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Lambert (madame de)

 Anne-Thérèse de Marguenat de Courcelles, marquise de Lambert, née à Paris en 1647, était fille d'un maître ordinaire en la Cour des comptes. Elle perdit son père de bonne heure, et sa mère épousa en secondes noces Bachaumont, qui donna tous ses soins à l'éducation de sa belle-fille. A vingt ans, Mlle de Courcelles épousa le marquis de Lambert, qui fut gouverneur du Luxembourg. Restée veuve en 1686 avec un fils et une fille, elle établit sa résidence à Paris, et sa maison devint le rendez-vous de la meilleure société : Mme de Lambert compta parmi ses amis Fénelon, Fontenelle, Saint-Aulaire, Lamotte. Elle mourut en 1733, à l'âge de quatre-vingt-six ans.

Les ouvrages de Mme de Lambert sont, en première ligne, l'Avis d'une mère à son fils et l'Avis d'une mère à sa fille. Ces deux opuscules, écrits pour ses enfants, et composés probablement dans les premières années du dix-huitième siècle, circulèrent d'abord manuscrits ; ils furent publiés sans l'aveu de l'auteur en 1728, sur des copies que des mains indiscrètes communiquèrent à un libraire. Un peu plus tard parurent divers autres petits traités : les Réflexions sur les femmes, la Lettre sur l'éducation d'une jeune demoiselle, le Traité de l'amitié, les Réflexions sur les richesses, etc. Les OEuvres de Mme de Lambert ont été réunies en deux volumes in-12. Paris, 1748, et réimprimées plusieurs fois depuis.

« Mme de Lambert, dit M. Compayré, doit compter moins parmi les femmes pédagogues que parmi les moralistes. Elle a écrit des réflexions élégantes et fines sur les vertus sociales et les convenances mondaines, plutôt qu'elle n'a composé de véritables traités d'éducation. Ses Avis à son fils sont surtout un art de réussir, à l'usage des hommes ; ses Avis à sa fille, un art de plaire, à l'adresse des femmes. Il y a cependant pour l'histoire de l'éducation quelques traits, quelques vérités à recueillir dans l'oeuvre d'une femme de sens et d'esprit, sans grande originalité peut-être, mais un des types les plus achevés de ce que les moeurs du dix-septième siècle comportaient de raisonnable et d'aimable, dans leur double caractère d'élévation morale et de sage liberté. »

C'est à Fénelon, dont elle se proclame le disciple, que Mme de Lambert emprunte la plupart de ses vues. « J'ai trouvé dans Télémaque, lui écrit-elle, les préceptes que j'ai donnés à mon fils, et dans l'Éducation des filles les conseils que j'ai donnés à la mienne. » Les préceptes que renferme l'Avis d'une mère à son fils sont relatifs, non à l'éducation proprement dite, mais à la conduite à tenir dans le monde ; l'auteur y recommande une noble ambition comme la meilleure sauvegarde de la vertu. « Rien ne convient moins à un jeune homme, dit-elle, qu'une certaine modestie qui lui fait croire qu'il n'est pas capable de grandes choses. » Dans l'Avis d'une mère à sa fille, une part est faite à la pédagogie ; la question des études qui conviennent aux femmes y est traitée. Voici comment M. Gréard résume les idées de Mme de Lambert, dans une page de son Mémoire sur l'enseignement secondaire des filles : « C'est une mère qui a éprouvé sur elle-même la vertu des conseils qu'elle donne à sa fille, et qui voudrait lui inspirer les goûts solides où, dans une vie traversée par des disgrâces de toute nature, elle a trouvé la paix de l'âme et le bonheur. Elle ne recommande point les sciences extraordinaires, elle écarte les sciences abstraites. Les connaissances utiles, c'est-à-dire celles « qui coulent dans les moeurs », voilà ce qu'elle préconise. Elle ne s'opposera donc pas à ce qu'une femme ait de l'inclination pour le latin : c'est l'idiome de l'Eglise et de l'antiquité ; mais il lui suffit qu'elle possède la langue qu'elle doit parler. Elle aime « l'histoire grecque et romaine, qui nourrit le courage par les grandes actions qu'on y voit » : elle exige qu'on sache l'histoire de France : « il n'est pas permis d'ignorer l'histoire de son pays ». En tout sujet, elle veut qu'on donne à la jeune fille « une véritable idée des choses », qu'on l'empêche de céder au préjugé, qu'on l'habitue à penser. Au premier rang parmi les études nécessaires elle range la philosophie, « surtout la nouvelle, si on en est capable ». Sa règle est que, en fait de religion, il faut céder aux autorités ; mais que, sur toute autre matière, on ne doit recevoir que celle de la raison et de l'évidence ; « c'est, à son avis, donner des bornes trop étroites à ses idées que de les enfermer dans celles d'autrui ». La philosophie, ajoute-t-elle, « met de la précision dans l'esprit, démêle les idées, apprend à parler juste ». Pénétrée du goût de l'antiquité, elle en conseille la lecture dans les traductions qui ont cours. Ne s'interdisant rien à elle-même, elle entend ne rien interdire aux autres. « La curiosité », écrit-elle avec profondeur, « est une connaissance commencée ». On sent qu'on a franchi le seuil du dix-huitième siècle.

En somme, Mme de Lambert a été l'une des femmes les plus remarquables de son époque, et l'opinion des meilleurs juges assigne à ses ouvrages un rang honorable parmi les classiques de l'éducation et de la morale.