le professeur doit de moins en moins exposer et même interroger. C'est l'élève qui doit parler d'une manière continue, afin que le maître puisse juger de ses connaissances, de sa méthode, de la sûreté de son jugement, et lui donner des conseils efficaces. La tâche la plus délicate du professeur est tout d'abord d'encourager l'élève : il faut que celui-ci ose exprimer sa propre pensée ; il n'y a de développement, voire même de probité intellectuelle qu'à ce prix. Il faut donc encourager l'élève, s'évertuer à découvrir ce qu'il y a de bon dans sa pensée, en tirer parti, et lui montrer par quel effort il eût pu donner à son travail une valeur plus grande. Et, d'autre part, il faut apprendre à l'élève à dominer ses impressions, à éviter le parti-pris, l'étroitesse, à juger avec raison et avec goût. L'écueil des maîtres comme celui des élèves sera toujours de se trouver entre des formules apprises, des jugements tout faits, et des impressions puériles ou un vaniteux dogmatisme. Au début de l'année, le professeur fera bien de ne pas accorder plus de vingt minutes à chaque exposé ou à chaque lecture expliquée : il faut obliger l'élève à mesurer le temps pour mieux affermir et déterminer sa pensée.

Lectures littéraires. — Le programme comporte deux sortes de lectures. Les unes sont destinées à compléter la connaissance que les élèves ont déjà de la littérature française : elles les font revenir sur des oeuvres qui sont l'expression d'un mouvement historique, soit qu'elles s'expliquent par lui, soit qu'elles aient contribué à le créer. Les autres sont empruntées aux chefs-d'oeuvre des littératures anciennes et étrangères, à ceux dont Sainte-Beuve a dit « qu'on n'est point homme si on les ignore ». On n'a pas cru pouvoir priver les futurs instituteurs de lectures qui, pour être faites dans des traductions, n'en sont pas moins des sources de pure jouissance et des appels à une humanité plus complète et plus haute.

Ces deux sortes d'oeuvres n'ont pas à être étudiées de la même manière, mais elles exigent toutes deux un effort pour sortir de soi, pour se replacer dans un autre temps, dans un autre milieu, dans des conditions qui sont neuves pour nous, et c'est cet effort qui est proprement éducatif. Lorsqu'on s'aperçoit ensuite qu'on n'est pas aussi étranger qu'on l'avait pensé d'abord aux manières profondes de penser, de sentir et de vivre qu'on vient de découvrir, on s'est à la fois fortifié et enrichi. II est bon que les élèves-maîtres fassent cette double expérience. Le professeur qui les y aura aidés a bien rempli sa tâche ; peu importe la méthode qu'il a suivie : elle est bonne assurément.

Lectures populaires. — Au sujet des lectures pour les conférences populaires, on fera bien de consulter l'article de Sainte-Beuve (Causeries du lundi), la brochure de M. Bouchor, et la collection des lectures publiées par l'Association philotechnique. On verra comment il faut choisir les lectures et les présenter. Dans le cours de la troisième année, des groupes d'élèves seront exercés à faire à leurs condisciples (récréation du soir, après-midi du dimanche) de petites séances de lectures. Chaque élève de troisième année sera chargé, à tour de rôle, d'organiser ces séances, de présenter les oeuvres et de rattacher par des explications sommaires les scènes ou les parties lues. A la classe de littérature, le professeur discutera le choix, la mise en oeuvre, et dressera, avec les élèves, une liste des ouvrages, des fragments, des poésies propres aux lectures populaires.

Il serait utile que les plus grands élèves de l'école d'application et leurs familles fussent invités aux séances de lecture.

Composition française. — Il est bon que les élèves de troisième année fassent, chaque quinzaine, un exercice de composition française, mais il peut porter sur un sujet de littérature, d'histoire, de morale ou d'éducation : il sera naturellement corrigé par le professeur compétent. Il n'est pas indispensable que les élèves traitent tous le même sujet ; il est préférable de leur en proposer souvent plusieurs au choix et de les laisser libres d'en traiter un dans un temps plus ou moins long. Il suffit que chaque composition soit remise au jour fixé.

Grammaire et lecture. — Il s'agit ici d'exercices faits en vue de l'école primaire. On n'attend pas que le professeur fasse faire un cours suivi et complet de grammaire. Il n'ignore pas qu'à l'école primaire aussi, « il faut apprendre la grammaire par la langue et non la langue par la grammaire ». Le professeur choisira., dans le programme des écoles primaires, un certain nombre de sujets qu'il fera traiter par les élèves-maîtres, soit sous forme d'exposés, soit sous forme d'exercices dont ils devront justifier le choix, la préparation et la correction. On étudiera ainsi ce qui concerne : 1° les exercices de langage ; 2° les principales règles d'accord des mots entre eux ; 3° les principales règles de construction des phrases ; 4° la composition et la dérivation des mots ; 5° l'analyse grammaticale ; 6° l'analyse logique ; 7° la composition française.

Dans une deuxième partie de la classe, le professeur fera faire des lectures expliquées à l'usage de l'école primaire.

Il ne faut pas croire que cet exercice soit sans portée parce que les enfants pour qui il se fait sont absents ; il reste bien assez à dire sur le choix du morceau, sa longueur, la méthode de lecture et d'explication, les explications qu'il est utile de signaler en vue de l'auditoire auquel on s'adresserait, etc. Obliger l'élève-maître à bien lire un morceau simple et ensuite à en reproduire le sens, puis le développement, est déjà un exercice utile qui peut donner lieu à des critiques d'autant plus efficaces qu'elles sont immédiates. L'élève-maître qui sait le mieux se représenter ce que dirait un enfant ou ce qu'il devrait dire est aussi celui qui le guidera le mieux plus tard.