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Juifs

L'histoire de l'éducation et de l'instruction primaire chez les Juifs se divise en deux périodes, qu'on pourrait appeler la période biblique et la période rabbinique. Dans la première partie de cet article, nous rechercherons comment étaient élevés les enfants israélites pendant la période biblique, aussi longtemps que l'éducation resta purement domestique, c'est-à-dire jusqu'à la destruction du premier temple, 588 avant l'ère chrétienne ; nous étudierons, dans la seconde partie, l'important mouvement pédagogique qui se développa chez les Juifs à partir d'Ezra jusqu'à la rédaction définitive du Talmud, de 458 avant Jésus-Christ à 500 après Jésus-Christ.

I. Première période : Avant la captivité de Babylone. — Chez les anciens Hébreux, la plus grande félicité consistait dans une nombreuse famille. C'est la suprême récompense que Dieu réserve au juste. «Les enfants sont un don de l'Eternel, s'écrie le poète de la Bible, le fruit des entrailles, une récompense » (Psaumes, CXXVII, 3). « La postérité du juste sera nombreuse, lit-on dans Job, et ses descendants comme l'herbe de la terre » (Job, v, 25). « La femme de l'homme de bien, dit le psalmiste, est comme une vigne fertile dans l'intérieur de sa maison ; ses enfants comme des plants d'olivier autour de sa table » (Psaumes, CXVIII, 3).

Aussi la joie est grande quand l'enfant paraît. Actions de grâces et sacrifices de reconnaissance célèbrent à l’envi cet heureux événement, gage de la bienveillance divine.

Le huitième jour de la naissance, l'enfant, si c'était un garçon, recevait le sceau de la circoncision. Par cet acte, il entrait dans la grande communauté religieuse : ce qui, chez les Hébreux, signifie la nation.

Les mères nourrissaient elles-mêmes leurs enfants, et la période d'allaitement se prolongeait souvent jusqu'à deux ou trois ans. Le jour du sevrage était un jour de fête, où tous les membres de la famille se réunissaient dans un banquet (Genèse, XXI, 8, et I Samuel, I, 24).

Dans les classes supérieures, le soin matériel des enfants était confié à des gouvernantes ou à des gouverneurs. Ces omenim, comme on les appelait, restaient ensuite toute leur vie dans la famille des enfants qu'ils avaient élevés (II Samuel, IV, 4 ; Ruth, IV, 6 ; II Rois, x, 5.)

Dans les familles ordinaires, le père partageait avec la mère les soins que ces chers petits êtres exigent dans l'âge tendre, et sa sollicitude n'était pas moins délicate. Le Deutéronome compare la tendresse de Dieu pour son peuple à celle d'un père portant son fils dans les bras (Deutér., I, 3).

Quand les enfants sont devenus plus grands, les jeunes filles, sous la direction de leur mère, se livrent aux occupations du ménage et apprennent les travaux habituels aux femmes : le tissage des étoffes, la confection des vêtements, la préparation des aliments, etc. (I Samuel, II, 19 ; II Samuel, XIII, 8 ; II Rois, IV, 18). Les garçons, de leur côté, accompagnent leur père aux champs et l'aident dans ses travaux (II Rois, IV, 18).

Les enfants apprenaient, en outre, la lecture, l’écriture, et surtout la musique et la danse, pour lesquels les Hébreux avaient le goût le plus vif (I Samuel, XVI, 18 ; Juges, XXI, 20 ; Ps., CXXXVII ; Lamentations, v, 14).

La gymnastique faisait partie de l'éducation. Selon saint Jérôme, interprétant un passage du prophète Zacharie, c'était la coutume, chez les Hébreux, de disposer en cercle, sur les places publiques, des pierres d'un très grand poids, que les jeunes gens, pour développer leurs forces, s'exerçaient à soulever à bras tendus, rectis junctisque manibus, jusqu'aux genoux, jusqu'à la poitrine ou au-dessus de la tète.

Mais là culture intellectuelle ou le développement physique ne sont que des accessoires dans l'éducation des Hébreux ; ce qui en forme la base, le principe, c'est l'enseignement moral et religieux.

Chez toutes les nations, la direction imprimée à l'éducation dépend de l'idée qu'elles se forment de l'homme parfait. Chez les Romains, c'est le soldat vaillant, dur à la fatigue, docile à la discipline: chez les Athéniens, c'est l'homme qui réunit en lui l'heureuse harmonie de la perfection morale et de la perfection physique. Chez les Hébreux, l'homme parfait, c'est l'homme pieux, vertueux, capable d'atteindre l'idéal du peuple hébreu, tracé par Dieu lui-même en ces termes : « Soyez saints comme moi, l'Eternel, je suis saint » (Lévitique, XIX, 2).

Ils mettaient la vertu au-dessus de tout. « Un esclave vertueux domine sur un fils dépravé », disaient leurs sages (Prov., XVII, 2).

Le premier devoir prescrit par la loi mosaïque est le respect dû au père et à la mère. La voix divine dicte ce commandement du haut du Sinaï : « Honore ton père et ta mère, afin que tu vives longtemps sur la terre que l'Eternel, ton Dieu, te donne » (Exode, XX, 12). On inspirait ensuite aux enfants l'amour du travail, la honte de la paresse, la répugnance pour les plaisirs malsains, la bonté envers les pauvres et les malheureux, et surtout la crainte de Dieu, commencement de toute sagesse. Le père et la mère cherchaient à leur inculquer ces sentiments, soit par des instructions directes, comme celles qu'adresse à son fils la mère de Lemuël (Prov., XXXI), soit par des sentences empruntées aux sages, soit sous forme des masals, c'est-à-dire de paraboles et d'énigmes. La bienveillance, la douceur présidaient à ces leçons, qui étaient données dès la plus tendre enfance. Car, selon le précepte de la Bible, « il faut diriger l'enfant, dès les premiers pas, dans la voie où il doit marcher devenu homme » (Prov, XXII, 6).

Si l'enfant se montre rebelle aux leçons de ses parents et prouve, par sa conduite, qu'elles n'ont fait aucune impression sur son âme, on ne craint pas d'avoir recours aux châtiments corporels pour le ramener dans la bonne voie. « Qui épargne la verge, hait son fils, disent les sages ; qui l'aime, lui administre la correction » (Prov., XIII, 24). Et plus loin : « N'épargne pas le châtiment à ton enfant ; si tu lui donnes la verge, il n'en mourra pas, et tu arracheras son âme à la perdition » (Prov., XXIII, 13, 14).

Il était cependant défendu de pousser la rigueur jusqu'à causer, par des coups, la mort de l'enfant ; « Châtie ton fils tant qu'il y a espoir, mais ne te laisse pas aller jusqu'à le tuer » (Prov., XIX, 18).

Le père, en effet, n'avait pas sur celui ci droit de vie et de mort. Lorsque conseils, remontrances, châtiments, étaient restés infructueux, et que l'enfant, par des vices précoces, menaçait de devenir un nomme pervers, c'est devant le juge que le père et la mère doivent le traduire. « Quand un homme aura un fils méchant et rebelle, n'obéissant pas à la voix de son père, ni à la voix de sa mère, et qu'ils l'auront châtié et que, nonobstant cela, il ne les écoutera pas, son père et sa mère s'en saisiront et le traîneront vers les anciens de la ville et ils leur diront: « Notre fils, que voici, est indocile et rebelle, il n'obéit point à notre voix, il est dissolu et ivrogne ». Et tous les gens de la ville le lapideront, et ainsi tu ôteras le mal du milieu de toi. » (Deutér., XXI, 18-21.)

Le Talmud prétend que cette loi draconienne ne fut jamais appliquée. Cela peut être. Il n'en est pas moins vrai que le législateur de la bible considérait comme méritant d'être retranché de la société l'enfant d'une nature vicieuse et incorrigible.

La difformité physique n'est pas un crime aux yeux de l'Hébreu, et l'on ne voit pas chez lui ces abominables expositions d'enfants qui déshonorèrent tant de peuples de l'antiquité. Mais ce dont il a horreur, ce qu'il punit avec la dernière rigueur, c'est la difformité morale qui empêche l'enfant de devenir un homme honnête et pieux.

Le premier but de l'éducation hébraïque était donc de faire des hommes craignant Dieu et observant ses commandements ; le second était de faire des citoyens. Nulle part l'éducation nationale n'était mieux réglée. j'appelle éducation nationale celle qui a pour but d'imprégner tous les enfants d'une même patrie d'un esprit commun, qui en forme un peuple distinct de tout autre par le caractère, les moeurs et le sentiment, et en fait, pour ainsi dire, une communauté à part dans la société du genre humain.

L'histoire nationale, et surtout le grand fait de la délivrance de l'esclavage d'Egypte, témoignage le plus éclatant du choix que Dieu avait fait des Hébreux pour être les apôtres de sa loi, devaient être de même enseignés aux enfants, non pas d'une manière froide et dogmatique, mais par l'action, par la vie.

L'anniversaire de la sortie d'Egypte se célébrait par de grandes fêtes religieuses. La veille de la fête, chaque famille immolait un agneau, âgé d'un an et sans défaut. La victime, appelée l'agneau pascal, rôtie tout entière sur le feu, était consommée le soir même avec des pains azymes et des herbes amères. Cette cérémonie extraordinaire était bien faite pour exciter la curiosité de l'enfant. Le père avait l'obligation de satisfaire à ce sentiment, en racontant à son fils les circonstances qui ont accompagné le mémorable événement, sujet de la fête. « Quand vous serez entrés dans le pays que l'Eternel vous donnera, vous observerez ce rite, et si vos enfants vous demandent ce qu'il signifie, vous direz : « C'est le sacrifice de la Pâque à l'Eternel, qui a passé par-dessus les maisons des enfants d'Israël lorsqu'il frappa l'Egypte et qu'il préserva nos demeures ». (Exode, XII, 25-28.) Si l'enfant est trop jeune pour prêter son attention aux cérémonies pascales, il est du devoir du père de provoquer ses questions (Talmud de Jérusalem, Peçachim, x, 4).

C'est l'application du principe pédagogique que toutes les méthodes modernes cherchent à répandre, à savoir qu'on cultive les facultés intellectuelles des enfants en favorisant l'observation directe et en provoquant la réflexion personnelle.

Pendant toute la période biblique, nous ne trouvons point de traces d'écoles publiques, au moins pour les enfants. Quant aux adolescents, certaines interprétations de textes permettraient d'établir qu'il existait des institutions dans lesquelles ils pouvaient développer l'instruction élémentaire reçue au sein de la famille.

Ainsi, d'après Munk, le savant orientaliste, on peut conclure, d'un passage du livre des Proverbes, qu'Ezéchias créa une société d'hommes lettrés avec la mission de recueillir et de mettre en ordre d'anciens monuments littéraires. Les jeunes gens avides d'une instruction supérieure y étaient admis et venaient s'y livrer à l'étude de la poésie, de la philosophie et de l'éloquence.

La légende talmudique va jusqu'à prétendre que ce roi de Juda, après avoir fondé des écoles, employa des moyens coercitifs pour obliger ses sujets à les fréquenter. Au-dessus de la porte de chaque école, il aurait fait suspendre une épée, avec une inscription menaçant de la peine capitale tous ceux qui négligeraient l'étude de la Loi.

L'Ecclésiaste (XII, 11) parle de « maîtres de réunions », et des commentateurs autorisés disent qu'il faut entendre, par là, des assemblées qui, dès la plus haute antiquité, avaient pour objet l'étude de la philosophie. Nul doute que les jeunes gens n'y fussent admis, puisque l'écrivain biblique cherche précisément à les prémunir entre l'enseignement probablement trop peu orthodoxe qu'on y donnait. « Du reste, mon fils, dit-il, sois sur les gardes ; il se fait des livres à n'en pas finir, et trop d'études fatigue le corps » (Ecclésiaste, XII, 12).

Lorsque, sous le règne de Josias, le grand-prêtre Hilkia trouva un exemplaire du Livre de la Loi, on alla consulter la prophétesse Houldah, qui demeurait à Jérusalem, dans la Mischné. Quelques commentateurs traduisent ce mot par seconde enceinte ; mais d'autres, parmi lesquels Raschi et Kimchi, soutiennent qu'il est question d'une école où s'enseignaient les pures traditions mosaïques.

Toutes ces interprétations reposent, sur des bases plus ou moins justes ; mais, en admettant même leur exactitude, on en pourrait conclure, tout au plus, qu'il y avait quelques centres d'instruction où l'on étudiait la philosophie et l'histoire. Il n'en est pas moins acquis que, pendant la période biblique, l'enseignement élémentaire ne cessa pas d'être complètement domestique. Ce n'est qu'après le retour de la captivité, dans la période talmudique, que nous allons voir l'instruction primaire s'établir, se répandre, avec une organisation et des méthodes qui ne sont pas indignes de fixer encore aujourd'hui l'attention.

II. Deuxième période : Depuis la captivité de Babylone. — Pendant les soixante-dix ans de captivité sur les bords de l'Euphrate, un changement profond s'opère dans l'esprit du peuple hébreu, ou plutôt, comme nous l'appellerons désormais, de la nation juive. Le prophétisme s'éteint. Le prêtre a perdu toute autorité. L'homme important désormais, l'homme qui est écouté et obéi avec respect, c'est le Sopher, l'écrivain, l'homme du livre, le savant, qui connaît les recueils des ancêtres et sait enseigner les purs principes monothéistes, dont l'abandon avait attiré à la nation de si cruelles épreuves.

« Lisez-nous le livre de la doctrine de Moïse » (Néhémie, VIII, 1), s'écrie le peuple à l'arrivée d'Ezra. On veut savoir, on veut apprendre. Tout le monde sent qu'il n'y a plus de salut que dans l'instruction.

On n'arriva cependant pas tout d'un coup à une organisation rationnelle de l'instruction, à celle qui a pour base l'enseignement primaire public.

Malgré les accidents qui peuvent changer brusquement la constitution d'un peuple, la conception qu'il a des choses ne se développe que lentement, régulièrement. Le progrès n'est pas une force qui agit par secousse, c'est une évolution logique, graduée, où l'idée d'aujourd'hui se rattache à celle d'hier, comme celle-ci à un passé plus éloigné.

L'enseignement domestique, patriarcal des anciens temps n'était plus possible, car la plupart des Juifs ne savaient ni lire, ni écrire l'hébreu (Néhémie, XIII, 24 ; Voir Renan, Histoire des langues sémitiques, p. 146). Mais de l'enseignement public, on n'avait d'autre notion que celle des grandes réunions septennales de la fête des Cabanes (Deutér,, XXXI, 10-42). Or, c'est précisément de cet usage que l'on partit pour fonder le nouvel état de choses.

Dès les premiers jours du retour de la captivité, Ezra fit, pendant les fêtes, devant le peuple réuni, des lectures tirées des livres de Moïse, que des Sopherim et des Lévites expliquaient clairement et avec indication du sens (Néhémie, VIII, 8 et 9). Il en institua de semblables pour les après-midi des samedis, de même que pour les lundis et les jeudis, jours où, à cause du marché, les gens de la campagne affluaient à Jérusalem (Néhémie, VIII, 17). L'usage de ces lectures s'est conservé, dans les synagogues, jusqu'à nos jours.

Les successeurs d'Ezra, les hommes de la Grande Synagogue (458-332 avant J.-C), firent un pas de plus. Ils comprirent que les lectures des lundis et des jeudis né pouvaient suffire, qu'en dehors de Jérusalem et de la Judée il y avait de trop nombreuses communautés plongées dans l'ignorance. Ils agirent donc par l'exemple, par la prédication, pour que, dans les grands centres, il fût fondé des écoles pour l'enseignement des choses religieuses, de la littérature et des lois nationales. « Faites de nombreux élèves, » répétaient-ils constamment (Pirké Aboth, I, 1). Ils recommandaient de témoigner les plus grands égards aux gens instruits. « Que ta maison, disaient-ils, soit un lieu de rendez-vous pour les sages ; ne dédaigne pas la poussière de leurs pieds et recueille leurs paroles avec avidité » (Pirké Aboth, I, 4).

Ils eurent le tort cependant de laisser l'instruction des enfants à la discrétion des parents. Aussi qu'arriva t-il? Un siècle s'est à peine écoulé depuis l'activité salutaire des hommes de la Grande Synagogue, et voici le spectacle que nous présente la société juive : tandis qu'en haut florissait une culture intellectuelle telle que la Judée n'en a jamais connu de plus grande ; que, franchissant les limites assignées jusqu'alors à l'instruction, les classes supérieures ajoutaient à l'étude de leurs livres celle de la science grecque et la portaient au point de mériter, dit-on, l'éloge d'Aristote lui-même (Josèphe, Réponse à Apion, VIII), en bas, dans les masses, il n'y a plus qu'ignorance et superstition.

Le Talmud, parlant de l'époque des Séleucides (322-167), s'exprime en ces termes : « Le père qui, autrefois, était préposé à l'éducation de son fils, l'abandonnait comme une terre inculte, le laissant sans aucune espèce d'instruction ; les orphelins étaient encore plus à plaindre, personne ne songeait à eux ».

Les choses restèrent en cet état jusqu'à la mort d'Alexandre Janée (104 avant J. C.) .c'est-à-dire pendant la période la plus remarquable du développement philosophique chez les Juifs, celle précisément où se formèrent les trois grandes sectes des Pharisiens, des Sadducéens et des Esséniens.

Enfin, un Pharisien, Siméon ben Schatach, chef du Sanhédrin et frère de la reine Salomé-Alexandra, sentant bien que c'est sur l'éducation populaire que repose la force d'une nation, porta son attention de ce côté. Il institua à Jérusalem une école pour les enfants, ou, selon son expression, une Maison du livre, Beth hassepher.

Ce ne fut encore là qu'une réforme bien incomplète et qui fut loin de donner les résultats espérés. Peu de parents envoyèrent leurs enfants, prétextant avec raison la distance qui les séparait de Jérusalem ; d'un autre côté, les orphelins de la province restaient toujours privés d'instruction.

Les rabbins ordonnèrent alors, par une nouvelle loi, la création d'écoles élémentaires dans chaque hyparchie, pour les enfants de seize à dix-sept ans. Mais il arriva que les élèves déjà grands quittaient l'école à la moindre contrariété ; de plus, les enfants des petites villes lestaient comme auparavant sans moyen de s'instruire.

Le danger était grand cependant. La ruine définitive de la nationalité juive approchait à grands pas. Encore quelques jours, et tout était perdu. Alors, de même que, dans une demeure dévorée par l'incendie, chacun, après avoir lutté jusqu'au dernier moment contre la flamme furieuse, cherche à sauver ce qu'il a de plus précieux, ainsi les Juifs, après avoir opposé aux Romains la résistance la plus opiniâtre que l’histoire ait enregistrée, cherchèrent à arracher pour toujours à la ruine les livres, dépôt sacré de la sainte doctrine, en les confiant à l'intelligence et à la mémoire des enfants. Le soldat de Titus n'avait pas encore jeté le brandon incendiaire dans le parvis du temple, et déjà des écoles pour les enfants s élevaient de toutes parts.

« Périsse le sanctuaire, mais que les enfants aillent à l'école, » s'écrient les rabbins. « L'haleine des enfants qui fréquentent les écoles est le plus ferme soutien de la société . La science est au-dessus des sacrifices. » (Talmud de Babylone.)

Rabbi Jéhoudah revendique pour Josué ben Gamala, grand-prêtre sous Agrippa II (64 après J.-C), l'honneur d'avoir rendu obligatoire la fondation des écoles pour les enfants. D'après la loi de ce souverain pontife, restée en vigueur pendant toute la période rabbi-nique, chaque ville est obligée, sous peine d'excommunication, d'entretenir une école primaire. Si la ville est coupée en deux par un fleuve et qu'il n'y ait point de pont solide pour le traverser, il doit être créé une école dans chaque partie. Dans le cas où la communauté serait trop pauvre pour construire une maison d'école, il est permis de convertir la synagogue en école. L'usage d'affecter un même local à la prière et à l'étude devait être très fréquent chez les Juifs, puisque aujourd'hui encore ils désignent le temple par le mot « Scola » chez les Portugais et « Schule » chez les Allemands. Lorsque plusieurs locataires habitaient une maison, le propriétaire ne pouvait, sans leur assentiment, en agréer un nouveau dont la profession était trop bruyante ou attirait trop de monde dans la maison : mais pour louer à un instituteur, cette autorisation n'était pas nécessaire, afin que rien n'entravât le développement des écoles. Si le nombre des enfants ne dépassait pas vingt-cinq, l'école était dirigée par un seul maître ; à partir de vingt-cinq, la commune payait un adjoint ; au-dessus de quarante, il fallait deux directeurs.

A côté des écoles entretenues par la communauté ou placées sous son administration, il y en avait aussi de libres. Et celles-ci, la loi les autorisait même à s'établir à côté des premières. « L'émulation, disent les rabbins, augmente la science. »

Une ville privée d'école était mise en interdit. C'était pour tout Israélite un péché de l'habiter. « Un jour que j'étais en voyage, raconte Rabbi José ben Kisma, je rencontrai un homme qui me salua et me dit: Rabbi, de quel endroit es-tu? Je lui répondis : Je suis d'une ville très grande, remplie de savants et de professeurs. — Maître, me dit-il, ne voudrais-tu pas venir demeurer dans notre bourg, je te donnerais cent mille dinars d'or. — Mon fils, répondis-je, tu me donnerais tout l'or et tout l'argent de la terre que je n'irais pas m'établir dans une ville où l'on néglige l'étude de la Loi. » (Pirké Aboth, VI, 10.)

En principe, l'enseignement est gratuit. « La Loi, disaient les docteurs, nous ayant été donnée gratuitement, celui qui l'enseigne ne doit accepter aucun salaire. » Cette règle ne souffrait aucune exception dans l'enseignement supérieur, et les professeurs les plus illustres étaient obligés de gagner leur subsistance par l'exercice d'un métier. Mais pour l'enseignement élémentaire et obligatoire, comme il était à craindre qu'on ne trouvât pas, sans rétribution, un nombre de maîtres suffisant, ceux-ci avaient le droit de toucher un traitement, non pas précisément pour leur enseignement, mais pour la surveillance des enfants, ou pour une partie de l'enseignement qui n'était pas obligatoire, comme la grammaire, par exemple.

L'instituteur porte dans le Talmud trois noms différents. Le plus fréquemment employé est celui de Melamed Tenokoth, professeur des enfants ; c'est le nom hébreu. Le nom araméen est Makré Derdekei, celui qui fait lire les petits. On trouve aussi, mais plus rarement, le nom de Sopher, scribe, l'homme du livre.

Les qualités que l'on recherchait dans le choix d'un MeLamed Tenokoth méritent au plus haut point notre attention.

Il doit, en première ligne, être marié. Le jeune instituteur qui affichait du goût pour le célibat ne pouvait rester en fonctions. Les rabbins ne manquent pas d'insister sur le danger de confier les enfants à des instituteurs qui ne sont pas pères de famille.

On aimait surtout des hommes d'un certain âge, conformément à cet aphorisme de José ben Jéhoudah : « Celui qui apprend quelque chose d'un maître jeune ressemble à un homme qui mange des raisins verts et boit du vin sortant du pressoir ; mais celui qui a un maître d'un âge mûr ressemble à un homme qui mange des raisins exquis et boit du vin vieux » (Pirké Aboth, IV, 26).

L'instituteur ne doit pas avoir le caractère irascible, ni être orgueilleux. Il ne doit pas être adonné à la boisson, ni trop ami de la bonne chère. Il doit avoir l'esprit méthodique et être capable d'exposer, d'une façon claire et d'après un plan arrêté, toutes les parties de son enseignement. On exigeait qu'il fût un homme patient, doux et affable, dévoué et désintéressé (Talmud de Babylone, passim.)

Et ces qualités, nous les trouvons, en effet, dans la plupart des instituteurs dont parle le Talmud. Citons, en première ligne, Rabbi Samuel ben Schilath, qui se refuse le plaisir de visiter son jardin dans la crainte de négliger ses élèves et de leur l'aire perdre un temps précieux. Rabbi Hyia. transformait lui-même en parchemin les peaux des animaux qu'il avait tués à la chasse, y transcrivait les cinq livres de Moïse, ou les six traités de la Mischnah, et les distribuait aux enfants indigents en leur recommandant de les prêter, à leur tour, à leurs camarades N'oublions pas non plus cet instituteur à qui l'on demanda sa profession et qui répondit si dignement : « Je suis instituteur de l'enfance, instruisant, sans distinction, les enfants pauvres et les enfants riches, et n'acceptant jamais de rétribution de celui qui serait gêné pour payer » (Talmud de Babylone, Taanith, 24 a).

C'est à ces hommes, dit le Talmud, que s'applique le verset de la Bible : « Ceux qui répandent l'instruction brilleront à jamais comme l'éclat du firmament, comme les étoiles du ciel » (Daniel, XII, 3).

A côté de ces professeurs remarquables, il y en avait certainement aussi qui abusaient de la confiance des parents, n'apprenant rien aux enfants ou leur enseignant des notions erronées ; ceux-là, les docteurs ordonnent de les casser sans pitié ; ils sont maudits.

Il n'était cependant pas permis de renvoyer un instituteur qui remplissait bien son devoir, pour en prendre un autre plus instruit. « Si l'instituteur n'est pas sûr de sa position, il se relâchera de son zèle » (Talmud de Babylone, Baba Bathra, 21 a).

Un grand nombre d'instituteurs sortaient des Académies supérieures, et aucun docteur n'aurait cru déroger en devenant maître d'école.

C'est que les Juifs avaient des fonctions du maître d'école la plus haute opinion. C'étaient les plus nobles, les plus honorables. Dieu lui-même ne dédaigne pas de les exercer. Ecoutez plutôt le Talmud : « La journée se divise en quatre parties : dans la première, le Saint, béni soit-il, étudie la Loi ; dans la seconde, il juge les hommes ; dans la troisième, il les nourrit ; et dans la quatrième il est assis et préside à l'instruction des enfants qui fréquentent la maison du Maître, Beth Rabban ». Peut-on trouver une allégorie qui relève d'une manière plus saisissante l'importance, la grandeur, je dirais presque la majesté des fonctions du maître d'école ?

Du reste, comme de nos jours, les instituteurs étaient proclamés les soutiens de la société. Plusieurs rabbins de la Babylonie, raconte le Talmud, vinrent un jour dans la Judée avec la mission d'inspecter les écoles primaires. Ils arrivèrent dans une petite ville où ils ne trouvèrent aucune trace d'enseignement aucun professeur. Indignés de ce fait, ils demandent à voir les « gardiens de la ville ». On accède à leur désir et ceux-ci se présentent. C'étaient les soldais de la garnison. « Pensez-vous, s'écrient alors les docteurs, que ce soient là les protecteurs de la ville ? Non, ils en sont plutôt les destructeurs. Les vrais protecteurs de la cité, ce sont les instituteurs, les précepteurs du peuple, car : « Si Dieu ne protège la ville, c'est en » vain que veillera la sentinelle » (Ps. CXXII, 1).

Des hommes dont les services étaient apprécies à ce point devaient être nécessairement l'objet d'un grand amour et d'une grande estime. Le Talmud, en effet, ne tarit point sur les égards que l'on doit à son professeur.

L'élève ne doit pas appeler le maître par son nom, mais se servir des expressions de Rabin, mon maître, ou de Mori, mon professeur.

En le rencontrant dans la rue, il ne doit pas se contenter de lui adresser, en passant, un simple salut, mais il doit s'avancer vers lui, respectueusement, et dire : « La paix soit avec toi, mon maître et mon précepteur».

Dès qu'il le voit venir, l'élève est obligé de se lever, et il ne peut s'asseoir que lorsque le maître l'y a invité. La place du maître est sacrée, aucun élève ne doit s'y asseoir.

Le Talmud veut que dans l'affection d'un disciple le maître passe avant le père. « Si votre maître et votre père, dit il, ont besoin de votre assistance, secourez votre maître avant de secourir votre père, car celui-ci ne vous a donné que la vie de ce monde, tandis que celui-là vous a procuré la vie du inonde à venir, » M. Adolphe Franck, dans un article sur les Sentences et les Proverbes du Talmud, fait remarquer judicieusement que c'est presque le mot d'Alexandre le Grand, quand il prétend qu'il doit plus à Aristote, son maître, qu'à Philippe, son père.

Cela ne suffit pas encore. Il faut vénérer son maître comme on vénère Dieu (Pirké-Aboth, IV, 15).

Il paraît même que certains disciples prenaient ce précepte trop au pied de la lettre et exagéraient les démonstrations de respect envers leurs maîtres, car, dans un autre endroit du Talmud, les rabbins recommandent de ne pas pousser le respect envers son maître au point qu'il dépasse celui que l'on doit à son Créateur.

Un passage du Talmud de Babylone nous montre le rang qu'occupait l'instituteur dans l'échelle sociale. « Dans tous les cas, y lit-on, l'homme doit vendre tout ce qu'il possède pour épouser la fille d'un savant, Talmid Chacham ; s'il ne trouve pas de fille de savant, il recherchera la fille d'un grand de l'époque ; s'il ne peut avoir la fille d'un grand, il épousera la fille d'un chef de communauté ; s'il ne peut avoir la fille d'un chef de communauté, il choisira la fille d'un Melamed Tenokoth, d'un maître d'école. » On voit que l'instituteur compte parmi les personnages les plus distingués d'une ville.

Les Juifs aimaient à faire commencer les études de très bonne heure. « Ce que l'on apprend dans l'âge tendre, dit un rabbin, tient comme un écrit tracé sur un vélin neuf. » Josèphe raconte que, dès son enfance, il fut élevé dans l'étude des lettres. Il y fit, dit-il, de si grands progrès qu'à l'âge de quatorze ans les principaux de Jérusalem lui demandaient son opinion sur l'interprétation de la Loi ; à treize ans, il étudiait déjà les diverses doctrines philosophiques des Pharisiens, des Sadducéens et des Esséniens. Jésus, nous dit l'évangile attribué à Luc, n'avait que douze ans lorsqu'on le surprit au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant, ravissant ses auditeurs par la sagesse de ses réponses. L'enfant commençait à peine à parler qu'on lui apprenait un verset de la Bible ; aussitôt qu'il le savait par coeur, il en apprenait un autre, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il fût arrivé à l'âge scolaire. Certains rabbins fixent l'âge de la fréquentation de l'école à cinq ans. Josué ben Gamala le fixe entre six et sept, et cet âge est généralement admis par les docteurs du Talmud. C'est aussi l'âge qu'ont adopté les législations modernes.

« Si l'on amène dans ton école un enfant de moins de six ans, il ne faut pas le recevoir, dit un des rabbins du Talmud de Babylone (Bathra, 21 a) ; mais, à partir de cet âge, reçois-le et charge-le comme on charge un boeuf. » Son zèle pour la diffusion de l'instruction élémentaire entraîne ce rabbin un peu trop loin. Nous préférons à son conseil si dur et si rudement exprimé une autre maxime pédagogique fréquente dans la bouche des docteurs du Talmud : « Les petits selon leurs forces, les grands selon leurs forces ». Ce principe est plus humain et plus juste.

Les parents conduisaient eux-mêmes leurs enfants à l'école. Les plus distingués ne manquaient pas à ce devoir, dont l'accomplissement leur était compté par Dieu comme une des plus grandes vertus. (Talmud de Babylone, Kiddouschin, 30 a.)

Certaines communautés, ne se fiant pas tout à fait au zèle des parents, choisissaient, parmi leurs membres les plus notables, des magistrats chargés de réunir les enfants et de les conduire à l'école. Ces magistrats portaient le nom de Maphtiré Kenésioth.

Nous allons les suivre, en faisant remarquer préalablement que nous sommes chez un peuple qui confond la science, la littérature, l'histoire, la morale, en une seule et unique connaissance, celle de la religion, dont l'expression la plus élevée est la Bible.

Le Beth hammidrasch, ou Maison d'études, est divisé en trois classes : 1° la Mikra, lecture ; 2° la Mischnah, répétition de la Loi ; 3° la Guémara, perfectionnement.

Entrons avec recueillement, comme si nous rentrions dans un lieu de prières, — ainsi l'ordonnent les docteurs, — et inspectons les classes l'une après l'autre.

Dans la première se trouvent les enfants de six à dix ans. Ils apprennent la lecture, l'écriture, les éléments de l'hébreu et du chaldéen, ainsi que l'interprétation des textes bibliques. Elèves et maîtres sont assis par terre, le maître au milieu, les élèves autour de lui comme une couronne, afin que tous le voient et l'entendent. Nous le trouvons enseignant l'alphabet aux plus jeunes. Il leur montre la forme des lettres, mais il ne se contente pas de dire froidement le nom de chaque lettre. Il sait animer son enseignement, donner, pour ainsi dire, la vie, aux lettres, et tirer de leur forme ou de leur disposition une leçon morale. Ainsi le rapprochement du Guimel et du Daleth, qu'il croyait dérivés de gamal (faire le bien) et de dal (pauvre), lui sert de sujet pour enseigner à ses jeunes élèves la nécessité de la charité et de la bienfaisance, Le Guimel suit le Daleth, de même l'homme bienfaisant doit rechercher les pauvres pour les secourir, Le Daleth tourne, pour ainsi dire, le des au Guimel ; le maître déduit de là que la charité doit être exercée avec discrétion, sans que le pauvre soit obligé de tourner sa face vers le riche pour le supplier. Le Çamech, lettre initiale de çamach (soutenir), et le Ain, initiale de oni (pauvre), sont placés l'un à côté de l'autre dans l'alphabet pour indiquer qu'il faut soutenir les malheureux et les relever.

C'est presque une leçon de choses, mais de choses morales.

Les enfants un peu plus avancés tiennent à la main un rouleau sur lequel ils ont copié eux-mêmes les passages les plus importants du Pentateuque. Les plus forts ont des Bibles complètes que les gens riches ont fait copier à leur intention, car les livres sont fort chers, et tout le monde n'a pas le moyen de s'en procurer. Ces Bibles sont écrites avec soin et sans faute, pour que l'enfant ne reçoive pas, dès le début, des impressions fausses. Les textes sont lus, non pas en nasillant ou en psalmodiant, comme on ne le fait encore que trop souvent même de nos jours, mais à voix haute, les mots nettement articulés accentués avec régularité, les périodes correctement divisées. Le maître veille avec un soin scrupuleux à ce que l'enfant lise bien, car, en hébreu, un mot mal prononcé peut devenir un blasphème. Son attention est d'autant plus grande qu'à l'époque dont nous parlons les points-voyelles n'étaient pas encore inventés, et les fautes de prononciation, par conséquent, très faciles.

D'après Maïmonide, la classe de la Mikra durait toute la journée et une partie de la nuit. Si cela est vrai, ce qui paraît cependant très difficile à admettre, il est probable que les cours étaient interrompus par des récréations, ou bien que le maître divertissait, de temps en temps, ses élèves en leur racontant ces paraboles, ces légendes, ces Haggadoth que nous rencontrons si fréquemment dans le Talmud.

Dans la seconde classe, dans la Mischnah, les élèves ont de dix à quinze ans. Le maître leur expose la loi orale. Ce sont les lois déduites de la loi écrite, ou autrement les lois civiles, commerciales et pénales, que Moïse aurait reçues oralement sur le mont Sinaï et transmises, de bouche en bouche, aux anciens, ceux-ci aux prophètes, ceux-ci aux hommes de la Grande Synagogue, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'elles aient été recueillies et mises par écrit par Rabbi Jéhoudah, surnommé le Saint, dans le premier quart du troisième siècle.

Ce niveau d'études, si élevé pour des enfants si jeunes, n'étonnera pas si on se rappelle ce que nous avons dit plus haut de Flavius Josèphe et de Jésus. Encore aujourd'hui, dans les grands centres israélites, où se sont conservées les traditions rabbiniques, il n'est pas rare de rencontrer de tout jeunes garçons ayant étudié les six traités de la Mischnah.

Dans la même classe, on explique aussi le sens et l'importance des prescriptions religieuses, dont l'observance commence à devenir obligatoire pour les garçons de treize ans.

Ici point ou presque point de livres. La leçon est répétée en chantant, jusqu'à ce que tous les élèves la sachent par coeur.

Dans la troisième classe enfin, la Guémara, nous voyons les adolescents de quinze à dix-huit ans. Le maître, dans cette classe, est assis sur un siège, car l'importance des questions qu'il traite exige qu'il domine son auditoire. Toutes les lois orales y sont soumises à la discussion. L'élève a le droit de critiquer telle ou telle interprétation, de signaler les contradictions qu'il croit trouver entre deux Halachoth, de demander les motifs qui ont présidé à leur élaboration. La tâche du maître consiste à répondre à ses questions et à réfuter ses objections. L'élève cependant ne doit pas porter ses questions sur des sujets qui ne sont pas à l'étude, de crainte que le maître, n'étant pas prêt, ne soit exposé à se tromper. D'un autre côté, le maître doit préparer sa leçon et prévoir, autant que possible, les explications qui pourront lui être demandées. Une franche cordialité règne ici entre le maître et les élèves. Souvent il les questionne sur leurs études antérieures, sur leur position, sur leur avenir. Quelquefois les élèves discutent entre eux et cherchent à s'expliquer ce que l'un ou l'autre ne comprend pas. « C'est le fer aiguisant le fer », dit Rabbi Chaninah.

Outre l'étude approfondie des lois orales, le programme de la classe de Guémara comprend quelques notions très simples d'histoire naturelle, d'anatomie, de médecine, et, avec de plus grands développements, la géométrie et l'astronomie, les deux seules sciences que les Juifs cultivassent avec soin, parce qu'elles leur étaient indispensables pour la formation du calendrier. Ils ne les considéraient cependant que comme les périphéries de la vraie science, qui est la Loi.

Dans toutes les classes, le maître traite ses élèves avec respect. Leur dignité lui est aussi chère que la sienne. Il répond à leurs questions avec patience et bienveillance. S'ils ne comprennent pas bien, il répète son explication aussi souvent qu'il est nécessaire pour qu'ils en soient pénétrés, quatre cents fois s'il le faut. Il s'attache à aiguiser leur intelligence par des questions insidieuses. Il recherche les discussions, les stimule, les provoque, car, selon la belle expression de Maïmonide, elles développent son savoir et élargissent son coeur. Rabbi Chaninah disait : « J'ai beaucoup appris de mes maîtres, davantage de mes condisciples, plus encore de mes élèves ».

La discipline est certainement un des points les plus importants pour la tenue d'une classe. Elle a toujours appelé l'attention de ceux qui se sont occupés de l'organisation des écoles. Faut il être sévère ou indulgent envers les enfants ? Les châtiments corporels sont-ils plus efficaces que les punitions morales ? Peut-on se contenter de réprimandes? Toutes ces questions ont été résolues selon les moeurs de l'époque où elles ont été soulevées.

Les rabbins se sont tenus à cet égard dans un juste milieu. Ils admettent bien encore les punitions corporelles si fort en usage chez leurs ancêtres, mais ils ne les admettent plus que dans une mesure très modérée. Il faut, selon eux, agir avec une grande indulgence lorsqu'on a affaire à des enfants au-dessous de douze ans, et s'efforcer de leur faire comprendre l'utilité de l'étude par des paroles engageantes. Au-dessus de cet âge, ils permettent de priver l'enfant de pain et même de le frapper, mais avec une courroie de chaussure, afin de ne pas nuire à sa santé.

Le Talmud parle d'un instituteur qui portait la bonté jusqu'à essayer de corriger les élèves indociles par des friandises, mais il ne dit pas si le moyen réussit.

Quoi qu'il en soit, c'est beaucoup de bonté mêlée d'un peu de sévérité qui forme le système rabbinique relatif à la discipline. « Les enfants, disent les docteurs, doivent être punis d'une main et caressés des deux. »

Les mesures de sévérité envers un élève ne pouvaient être, du reste, que très rares, les enfants d'un mauvais naturel et qui se conduisaient mal étant corrigés et ramenés dans la bonne voie avant de fréquenter l'école.

A la sortie de l'école, les parents ou les Maphtiré Kenésioth venaient chercher les enfants et les ramenaient chez eux, avec ordre et sans tapage.

Au sein de la famille, l'enfant entend encore traiter les questions qu'il a étudiées à l'école. Bien avant dans la nuit, son père se livre à l'étude de la Loi, et le lendemain matin son premier soin est de faire répéter à son fils la leçon de la veille. A défaut du père, ce sera le grand-père. L'instruction de l'enfant, voilà la constante préoccupation de toute la famille.

Le jour du sabbat même, l'étude ne cesse pas. Seulement, ce jour-là, on ne commence point, au Beth hammidrasch, de sujet nouveau ; on se contente de répéter la question traitée dans la semaine, afin que les parents, en l'expliquant chez eux à leurs enfants, ne soient pas détournés de leur repos sabbatique.

Le Talmud dit : les parents, c'est-à-dire le père et la mère. Celle-ci, en effet, ne le cède en rien à son mari, lorsqu'il s'agit de l'instruction des enfants. Ainsi qu'aux temps bibliques, c'était pour les femmes juives le devoir le plus sacré. Non seulement elles tenaient la main à ce que l'enfant allât régulièrement à l'école, mais elles lui expliquaient souvent la leçon que le maître n'avait pu lui faire comprendre. Toutes étaient versées dans la littérature biblique. Car, quoiqu'il n'y eût point d'écoles pour les filles, leur éducation était loin d'être négligée. Ben Azaï fait une obligation aux Israélites d'enseigner à leurs filles les cinq livres de Moïse ; d'autres rabbins veulent qu'elles sachent toute la Bible. La littérature profane même ne leur est pas étrangère ; dans presque toutes les grandes familles, les jeunes filles parlent le grec.

Cette langue, que Raschi appelle la plus gracieuse des langues japhétiques, faisait partie de toute bonne éducation. Elle exerçait sur les Juifs de l'époque dont nous nous occupons le même charme que sur les Romains du temps de Cicéron et sur les Français de la Renaissance, et, contrairement à ce que prétend M. Renan, que nous nous permettons de contredire sur ce point, elle était très populaire en Judée. Certainement les rabbins étaient, en grande partie, hostiles à l'étude d'une philosophie qui heurtait aussi violemment les croyances juives, et pouvait, par la magie de la langue qui lui servait d'organe, ébranler la foi de plus d un fidèle ; mais leurs avertissements restaient sans effet. Bs eurent beau répondre à ceux qui leur demandaient si, après avoir étudié la Loi, il était permis d'apprendre la philosophie grecque : « Dieu veut que vous vous occupiez de sa Loi jour et nuit: voyez donc si, pour vous consacrer à la lecture d'Aristote et de Platon, vous pouvez trouver un moment où il ne soit ni jour ni nuit» ; on ne les écoutait pas.

Et la preuve qu'on ne les écoutait pas et qu'on ne cessa jamais de comprendre l'étude du grec dans l'éducation, c'est qu'à plusieurs reprises et à des époques diverses ils lancèrent l'anathème contre ceux qui faisaient apprendre le grec à leurs enfants. Bs le firent une première fois à l'époque des Maccabées, lors de la guerre fratricide entre Hyrcan et Aristobule (65 av. J.-C). On ne tint aucun compte de leurs malédictions. Après la destruction de Jérusalem, nouvelle défense, à laquelle on ne se soumit pas plus qu'à la première, car, à la suite de la guerre de Quiétus, gouverneur de la Judée, sous Trajan (88-117 ap. J.-C.), les docteurs décrétèrent, pour la troisième fois, qu'en signe de deuil on n'enseignerait plus le grec aux enfants.

Dans tous les cas, les hommes d'un certain rang le parlaient. On ne pouvait être membre du Grand Sanhédrin sans le savoir. Et l'exemple de Josèphe nous montre avec quelle perfection un Juif palestinien parvenait à l'écrire.

Tous les rabbins, du reste, n'avaient pas de l'antipathie pour le grec. Elischa ben Abouya, que le Talmud stigmatise du nom d'Aher (l'autre), à cause de son penchant pour les spéculations philosophiques, avait toujours un vers grec à la bouche. Parmi les élèves du célèbre (Gamaliel, il y en avait cinq cents qui étudiaient la philosophie et la littérature.

Mais si les rabbins diffèrent sur l'avantage ou le danger de l'étude de la science grecque, il est une partie de l'éducation sur laquelle il n'y a pas la moindre dissidence entre eux. C'est celle qui a trait à l'apprentissage d'une profession. Tous sont d'accord pour exiger que le père de famille fasse apprendre à ses fils un métier qui les mette à même de gagner leur vie. Rabbi Jehouda disait : « Celui qui n'enseigne pas de profession utile à son fils est comme s'il l'élevait pour la vie des brigands ». — « Bien n'est plus agréable au Créateur de la terre, lit-on ailleurs, que l'apprentissage d'un métier. » Et encore : « Toute étude qui n'aboutit pas à un travail ou à une profession est vaine et conduit au désordre ». — « Celui qui vit du travail de ses mains a plus de mérite que l'homme pieux qui vit dans l'oisiveté. » — « Il y aurait sept ans de famine, qu'elle n'atteindrait pas l'ouvrier laborieux. »

Le choix du métier n'était pas indifférent. Les rabbins recommandent surtout les métiers peu salissants et faciles. Bs détournaient des professions d'ânier, de chamelier, de batelier, à cause de la grossièreté qui caractérise ceux qui les exercent. B ne fallait surtout pas mettre les enfants en apprentissage chez un épicier. Ces industriels jouissent d'une mauvaise réputation dans le Talmud. B les accuse de mêler de l'eau au vin qu'ils vendent et des vesces aux légumes secs. Ce sont des fraudes que les enfants ne doivent pas apprendre à connaître.

Les plus illustres rabbins exerçaient des professions manuelles : Hillec et Akibah étaient fendeurs de bois ; Josua ben Chananiah était cloutier ; Isaac Napascha, forgeron ; Jochanan Hassandler, cordonnier ; Néhémia Haccador, potier ; Jéhouda Chaïta, tailleur ; Jéhoudah Hannechtam, boulanger ; saint Paul était fabricant de tentes.

«Le travail est une belle chose ; il honore ceux qui l'exercent, » était le dicton favori de Rabbi Jéhoudah, et, joignant l'exemple au précepte, il portait lui-même sur son épaule, en se rendant chaque matin à son Académie, l'objet qui devait lui servir de siège.

Instruction et travail, voilà donc, en résumé, tout le système d'éducation des docteurs du Talmud. C'est qu'ils savaient, ces maîtres si clairvoyants, que la cul ture intellectuelle jointe à l'amour du travail sera la force avec laquelle le peuple juif vaincra toutes les difficultés et brisera tous les obstacles. Et tous leurs efforts tendirent à pénétrer de cette vérité la nation entière. L'histoire atteste qu'ils réussirent. Sur tous les points de la terre où le destin les jeta, le premier soin des Israélites, fidèles aux préceptes des rabbins, fut d'organiser des écoles. Partout la moindre communauté eut son Beth hammidrasch, partout la famille israélite chercha sa joie et sa consolation dans l'étude de . la Loi. Les Juifs ne connurent pas les ténèbres du moyen âge, et, si nous n'avions restreint notre sujet à ce qui regarde particulièrement les enfants, nous pourrions montrer ces Académies qui jetèrent un vif éclat, à une époque où le culte des lettres et des sciences était encore chose inconnue dans la chrétienté. Nous montrerions, sans parler des communautés du Nord, Tolède, Grenade, Cordoue en Es pagne ; Lunel, Béziers, Narbonne, en France ; Modène, Padoue, Gènes, Rome, en Italie. Au quatorzième siècle, les derniers échos de ces écoles célèbres s'éteignirent, mais l'amour de l'instruction ne s'éteint pas. Spinoza au dix-septième siècle, Moïse Mendelssohn au dix-huitième prouvent de la manière la plus irréfutable quelle vaste et solide instruction continuait à se donner dans les familles juives des conditions les plus diverses.

Joseph Simon