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Langethal

Henri Langethal, né à Erfurt le 3 septembre 1792, fut, avec Middendorff, le dévoué collaborateur de Froebel et l'un des trois fondateurs de l'institut de Keilhau. Fils aîné d'un cordonnier, il fut destiné par son père à la théologie, et suivit en conséquence les classes du gymnase de sa ville natale. En 1810, à dix-huit ans, le jeune Langethal sortit du gymnase avec la première note (primus omnium), et commença ses études théologiques à l'université d'Erfurt. En même temps, il s'occupait de l'éducation de son jeune frère Christian (né en 1806) et d'un autre enfant qui lui avait été confié ; il suivait, raconte-t-il, la méthode de lecture de Pestalozzi, et obtint avec ses deux élèves de remarquables succès. Mais les leçons des théologiens d'Erfurt lassèrent bientôt la patience de l'étudiant ; il désirait se rendre à Berlin, où enseignaient alors Neander et Schleier-macher. Grâce à l'intervention d'un ami de sa famille, ce désir put se réaliser, et Langethal arriva à Berlin au commencement de 1811. Il y était depuis deux ans, et se préparait à passer ses examens, lorsque les événements de 1813 interrompirent ses paisibles études. La jeunesse allemande, répondant à l'appel du roi de Prusse, quittait les universités pour courir aux armes. Langethal s'enrôla dans le corps des chasseurs noirs de Lützow, ainsi que son camarade Middendorff, étudiant comme lui et dont il avait fait la connaissance dans l'auditoire de Schleiermacher. Le détachement dont ils faisaient partie fut envoyé à Dresde en avril 1813 : ce fut là que les deux jeunes gens rencontrèrent Froebel, leur aîné d'une dizaine d'années, qui s'était enrôlé comme eux. Une étroite amitié les unit bientôt tous les trois. Ils firent toute la campagne ensemble, furent témoins de la mort héroïque de Körner à Gadebusch près de Wobbelin (26 août), et combattirent vaillamment à Göhrde (16 septembre) ; leur corps d'armée se trouvait à Namur au printemps de 1814, lorsqu'arriva la nouvelle de la capitulation de Paris Les volontaires furent alors licenciés ; Middendorff et Froebel regagnèrent leurs foyers ; Langethal, qui avait reçu le grade de fourrier, dut retourner à Berlin avec les cadres du corps de Lützow. Middendorff l'y rejoignit bientôt, et tous deux reprirent leurs études interrompues. Froebel aussi revint à Berlin, où il obtint le poste d'assistant au Musée minéralogique.

Au commencement de 1815, Langethal entra comme précepteur dans la famille du banquier Bendemann, tout en préparant la continuation de son examen. Nous avons raconté ailleurs comment Froebel, qui méditait de créer un institut d'éducation, avait jeté son dévolu sur les deux jeunes gens dont il voulait faire ses disciples et ses collaborateurs. Middendorff, nature aimante et poétique, se donna bientôt tout entier à l'homme qu'il vénérait comme le révélateur d'une doctrine destinée à régénérer le monde. Le caractère de Langethal était d'une trempe plus virile, son esprit réfléchi cédait moins aisément aux entraînements de l'imagination et du sentiment : aussi Froebel n'exerça-t-il jamais sur lui un empire aussi absolu que sur Middendorff. Dès ce moment, cependant, Langethal subissait à un haut degré l'influence de cet homme extraordinaire. Pendant l'été de 1815, qu'il passa dans une maison de campagne à Charlottenbourg avec ses élèves, il reçut de Froebel de fréquentes visites, dont celui-ci profitait pour lui faire part de ses vues sur l'éducation : ce fut sur le conseil de Froebel que Langethal adopta, pour son enseignement, le ' Livre des mères de Pestalozzi et Krüsi et la Formenlehre de Joseph Schmid.

L'hiver de 1815 à 1816 fut pour Langethal une des périodes les plus heureuses de sa vie. Il était rentré à Berlin, où, grâce aux relations du banquier Bendemann, il voyait la meilleure société. Parmi les maisons qu'il fréquentait se trouvait celle du conseiller militaire Kloepper, dont la femme devait plus tard devenir la compagne de Froebel. D'autre part, la jeunesse universitaire, associée par le gouvernement lui-même à la vie politique du pays depuis les événements de 1813, s'était éveillée a une activité nouvelle, et Langethal se mêlait à ce mouvement. Une Burschenschaft avait été fondée parmi les étudiants ; Langethal et Middendorff y entrèrent ; et, une fête patriotique ayant été organisée par les étudiants pour célébrer l'anniversaire du 9 février 1813 (date de la proclamation du roi de Prusse appelant aux armes le peuple allemand), ce fut Langethal qui fut choisi pour prononcer le discours officiel. Quelques semaines plus tard, les professeurs de l'université offrirent à leur tour un banquet aux étudiants : Langethal y reçut la place d'honneur à la droite du recteur Schleiermacher, et dut y prendre de nouveau la parole au nom de ses camarades.

C'est vers cette époque que Froebel fit, par l'intermédiaire de Langethal, la connaissance de celle qu'il devait épouser deux ans plus tard, Mme Kloepper, dont le mari menait une conduite irrégulière, avait demandé et obtenu son divorce, et depuis ce moment vivait dans la retraite. Langethal, qui était demeuré en relations avec elle, lui proposa un jour, pour la distraire, de lui faire visiter le Musée minéralogique ; elle accepta, et c'est ainsi qu'elle vit Froebel pour la première fois.

Lorsque revint l'été, Langethal retourna à Charlottenbourg avec ses élèves. « Peu de temps après, ra-conte-t-il, Froebel m'annonça sa résolution de quitter Berlin. Il me raconta qu'il avait donné sa démission d'assistant au Musée minéralogique, et qu'il était décidé à retourner dans son pays natal pour y faire l'éducation des enfants de son frère (mort en 1813). A partir de ce moment, il s'ouvrit à moi plus complètement et avec plus de chaleur ; il venait souvent me voir à Charlottenbourg, et souvent je l'accompagnais lorsqu'il repartait. Un jour,, nous fîmes trois fois le chemin ensemble de Charlottenbourg à Berlin, puis de Berlin à Charlottenbourg, et de nouveau de Charlottenbourg à Berlin ; nous ne pouvions plus nous séparer. Je parlais de la façon dont je comprenais l'union intime de la foi, de l'espérance et de la charité ; il m'exposait le plan de l'établissement qu'il projetait de créer, et me pressait de me joindre à lui. Quelque désir que j'en eusse, je dus pourtant lui répondre qu'avant d'avoir passé mon examen de candidat en théologie, je ne pouvais songer à aucun engagement ; car la possibilité de me dispenser de cet examen ne se présentait pas même à ma pensée. »

La veille de son départ (en octobre 1816), Froebel alla encore passer la journée à Charlottenbourg ; et le lendemain, comme Langethal, en lui faisant ses adieux, lui exprimait l'espoir de le revoir bientôt, Froebel répondit: « Cela dépendra maintenant de toi ».

Langethal avait procuré à Middendorff une place de précepteur chez le frère du banquier Bendemann, et les deux amis se trouvèrent réunis à Berlin pour y passer l'hiver de 1816 à 1817. Mais les préoccupations de l'un étaient maintenant bien différentes de celles de l'autre. Langethal ne pensait qu'à préparer ses thèses, et s'absorbait consciencieusement dans les travaux que nécessitait son examen ; Middendorff, au contraire, tout plein des rêves que Froebel avait évoqués en lui, prenait en dégoût les sévères études, et n'aspirait qu'à lier son existence à celle de l'homme dont il s'était fait le disciple enthousiaste. Au printemps de 1817, renonçant définitivement à la carrière theologique, Middendorff quitta Berlin pour aller rejoindre Froebel à Griesheim ; Langethal, qui venait d'achever se thèses, chargea son ami de prendre, en passant à Erfurt, son jeune frère Christian, pour en faire un des élèves de l'institut naissant. En juillet eut lieu l'examen de Langethal: il s'en tira avec honneur, reçut les félicitations de Neander, et aussitôt on lui offrit une place d'aumônier dans l'armée. Il refusa ce poste qui ne convenait pas à ses goûts ; il désirait se rendre à son tour auprès de Froebel, et s'occuper pendant quelques années de travaux pédagogiques, avant d'entrer définitivement dans la carrière ecclésiastique. Mais il s'était lié, depuis le départ de Middendorff, avec quelques piétistes militants, dont l'un, le baron de Kottwitz, avait pris sur lui une grande influence. M. de Kottwitz lui proposa d'entrer comme précepteur dans la famille du comte de Stollberg, grand propriétaire de Silésie ; et, après s'être recueilli dans la prière, Langethal crut obéir à la volonté céleste en acceptant cette offre. Renonçant donc à son projet d'union avec Froebel, Langethal quitta Berlin et se rendit à Keilhau (où Froebel venait de transférer son institut), non pour s'y joindre à ses deux amis, mais pour reprendre son jeune frère et l'emmener avec lui en Silésie. On sait le dénouement : lors pue Langethal eut revu Froebel, il ne put plus se détacher de lui ; et, malgré la parole donnée au comte de Stollberg, il se décida à rester à Keilhau pour se consacrer tout entier à l'oeuvre commencée, dont la grandeur lui parut digne d'un tel sacrifice. Il avait alors vingt-six ans.

A Keilhau, Langethal fut chargé de l'enseignement du chant, de l'allemand, de la lecture, de la géométrie (Formenlehre). Lorsqu'en 1820 l'institut compléta son programme par l'introduction des études classiques, ce fut lui qui donna les leçons de grec. Il était le seul des trois amis qui possédât un fond solide d'instruction, et à ce titre il était pour Froebel un collaborateur indispensable. L'indépendance du caractère de Langethal rendit parfois leurs relations un peu difficiles, car Froebel était une nature despotique et ne souffrait pas la contradiction. « Il était si pénétré de l'importance de ses idées, nous dit Langethal, que non seulement il en exigeait l'exécution littérale, mais qu'il restreignait dans le cercle le plus étroit l'activité de ses amis par sa préoccupation excessive de tout garder dans sa propre main. La moindre velléité d'action spontanée pouvait l'irriter au point qu'il restait des semaines et des mois sans parler à celui qui s'était rendu coupable de ce qu'il regardait comme une offense envers lui. J'ai toujours pensé que notre devoir était de nous attacher aux idées de Froebel en faisant complètement abstraction de sa personne, et sans nous laisser troubler par aucune parole ou aucune action injuste. J'ajouterai que la conduite de Froebel envers ses amis était en contradiction directe avec ses principes d'éducation, qui prescrivaient un respect scrupuleux de la personnalité et de l'initiative des élèves. »

Nous avons fait à l'article Froebel l'histoire de l'institut de Keilhau ; nous n'y reviendrons pas. Rappelons seulement que Langethal épousa en 1827 la fille adoptive de Mme Froebel, et que, lorsque vint la période des embarras financiers, ce fut lui surtout qui, par sa fermeté et son sang-froid, conjura le péril.

En 1831 Froebel abandonna Keilhau pour aller en Suisse essayer de fonder un nouvel établissement, d'abord au château de Wartensee, puis à Willisau. Langethal resta chargé avec Middendorff de la direction de l'institut ; mais trois ans plus tard, sur l'appel de Froebel, il alla le rejoindre à Willisau. En 1835, il le suivit à Burgdorf, où le gouvernement bernois avait mis Froebel à la tête d'un orphelinat. Lorsque Froebel quitta définitivement la Suisse en 1836 pour retourner en Allemagne, Langethal demeura seul à Burgdorf comme son successeur pendant cinq ans. En 1841, on lui offrit la direction de l'école supérieure des filles de la ville de Berne : c'était le moment où Froebel venait de créer son jardin d'enfants à Blankenburg ; il eût désiré que son ancien collaborateur revînt auprès de lui pour l'aider dans sa nouvelle entreprise : mais Langethal préféra reprendre sa liberté, et accepta le poste qui lui était offert à Berne. Froebel et Middendorff regardèrent cet acte d'indépendance de leur ami comme une désertion.

Langethal montra dans ses nouvelles fonctions tous les talents d'un véritable pédagogue, et lorsque, après dix années, l'état de sa santé et le désir de revoir son pays le déterminèrent à quitter Berne, il laissa derrière lui les plus vifs regrets. C'était en 1852, et Froebel venait de mourir. Langetbal se rendit d'abord à Keilhau, où il revit Middendorff, qui n'avait pas cessé, malgré un refroidissement passager, de lui garder son amitié ; puis il s'établit à Schleusingen pour y remplir les fonctions de pasteur. Au bout de dix ans (1862), l'affaiblissement de sa vue l'obligea à renoncer à cette nouvelle carrière. Il retourna alors à Keilhau (1863), et y vécut encore seize ans, donnant, malgré son grand âge et sa cécité presque complète, des leçons de latin, d'histoire et de religion aux élèves de l'institut. Il mourut le 21 juillet 1879, à l'âge de près de quatre-vingt-sept ans, un an après Barop (Voir Froebel), qui l'avait précédé dans la tombe le 5 août 1878.

Pendant son séjour à Berne, Langethal avait publié un volume intitulé L'Homme et son éducation (Der Mensch und seine Erziehung, 1843) ; il le compléta vingt et un ans plus tard par un second ouvrage intitulé Le Premier Enseignement scolaire (Der erste Schulunterricht, 1864). Le journal Kindergarten, édité par M. Fr. Seidel à Weimar, a publié, en 1882, des fragments autobiographiques laissés par Langethal, auxquels nous avons emprunté la substance de cette notice. Ce même journal a publié ensuite les lettres de Froebel à Langethal.

Le frère de Henri Langethal, Christian, né en 1806, fut le premier élève qui vint rejoindre à Griesheim les cinq neveux de Froebel, l'année qui suivit la fondation de l'institut créé par ce dernier. Il est mort en 1878, à Iéna. On a de lui une brochure où il a consigné ses souvenirs d'écolier, sous ce titre : Keilhau in seinen Anfängen, Iéna, 1867.

James Guillaume