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Jouffroy

Théodore-Simon Jouffroy, professeur et philosophe, est né au hameau des Pontels (Jura) en 1796 et mort à Paris en 1842. Après avoir commencé ses études au lycée de Dijon, Jouffroy entra à l'Ecole normale en 1814 et, dès 1817, y devint répétiteur pour la philosophie en même temps qu'il était chargé d'un cours au collège Bourbon. L'Ecole normale ayant été fermée en 1822, il donna chez lui des cours particuliers qui commencèrent sa réputation ; les articles qu'il publia dans le Globe et le Courrier français, entre autres l'article fameux : Comment les dogmes finissent, achevèrent de le mettre en vue. Adversaire du gouvernement de la Restauration, il fut bien traité par la monarchie de Juillet : après 1830, il devint maître de conférences à l'Ecole normale, adjoint de Royer-Collard à la Sorbonne dans la chaire d'histoire de la philosophie moderne, professeur de philosophie ancienne au Collège de France ; enfin, en 1840, lorsque Cousin fut nommé ministre de l'instruction publique, Jouffroy le remplaça au Conseil royal de l'instruction publique. En 1831, les électeurs de Pontarlier l'avaient élu député.

Nous n'avons pas à l'apprécier ici comme philosophe ; et nous aurions seulement à dire que, comme députe, comme haut fonctionnaire de l'enseignement, il ne joua qu'un rôle assez efface, s'il n'avait pris part assez malencontreusement à la campagne qui fut menée, à un moment, contre les écoles normales d'instituteurs. Les émeutes fréquentes, les nombreux attentats contre la personne du roi, amenèrent entre 1835 et 1840 un mouvement de réaction : certains hommes politiques se persuadèrent qu'il n'était plus possible de gouverner sans le concours de l'Eglise. En 1837, dans la discussion de la loi sur l'enseignement secondaire, Guizot disait : « Nous sommes très frappés de l'état d'inquiétude, de fermentation, de trouble où vivent un si grand nombre d'esprits. Croyez-vous que les idées, les convictions, les espérances religieuses ne soient pas un des moyens, et je dirai, sans hésiter, le moyen le plus efficace pour lutter contre ce mal, pour faire rentrer la paix dans les âmes, cette paix intérieure et morale sans laquelle on ne rétablira jamais la paix extérieure et sociale? » Pour le rétablissement de cette paix sociale, on pensait que l'instituteur pourrait être un instrument précieux, mais à la condition qu'il fût dans la main du curé ; et l'on sentait qu'il n'y consentirait qu'autant qu'il serait humble d'esprit. Donc, il fallait modifier l'enseignement et l'éducation donnés dans les écoles normales, qu'on accusait de former des ambitieux et des révoltés.

A prendre les choses en gros, tels étaient bien les sentiments des membres de l'Académie des sciences morales et politiques qui, en 1838, mirent au concours cette question : « Quels perfectionnements pourrait recevoir l'institution des écoles normales primaires considérée dans ses rapports avec l'éducation morale de la jeunesse? » Jouffroy se fit très décidément l'interprète de cette manière de voir, lorsqu'il présenta en 1840 son rapport sur le concours. Voici comment il posait les termes du problème que les concurrents avaient eu à résoudre : « Ou vous refusez aux maîtres la lumière, et alors ils pourront avoir l'humilité de leur condition, mais ils n'auront pas la capacité de leur tâche ; ou vous la leur donnerez, et alors vous aurez créé en eux du même coup la capacité et la révolte. Terrible problème. On ne conçoit que deux solutions possibles : l'une plus parfaite, le dévouement avec beaucoup de lumières ; l'autre plus pratique, le contentement avec très peu. » Sans hésiter, Jouffroy optait pour la seconde ; car, ajoutait-il, « la religion étant la base de la morale, le succès de l'instituteur moral exige non seulement la neutralité, mais la bienveillance et, s'il se peut, le concours du prêtre ; il faut donc ramener celui-ci, et pour cela créer un instituteur qui lui convienne en même temps qu'à l'Etat ». Voilà ce qu'avait très bien compris l'auteur du mémoire couronné, qui réduisait à un minimum la culture à donner dans les écoles normales. « Ce que cette réforme a de bon, disait Jouffroy, c'est qu'elle est pratique, . c'est qu'elle porte le cachet dont tout l'ouvrage est empreint, celui de l'administrateur et de l'homme politique. » Or, le lauréat, Th.-H. Barrau, était un modeste principal de collège. Curieux exemple des erreurs où mène la timidité politique qui dévie les consciences les plus droites et fausse les esprits les plus distingués.

Maurice Pellisson