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Indiens

On donne ce nom aux indigènes des deux Amériques (sauf les Esquimaux). Il Y a un siècle environ, Humboldt en comptait neuf millions, ce qui faisait à peu près le quart de la population des deux Amériques ; aujourd'hui, ils sont près de dix millions et forment à peine la quinzième partie de cette population. Les Indiens constituent la race dite américaine, ou plutôt les quatre races américaines, qui se sont formées probablement sur place. Le seul caractère commun à toutes les races américaines est la coloration de la peau, qui est jaune et non rouge comme on le dit encore très souvent, malgré les constatations contraires faites par de nombreux naturalistes et anthropologistes. Cette coloration, jointe à la nature des cheveux, qui sont droits et raides chez la majorité des Indiens, rapprochent ces peuples de la race mongole ; mais d'autres caractères, comme le nez proéminent, souvent convexe, les yeux non obliques dans la majorité des cas, sans bride ni repli de la paupière supérieure, les en éloignent.

Au moment de l'arrivée de Christophe Colomb, les différents « groupes ethniques » américains, parlant des langues très nombreuses et n'ayant point d'origine commune, se trouvaient à des degrés divers de civilisation, mais aucun n'avait dépassé l'âge dit du bronze. Certaines populations étaient des chasseurs sauvages et se servaient d'outils et d'armes en pierre, en bois, en coquilles, en corne ; d'autres étaient plus civilisés.

Ainsi au Mexique et dans l'Amérique centrale, au moment de la conquête, florissait une civilisation assez avancée ; divers peuples ou « nations » y avaient formé des Etats plus ou moins bien organisés : il faut citer en particulier les Olmèques et, plus tard, les Aztèques ou Nahua sur le haut plateau mexicain. Cette civilisation avait pour base, au point de vue économique, « la culture à la houe » du maïs, du tabac, du cacao, ainsi qu'une industrie assez développée : tissage d'étoffes, poterie, fabrication du papier, martelage et fonte de l'or, de l'argent, du cuivre, et du bronze. L'architecture et la sculpture y avaient atteint une grande perfection, ainsi que l'écriture idéographique et hiéroglyphique. Au point de vue politique, c'était une fédération d'Etats démocratiques, souvent sous la domination d'un dictateur. Leur religion, fondée sur le culte du soleil et des éléments, comportait les sacrifices humains.

La civilisation des Quichua, qui s'est épanouie sur les hauts plateaux des Andes de l'Amérique méridionale, différait beaucoup de celle des Mexicains. La plus connue des nations Quichua formait 1' « Empire des Incas», doté d'un régime communiste despotique. La nation gouvernée par les Incas c'avait point d'écriture, et se contentait, pour communiquer les idées, de moyens mnémoniques (les cordes à noeuds ou « quippos ») ; elle avait pour animal domestique le lama ; son culte était moins sanguinaire que celui des Nahua.

Que devait-il advenir des Indiens dès le premier contact avec les blancs? Il n'était pas difficile de le prévoir. Le fort a opprimé le faible. On écrirait des volumes si l'on voulait énumérer toutes les guerres sanguinaires, les exterminations impitoyables, l'asservissement des indigènes, l'usurpation de leurs terres, les violations des traités par les Européens. Aux Antilles, les Caraïbes ont été purement et simplement exterminés par les premiers Espagnols arrivés à la suite de Christophe Colomb. Au Mexique, la civilisation nahua a été détruite ; mais la population, plus résistante que les Caraïbes, n'a pas disparu malgré les nombreux massacres : elle a, au contraire, absorbé le conquérant et formé une nation nouvelle, celle des métis à tous les degrés, qui constituent aujourd'hui la grande majorité des citoyens mexicains.

Au Brésil, parallèlement aux violences et à la mauvaise foi des premiers colons, on vit se produire les efforts des Jésuites pour défendre la vie des indigènes, en vue de gagner leurs âmes, en organisant les « réductions », où ils comptaient les convertir. Repoussés du Brésil, c'est au Paraguay qu'ils réussirent à réaliser leur rêve. Ils organisèrent une immense communauté, formée d'indigènes pieux et dociles dont l'existence était réglée au son des cloches. Les devoirs religieux, l'éducation, le travail, les réjouissances, les rapports sexuels même, étaient minutieusement réglementés, et l'obéissance était maintenue grâce à un système d'espionnage et de punitions. Après une existence plus que séculaire, les « réductions » furent détruites, et les indigènes périrent rapidement dès qu'ils ne furent plus soutenus par la main qui les avait dirigés.

Quant aux Etats-Unis, les choses s'y passèrent à peu près bien au début, tant qu'il y eut assez de place pour les premiers colons : on concluait des traités avec les Indiens, comme avec une puissance étrangère, en leur achetant les droits de « concession ». Mais le flot montant de l'émigration amena bientôt les abus, les fraudes, les violences, et le « refoulement » des Indiens vers l'Ouest commença. Une fois chassés des régions qui s'étendent à l'Est du Mississipi, les Indiens eurent à céder successivement les terres les plus fertiles qu'ils occupaient à l'Ouest du fleuve, et ce qu'ils ne donnèrent pas de bon gré leur fut arraché de force. Le gouvernement dut établir les « réserves », où l'on concentra les débris des différentes tribus sous la surveillance d'agents spéciaux. Ces derniers, le plus souvent des protégés des politiciens, ne connaissant rien des Indiens, compromirent tellement le système des réserves, qu'on dut le réformer par la loi de 1887, qui soumet les Indiens au droit commun, fait d'eux des citoyens des Etats-Unis, et leur assure le lotissement des terrains dans certaines conditions, pas toujours avantageuses. Aussi il y eut des révoltes, parmi lesquelles celle des Sioux de l'Oklahoma, en 1880, est la plus connue : elle a coûté la vie à plusieurs centaines d'Indiens, hommes, femmes et enfants. Il est à noter qu'elle coïncida, comme presque toutes les révoltes des Indiens aux Etats-Unis et au Mexique depuis le dix-huitième siècle, avec la propagande active d'une « religion nouvelle », sorte de messianisme fondé sur l'espérance de « temps meilleurs » à venir. Au Canada, les choses se passèrent à peu près comme aux Etats-Unis : les Indiens y sont soit tout à fait « civilisés » et assimilés au reste des habitants, comme les Iroquois, soit parqués dans des réserves.

On n'a fait des efforts systématiques pour organiser l'enseignement des Indiens qu'aux Etats-Unis, et en partie au Canada. Dans le reste de l'Amérique, ils reçoivent, quand ils peuvent, la même instruction que le reste des habitants, ou bien ils restent dans leur ancien état « sauvage ». Il ne faut pas croire toutefois que, dans cet état dit « sauvage », l'éducation des enfants soit nulle ; au contraire, elle est très bien appropriée au milieu, et comprend non seulement un ensemble de connaissances pratiques en matière de chasse, de pêche et d'agriculture, mais encore les beaux-arts, l'éloquence, l'étiquette, les coutumes, les légendes et les traditions de la tribu. Dans les pueblos du Mexique septentrional, on familiarisait les enfants avec les images et les objets sacrés, et l' « initiation » comprenait aussi les devoirs envers la tribu et son « totem ». Le père ou le grand-père du jeune Apache lui enseignait à compter, à courir sur les terrains les plus divers, à plonger dans l'eau froide, tout en cherchant à le rendre astucieux et courageux.

Aux Etats-Unis, l'enseignement des Indiens a commencé avec la fondation de Henrico College (1618) et l'envoi de plusieurs jeunes gens indiens dans les collèges en Angleterre. Au dix-huitième siècle, on admit quelques jeunes Indiens dans les universités, nouvellement créées. Au commencement du dix-neuvième siècle, des écoles pour les Indiens furent fondées dans les tribus mêmes. Plus tard, les écoles d'externes furent transformées en internats ; et enfin en 1873 ces internais ont été reportés loin des tribus, afin d'arracher complètement la nouvelle génération à son milieu originaire et de la couler dans le moule yankee. Ce système a été imité au Canada. En 1879 fut créée en Pensylvanie l'Ecole de Carlisle, le modèle du genre, où garçons et filles reçoivent une instruction à la Ibis théorique (allant jusqu'à l'examen des degrés supérieurs des écoles publiques) et pratique (ferme, boutiques, ateliers, etc.) ; on y favorise la fusion des jeunes Indiens avec les blancs en les plaçant en pension dans les familles américaines et en leur permettant pendant les vacances d'aller gagner de l'argent au dehors. Depuis 1900, une centaine d'étudiants indiens suivent des cours supérieurs à l'institution Hampton.

Le programme actuel adopté par l'Indian Office pour les écoles primaires indiennes comprend l'anglais, l'arithmétique, la géographie, l'histoire des Etats-Unis, les travaux agricoles et industriels, la comptabilité, la gymnastique. Ce genre d'enseignement se donnait en 1908 dans 253 écoles, qui coûtent annuellement 5 millions de dollars. Le modèle du genre est la Chilocco Indian Industrial School. Depuis la loi de 1887, les Indiens envoient aussi leurs enfants dans les écoles des blancs.

Joseph Deniker