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La Mothe Le Vayer

 François de La Mothe Le Vayer, né à Paris en 1588, appartenait à une famille de noblesse de robe. Après avoir fait de bonnes études, il se lia avec la plupart des savants et des lettrés de son temps, et devint en particulier l'hôte assidu du salon de Mlle de Gournay, qui en mourant lui légua sa bibliothèque. En 1625, il succéda à son père dans les fonctions de substitut du procureur général au Parlement de Paris, mais, suivant l'expression d'un biographe, « il quitta bientôt Thémis pour les Muses ». Reçu à l'Académie française en 1639, il se mit sur les rangs pour la charge de précepteur du dauphin (le futur Louis XIV) et publia à cette occasion un livre intitulé De l'instruction de Monsieur le Dauphin (1640), qu'il dédia au cardinal de Richelieu. Voici une analyse de cet ouvrage :

L'auteur discourt successivement de la religion, de la justice, des finances, de la guerre, des sciences. Sur la question religieuse, il émet des opinions modérées, ne perd pas de vue les libertés de l'Eglise gallicane, et fait preuve d'une certaine tolérance à l'égard des protestants. La justice est, dit-il, essentielle à la royauté et traditionnelle chez les rois de France. Il condamne les favoris, recommande la fermeté aux princes. En terminant, il se pose cette question, qui nous paraît étrange, qui semblait toute simple alors : Les rois sont-ils au-dessus des lois? Sa réponse est évasive : En droit, les rois sont au-dessus des ordonnances qu'ils font ; en fait, les rois de France se font gloire « de se soumettre à la raison ». Le chapitre des finances est plein d'idées justes et de bon sens. Les « partisans » (fermiers d'impôts et fournisseurs) y sont traités de « harpies des rois ». L'auteur a comme une vue lointaine de l'impôt progressif. Il ne va pas jusqu'aux projets de réforme élaborés plus tard par Vauban. Dans le chapitre des armes, La Mothe Le Vayer fait preuve de connaissances techniques assez bien exposées. Rien avant Louvois, il condamne les « passe-volants, ces soldats supposés, ruine certaine de toutes les armées ». II veut que le prince paie de sa personne sur le champ de bataille, raconte à cette occasion la mort du « grand Gustave », et conclut que « un champ de victoire est le plus beau lit d'honneur où puisse reposer un grand roi ». Des sciences, il ne veut pour son prince que « ce qui lui est propre » et ce qui peut servir « à celte grande charge du gouvernement des peuples ». Peu de grammaire, il ne faut pas « employer le sceptre à remuer du fumier ». Peu de latin, et selon que « son inclination le souffrira ». En revanche, de la rhétorique, : l'art de parler est « faculté royale » ; vérité et brièveté sont les deux qualités essentielles de l'éloquence des princes. Une logique simple et naturelle, dépouillée des « artifices et subtilités » scolastiques. Quant à l'arithmétique. « cette science convient mieux à un marchand qu'à un roi ». Il suffit au prince « d'une médiocre connaissance du jet » (calcul au moyen des jetons). Fouquet goûtera cette théorie, mais Colbert? La musique est une » discipline royale ». La géométrie est peu nécessaire aux « têtes couronnées » ; il en est de même de l'astronomie. La Mothe Le Vayer inscrit encore sur son programme la géographie, la physique, « ce code de la nature », et la morale, dont les principes sont « les Géorgiques de notre âme ». Des arts mécaniques, il exclut l'agriculture, la chirurgie, l'art des tisserands. Il admet la chasse, l'architecture et même la navigation. Large place est faite aux exercices physiques, équitation, danse, escrime, paume, natation. Le traité se termine par une dissertation en forme contre l'astrologie et les autres sciences occultes. Ce détail en dit long sur l'état des lumières en 1640.

Tel est ce livre, curieux mélange d'érudition, de philosophie, de bon sens, et aussi d'erreurs et de préjugés. Richelieu, qui en avait distingué l'auteur, le recommanda en mourant au choix de la reine-mère ; mais des intrigues de cour lui firent préférer l'abbé de Beaumont de Péréfixe. La Mothe Le Vayer fut toutefois chargé de l'éducation du duc d'Orléans, frère puîné du jeune roi. Il s'acquitta de cette mission à la satisfaction d'Anne d'Autriche, qui, revenue de ses premières préventions, voulut qu'il s'occupât aussi de son fils aîné. Louis XIV fut donc remis aux mains de La Mothe Le Vayer en 1652, et resta sous sa direction jusqu'en 1660. Le précepteur composa pour ses élèves, de 1651 à 1656, une série de sept traités intitulés : Géographie, Rhétorique, Morale, Economique, Politique, Logique et Physique du prince. Parmi les autres ouvrages qu'il publia dans la seconde moitié de sa carrière, nous citerons le traité De la vertu des païens (1642) ; un Discours pour montrer que les doutes de la philosophie sceptique sont d'un grand usage dans les sciences (1668), et un traité Du peu de certitude qu'il y a dans l'histoire, (1668). Bayle a caractérisé La Mothe Le Vayer en ces termes : « Il avait plus d'érudition et de lecture que la plupart de ses confrères de l'Académie, mais ils écrivaient presque tous plus élégamment que lui. C'était un homme d'une conduite réglée, semblable à celle des anciens sages ; un vrai philosophe dans ses moeurs, qui méprisait même les plaisirs permis, et qui aimait passionnément la vie de cabinet, et à lire et à composer des livres. Cette régularité, cette austérité, cette sagesse n'empêchèrent point qu'on ne soupçonnât qu'il n'avait aucune religion. » La Mothe Le Vayer mourut en 1672, dans sa quatre-vingt-cinquième année. Ses oeuvres complètes ont été publiées à Dresde en 14 volumes, 1756-1759.