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Jussieu père

La célèbre famille des Jussieu était très nombreuse, car son chef au dix-septième siècle, l'apothicaire Laurent de Jussieu, de Lyon, n'eut pas moins de seize enfants. Deux d'entre eux, Antoine et Bernard, furent des botanistes célèbres, ainsi que leur neveu Antoine-Laurent et son fils Adrien. Un Jussieu dont les biographes ne parlent pas vint à Paris pendant la Révolution et s'occupa d'instruction publique. Le procès-verbal du Comité d'instruction publique, qui l'appelle « Jussieu père », sans autre indication, le mentionne (1er pluviôse an II) comme auteur de « vues pour l'établissement de jeux décadaires », qui furent renvoyées au Comité de salut public. Le 25 ventôse, il lut à la Convention, qui l'admit aux honneurs de la séance, une pétition contenant « diverses vues sur l'instruction publique » ; avec sa pétition, il paraît avoir présenté le manuscrit d'un ouvrage dont il sera parlé plus loin. Il avait imaginé une « méthode très simple d'apprendre à un grand nombre d'enfants le mécanisme de la lecture et de l'écriture, et de leur communiquer les idées les plus nécessaires », et il demandait un local pour quatre ou cinq mois, afin d'y expérimenter cette méthode sous les yeux du Comité d'instruction publique ; le 29 germinal, le Comité, sur le rapport de Thomas Lindet, qui avait été chargé de conférer avec Jussieu, prit l'arrêté suivant: « Le Comité, convaincu de l'utilité de cette méthode, et de l'avantage qui résultera de l'existence d'un établissement dans lequel tous les instituteurs, ou les citoyens qui se destinent à cet état, ou ceux qui se proposent de composer des livres élémentaires, pourront consulter l'expérience, et observer les procédés de cette nouvelle méthode d'instruction, arrête que la demande du citoyen Jussieu sera renvoyée au Comité de salut public, avec invitation d'en favoriser l'exécution. » La pétition de Jussieu, enregistrée à la section de l’instruction publique du Comité de salut public le 7 messidor, fut transmise à la Commission exécutive de l'instruction publique le 27 messidor. Douze jours après, le coup d'Etat du 9 thermidor amena la désorganisation de la Commission exécutive ; aussi voit-on Jussieu revenir à la charge auprès du Comité d'instruction publique dans la séance de la 4e sans-culottide : le Comité prononça l'ajournement « jusqu'à l'ouverture des écoles normales », et cet ajournement fut indéfini.

Le 7 fructidor, Jussieu avait écrit au Comité une lettre où on lit : « Il y a dans ma famille un dépôt précieux fait par Jean-Jacques Rousseau sous ce litre : Dépôt fait à l'amitié par Jean-Jacques Rousseau pour être ouvert en 1800. Il le remit à Condillac, auteur de l'Origine des connaissances humaines. Condillac l'a laissé à la citoyenne Mably sa nièce, ma cousine germaine. Elle la remis chez un notaire à Beaugency. » Cette lettre nous donne l'adresse de « Jussieu père » ; il habitait à Paris dans un hôtel garni appelé la « maison de la Marine », rue Gaillon. Le manuscrit dont il s'agit était, ainsi que Rousseau l'a raconté lui-même, une copie des trois dialogues intitulés Rousseau juge de Jean-Jacques, celle-là même que l'auteur avait tenté, le 24 février 1776, de déposer sur le grand autel de Notre-Dame de Paris.

A une date qui ne peut être déterminée exactement, vers la fin de l'an II, Jussieu résolut de publier sa méthode pour l'enseignement élémentaire. Il existe aux Archives nationales un prospectus imprimé, intitulé Avis sur les écoles primaires, adresse aux sociétés populaires ; on y lit : «'Frères et amis, Il y a une méthode simple, par laquelle on apprend en peu de temps aux enfants. L'expérience en a démontré la bonté. Cette méthode a surtout pour objet les enfants des cultivateurs et des artisans peu riches. Il y a deux choses à leur apprendre : 1° la lecture et l'écriture ; 2° les notions générales que tout citoyen doit avoir, et une partie de celles qui sont utiles dans leur état. Par cette méthode, tout le temps qu'on mettait à apprendre à lire est gagné, parce que c'est en faisant les lettres qu'ils apprennent à les connaître ; en écrivant des mots, ils apprennent à les lire. Ces détails sont développés avec soin dans un ouvrage imprimé. Le Comité d'instruction publique dit dans son arrêté du 29 germinal que, convaincu de l'utilité de cette méthode, et de l'avantage qui en résultera, il invite le Comité de salut public d'en favoriser l'exécution. On paiera pour la souscription de cet ouvrage, intitulé Conversations du vieillard de Vichy, 10 livres pour Paris. Les souscripteurs recevront cette année deux volumes. Il y aura quatre ou cinq volumes, qui paraîtront en deux ans. » Il nous a été impossible de trouver un exemplaire des Conversations du vieillard de Vichy. Nous savons seulement que, le 5 ventôse an III, le premier volume, le seul paru à cette date, a fait l'objet d'un compte-rendu dans la Feuille villageoise de Ginguené ; on lit dans cette notice : « L'ouvrage est du citoyen Jussieu. Ces conversations ne forment que l'avant-propos d'un plus grand ouvrage. Il en a fait hommage à la Convention nationale, qui en a décrété la mention honorable et le renvoi au Comité d'instruction publique. Outre les idées morales, il contient une méthode très simple d'apprendre à lire et à écrire en même temps à un grand nombre d'enfants. » Le compte-rendu nous fait connaître le cadre et la forme de l'ouvrage : « Un vieillard [qui n'est autre que Jussieu lui-même], qui a été l'élève et l'ami de Jean-Jacques, s'est retiré à Vichy, petite ville agréable du département de l'Allier. Il allait se promener chaque jour de décade dans une commune des environs. Il y allait avec un officier municipal, honnête laboureur, bon patriote, d'un esprit droit, juste, sans culture, mais d'un coeur excellent ; et un instituteur, homme simple, sans prétentions, plus attaché aux devoirs de son état qu'instruit de son importance. » [Suit l'analyse d'une conversation entre ces trois personnages, où il est question des fêtes de l'enfance.] « Cet entretien est-il une fiction ou une réalité? Qu'importe? Le bon vieillard l'a publié avec plusieurs contes, où ses principes sont développés, et sa méthode d'éducation expliquée sous la forme de dialogue. »

Ce qui précède est tout ce qu'il nous a été possible de découvrir jusqu'à présent sur ce Jussieu révolutionnaire.

James Guillaume