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Imitation

L'imitation est une des forces mentales qui jouent un rôle prééminent dans la formation de l'individu et dans le développement des sociétés humaines". Pour faire saisir sa puissance, il suffirait de rappeler qu'elle est la condition essentielle de l'acquisition du langage. L'enfant sans doute témoigne d'une certaine initiative verbale quand il apprend à parler : instinctivement, il émet des sons, il crie, il gazouille et il fournit ainsi de lui-même, spontanément, la matière du langage. Mais la forme, c'est-à-dire les mots de la langue maternelle qui ont façonné cette matière première, c'est par imitation qu'il les répète, plus ou moins maladroitement d'abord, en les défigurant, en les estropiant, et peu à peu avec plus de sûreté et d'exactitude, à mesure que ses organes d'articulation se fortifient et que son attention grandit.

Ce n'est pas seulement dans l'acquisition du langage que ! imitation exerce son influence : les mouvements, les actes de l'enfant ne sont bien souvent que singeries. Et aussi bien que les premières années de l'enfance, tous les âges de la vie sont plus ou moins soumis à l'empire de l'imitation. Elle est une des conditions essentielles de la vie sociale : c'est grâce à elle en effet que les différences individuelles se fondent, s'harmonisent, et que l'humanité aboutit à une assimilation chaque jour plus profonde.

Sans doute, et fort heureusement, il y a des forces antagonistes qui à la tradition opposent le progrès : elles viennent rompre la monotonie et l'uniformité des actions toujours les mêmes, répétées par des hommes qui se singent, qui se copient les uns les autres. Il y a l'esprit d'initiative et l'esprit d'entreprise, le besoin d'inventer et du faire de nouveau, l'originalité, le sens propre, la liberté enfin. Mais combien est considérable tout de même la part des actes purement imitatifs ! Dans une société depuis longtemps immobile, telle que le peuple chinois, les générations se succèdent, sans rien changer aux traditions immémoriales, transmises par les ancêtres. C'est un recommencement perpétuel des mêmes rites, des mêmes coutumes : l'homme d'aujourd'hui est la copie fidèle de l'homme d'il y a mille ans. Qu'est ce qu'une société même très civilisée, sinon celle où la presque totalité des citoyens qui la composent se plient et se conforment aux mêmes usages ; où l'on s'habille, où l'on se meuble, où l'on pense souvent comme son voisin? Et lorsqu'une civilisation nouvelle se fonde, comme cela se voit au Japon, d'où vient en partie le progrès accompli, sinon de l'imitation des peuples étrangers auxquels on emprunte leurs inventions et leurs arts?

L'imitation Se présente sous des formes très diverses. Pur instinct à l'origine, elle devient ensuite un mobile d'action raisonné, une manifestation intelligente de l'activité. Les avis sont partagés d'ailleurs sur la question de savoir quelle part il faut attribuer au degré d'intelligence dans la tendance à l'imitation. Buffon a dit : « Parmi les hommes, ce sont ordinairement ceux qui réfléchissent le moins qui ont le plus le talent de l'imitation ». Chez les animaux, le talent d'imitation, bien loin de supposer de l'esprit et de la pensée, prouve au contraire qu'ils en sont absolument privés. Dans le même sens, Darwin a écrit : « La tendance à l'imitation est vivace surtout chez les sauvages ». Mais Romanes, dans son livre sur l'Evolution mentale chez les animaux, est d'une opinion contraire : « Comme la faculté d'imitation, dit-il, dépend de la faculté d'observation, elle se développera d'autant plus chez les animaux qu'ils seront plus intelligents ». La contradiction est plus apparente que réelle : les trois naturalistes n'ont pas parlé de la même forme d'imitation. Dans les actes imitatifs, il y a toujours à distinguer ce qui relève de l'automatisme, de la machine, et ce qui appartient à la réflexion, à la volonté. « L'homme ? selon le mot de Pascal ? est automate autant qu'esprit. » L'imitation est tantôt inconsciente, involontaire, machinale, tantôt réfléchie, raisonnée, volontaire. Ce qu'affirment Buffon et Darwin s'applique surtout à la première forme d'imitation ; ce que prétend Romanes, à la seconde.

Chez l'adolescent, chez l'adulte, l'imitation impulsive, involontaire, coexiste avec l'imitation volontaire : il en reste au moins des traces, quoiqu'elle ne domine plus. Chez l'enfant, elle existe presque seule, au début tout au moins, et l'imitation volontaire commence seulement à poindre.

Que l'enfant soit extrêmement imitatif et qu'il le montre de très bonne heure, c'est ce qu'il n'est pas besoin de prouver. Tout ce qui frappe ses oreilles, tout ce que perçoivent ses yeux, il essaie de le reproduire. Il est comme l'écho vivant, comme la photographie animée de tout ce qu'il voit et de tout ce qu'il entend. Mais toutes ces imitations de l'enfant n'émanent nullement d'une volonté consciente. Dans ses commencements, l'imitation est automatique, presque réflexe. La faiblesse physique et morale, le défaut d'initiative, l'absence d'individualité, chez un petit être qui n'a pas encore nettement conscience de son moi, tout cela fait de l'enfant un aveugle imitateur. Il est à la merci des impressions qui le sollicitent de toutes parts : « L'ignorance des enfants, a dit Fénelon, dans le cerveau desquels rien n'est encore imprimé et qui n'ont aucune habitude ; les rend souples et enclins à imiter tout ce qu'ils voient. »

Même sous sa forme la plus élémentaire, l'imitation suppose tout au moins la perception de ce qui est imité. Pour que l'enfant répète ou essaie de répéter un geste, une attitude, il faut qu'il les ait vus ; pour qu'il reproduise un son, un mot, il faut qu'il les ait entendus. Donc une représentation intellectuelle plus ou moins nette, qui sera soit une perception, si l'enfant imite immédiatement ce qu'il voit ou ce qu'il entend, soit un souvenir, une image, si l'imitation déjà plus libre s'exerce à distance, telle est la base de tout acte d'imitation instinctive. Mais si, à son premier degré, l'imitation suit simplement la pente de l'instinct, sans que l'enfant s'en doute presque, elle ne larde pas à devenir un effort conscient et volontaire. L'enfant imite alors par un acte de volonté plus ou moins réfléchie certaines actions qu'il a particulièrement observées, et qui, pour une raison ou pour une autre, ont excité son intérêt. Cette imitation réfléchie implique doublement la participation de la volonté : d'abord, dans l'attention qu'on accorde à un acte, de préférence à tout autre ; ensuite, dans l'effort qu'on est obligé de faire pour reproduire exactement ce qu'on veut imiter. C'est de cette imitation-là que l'éducateur doit surtout se préoccuper ; c'est la seule qu'il puisse gouverner, et dont il soit vraiment le maître par le choix des objets qu'il présente à ses élèves et des exemples qu'il leur propose.

L'imitation agit plus ou moins, selon les circonstances et d'après certaines conditions. Nous en distinguerons trois qui les facilitent et les favorisent, ou qui, autrement dit, accroissent la force de l'exemple. Ce sont : 1° la sympathie, l'affection que l'enfant ressent pour son modèle ; 2° le respect que ce modèle inspire, et, à plus forte raison, l'admiration qu'il peut mériter ; 3° enfin la similitude de l'âge, du genre de vie. Nous allons voir tour à tour chacun de ces trois éléments jouer son rôle avec une force particulière dans trois cas différents : lorsque l'enfant imite des parents qu'il aime ; lorsqu'il imite un maître qu'il respecte ; enfin lorsqu'il imite ses camarades d'école, ses compagnons d'âge. Ces trois conditions, d'ailleurs, bien qu'elles puissent agir isolément, mêlent souvent et confondent plus ou moins leurs diverses influences. L'exemple sera d'autant plus persuasif qu'à la fois nous aimerons et respecterons celui qui nous le donne. De même la tendance à l'imitation sera plus forte, si les bons exemples nous viennent d un camarade dont nous avons fait notre ami, parce qu'alors la ressemblance de l'âge et l'affection s'uniront pour nous entraîner. Ajoutons qu'une condition générale préside à l'action de ces trois causes distinctes ; c'est naturellement la présence, la proximité du modèle, et par suite la possibilité de le voir de près, de le fréquenter. La Puissance de l'exemple est d'autant plus grande que exemple est plus rapproché de nous et que, observé directement, il frappe davantage nos sens et notre imagination.

L'affection, la sympathie, l'amour se placent au premier rang parmi les sentiments dont on peut dire qu'ils sont les introducteurs de l'imitation. Nous sommes plus particulièrement portés à imiter ceux que nous aimons. « De la sympathie, disait Mme Necker de Saussure, naît une pente à l'imitation. Après avoir senti comme nous, l'enfant veut agir comme nous. » Et Tarde écrivait: «L'aimant copie l'aimé». La sympathie, on le sait, a deux sens : tantôt elle n'est que la faculté qui nous fait participer aux joies ou aux peines d'autrui, tantôt le penchant affectueux qui attire deux personnes l'une vers l'autre. Sous sa première forme, la sympathie n'est qu'une imitation morale, le besoin secret de mettre nos sentiments et nos pensées d'accord avec les sentiments et les pensées de nos semblables. L'enfant qui pleure en voyant pleurer, qui devient triste quand sa mère est triste, ne fait au fond qu'imiter. De même la sympathie considérée comme un sentiment d'affection est aussi un principe d'imitation. Ce sont les parents qu'il aime, les soeurs et les frères qu'il chérit que l'enfant imite de préférence. Aimer quelqu'un n'est-ce pas en partie vouloir lui ressembler? Le désir d'imitation est irrésistible quand il est porté sur les ailes de l'amour. Et cela est vrai de l'amour filial comme de toute autre forme d'amour. Considérons d'ailleurs qu'à l'affection qu'inspirent le père et la mère s'ajoute, pour influencer l'enfant, l'autorité qu'ils tiennent de la nature ; et qu'enfin, précisément parce qu'ils vivent plus constamment avec lui, au moins dans les premières années, leurs exemples sont plus efficaces parce qu'ils sont plus souvent sous les yeux de leurs enfants.

Les parents jouent donc à tous les points de vue, dans la vie des enfants, un rôle exemplaire, dont les conséquences peuvent être graves en bien comme en mal. Un fils qui voit son père toujours au travail est incité à devenir laborieux lui-même par imitation. Et, inversement, comment le spectacle continu que donne à sa fille une mère désordonnée, malpropre, n'aurait-il pas pour conséquence de faire d'elle, à son image, une petite créature de tenue négligée et déréglée? Ce sont les mauvais exemples des parents qui font les enfants mal élevés.

Sans être doué du même pouvoir que l'exemple des parents, l'exemple des maîtres n'en a pas moins un grand intérêt. Et ici apparaît avec plus d'éclat que dans la famille un nouveau principe d'imitation : la tendance à vouloir ressembler à ceux qui sont au-dessus de nous, qui non seulement nous dominent du fait de la fonction qu'ils occupent, mais qui nous sont supérieurs par leur savoir, par leur rang social. Tarde a fait remarquer, non sans raison, que les personnes qu'on est le plus porté à imiter sont celles auxquelles on doit obéissance. «Les masses, écrivait-il, ont toujours eu un penchant à copier les rois, la cour, les classes supérieures, dans la mesure où elles ont accepté leur domination. De tout temps les classes dominantes ont été les classes modèles. » La comédie de Molière le Bourgeois gentilhomme est comme l'illustration de cette vérité. Dans la famille, même aux temps primitifs, lorsque l'autorité paternelle était un pouvoir absolu, fondé sur la crainte plus que sur l'amour, «le père était l'infaillible oracle et le souverain roi de l'enfant : par cette raison, il était son modèle suprême ». La docilité et la crédulité entrent pour beaucoup dans la tendance à l'imitation.

Les plus savantes leçons, les plus éloquentes même, n'égaleront jamais la prédication muette des bons exemples. « Un instituteur qui donne le bon exemple à ses élèves, a écrit un pédagogue américain, vaut mieux à lui seul que mille manuels de morale. » La suggestion de l'exemple est d'autant plus forte qu'elle est plus dissimulée, que l'enfant ne s'en défie pas, et que son influence le pénètre sans qu'il s'en doute. Et comment les élèves ne voudraient-ils pas s'efforcer d'imiter un maître qu'ils aiment et qu'ils estiment ! Que sera-ce, s'ils l'admirent comme les élèves de Fontenay admiraient Pécaut !

D'autre part, un maître aura beau prêcher le devoir et la vertu, si ses actes démentent ses paroles, s'il lui arrive de se mettre en colère après qu'il a célébré la modération et la patience, s'il n'est pas lui-même un modèle d'exactitude alors qu'il aura recommandé à ses élèves l'ordre et la régularité dans leur travail, ils s'autoriseront de ses exemples pour ne pas suivre ses conseils.

La nature humaine est « ondoyante et diverse ». Elle l'est au point que des causes contraires peuvent produire des résultats moraux analogues ou même semblables. N'est-il pas contradictoire, en effet, après avoir dit que l'imitation s'attache de préférence aux actes de ceux qui nous sont supérieurs, de constater maintenant cet autre fait qu'elle n'est jamais plus puissante que quand elle agit entre égaux ? C'est cependant la vérité. On sait combien est grande l'action que des camarades du même âge exercent les uns sur les autres. D'une part, sans doute par une sorte d'ambition, de vanité puérile, l?enfant choisira pour modèles, parmi ses camarades, ceux qui sont plus forts, plus âgés que lui. Il aime à hausser sa petite taille, à jouer au jeune homme. Mais en même temps, avec tous ceux qui, de même âge que lui, suivent la même classe, jouent aux mêmes jeux dans la même cour de recréation, quelle inclination n'a-t-il pas à les imiter ! Il les imitera instinctivement dans leurs gestes, dans leur manières, dans leur façon de parler, dans leur prononciation, dans leur accent. Il les imitera volontairement, pour peu qu'il ait un bon naturel, dans leur sagesse, dans leur ardeur au travail. Ceux qui se ressemblent déjà en quelque chose aspirent à se ressembler toujours davantage.

Le danger des mauvaises compagnies est un vieux lieu commun de la morale : nous n'y insisterons pas. Rappelons-nous plutôt de quel secours nous a été dans le développement de notre propre esprit l'imitation de nos bons amis de jeunesse, de ceux avec lesquels nous avons vécu intimement et collaboré dans les mêmes études. Nous les imitions dans leurs lectures, dans leurs méthodes de travail, dans l'emploi de leurs promenades aux jours de congé. Nous en devenions meilleurs : c'était de l'émulation sans doute, mais l'émulation, avant de vouloir surpasser, veut égaler, c'est-à-dire imiter.

L'imitation est une arme à deux tranchants! Si, d'un côté, elle tend à faire passer en nous les bonnes qualités que nous remarquons chez les autres, elle fait aussi une sorte de propagande secrète en faveur de leurs mauvaises qualités. Elle est ouvrière de vice, non moins que de vertu. Il y a de véritables épidémie morales qui propagent, d'individu à individu, les mauvaises habitudes. Le fléau de l'alcoolisme ne ferait pas un si grand nombre de victimes, si l'exemple ne lui venait pas en aide : pourquoi ne pas faire soi-même ce qu'on voit tant autour de soi de gens se permettre ! On trouve ainsi dans la conduite d'autrui une excuse à sa propre conduite, une justification de ses fautes personnelles ; et le maléfice d'une tentation est autrement puissant quand nous voyons que nombre d'hommes y sont succombé avant nous. Le vice assurément s'introduit en nous par la porte que nos passions lui ouvrent, mais il se communique aussi par la contagion, par la suggestion de l'exemple. C'est surtout dans les années d'enfance que l'instinct d'imitation est dangereux : car alors les armes dont l'adulte peut se servir pour lutter contre les mauvais exemples ne sont pas encore forgées. L'enfant imite tout, le mal comme le bien, le laid comme le beau : c'est que ni le goût, auquel répugnent les choses laides, ni la conscience, qui fait détester les actions criminelles, ne sont encore nés dans son âme.

Mais, qu'elle nous conduise au bien ou au mal, l'imitation porte en elle un vice originel : elle contrarie dans son développement, parfois elle étouffe, notre propre personnalité. Ceux-là parmi les hommes sont e plus disposés à l'imitation qui ont le moins de forces individuelles, et qui, par suite, trouvent plus commode pour leur paresse d'imiter, de copier les autres, au lieu de penser et d'agir par eux-mêmes. Nécessaire dans le premier âge, parce qu'elle a pour résultat d'apprendre à l'enfant tout ce qu'il a besoin de savoir et de faire afin de s'élever peu à peu au niveau de ses semblables, afin d'entrer dans le grand courant de l'humanité, l'imitation devient funeste chez l'homme fait ; elle est alors une école de docilité servile, où la personnalité dégénère et s'efface.

Il est inutile de dire qu'un éducateur avisé écartera le plus possible de la vue de l'enfant n'importe quels mauvais exemples, et surtout la fréquentation de camarades vicieux. Une pêche pourrie peut par son contact contaminer toute une corbeille de fruits. Un enfant vicieux ou simplement mal élevé, s'il a surtout des qualités brillantes qui séduisent et excitent la sympathie, peut gâter toute une classe. Mais la nature humaine est tellement un tissu de contradictions que les mauvais exemples peuvent parfois produire d'heureux effets. Le proverbe « A père avare fils prodigue » nous prouve que, pour avoir vu de près les inconvénients d'un défaut, nous pouvons en être détournés, et nous jeter même dans l'excès contraire, qui peut être aussi un défaut. Il arrive qu'un enfant, pour avoir assisté aux scènes de colère qui ont troublé le ménage de ses parents et dont il a souffert lui-même, devienne, par une sorte de protestation et de réaction souvent inconsciente, le plus doux et le plus patient des hommes. C'était la méthode des Spartiates, qui, pour dégoûter les jeunes gens de l'intempérance, leur faisaient voir des ilotes ivres : méthode d'un emploi délicat et dangereux, car on n'est pas toujours sûr que la force de l'exemple ne l'emportera pas sur la répulsion qu'il provoque.

S'il est vrai qu'aucune de nos actions n'est perdue pour nous-même, que chacun de nos actes, bon ou mauvais, a un retentissement sur notre conduite future et contribue à diriger vers le bien ou le mal le courant de notre vie, il est indubitable aussi que les actions des autres hommes, de ceux qui nous ont précédés sur cette terre et dont nous savons l'histoire, exercent sur notre caractère, pour peu qu'ils soient présents à notre imagination, une influence profonde. Le passé rayonne sur le présent. Les âmes du passé revivent dans les âmes des générations nouvelles. Les exemples des anciens forment les esprits des nouveaux venus de la vie, et, comme l'a dit Auguste Comte, « les morts gouvernent les vivants ».

N'oublions pourtant pas qu'une des lois de l'imitation, c'est que son action s'exerce en raison directe de la proximité des modèles et en raison inverse de la distance. Plus sont rapprochés de nous les exemples qui nous sont proposés, plus nous sommes portés à les imiter. Mieux valent, par suite, les exemples des vivants, des contemporains, que les exemples des morts et des anciens. Ceux d'entre nous auxquels il a été donné d'approcher, de fréquenter des personnes d'une moralité impeccable, ou, mieux encore, des hommes de vertu active, de dévouement social, savent quel profit ils ont tiré de cette fréquentation. Il y a quelque chose de supérieur à la lecture édifiante de la vie d'un héros de l'humanité : c'est l'influence vivante d'un homme de bien, quand on a eu le bonheur d'être en contact avec lui. Mais les hommes de rare vertu ne courent pas les rues ; en tout cas il n'est pas loisible à tout le monde de lier commerce avec eux. Du moins on peut toujours se renseigner sur eux, se mettre au courant de leurs méthodes intellectuelles et morales, se familiariser ainsi avec des vertus « en chair et en os », des vertus qui ne sont pas des n'étions rêvées par l'imagination des romanciers, ni des exemples perdus dans le lointain des âges. Le récit de la vie d'un Pécaut, le récit de la vie d'un Pasteur, seront autrement émouvants et efficaces que la biographie des grands hommes d'Athènes et de Rome. Nous n'avons pas, pour nous refuser à suivre de loin leurs exemples, le prétexte qu'ils ont vécu dans d'autres temps, dans des conditions plus favorables. Ils ont travaillé, ils ont fait le bien près de nous. Comment ne serions-nous pas excités à les imiter dans la mesure de nos moyens, plus que s'il s'agissait de Descartes ou de Pestalozzi!

Gabriel Compayré