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La Tour Landry (le chevalier de)

Le chevalier de La Tour-Landry vécut au quatorzième siècle, dans le château du même nom, dont on voit encore les ruines à 15 kilomètres de Nantes (canton de Loroux). D'après les savantes recherches de M. Anatole de Montaiglon, Geoffroy de La Tour-Landry dut assister, en 1346, au siège d'Aguillon, petite ville de l'Agenois ; en 1378, il envoya des hommes au siège de Cherbourg, en 1380. il prit part à la guerre de Bretagne. On ne connaît pas la date de sa mort. C'est en 1371 et 1372 qu'il composa, pour l'éducation de ses filles, le livre curieux auquel il doit sa réputation. Il nous dira lui-même, dans son Prologue, quel but il se proposait : « Je me pensay que je feroye un livret, où je escrire feroye les bonnes meurs des bonnes dames et leurs biens faiz, à la fin de y prendre bon exemple et belle contenance et bonne manière. El pour cestes causes que j'ay dessus dictes, je pensay que à mes filles que je veoye petites, je leur feroye un livret pour aprendre à roumancer, affin que elles peussent aprendre et estudier, et veoir et le bien et le mal qui passé est, pour elles garder de cellui temps qui à venir est. » L'ouvrage est intitulé : Le livre du chevalier de La Tour pour l'enseignement de ses filles. Il employa, nous dit-il, deux prêtres et deux clercs qu'il avait à extraire de la Bible, des Gestes des rois et Chroniques de France, de Grèce, d'Angleterre, etc., les exemples qu'il trouvait bons à prendre pour frapper davantage l'esprit de ses filles. Cette partie est loin d'être la plus intéressante de son livre. « Ce par quoi son livre est curieux, dit avec raison M. A. de Montaiglon c'est par les histoires contemporaines qu'il raconte ; c'est en nous montrant dans le monde, si l'on peut se servir de cette expression toute moderne, des personnages historiques et guerriers comme Boucicaut et Beaumanoir, en les faisant agir et parler ; c'est en nous entretenant des femmes et des modes de son temps. » Les chapitres les plus marquants du Livre du chevalier de La Tour-Landry sont les suivants : II, Ce que on doit faire quand on s'esveille ; — V, Ce que on doit faire quand on est levé ; — VII, Comment les femmes et les filles doivent jeûner ; — X, Comment toutes les femmes doivent être courtoises ; — XI, Comment elles se doivent contenir sans virer (tourner) la teste çà et là ; — XV, De celles qui estrivent (disputent) les unes aux autres ; — XVII, Comment nulle femme ne doit estre jalouse ; — XXIII, De Bouciquaut et des trois dames ; — XXVIII, De celles qui ne font que gengler (bavarder) à l'église ; — XXXI, D'une dame qui employoit le quart du jour pour soy appareiller ; — LXXIII, De la flatterie ; — LXXV1, Qui parle de soy pingnier (peigner) devant les gens ; — LXXIX, Qui parle de rappine ; — LXXXII, Qui parle des bonnes femmes et de leur bon gouvernement ; — XC, Qui parle de apprendre sagesce et clergie (les lettres) ; — XCII, XCIII, XCIV, XCV, Qui parlent de soustenir son seigneur, d'adoucir son ire, de querre conseil, d'une preude femme ; — CIV, Du péché d'yre (colère) ; — CX111, De la royne Jehanne de France ; — CXVI, De bonne renommée ; — CXVI11, Des anciennes coustumes ; — CXXIII, Comment on ne doit pas croyre trop légèrement ; — CXXVIII et dernier, Des trois enseignements que Cathon dist à Cathonnet son filz. « L'ouvrage du chevalier de La Tour-Landry, dit encore M. de Montaiglon, doit moins rester dans la classe des livres si nombreux écrits pour des éducations spéciales (il serait par trop loin du Discours sur l'histoire universelle et du Télémaque) qu'être joint aux livres si curieux qui sont consacrés durant tout le moyen âge à la défense ou à l'attaque des femmes. Il y tiendra sa place auprès du livre de Christine de Pisan, du Ménagier de Paris, plus piquant peut-être parce qu'il est plus varié et s'occupe de la vie matérielle, mais plus bourgeois et moins élevé de ton et d'idées. Tous ceux qui s'occuperont de l'histoire des sentiments ou de celle de l'éducation ne pourront pas ne point en tenir compte et ne pas le traiter avec la justice qu'il mérite. » Le chevalier de La Tour-Landry nous dit, dans son Prologue, qu'il avait fait deux livres, « l'un pour mes filz, l'autre pour mes filles ». Le livre « pour ses filz » est perdu.

La Bibliothèque nationale possède au moins sept manuscrits du livre du chevalier de La Tour-Landry. Le plus ancien (n° 7043 du fonds français) est du commencement du quinzième siècle. La première édition française est celle de Guillaume Eustace (Paris, 1514) ; la dernière, devenue très rare, est celle de la Bibliothèque elzévirienne (Paris, Jannet, 1854), publiée avec une intéressante préface et des notes et variantes par M. A. de Montaiglon. On connaît une traduction anglaise manuscrite remontant au règne de Henri VI (British Museum, fonds Harléien, n° 1764, 67, C1). Une autre traduction anglaise, de Caxton, le plus ancien imprimeur de l'Angleterre, parut à West minster dès 1483. On cite également plusieurs anciennes traductions allemandes de ce livre, qui a joui d'une très grande vogue au moyen âge ; la première (Bâle, 1493) est du chevalier Marquard vom Stein ; deux autres furent publiées à Augsbourg et à Bâle, en 1498 et en 1513.

Armand Gasté