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Jomard

 François-Edme Jomard, né à Lyon le 17 novembre 1779, mort à Paris le 23 septembre 1862, fut l'un des fondateurs de la Société pour l'instruction élémentaire, dont il resta comme la vivante personnification pendant plus de quarante-sept années. Après de fortes études à l'Ecole polytechnique et à l'Ecole d'application du génie géographe, il fut désigné, en l'an VI, pour faire partie de l'expédition d'Egypte avec le grade de capitaine du génie. Il prit en cette qualité une part active aux travaux de l'Institut d'Egypte, et plus tard, en l'an XI, fut nommé membre de la commission chargée de les publier. La direction de cette publication considérable, qui ne s'acheva qu'en 1825, lui fut entièrement confiée à partir de 1807, après la mort de Lancrel.

Dans un voyage en Angleterre, entrepris en 1814 pour rechercher des documents restés aux mains des Anglais et qui faisaient lacune dans les travaux de la commission scientifique égyptienne, il eut l'occasion de voir fonctionner la méthode d'enseignement mutuel, et ne fut pas moins frappé de ses résultats et de ses avantages que l'avaient été MM. De Gérando, de Laborde, et de Lasteyrie, qui avaient visité vers le même temps les écoles de Bell et de Lancaster. Lorsque, pendant les Cent-Jours, le ministre Carnot, en exécution du décret du 27 avril 1815, chargea une commission de cinq membres de lui donner son avis sur les meilleures méthodes d'enseignement primaire, Jomard fut appelé à en faire partie : il eut pour collègues MM. de Laburde, de Lasteyrie, de La Rochefourauld-Liancourt et l'abbé Gaultier. En même temps, sur l'initiative de De Gérando, se fondait la Société pour l'instruction élémentaire, et Jomard en devint aussitôt l'un des secrétaires. L'année suivante, M. de Chabrol, redevenu préfet de la Seine après le second retour des Bourbons, plaçait Jomard à la tête du bureau de l'instruction publique de la capitale.

En sa double qualité de fonctionnaire et de membre de la Société pour l'instruction élémentaire, Jomard rendit de 1816 à 1830 les services les plus signalés à la cause de l'éducation populaire. C'est à lui que l'on doit la composition des premiers tableaux de lecture, des tableaux de grammaire et des tableaux d'arithmétique destinés aux écoles mutuelles. Il encouragea de toutes ses forces l'introduction du chant et de la gymnastique dans l'enseignement primaire. A chaque séance générale annuelle de la Société, il présentait un rapport sur les progrès de l'enseignement primaire, non seulement à Paris, mais encore dans tous les départements de la France et même à l'étranger, où il entretenait de nombreuses correspondances. Partisan décidé du principe de l'enseignement obligatoire, il ne cessa d'en réclamer l'application : c'est ainsi qu'en 1828 il adressa aux Chambres une pétition signée : Un membre de la Société pour l'instruction élémentaire, dans laquelle il demandait la mise à exécution de la loi du 3-14 septembre 1791, qui déclarait qu'il serait créé et organisé une instruction publique commune à tous les citoyens, et gratuite à l'égard des parties d'enseignement indispensables à tous les hommes.

Son zèle pour l'éducation populaire ne l'empêchait pas de continuer à consacrer une grande partie de son temps à ses travaux scientifiques. En 1818, il avait été élu membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres ; en 1821, il se joignit à Laplace, à Cuvier, à Malte-Brun, pour fonder la Société de géographie. En 1828, M. de Martignac le nomma conservateur du département des cartes et documents géographiques à la Bibliothèque royale : il conserva cette importante fonction jusqu'à la fin de sa vie.

Lorsqu'en 1830 la Société pour l'instruction élémentaire chargea une commission de préparer un projet de loi sur l'instruction primaire, ce fut Jomard qui. au nom de cette commission, lut, dans la séance du 5 janvier 1831 du Conseil d'administration, l'exposé des motifs et les articles du projet.

En avril 1830, la Société avait été reconnue comme établissement d'utilité publique. Sous l'empire du nouveau règlement, qui ne permettait plus la perpétuité des fonctions, Jomard fut élu en 1831 secrétaire général, en 1832 vice-président, en 1833 président, et enfin, en 1834, il reçut le titre de président honoraire. Ce titre lui eût permis de prendre une part moins active aux travaux de la Société ; mais il n'en continua pas moins à y apporter une coopération assidue. Signalons, parmi ses contributions à l'organe de la Société, les notices qu'il rédigea sur B. Wilhem (1842), sur De Gérando (1843), sur Francoeur (1851).

En 1848, Jomard crut le moment favorable pour essayer une nouvelle campagne en faveur de l'enseignement obligatoire. « Sur sa proposition, dit M. Godard de Saponay (Notice sur la vie et les travaux de F.-E. Jomard dans le Journal d'éducation populaire, mai 1863), dans la séance du 8 mai 1848, une commission fut nommée et chargée d'élaborer un projet dans lequel serait formulé le principe de l'obligation de l'instruction primaire.

« Il y attachait une telle importance, ajoute son biographe, que ce fut l'objet de toutes ses préoccupations jusqu'à la fin de son existence. En 1859, sur sa demande, la question fut encore discutée et examinée de nouveau ; enfin, dans la séance générale du 24 juin 1860, la dernière où la Société vit encore son vénérable président honoraire à sa tête, M. Jomard ne laissa pas échapper cette occasion d'exprimer une dernière fois son voeu patriotique, en disant dans son allocution : « Grâce au » précieux appui de l'administration, la Société espère » voir couronner ses voeux les plus ardents et les plus » chers, l'extension illimitée de l?instruction populaire » au moyen de l'enseignement obligatoire, l'adoption » générale des exercices gymnastiques dans toutes les » espèces d'écoles, enfin celle du chant scolaire, qui » concourent toutes ensemble à rendre l'homme sain » de corps et d'esprit, à faire de tout citoyen un être » moral, utile et dévoué à son pays. »

« Le dernier voeu de cet homme de bien ne put être exaucé de son vivant ; à la dernière séance du Conseil d'administration à laquelle il assista, il répétait encore à ses amis : « L'enseignement élémentaire sera un » jour obligatoire, mais malheureusement je ne le » verrai pas. »

En effet, deux mois plus tard, le digne apôtre de l'éducation populaire, que son âge n'avait pas empêché de rester fidèle jusqu'à son dernier jour à ses travaux habituels, était soudainement enlevé par une attaque d'apoplexie, à l'âge de quatre-vingt-trois ans.

Jomard a été, au milieu de nous, le dernier représentant de cette forte génération qui, au lendemain des désastres de 1814 et de 1815, s'appliqua à relever la France par la diffusion de l?instruction primaire. Sa mémoire est indissolublement unie à celle des services qu'a rendus pendant un demi-siècle, à la cause de l'enseignement populaire, la Société dont il fut l'infatigable collaborateur.