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Laïque

Quelle est l'origine et la signification exacte de ce mot laïque, d'où la génération contemporaine a tiré le néologisme laïcité ? Test ce que nous allons essayer d'expliquer en quelques lignes.

Au moyen âge, on disait lai. Il y avait dans les couvents des frères lais, des soeurs laies : c'étaient des personnes qui, vivant dans l'enceinte d'une communauté monastique sans avoir prononcé de voeux, y remplissaient des offices de domesticité. La forme laïque est moderne. Les deux vocables, lai et laïque, sont ce qu'en grammaire historique on appelle des doublets : ce sont deux formes du même mot, l'une populaire et l'autre savante (comme le sont, par exemple, les formes frêle et fragile, raide et rigide, pâtre et pasteur, porche et portique, etc.). L'une et l'autre forme représente le latin laïcus : lai est la forme populaire qui date des premiers temps de notre langue ; laïque est la forme savante, qui n'a été employée qu'à partir du seizième siècle. Et le mot populaire reproduit plus exactement l'original latin que ne le fait le mot savant, quoi qu'il en puisse paraître à première vue. En effet, dans le mot laïque, créé à une époque où l'on avait perdu le souvenir de la prononciation du latin, l'accent tonique a été déplacé et reporté sur la terminaison ique, tandis que, dans le mot latin, il était sur la syllabe initiale la. Le mot lai, malgré 1' « effritement » dû à un long usage, malgré cette réduction à la forme monosyllabique que lui a donnée le parler populaire, est donc plus rapproché du latin que le vocable trisyllabique minutieusement calqué lettre à lettre sur laïcus.

Mais que voulait dire ce mot latin, et d'où venait-il ? On en chercherait vainement l'étymologie dans les racines propres à la langue de Rome ; c'est un mot étranger, c'est la transcription de l'adjectif grec laïkos, et celui-ci est dérivé du substantif grec laos, qui signifie « peuple », « nation ». Le véritable sens, le sens primitif et étymologique du mot lai ou laïque est donc celui de « populaire » ou « national » : ce mot fut employé dans les premières communautés chrétiennes, où l'on parlait grec (on sait que le grec est la langue des Evangiles) ; il servit à désigner ? au moment où dans ces communautés se constitua un clergé distinct du peuple et élevé au-dessus des simples fidèles ? ceux qui n'étaient pas du clergé, ceux qui formaient la masse populaire.

Une façon de mieux déterminer la valeur exacte du mot laïque, c'est de rechercher quel est son contraire, quel est le mot qui s'oppose à lui, comme par exemple civil s'oppose à militaire, ou public à privé, etc.

Le mot qui s'oppose, étymologiquement et historiquement, à laïque, de la façon la plus directe, ce n'est pas ecclésiastique, ni religieux, ni moine, ni prêtre : c'est le mot clerc.

Le mot clerc, qui aujourd'hui a reçu plusieurs acceptions assez éloignées l'une de l'autre, n'a eu à l'origine qu'une signification unique : celle de « membre du clergé ». Il a été formé du latin clericus, par « éviscération » d'abord, c'est-à-dire par l'élimination de la voyelle placée au coeur du mot, l'i, et la contraction des parties restantes, et ensuite par la chute de la désinence us. Clericus a, comme laïcus, donné des doublets : à côté du mot clerc, substantif, de formation ancienne, le français moderne a créé un adjectif, clérical, qui est une forme savante, calquée sur le patron latin ; clérical est à laïque ce que clerc est à lai.

Comme pour le mot laïque, ce n'est pas le latin qui nous fournira la racine de clerc et de clericus : il faut remonter jusqu'au grec. Le latin clericus est la transcription de l'adjectif grec klêrikos, dérivé du substantif klêros, qui a pris, dans le langage des auteurs ecclésiastiques, le sens de « clergé », mais qui signifie originairement « lot ». Ceux qui font partie du klêros, ce sont ceux qui forment le « bon lot », ceux qui ont été « mis à part », les « élus », c'est-à-dire, au début, les chrétiens par opposition aux gentils, et, plus tard, dans la société chrétienne, les prêtres par opposition à ceux qui ne l'étaient pas. La transcription latine du grec klêros est clerus, qui a passé dans l'allemand sans changer de forme et dans l'italien et l'espagnol sous la forme clero. Notre mot français clergé, dont la forme ancienne est clergie (état de celui qui est clerc), n'a pas été tiré directement du latin clerus, mais a été dérivé du français clerc.

Ces recherches étymologiques conduisent à autre chose qu'à la satisfaction d'une vaine curiosité. Les constatations que nous venons de faire portent avec elles leur enseignement. Le clergé, les clercs, c'est une fraction de la société qui se tient pour spécialement élue et mise à part, et qui pense avoir reçu la mission divine de gouverner le reste des humains ; l'esprit clérical, c'est la prétention de cette minorité à dominer la majorité au nom d'une religion. Les laïques, c'est le peuple, c'est la masse non mise à part, c'est tout le monde, les clercs exceptés, et l'esprit laïque, c'est l'ensemble des aspirations du peuple, du laos, c'est l'esprit démocratique et populaire.