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Jardin d’enfants

Jardin d'enfants (en allemand Kindergarten) est le nom donné par Froebel à l'institution par laquelle cet éducateur a voulu remplacer l'ancienne salle d'asile ou Kleinkinderschule.

I

Le jardin d'enfants de Froebel. — Ce fut à Burgdorf (Suisse), en 1836, que Froebel conçut le projet d'une réforme de l'éducation ayant pour point de départ « le développement naturel et harmonieux des facultés chez le petit enfant », et pour but « le progrès et le bonheur de l'humanité ». Peu après il rentra en Allemagne et s'établit à Blankenburg, près de Keilhau : là, aidé de sa femme, il réunissait chaque jour pendant une couple d'heures les petits enfants du voisinage, et il commença la publication d'un journal hebdomadaire destiné à faire connaître son système d'éducation. En même temps, il créait son matériel d'occupations et recueillait ou inventait des jeux gymnastiques et des chants « de balle » et autres. En 1840, il donna à son établissement le nom de Jardin d'enfants, et choisit, pour en célébrer l'inauguration sous ce nom nouveau, le jour où l'Allemagne fêtait le trois centième anniversaire de l'imprimerie (28 juin 1840).

En 1843 parut le livre charmant offert par Froebel à toutes les mères, Mutter-und Koselieder. C'est sur les genoux de la mère que doit commencer l'éducation du jeune enfant : or, si quelques mères savent bien diriger cette première éducation, il en est beaucoup qui y sont inhabiles. Froebel emprunte à celles qui savent ce qu'il faut que les autres apprennent, et il complète ce qui est insuffisant. Il n'est presque pas un trait dans les gravures de ce recueil, pas un mot dans le texte qui soit laissé au hasard ; tout a un sens profond, qui indique à la mère la route à suivre pour développer le corps de son enfant et produire dans sou âme et son intelligence des impressions vraies, justes, bienfaisantes. La mère commence par occuper son nourrisson de lui-même ; elle joue avec ses membres pour lui faire connaître sa propre petite personne ; bientôt elle l'occupe de son voisinage le plus immédiat, du père, de la famille, et elle fait naître en lui la reconnaissance pour l'affection et les soins dont il est l'objet ; enfin elle le conduit au dehors et lui montre la nature et les hommes, le boulanger, le charbonnier, le maçon, travaillant encore pour lui ; elle lui apprend que c'est Dieu qui bénit leur activité. Mais ceci n'est pas tour à tour le sujet d'une gravure spéciale ; la même, dans chacun des Spiellieder, rappelle à l'enfant cette pensée favorite du maître : qu'il appartient à la société, à la nature, et à Dieu. La nouvelle édition des Mutter-und Koselieder, publiée par le Dr Wichard Lange (1866), a modifié quelque peu la forme, mais elle n'a pas touché à la pensée.

En 1844 paraissait un nouvel ouvrage de Froebel : Hundert Balllieder (Cent chansons de balle), recueil de chants très simples, très courts, propres à accompagner ces jeux qui développent l'adresse, la précision et le sentiment du rythme, et à éveiller l’esprit d'observation des enfants par les comparaisons dont la balle est l'objet.

Cependant le jardin d'enfants de Blankenburg, qui servait en même temps d'école normale pour la préparation de « jardinières d'enfants », eut bientôt à lutter avec des difficultés de diverse nature. Les ressources financières manquaient pour donner à l'établissement tout le développement que son fondateur eût désiré ; une souscription nationale, sur le produit de laquelle il avait compté pour assurer l'avenir de son oeuvre, échoua complètement. En 1844, enfin, Froebel se vit dans la nécessité de renoncer à son entreprise.

Les années suivantes furent employées par Froebel à des voyages de propagande, qui contribuèrent à gagner à ses idées un certain nombre d'adhérents nouveaux. En 1849, il se fixa à Liebenstein, et en 1850, deux ans avant sa mort, il put, grâce à la protection du duc et de la duchesse de Saxe-Meiningen, ouvrir un nouveau jardin d'enfants à Marienthal. L'établissement était installé dans un petit château, au milieu d'une nature admirable, de cette nature que Froebel cherchait toujours à faire aimer et connaître aux enfants. Nous possédons, sur l'activité de Froebel dans cette dernière période de sa longue carrière, et sur la façon dont il dirigeait les exercices de son jardin d'enfants, les témoignages de nombreux visiteurs.

Voici, entre autres, le récit de M. Rudolf Benfey, qui resta l'un des principaux propagateurs de la méthode froebelienne : « Pendant que nous causions, arriva une joyeuse troupe d'enfants, et Froebel se prépara à les rejoindre. J'allais donc pour la première fois assister à ces jeux dont j'avais lu tant de descriptions. Le vieux maître se plaça dans le cercle qui venait de se former, et six à sept « jardinières » l'aidèrent à conduire la bande enfantine. Le jeu qui me frappa le plus fut celui du Petit Lapin ; le choeur chante cette question : Mon petit lapin a-t-il du chagrin ? et trois ou quatre enfants vont caresser le pauvre petit lapin qui laissait tristement pendre ses oreilles ; soudain il les redresse, c'est-à-dire que ses petites mains s'ouvrent bien grandes et se secouent de droite et de gauche ; la tête de l'enfant se relève, il se met à sauter, tandis que les autres semblent enchantés, comme si leurs caresses avaient vraiment guéri un pauvre petit lapin malade. Du reste, Froebel avait une influence si puissante sur les enfants que, dans ces jeux, ils semblaient pénétrés de sa pensée ; lui-même y prenait part avec une conviction qui entraînait jardinières et élèves. Un jeu où les mouvements auraient été exécutés sans que l'âme même de l'enfant fût captivée n'était pas possible ; toutes les facultés devaient y être absorbées. Puis ce fut le tour du Pigeonnier, et rien de plus charmant à voir que la joyeuse vivacité avec laquelle les enfants s'envolèrent les ailes bien étendues, pour rentier bientôt gaiement. Ensuite vint le Chat et la Souris, et l'animation atteignit son comble ; alors Froebel intervint pour arrêter ce jeu qui devenait trop vif ; il le fit suivre de jeux plus tranquilles, les Pilons du moulin, une marche où les balles de couleur furent distribuées, ce qui fit une charmante diversion. Enfin, à la requête des enfants, on exécuta encore deux autres jeux. Quand l'heure du départ sonna, Froebel accompagna ses petits amis jusqu'au seuil de sa demeure.»

Mais ce n'étaient pas les jeux seulement qui intéressaient les visiteurs et leur paraissaient avoir une importance décisive et une signification profonde.

H. Bormann, directeur de l'école normale d'institutrices de Berlin, publia sous le litre de « Une visite chez Froebel » un compte-rendu des travaux auxquels il avait assisté. A propos des exercices de construction, il écrit : « Deux choses m'ont ici paru particulièrement intéressantes et importantes : Froebel ne permet jamais aux enfants de détruire la construction qu'ils viennent de faire pour en exécuter une nouvelle ; il les oblige au contraire à faire naître les nouvelles formes de celles qu'ils ont déjà créées, et par là il arrête d'abord la précipitation et oblige à la circonspection et à la patience, puis il inspire le respect de ce qui existe et enseigne de bonne heure non pas à vouloir tirer le progrès d'une ruine, mais à le faire sortir avec ordre de ce qui existe. » Le même écrivain conclut : « Froebel veut, par ses jeux, exercer une influence sur les enfants pendant les premières années de leur existence, car les impressions de cet âge sont les plus vives, les plus indestructibles, celles qui se représentent à la mémoire durant toute la vie. La discipline qui s'apprend alors rend les châtiments inutiles pour plus tard ».

Froebel était à Marienthal depuis deux ans à peine lorsque la mort vint le frapper au milieu de son activité. Il laissait derrière lui de nombreuses sympathies pour sa cause, non seulement chez les « jardinières » qu'il avait formées et qui étaient pleines de dévouement, d'enthousiasme et de talent, — nous ne citerons que Mlles Krüger et Ida Seele (Mme Vogeler), deux de ses premières élèves, — mais encore chez un grand nombre de ceux à qui il avait exposé sa méthode : Diesterweg, Wichard Lange, Poesch, Benfey ; son oeuvre, loin de périr avec lui, allait prendre un essor considérable, grâce surtout à Mme de Marenholtz, à qui Froebel avait lui-même confié sa cause : « Parlez pour moi, disait-il, ils vous comprennent mieux ». Fidèle au voeu de son ami, Mme de Marenholtz a parlé, écrit, consacré toutes ses forces à la propagation des idées de Froebel, qu'elle a portées « devant les trônes, dans les palais et dans les simples chaumières ». La tâche a pu lui paraître lourde, mais, soutenue par une conviction profonde, elle n'y a pas failli, et son oeuvre a éveillé la sympathie de nombre d'hommes distingués. Quinet lui écrivait : « Je vous félicite d'avoir pénétré si avant dans la méthode de Froebel ; vous avez en vérité découvert son secret ». Dans la même lettre, il ajoutait : « Il est sûr que les résultats de la méthode ne s'obtiendront que si elle est employée selon les principes et dans l'esprit du maître ; sans cela les meilleures conceptions de Froebel seront faussées et détournées de leur but ; le mécanisme seul resterait, et maîtres et élèves retomberaient dans la vieille ornière de la routine. En servant la cause de Froebel, vous servez celle de l'humanité. » Nommons encore Auguste Köhler, qui dans son institut de Gotha a formé la plupart des « jardinières » actuelles. Citons aussi Mme de Portugall, à qui la Suisse française doit une des premières applications des méthodes du jardin d'enfants aux écoles populaires. Nommons encore, en France, Ch. Delon, dont les ouvrages mettent si bien en lumière ce qu'il nomme « l'idée géniale » de Froebel, savoir « faire l'enseignement et l'éducation surtout par le travail ».

II

L'enseignement et l'éducation surtout par le travail : matériel d'occupation du Jardin d'enfants. — Les moyens que Froebel proposa pour l'éducation de toutes les forces et de toutes les facultés enfantines peuvent se classer en quatre groupes.

Ier Groupe : JEUX GYMNASTIQUES ACCOMPAGNES DE CHANTS.

Le jardin d'enfants fait au jeu une place d'honneur, mais il n'admet jamais que la « jardinière » s'en isole. Dans le jeu libre elle est là, en apparence désintéressée, en réalité plus que jamais occupée de son petit peuple : c'est alors seulement, en effet, qu'elle peut le voir tel qu'il est ; c'est alors qu'elle démêle les caractères, car, au jeu, les dispositions bonnes ou mauvaises se montrent sans contrainte. La jardinière apprend là ce qu'il lui faut savoir pour juger, agir diriger, corriger.

Dans les jeux collectifs et les marches, elle a une part très active. Les jeux sont la mise en scène de quelque événement de la vie de tous les jours ; il faut d'abord avoir observé, puis on imite : ce sont les mouvements du paysan, semant, moissonnant, battant le blé ; c'est le train s'ébranlant avec ses nombreux wagons ; ce sont les oiseaux qui s'envolent du nid et y reviennent ; c'est la roue du moulin que le ruisseau fait tourner. Chaque jeu est accompagné d'un chant qui le résume. L'institutrice enseigne et dirige ce chant, insiste sur l'imitation exacte des mouvements, provoque des remarques et des comparaisons ; là encore elle n'a pas souci seulement du développement corporel, mais aussi du développement intellectuel.

IIe Groupe : CULTURE DES JARDINETS.

Les jardinets ont une haute portée éducative ; ils sont le coin de terre où chacun est chez soi, et le bonheur de posséder amène au respect de la propriété d'autrui. Puis, par son jardinet, on conduit l'enfant à la nature : il n'y peut venir de lui-même, car il ne la comprend pas ; il faut lui montrer la terre livrant à l'homme tout ce que, par son travail, il en réclame, il faut lui montrer la merveille du progrès soutenu par lequel le petit grain de blé devient un bel épi doré. Quel maître se pourrait trouver qui enseignerait mieux la patience dans l'activité! Et l'enfant entend cette leçon, il apprend à respecter la graine qu'il a semée, il prépare la fleur par les soins qu'il donne à la plante. La maîtresse a aussi sa plate-bande, toujours bien entretenue ; chaque jour quelques élèves y viennent, récompense très désirée, soigner des plantes fort communes sans doute, mais ce ne sont pas les moins jolies ni les moins intéressantes, et elles seront très utiles pour les leçons de choses ; ainsi le travail de chacun contribue au plaisir de tous.

IIIe Groupe : GYMNASTIQUE DE LA MAIN.

Ce mot indique clairement et d'emblée le rôle que Froebel attribue au toucher, — c'est-à-dire au contact direct, constant, entre l'enfant et les choses de son entourage. Maniement des objets, expériences enfantines mêmes, activité et travail encore et toujours, voilà ce qui doit à la fois donner l'adresse manuelle, développer les sens, et, par cet intermédiaire, éveiller la pensée.

Matériel d'occupations :

A. — Solides.

1er don : halles (couleurs du prisme).

2e don : boule, cylindre, cube.

3e don : cube divisé en 8 cubes.

4e don : cube divisé en 8 briques.

5e don : cube divisé en cubes subdivisés par 1 ou 2 diagonales.

6e don: cube divisé en briques, carrés et colonnes.

B. — Surfaces.

1° Plaquettes en bois.

2° Surfaces en papier : a) pliage, b) découpage, c) tissage.

C. — Lignes.

1° Petits bâtons.

2° Ouvrages aux petits pois.

3° Lattes.

4° Entrelacements de papier.

5° Jeux avec le fil.

6° Anneaux.

D. — Méthode de dessin décoratif.

E. — Point.

Perles.

2° Piquage.

3° Boutons.

4° Broderie.

F. — Matériel sans forme.

1° Modelage.

2° Sable.

A. Solides. — Les solides comprennent ce qu'on a plus spécialement appelé dons de Froebel.

1er don : six balles (couleurs diverses). — C'est la balle qui souhaite la bienvenue à l'enfant, et longtemps elle reste pour lui une fidèle amie, car, mobile et élastique, elle satisfait à toutes les exubérances de vie et de mouvement et se prête aux jeux d'adresse les plus variés, depuis la balle qui roule jusqu'à celle qui jongle. Entre les mains du tout petit enfant, la balle est le jouet par excellence, qui, tantôt en laisse, tantôt libre, représente chien, agneau, clochette, poupée, oiseau, etc. Les couleurs de la balle ne passent pas inaperçues : l'une c'est la pomme verte, l'autre c'est l'orange dorée, l'autre la cerise rouge, une quatrième rappelle la couleur du ciel, la cinquième un canari, la dernière enfin des violettes. On exerce l'enfant à balancer la balle en mesure, à la changer de main, à la faire rouler vers un camarade, et à la rattraper quand celui-ci la renvoie. Quels efforts persévérants cela demande et quelle habitude d'attention cela donne! La moindre distraction est punie, la balle se sauve d'ici ou de là, et la petite main reste vide jusqu'à ce qu'il soit permis de quitter sa place, et cela n'arrive souvent qu'à la fin du jeu.

2e don : boule, cylindre, cube. — La boule roule aussi, mais avec bruit ; elle est dure, pesante, ne rebondit pas quand on la jette, etc. La boule se présente accompagnée d'un solide nouveau de forme, le cube, qui a des rapports avec elle, mais combien de différences ! des faces, des arêtes, des angles. Le 2e don réunit la boule et le cube justement pour rendre plus frappants leurs contrastes et leurs similitudes. Comme intermédiaire entre eux se présente le cylindre, qui participe de l'un et de l'autre. Ce don, qui sert seulement aux comparaisons, n'est pas ordinairement entre les mains des enfants.

3e don : cube divisé en 8 cubes. — Voici, pour chaque enfant, une boîte bien fermée. Elle est lourde, et quand on la remue on croit entendre tout un petit peuple qui danse : ce sont des cubes qui, bien rangés les uns sur les autres, ont l'air de n'en faire qu'un. Heureusement la scie a passé par là et dans plusieurs sens : il y a 8 petits cubes qu'on peut ranger en ligne droite, en cercle, en étoile, en croix, en escalier, dont on peut faire des chaises, des tables, des maisons, des colonnes. Tout cela s'exécute avec entrain, car les objets représentés sont ceux que la causerie précédente a rendus particulièrement intéressants. Il y a aussi de l'ordre, de l'enchaînement : la forme la plus semblable au cube sert de point de départ, et la jardinière ne suggère pas au hasard l'idée des autres ; pour chaque leçon, elle a d'avance expérimenté la marche à suivre et propose les constructions nouvelles dans l'ordre qui permet de les obtenir avec les plus petites modifications ; aussi point d'écroulement bruyant, le moins de démolition possible : l'enfant doit prendre plaisir à créer et non pas à détruire.

4e don : cube divisé en 8 briques. — On dirait la boite de cubes ; mais, si l'extérieur est identique, si le volume total de l'intérieur l'est aussi, il n'y en a pas moins dedans une surprise ; plus de ces lourds solides où les trois dimensions étaient égales : des briques, semblables en petit à celles du maçon ; les constructions ne demandent qu'à s'élever, et les formes nouvelles risquent de faire tort aux formes géométriques ; on en fait pourtant, les mêmes que pour le cube, ne fût-ce que pour faire bien apprécier à l'enfant la différence d'aspect que produit dans l'ensemble la différence des parties. Arrivons vite aux églises, aux grandes fermes, aux ponts superbes que peuvent former les briques : un peu plus et cela aurait Pair grandiose.

5e don et 6e don. — Ces deux dons sont dérivés des deux précédents : le nombre des pièces est très considérable, et voici des formes jusqu'ici inconnues : des prismes, des colonnettes, des carreaux. Ce matériel est une mine inépuisable, mais, en raison de sa richesse même, il dépasserait l'intelligence des enfants si ceux-ci n'étaient, préparés par les exercices précédents et ne s'en tenaient a la règle constante de la méthode : partir d'un motif pour en produire une série d'autres soit avec le minimum de changements, soit par la recherche de l'effet le plus opposé : conciliation des contraires. Oublier ces lois, c'est arriver inconsciemment à des formes peut-être jolies, mais rencontrées par hasard. La fidélité à la règle pourra ] ne faire obtenir que des résultats identiques, mais on les aura créés intentionnellement.

B. Surfaces. — 1° Tablettes en bois. — Empruntons à chaque face de la brique, du cube, du prisme, etc., une mince couche de bois, et voilà le matériel nécessaire aux figures planes du genre mosaïque. Ces plaquettes se prêtent particulièrement bien à produire des figures symétriques, élégantes et variées ; elles n'offrent cependant aucun élément qui ne soit dans les autres dons.

Impossible, comme on voit, d'épuiser les combinaisons et les enseignements que l'on peut tirer de ce matériel pour le coup d'oeil, le goût, l'adresse et la rectitude du jugement.

Surfaces en papier. — Après les surfaces en bois viennent celles en papier. Ici se présente l'occasion de modifier définitivement l'apparence même du matériel de travail et de produire des formes stables, et même quelques petits objets usuels, jouet ou léger cadeau de l'enfant pour son entourage : lui qui est l'objet de tant de tendresse et de soins ne fera-t-il jamais quelque effort d'application pour ceux qui l'aiment? — Bien au contraire, le jardin d'enfant tient à cultiver cette plante délicate qui est la reconnaissance.

a) Pliage et b) Découpage. — L'un et l'autre exigent des doigts déjà exercés, car ce matériel si souple subit tous les faux plis et toutes les fausses coupes, au grand détriment des résultats. On part du carré, qu'on prépare de façon à ce qu'il reçoive les mêmes plis ou coupes dans toutes ses parties correspondantes ; c'est la condition de la symétrie. Pour les plus petits, le découpage devient un déchirage régulier, les ongles remplaçant les ciseaux.

Pliage et découpage peuvent servir à l'enseignement pratique d'une foule de notions géométriques ; des lignes sont tracées, des angles formés, dont les rapports et les positions relatives offrent matière à l'observation.

c) Tissage. — C'est une des occupations favorites au jardin d'enfants : il y a tant de variété dans ce travail, qui admet toutes les combinaisons possibles de trame et de chaîne, depuis la simple toile jusqu'au croisé, à l'oeil-de-perdrix, et même à certains damassés compliqués!

La diversité des couleurs ajoute à ce travail un élément artistique qui ne manque pas d'importance. La règle principale à observer est celle d'une progression lente et raisonnée.

C. Lignes. — 1° Bâtonnets. — Les bâtonnets rappellent, soit les arêtes des volumes, soit les côtés des surfaces. Employés seuls, ils servent spécialement à reproduire des figures planes, ou bien à imiter des objets usuels sans tenir compte de la perspective.

Bâtonnets et petits pois. — Les petits pois ramollis dans l'eau, des boulettes d'argile ou de mie de pain, se combinent avec les bâtonnets dont on a affilé les pointes ; ces petites boules sont le lien indispensable pour réunir les bâtonnets aux angles, et construire un cube, un prisme, etc., dont les arêtes seules seront figurées ; on peut faire également ainsi un escabeau, une table, un banc, dont les bords et les pieds seuls existent, mais il n'en faut pas davantage pour que les enfants reconnaissent la table du dîner ou le banc du préau.

Lattes et 4° Papiers entrelacés. — Les lattes et les papiers en bandes donnent lieu par leur entrecroisement à la construction de figures planes qui ont l'avantage de pouvoir se soutenir par elles-mêmes. On produit ainsi des formes artistiques (rosaces) et usuelles (barrières, fenêtres, etc.). La flexibilité du papier ajoute à ce travail un charme, une difficulté et une utilité de plus ; il s'agit souvent, pour tresser des bandelettes ou pour les entrelacer, de les diviser en parties bien égales ; c'est l'étude pratique des fractions, cachée sous du papier rose ou bleu.

Jeux avec le fil. — Même remarque à propos des jeux avec le fil : ils se font avec un cordon posé sur une ardoise un peu humide, en sorte que le cordon devient très souple et prend facilement toutes les positions ; l'enfant en profite pour lui faire reproduire les contours d'un objet quelconque, ce qui ne demande qu'un peu d'observation, ou une figure géométrique, qui, si elle est régulière, exige une grande exactitude d'exécution et une appréciation très rigoureuse des longueurs relatives.

Anneaux. — Enfin, voici le cercle qui vient rappeler la balle et donner, après toutes ces lignes si droites et si finies, la notion du sinueux et de l'infini. Là aussi, il y a des fractions, et le calcul trouve son compte en même temps que le dessin. L'anneau et ses subdivisions se prêtent à former des rosaces et des encadrements excessivement gracieux, ce qui donne à l'enfant l'idée de la courbe et de l'emploi qu'on en peut faire.

D. Méthode de dessin décoratif. — Un papier blanc et un crayon, voilà bien encore un rêve d'enfant réalisé ; mais que de griffonnages informes si, devant cette inexpérience complète, on pose d'emblée une page blanche où rien ne fixe le regard et ne dirige le crayon ! Le jardin d'enfants donne donc le papier quadrillé, et, s'il y a en cela une contrainte, c'est une contrainte bienfaisante que l'enfant ne tarde pas à accepter, parce qu'il reconnaît l'inconvénient de s'en passer: chaque ligne a un point de comparaison, les distances totales sont subdivisées, si bien que la moindre faute devient sensible. Il ne s'agit donc pas d'imiter les modèles où suffit une exactitude d'à peu près ; point d'imitation du reste : de l'invention ! C’est un triangle, un carré, un rectangle qui forme le point de départ ; ces éléments se groupent et donnent naissance à des éléments plus considérables, qui se répètent de diverses façons symétriques. L'oeil et l'esprit trouvent là sujet à un travail assidu de comparaison et de jugement.

Mais la leçon de dessin, comme toutes les autres, laisse un temps de liberté absolue à l'initiative de l'enfant ; il y a toujours un moment où le crayon peut aller à son gré, sans souci du carrelage ou de la règle : alors apparaissent des animaux et des personnages fantastiques, au milieu de passages étranges. Enfin, on propose parfois à l'imitation des enfants des formes planes très simples, des feuilles naturelles dont ils peuvent suivre le contour avec le doigt avant d'essayer de les dessiner.

E. Point. — Perles. — Les perles, cette occupation empruntée comme beaucoup d'autres à la maison paternelle, se retrouvent au jardin d'enfants. Naturellement l'enfilage, très simplifié, y est aussi plus méthodique ; l'aiguille est supprimée, et c'est une ficelle qui passe dans les gros trous des grosses perles. L'arrangement des couleurs détermine la succession des exercices : couleurs mélangées au hasard ; couleur unique ; plusieurs couleurs (combinaisons binaires, ternaires, etc.) ; puis viennent les enfilages plus compliqués à plusieurs fils, et avec perles plus fines sur fil de laiton.

Piquage. — Le jardin d'enfants n'a pas d'occupation qui charme aussi fidèlement les bambins, qui étonne et inquiète davantage le visiteur ; chaque marmot tient dans sa main un poinçon à longue pointe, dont certains spécimens ont un air de poignard qui fait trembler pour la sécurité publique ; cependant personne n'enfonce jamais son poinçon qu'en terrain permis, c'est-à-dire dans le papier et le feutre placés dessous : quand on est occupé et intéressé, il n'y a pas de temps pour les taquineries dangereuses.

Le piquage est du dessin ; quand il se fait sur papier quadrillé, il s'agit de former des bordures, des étoiles, etc., par des combinaisons de lignes droites. Pour produire ces lignes, l'enfant fait un effort tout particulier : il prévoit une ligne qui n'existe pas encore, mais il marque d'abord les points de départ et d'arrivée d'un quadrillage à l'autre, puis il prend le milieu entre ces deux extrêmes, et c'est par le sectionnement de longueurs toujours plus courtes que les points viennent se ranger tous à égales distances pour former enfin la ligne.

Un autre exercice de piquage comporte du papier uni sur lequel est tracé un contour quelconque, en général celui d'un objet dont il a été question et que les enfants sont enchantés de trouver là. L'enfant lui-même est parfois l'auteur de ces contours, s'il s'agit d'une forme plane qu'on puisse lui mettre entre les mains : il l'applique sur son papier et fait glisser son crayon le long de toutes les sinuosités ; beaucoup de feuilles peuvent ainsi fournir des modèles gracieux et utiles, si l'attention est attirée sur leur apparence relative. On fait disparaître la ligne au trait sous une ligne pointillée aussi régulièrement que possible.

Boutons. — Les boutons sont au piquage ce que les bâtonnets peuvent être au dessin : une excellente préparation. Ils s'emploient sur des cartons dont un côté porte un quadrillage à quatre ou cinq centimètres et l'autre des tracés de formes, soit géométriques, soit usuelles. Les boutons se posent sur ces lignes suivant les mêmes règles que dans le piquage, et l'on v peut mêler quelques jetons de couleur pour rendre l'effet plus gai.

Broderie. — Un joli carton où l'aiguille entre et sort par des trous percés à l'avancé et laisse derrière elle un fil de couleur vive, quelle gracieuse préparation à la couture! mais il y a nombre de difficultés préliminaires à surmonter : enfilage de l'aiguille, tension régulière et modérée du fil, etc. ; et il faut éviter ces exercices lorsqu'ils paraissent au-dessus des forces des enfants. Cependant, on ne doit pas oublier que cette occupation est de celles qui, en se prêtant à l'ornementation d'objets en carton, fournissent particulièrement à l'enfant l'occasion de petits cadeaux, en même temps que c'est la préparation à la couture, si nécessaire plus tard.

F. Matériel sans forme. — 1° Argile. — Quoique l'argile bien préparée salisse peu, le jardin d'enfants fait la part des accidents possibles. Donc, c'est au samedi qu'est réservé le grand bonheur du modelage. Quel enfant n'en a pas déjà fait ?

Si c'est le temps des pommes, en voilà une à imiter, en petit. Comment est-elle? ronde, très lisse, un peu plate, un peu creusée dessus et dessous ; la queue est restée dans un de ces enfoncements, petite queue qui reste presque toujours ainsi attachée au fruit ; un bâtonnet en tiendra lieu, et voilà des pommes qui se fabriquent à la douzaine. Une autre fois ce seront une assiette, un bol, un pot de fleurs avec un brin de mousse planté dedans, autant de créations intéressantes après exercices d'observation multipliés.

Jeux avec le sable. — Dans les petites caisses remplies de sable, on fera des champs, des jardins, des montagnes, où l'on plante des brins d'herbe et des branchettes pour faire les forêts et les prairies. Naturellement il y aune collection de jouets (poupées, ménages, animaux en bois) où puiser pour peupler cette création.

Beaucoup des occupations décrites ici sont connues dès longtemps à la maison paternelle, et Froebel ne prétend pas les avoir inventées : il en a seulement réformé quelques-unes, ajouté d'autres, et de tout cela il a fait un ensemble que régissent certaines lois indispensables pour que l'enfant aille progressivement du facile au difficile, du simple au composé.

Les leçons auxquelles ces occupations donnent lieu ne doivent jamais avoir un air rigide, pédant ; il faut qu'elles soient opportunes, soumises aux influences de temps, de dispositions, etc., qu'elles s'enchaînent les unes aux autres, car le but du jardin d'enfants est de développer harmoniquement un organisme et une intelligence uniques ; de l'harmonie du plan dépendra l'harmonie du développement ; aussi deux occupations différentes tracent-elles souvent le même sillon : variété dans l'unité. De plus, le jardin d'enfants a souci de l'individualité de chacun, et les leçons sont toujours suivies d'un moment où l'enfant peut faire ce qu'il veut du matériel qui lui est confié.

IVe Groupe : CAUSERIES. — POESIES. — CHANTS.

Le matériel d'occupations se complète par un recueil de récits délicatement choisis : contes où quelque vérité profonde est cachée sous une forme gracieuse ; fables dont le sujet, emprunté au monde des animaux et des plantes, montre toute la création active et fidèle à accomplir sa tâche dans la nature pleine d'ordre et de paix ; histoires de notre monde à nous, des histoires de tous les jours ; mais point de récits d'enfants désobéissants ou méchants et soudainement amenés à la perfection : le mauvais exemple n'a jamais corrigé personne ; il faut montrer la règle inviolée pour la rendre inviolable. Ces contes, ces fables, ces histoires, tout ce qui peut charmer l'imagination de l'enfant, tout ce qui peut éveiller dans son esprit l'intérêt à la vie et à la nature, tout ce qui peut le tourner au bien, à l'amour du prochain, et lui faire mieux sentir la sollicitude de ses parents, enfin tout ce qui peut, en lui montrant Dieu dans ses oeuvres, faire éclore la reconnaissance et préparer le sentiment religieux : voilà la causerie au jardin d'enfants, selon Froebel.

Souvent une poésie ou un chant bien simple la résume, et l'impression n'en peut devenir que plus profonde, — puis le chant par lui-même a une grande importance éducative ; l'enfant aime beaucoup à chanter, et il se laisse charnier par sa propre voix : des mélodies douces, gracieuses, le disposent au calme, à la docilité, à la joie.

Résumons en quelques lignes les buts de développement spéciaux à chaque groupe :

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On demandera peut-être si les brandies ordinaires de la première instruction, l'écriture, la lecture, le calcul proprement dit, la grammaire, la géographie, l'histoire, ne doivent jamais franchir le seuil du jardin d'enfants? Oh! oui, mais en entrant elles laissent à la porte toute leur apparence scientifique, elles prennent un air familier, si bien que les plus grands bambins les accueillent comme de vieilles connaissances : l'écriture, c'est du dessin, et la lecture donne un nom aux formes produites ; le calcul, c'est le compte d'objets qu'on a sous les yeux ou dans le souvenir ; la grammaire se trouve dans des exercices de langage amenés soit par la leçon de choses, soit par l'observation des lieux (géographie), ou par des gravures empruntées a la vie des hommes ou à la nature (histoire et histoire naturelle).

Ainsi les heures s'écoulent heureuses et bien remplies. Et qui donne l'élan à cette activité, qui la règle? qui a souci de ces membres d'enfants comme de ces intelligences et de ces petites âmes, pour les garder du mal? Cette grande et lourde tâche est celle de la « jardinière ». Elle règne par l'affection : son exemple enseigne autant que sa parole, et, comme elle a affaire à des petits êtres qui ne sont que « cire molle », elle peut espérer que son caractère se retrouve marqué dans le leur. C'est dire ce qu'elle doit être!

III

Après Froebel : première propagande. — Après la mort de Froebel en juin 1852, sa veuve, aidée de Middendorfl, continua à diriger le jardin d'enfants de Marienthal. Au bout de quelques mois, l'établissement fut transféré à Keilhau, auprès de l'institut fondé en 1816 et que dirigeait Barop. Au cinquième congrès général des instituteurs allemands, tenu en 1853 à Salzungen, Middendorff fit un exposé des idées pédagogiques de Froebel, et obtint le vote d'une résolution déclarant que « le jardin d'enfants devait être considéré comme une utile préparation à l'école primaire». Le 26 novembre de la même année, Middendorff était à son tour frappé par la mort ; Mme Froebel alors quitta Keilhau pour Dresde, où elle voulait continuer à préparer des élèves se destinant à la mission de « jardinières ». Dans l'automne de 1854, elle reçut l'invitation d'aller à Hambourg fonder un jardin d'enfants, et fixa sa résidence dans cette ville.

Nous avons déjà nommé Mme de Marenholtz au nombre des disciples les plus dévoués et les plus intelligents de la doctrine nouvelle. Elle avait rencontré Froebel à Liebenstein en 1849, et pendant trois années de suite elle avait recueilli les enseignements du vieux maître. En 1853, elle perdit son fis unique, atteint depuis des années d'une maladie incurable ; alors, n'étant plus retenue par les devoirs de la maternité, elle résolut de consacrer le reste de son existence à la propagande des idées froebeliennes. C'est à son infatigable activité que furent dus la plupart des résultats obtenus: c'est elle qui, par ses voyages, ses conférences, sa correspondance, ses livres, contribua le plus à faire connaître le jardin d'enfants. Jugeant que l'Allemagne n'offrait pas, à ce moment, un terrain favorable, elle se rendit à Londres. Un jardin d'enfants existait déjà à Hampstead ; elle réussit à en faire créer plusieurs autres, et gagna à sa cause plusieurs hommes marquants, entre autres Charles Dickens, qui publia dans son journal Household Words une série d'articles sur Froebel. Mme de Marenholtz écrivit elle-même une brochure en anglais sous ce titre : Woman's educational mission, being an explanatîon of Fr. Froebel's System of Infant Gardens. En 1855, elle vint à Paris où elle séjourna près de deux ans. Elle y rencontra des sympathies dans les milieux les plus divers : le Comité central des salles d'asile, placé sous la présidence de l'impératrice, fit accueil à son initiative et ordonna une expérience pratique, qui fut faite dans la salle d'asile que dirigeait Mme Pape-Carpantier ; Mme Jules Mallet, Félix Marbeau, le fondateur des crèches, Martin-Paschoud, membre du consistoire de l'Eglise protestante, encouragèrent ses efforts ; elle attira également l'attention des disciples de Charles Fourier et celle du philosophe Auguste Comte. Il se créa en 1856 un Comité de patronage des jardins d'enfants, et un certain nombre d'établissements se fondèrent pour l'application des principes froebeliens. Néanmoins, si Mme de Marenholtz réussit à faire connaître à la France le nom de Froebel, les résultats pratiques qu'elle y obtint ne furent pas considérables. En 1857, elle présenta au Congrès international de bienfaisance, réuni à Francfort-sur-le-Mein, un mémoire qui fut publié sous ce titre: Les jardins d'enfants, exposé présenté par Mme la baronne de Marenholtz au Congrès de Francfort. L'année suivante, elle parcourut la Belgique et la Hollande, et y recueillit de nombreuses adhésions. Sous son inspiration, un écrivain belge, M F. Jacobs, rédigea en français un Manuel des jardins d'enfants à l'usage des institutrices et des mères de famille. Vers le même temps, Mme de Crombrugghe publia une traduction des deux principaux ouvrages de Froebel, les Causeries de la mère et L'Education de l'homme. L'Alsace, que Mme de Marenholtz visita en 1859, et la Suisse française, où elle donna eu 1860 des conférences à Genève, à Lausanne, à Neuchâtel, etc., virent s'ouvrir plusieurs jardins d'enfants ; c'est à cette époque qu'Edgar Quinet et Michelet, initiés par elle aux idées de Froebel, donnèrent à ces idées une adhésion qui contribua beaucoup à les populariser.

Cependant l'Allemagne à son tour commençait à s'intéresser à l'oeuvre 3e réforme éducative poursuivie avec tant d'ardeur par l'intrépide missionnaire de la doctrine froebelienne. Diesterweg, dont l'autorité était si considérable, n'avait pas cessé de se montrer sympathique au jardin d'enfants ; Auguste Köhler avait fondé à Gotha un institut qui devint une pépinière de jeunes « jardinières », et en 1859 il créa le premier organe du jardin d'enfants, le journal Kindergarten, Bewahr-Anstalt und Elementar-Klusse. En 1860, le ministre Bethmann-Hollweg leva l'interdiction que le gouvernement prussien avait mise en 1851 sur les jardins d'enfants, et Mme de Marenholtz put espérer voir ses efforts couronnés enfin de succès dans sa propre patrie. Elle fonda en 1861 le journal Die Erziehung der Gegenwart, qui parut sous la direction du Dr Karl Schmidt, mais dont la publication fut interrompue au bout de deux ans par la mort, du rédacteur en chef. En 1863, elle réussit à constituer à Berlin la première société qui se soit fondée en Allemagne pour la réalisation des idées de Froebel, sous le nom de Erziehungsverein für Farnilien- und Volkserziehung. En 1866, elle publia son ouvrage Die Arbeit und die neue Erziehung nach Froebels Méthode (Le travail et la nouvelle éducation d'après la méthode de Froebel), Habel, Berlin. L'idée froebelienne gagnait du terrain, des jardins d'enfants se fondaient dans la plupart des villes principales, une grande école normale à l'usage des « jardinières » s'ouvrait à Berlin.

En 1871, Mme de Marenholtz, aidée du professeur Fichte (le fils du philosophe) et de M. von Leonhardi (le gendre de Krause), fonda à Dresde l'Allgemeiner Erziehungsverein, qui devait servir désormais de point central de ralliement aux disciples de Froebel. En 1873, elle recommença la publication du journal Die Erziehung der Gegenwart ; en 1876, elle lit paraître le premier volume de ses Erinnerungen an Friedrich Froebel (dont la seconde partie parut l'année suivante).

L'Autriche, la Hongrie, la Russie, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, l'Amérique, accueillaient à leur tour l'idée nouvelle. En 1871 et 1872, Mme de Marenholtz avait visité le Tyrol et l'Italie, donné des conférences dans plusieurs villes et contribué à y faire établir des jardins d'enfants. Le Congrès pédagogique tenu à Naples émit le voeu de voir créer des écoles normales pour la préparation des «jardinières ». L'Autriche fut le premier pays qui donna aux principes de Froebel une consécration officielle : l'ordonnance du 22 juin 1872 reconnut aux jardins d'enfants une existence légale. Depuis, la Belgique est entrée dans la même voie. L'arrête royal du 18 mars 1880, qui institua des cours normaux à l'usage des personnes qui aspirent à l'emploi d'institutrice d'école gardienne, prescrivit d'y enseigner « la connaissance de la méthode Froebel » ; et le programme des exercices et des occupations de l'école gardienne, du 15 septembre 1880, appela cette école « jardin d'enfants ».

En France, Mme C. Coignet et M. de Bagnaux fondèrent en 1871 une Association pour l'étude et la propagation des meilleures méthodes d'enseignement dans les écoles et dans les salles d'asile. L'attention de cette association fut attirée sur la méthode Froebel par plusieurs de ses membres qui l'avaient vu employer en Suisse, en Belgique et en Allemagne, et le comité d'études se mit à chercher les moyens d'adapter à l'enseignement français des salles d'asile les procédés froebeliens. L'association prit alors le nom de Société Froebel. Aidée par une subvention annuelle que le Conseil municipal de Paris lui accorda à partir de 1872, elle envoya des personnes compétentes étudier la méthode en Belgique et en Allemagne ; elle créa une installation spéciale dans un asile de la rue de Puebla, puis dans l'asile de la rue Boursault ; elle présenta à l'Exposition universelle de 1878 un modèle de classe Froebel, qui lui valut une médaille d'argent, et en 1879 elle publia un programme pour les écoles enfantines avec adaptation de la méthode Froebel. En 1880, elle obtint l'autorisation d'expérimenter ce programme dans une salle d'asile publique à Paris (40. rue Madame).

Mais déjà en 1882 la Société renonçait à suivre de près la pensée de Froebel et prenait simplement le nom de Société des Ecoles enfantines, sous lequel, d'une façon générale, elle continua d'étudier les questions relatives à l'enseignement de la première enfance. Seul le pédagogue Ch. Delon continua jusqu'en 1891, à la Société pour l'instruction élémentaire, un cours spécial de méthode froebelienne commencé dès 1873 ; en même temps par ses ouvrages, surtout par ses deux volumes de Méthode intuitive (Exercices et travaux pour les enfants), il se montrait nettement attaché à la doctrine froebelienne tout en tenant compte des adaptations nécessaires et des progrès accomplis. Les Avertissements et l'Introduction des Exercices et travaux sont jusqu'ici les meilleurs guides français pour pénétrer dans la pensée de Froebel et dans sa méthode.

IV

Situation actuelle (1909). — Les expériences faites à Paris ont contribué à vulgariser en France le matériel Froebel, mais non les principes directeurs de la méthode, malgré leur extrême importance. Les « dons Froebel » lurent inscrits au catalogue du matériel scolaire, et l'on en usa médiocrement. On tira meilleur parti des « occupations », et les travaux manuels enfantins, insuffisamment et trop rarement variés, figurèrent aux horaires.

Néanmoins une grande et juste idée était entrée dans le monde, — l'idée de prendre l'activité physique de l'enfant comme point de départ des connaissances et des progrès.

Libre et constant maniement d'objets, va-et-vient incessant du jeune être, comme cela a lieu spontanément dans les jeux, enseignement par l'observation et par le travail, tel était pour Froebel le pivot de la méthode, car « ainsi la pensée se développe rapidement d'elle-même en constatant les rapports entre les choses et en découvrant nos moyens d'action sur les objets et sur les créatures ».

Cette idée semble devoir peu à peu conquérir l'enseignement tout entier, et son influence est dès aujourd'hui particulièrement sensible dans les écoles de la première enfance. On constate, en effet, que ces établissements ont de plus en plus les mêmes programmes, et que les éducateurs, en théorie du moins, inclinent tous à multiplier les occasions d'activité physique individuelle, selon l'exemple de Froebel, soit qu'on étudie mieux son oeuvre, soit qu'on lui emprunte inconsciemment, soit enfin que l'expérience personnelle amène certains praticiens aux mêmes conclusions que lui.

La plupart des pays, d'ailleurs, — la France exceptée, — se sont mis à organiser fortement l'élude de la méthode Froebel, que l'on cherche à vulgariser par des cours théoriques et pratiques, — d'où résultent une pénétration croissante et des réformes éducatives dans le sens froebelien.

C'est ce que vient de constater dernièrement encore (1907) le rapport du Board of Education d'Angleterre d'après une enquête dirigée par la Société Froebel de Grande-Bretagne et d'Irlande.

Cette enquête fut faite par correspondance et à l'aide de questionnaires identiques, où il était loisible d'ajouter tels détails supplémentaires que l'on jugerait intéressants.

Il y eut 103 réponses plus ou moins complètes, concernant 18 pays, savoir: Allemagne, Autriche-Hongrie, Danemark Egypte, Etats-Unis, Finlande, France, Hollande, Iles Britanniques, Italie, Japon, Norvège, Russie, Suède, Suisse, et plusieurs colonies anglaises, comme la Nouvelles-Galles du Sud, le Canada, etc.

Rien de plus varié que l'organisation de l'éducation du premier âge dans ces divers pays : tantôt elle dépend de l'Etat, tantôt des autorités locales ou des sociétés privées, et le nom même des établissements diffère grandement.

Le nom de Jardin d'enfants est parfois réservé à ceux où les enfants sont réunis pendant un temps relativement court, deux à quatre heures par jour, pour des occupations manuelles, jeux éducatifs, etc., sans aucun appareil scolaire, ni intention de remplacer la famille dans les soins physiques. Leur clientèle est donc la classe aisée ou bourgeoise.

Les noms d'école maternelle, d'école enfantine, d'école gardienne, de Child Nursery. Kinderbewahr-anstalt, etc., caractérisent au contraire plutôt des établissements populaires de plus en plus indispensables pour abriter l'enfant dont les parents sont absorbés par le travail ; et ces établissements indiquent sans cesse davantage une sollicitude avertie pour le bien-être de l'enfant pauvre : Voir Maternelles (Ecoles).

Mais, dit le rapport, « lorsqu'il s'agit des programmes, on trouve partout des allusions au matériel et aux procédés froebeliens complétés et adaptés selon les circonstances locales et le génie de chaque race », — ainsi que l'aurait souhaité le grand novateur qui cherchait ses inspirations auprès du berceau des enfants de son pays.

Pour être dans l'esprit même du créateur du jardin d'enfants, il doit donc être bien entendu que Froebel a laissé un exemple à suivre, et non un crédo à répéter ou des procédés à imiter servilement. L'idéal du jardin d'enfants n'est pas dans le passé, il est dans l'avenir ; et, pour l'atteindre, il faut non pas copier docilement un modèle, ce gui conduirait à la routine et paralyserait l'esprit d'initiative, mais travailler d'une façon toujours plus parfaite sur les idées fécondes dont Froebel a fait la base de son système d'éducation. Comme l'a dit Wichard Lange au centenaire de Froebel : « Les grandes lignes seules sont tracées ; la pédagogie a le devoir de bâtir là-dessus ».

Henriette-Suzanne Brès