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Interrogations

Les interrogations forment une partie essentielle de l'enseignement. Entre les mains d'un maître judicieux, elles sont un puissant moyen de contrôle et de progrès.

Le but premier et le plus naturel de l'interrogation est de s'assurer, à la fin d'une leçon, si l'élève a écouté, s'il a retenu les principaux faits, les principales données de la leçon. Il les a encore tout irais dans la mémoire ; les mots vibrent encore dans ses oreilles. Des interrogations les graveront plus profondément, en obligéant l'élève à répéter ce qu'il a entendu, en faisant passer par ses lèvres ce qui risquait de s'envoler sans laisser de traces. L'interrogation est encore utile au commencement d'une nouvelle leçon, pour remettre les élèves au courant de ce qui a précédé.

A ce résultat matériel, l'interrogation en joint un autre, plus important. Des questions bien faites montreront si les élèves ont non seulement retenu, mais compris ce qu'on leur a dit. Selon les réponses, le maître verra s'il a besoin d'insister, d'expliquer, de faire plus de lumière ; il sera averti tout à la fois des faiblesses de ses élèves et des lacunes de son enseignement.

Il n'est pas toujours nécessaire d'attendre la fin d'une leçon pour interroger ; il est souvent utile, nécessaire d'interroger au cours de la leçon. Il y a de l'engourdissement, l'attention paraît endormie, la parole du maître est devenue monotone ou les esprits des écoliers sont distraits. Tout à coup, brusquement, quelques questions courtes, vives, drues, volent çà et là dans la classe comme des flèches, réveillent tout le monde, aiguillonnent, relèvent les têtes, allument les regards, piquent la curiosité, ravivent l'intérêt, tiennent l'auditoire en haleine.

Les interrogations peuvent aussi être méthodiques, attendues ; elles ont alors pour but de repasser une partie du cours, de préparer à des examens plus sérieux, plus complets, d'exercer à bien répondre, d'acquérir les esprits. Ces interrogations peuvent avoir lieu à des époques régulières ; il n'est pas inutile qu'elles soient faites quelquefois par un autre maître que le professeur habituel ; elles accoutument mieux les enfants à répondre sans s'intimider et se troubler.

Il y a enfin les interrogations solennelles, les examens soit de fin d'année, soit d'entrée dans une nouvelle classe, dont l'objet est de s'assurer que les études avancent, que les cours ont été fructueux. Ce genre d'interrogation pourrait, avec quelque avantage, se faire, sinon publiquement, du moins en présence de plusieurs personnes, inspecteurs, professeurs, maîtres adjoints, délégués, quelques parents peut-être, de manière à former une sorte de public qui impose, dont la présence soit une cause de crainte salutaire et d'émulation. Les élèves ne manqueront pas de travailler pour se mettre en état de répondre à de pareilles interrogations.

Aux interrogations qui portent sur ce qui a été appris, il faut joindre celles qui ont pour dessein d'exciter et de discipliner les esprits, de les conduire graduellement à des idées, à des conclusions qu'ils élaborent eux-mêmes, de les mener à la découverte. Par une série de questions que le maître a calculées d'avance, il fait passer l'esprit de l'enfant du connu à l'inconnu, il tire de cette intelligence en travail ce qui est enfoui, ce qui s'agite inconsciemment, obscurément, il met en lumière les sentiments, les principes cachés, il amène l'élève à énoncer les conséquences, à formuler les conclusions, il lui donne la joie de créer, pour ainsi dire, de voir peu à peu se dégager des vérités nouvelles, des déductions inattendues, de s'écrier tout à coup : J'ai trouvé!

Toutes ces interrogations doivent se faire avec intelligence, avec soin. Elles ne sont pas destinée à donner du répit au maître, à le reposer ; elles ne veulent pas un esprit distrait, une parole lourde. Elles seront variées de forme selon les sujets. On n'interroge pas de la même manière sur l'arithmétique, la géométrie, ou sur l'histoire et la morale. Elles varieront également selon les âges et même selon les enfants. Les questions doivent être courtes et nettes, appeler une réponse claire et précise. Il faut se garder de poser des questions vagues, insaisissables, ou qui exigent un long développement ; ce n'est pas sur une période entière, sur l'objet de toute une leçon, mais sur des faits, des dates, des définitions, des démonstrations, des idées déterminées, que portera chaque question.

Les interrogations doivent être bienveillantes, encourageantes: elles doivent, par le fond comme par la forme, solliciter et attirer la réponse. Laissez le ton sec, la voix cassante, la formule hautaine. Si vous n'êtes pas compris, reprenez sous une forme nouvelle.

Si vous voulez rabattre un présomptueux, confondre un ignorant, un paresseux, vos questions le feront bien vile sans qu'il soit besoin de les pousser jusqu'à l'amertume, jusqu'à la torture. Jamais un bon maître ne cherchera à briller dans ses interrogations aux dépens de ses élèves, ni à les embarrasser par plaisir. Les interrogations n'ont pas pour but de faire l'étalage de la science du maître, mais uniquement de stimuler et d'instruire l'écolier.

Les questions gagneront souvent à être préparées. On court parfois des risques à interroger au hasard. Il faut connaître parfaitement les matières sur lesquelles on interroge, sous peine d'être pris en flagrant délit d'inexactitude, d'insuffisance. Il va sans dire que l'on ne doit jamais interroger un enfant en dehors de ce qu'il sait ou plutôt de ce qu'il peut et doit savoir. Agir autrement serait pédanterie pure, manque de tact et de discernement.

On peut abuser de tout, même des interrogations. Elles veulent être faites avec discrétion à propos. Il ne faut pas qu'elles envahissent toute la classe, qu'elles se substituent à l'enseignement lui-même, qu'elles soient vides, banales, insignifiantes, monotones, qu'elles ne supposent ou ne provoquent aucun effort. Il faut moins encore qu'elles amènent des réponses convenues, stéréotypées, apprises par coeur, qu'elles tournent au « catéchisme ». L'enseignement mis en demandes et réponses est au rebours du bon sens pédagogique. La leçon doit précéder l'interrogation ; la réponse doit jaillir spontanément de l'esprit de l'élève, comme l'étincelle jaillit du choc. La leçon doit être libre et vivante, l'interrogation doit servir de point de repère et de guide, la réponse doit être « trouvée ».

Jules Steeg