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Image, imagerie

La première édition du Dictionnaire de pédagogie contient, sous ce même titre, un article de Champfleury. L'auteur, qui avait étudié les vieux récits, les vieilles légendes, et qui avait publié, en 1809, un volume précisément consacré à l'Histoire de l'imagerie populaire, faisait fort bien ressortir que l'image fut, en même temps qu'un musée du pauvre, une sorte d'éducateur pour les classes illettrées. « Les yeux des enfants, disait-il, les yeux des hommes ont besoin d'images. Il est utile que le trait du burin, la coloration, précèdent l'enseignement de l'instituteur et viennent 4 son aide. » En raison de ce rôle d'éducateur qui lui est dévolu, il demandait que l'imagerie populaire fût patriotique ; qu'elle célébrât le culte des grands hommes ; qu'elle exaltât la vie simple, la vie des champs ; qu'elle déroulât les merveilles de l'industrie. « Amour de la patrie, gratitude envers les grands citoyens, exaltation de la science, retour à la nature forment une riche trame pour une collection d'images populaires qui entreraient dans l'esprit des enfants par les yeux en y laissant une empreinte saine et ineffaçable. »

Mais il n'est pas que les enfants sur qui les images exercent une influence. Elles ont sur tous, grands et petits, et particulièrement sur les humbles, une action considérable.

L'écriture, même quand on sait bien la lire, nécessite, pour être comprise, un effort d'attention, de réflexion ; l'image simple et dépourvue de symbolisme est tout de suite acceptée par l'esprit. Et puis l'impression que produit l'écriture est passagère, fugitive : l'impression laissée par l'image est au contraire forte et durable. L'influence de l'image sur l'esprit de l'homme et par conséquent sur la formation de son intelligence et de son goût est donc certaine : elle peut être heureuse ou néfaste, et dès lors l'imagerie populaire ne doit pas laisser les éducateurs indifférents.

En étudiant l'évolution de l'imagerie, nous verrons comment elle a rempli sa mission et dans quelle mesure elle semble avoir contribué à élever la moralité, l'intelligence et le goût du peuple.

Bien que Champfleury, dans l'article précité, fasse naître l'imagerie vers le milieu du dix-huitième siècle, il parle lui-même dans son Histoire de l'Imagerie populaire des principaux ateliers qui, dès le milieu du dix-septième siècle, existaient à Troyes, Chartres, Orléans et Paris.

Il aurait pu sans crainte remonter encore bien plus haut, et dire que l'imagerie populaire fut créée presque dès l'invention de la gravure sur bois.

A ce moment, les privilégiés avaient la miniature. Leur goût, qui s'était forme à cet art délicat et déjà savant, n'aurait pu se plaire aux balbutiements de la gravure sur bois. Les premiers bois, images naïves, frustes, grossières même, furent donc destinés à un public moins exigeant. Ils furent comme une doublure des miniatures ; et de même que celles-ci ornaient les Livres d'Heures, les premières gravures sur bois illustrèrent d'abord la légende chrétienne. La Bible des pauvres, qui nous a été conservée, montre une des premières applications de cet art nouveau. On peut même légitimement penser que c'est le besoin d'images pour le peuple qui fit trouver le procédé permettant de donner satisfaction à ce besoin.

Sans doute il y eut bientôt des gravures soignées ; mais, à côté de celles-ci, on continua à en fabriquer pour le grand public Parmi celles qui sont parvenues jusqu'à nous, on en voit qui, dessinées avec une naïveté et une maladresse touchantes, montrent déjà cependant un certain souci de la composition. Les sujets sont avant tout religieux. Néanmoins, quelques images profanes et d'autres satiriques commencent à apparaître.

Le public dut accepter avec plaisir cette nouveauté, car l'industrie s'étendit assez rapidement pour que, dans la seconde partie du seizième siècle, il existât à Paris des marchands d'images dont les affaires étaient prospères. Les images pénétraient-elles jusqu'aux couches profondes du peuple? Si l'on ne peut répondre d'une façon précise à cette question, on peut affirmer tout au moins qu'elles étaient très répandues.

C'est à la même époque qu'apparurent les calendriers illustrés, qui furent très vite reproduits à des milliers d'exemplaires. Leurs images n'étaient pas variées. Elles représentaient généralement les occupations des douze ; mois de l'année, selon quelques types indéfiniment répétés ; ou encore la vie humaine avec les transformations « que subit le corps humain tous les six ans » d'après les données de la science médicale de cette époque. Ces calendriers précédèrent le véritable almanach populaire dont les images reproduisaient les faits notoires de l'année.

Lorsque, dès le commencement du dix-septième siècle, la gravure sur cuivre eut remplacé, pour l'illustration, la gravure sur bois, celle-ci ne fut plus guère employée que pour les images de colporteurs.

Quelles étaient ces images que les colporteurs vendaient au peuple des campagnes ? Le paysan était-il appelé à contempler ses propres souffrances que Callot lui montrait dans les Misères de la Guerre? On peut le penser, car elles étaient faites pour lui, et les publications, de quelque nature qu'elles soient, finissent toujours par arriver à leur adresse. Mais, comme le remarque Champfleury, « il est presque impossible de retrouver l'image populaire, déchirée par les enfants, gâtée par le soleil, l'humidité, détruite avec les murs de la maison qu'on abat, et, qui pis est, méconnue trop souvent par ceux qui ont mission de conserver ».

Cependant les ateliers, qui existent en assez grand nombre au dix-septième siècle, indiquent que l'industrie de l'imagerie était très vivante. Les marchands, établis pour la plupart rue Saint-Jacques, à Paris, fabriquaient surtout les images de piété : les petites pour placer dans un missel, les grandes pour accrocher au mur ; car, selon l'observation de M. Léon Rosenthal, la religiosité matérielle que les Jésuites avaient propagée depuis le règne de Henri IV avait besoin d'images. Les imprimeurs d'images produisaient encore des jeux de cartes, des jeux d'oie, etc., et c'est pourquoi on les appelait dominotiers. Ces jeux étaient d'ailleurs illustrés d'images d'une actualité relative, de nature à instruire et amuser les joueurs.

Vint le siècle de l'art élégant et charmant, le dix-huitième, et l'imagerie populaire eut comme un reflet de cette élégance et de ce charme.

Des almanachs, de simples réclames sont des oeuvres d'art : Cochin, Gravelot, Moreau le jeune ne dédaignent pas de mettre leur talent au service de cette publicité. Et leurs productions étaient vraiment populaires, puisque telles d'entre elles — comme l'Almanach de la Loterie de l'Ecole Royale militaire, orné par Gravelot de charmantes compositions — furent tirées à 50 000 exemplaires.

Les images qui n'étaient pas confiées à de tels artistes se ressentaient néanmoins de cet illustre voisinage. Les bois étaient plus finis, le tirage plus soigné ; sans doute parce que la clientèle se montrait déjà plus exigeante. Il nous reste de cette époque de nombreuses estampes populaires qui reproduisent les traits des personnages en vedette, ou répandent les légendes et les contes : Geneviève de Brabant, Barbe-Bleue, Cendrillon, Lustucru, La Bâte du Gévaudan, dont les images furent vendues par milliers, donnant à la fameuse bête une célébrité universelle qui s'est continuée jusqu'à nous. Et, influence profonde de l'image : dans combien de cervelles villageoises, qui n'ont jamais su l'aventure, flotte encore ce nom, la Bête du Gévaudan !

Mais voici qu'approche la Révolution française. Nous la sentons venir à l'apparition des images satiriques qui ne craignent pas de s'attaquer aux plus grands personnages, au roi lui-même. N'est-ce pas un signe précurseur que ce Gargantua, sous les traits de Louis XVI à son petit couvert et à son grand couvert. L'image, à la fois, suit l'opinion et la dirige.

La Révolution devait naturellement pousser au développement de l'imagerie populaire. De fait, les événements de cette époque furent célébrés par l'image, soit directement, soit sous la forme d'allégories : L'Ouverture des Etats généraux, La Déclaration des droits de l'homme, La Fêle de la Fédération, ou bien Les Trois Ordres, Le Convoi du noble Seigneur des Abus ; ou encore les cartes à jouer révolutionnaires. Certaines de ces images, comme celle qui orne la Déclaration des droits, sont, malgré le bonnet phrygien planté au bout d'une pique, tout à fait « dix-huitième siècle » avec les amours qui portent des guirlandes de fleurs. Elles ont été composées, on le voit, par des artistes qui ont vécu sous un autre régime. Il faut ajouter que les artistes manquaient de moyens d'expression rapides et peu coûteux, n'ayant à leur disposition que le bois, l'eau-forte et le burin.

C'est alors cependant qu'est née cette sorte d'imagerie, dont la fabrique d'Epinal fut la source la plus célèbre, mais qui provenait aussi de Lille, de Chartres, de Troyes, de Meaux, de Nancy, de Paris.

Pendant plus d'un siècle défilèrent inlassablement les estampes grossièrement coloriées et représentant les grands personnages, les faits historiques reproduits avec la fantaisie la plus extraordinaire : Napoléon endormi la veille d'Austerlitz ; le Roi de Borne à genoux, en épaulettes, priant pour son Perre (sic) et pour la France ; l'enlèvement de ballons aux Tuileries en 1783 et à Lyon en 1784. C'est grâce à l'image que le plus ignorant peut-être sait aujourd'hui que Napoléon a dormi à Austerlitz ; c'est grâce à elle — et aussi aux chansons de Béranger — que la popularité de l'empereur s'est perpétuée. Seulement quelle idée étrange le peuple doit se faire de la figure de certains personnages et de leur manière d'être ! Dans les portraits, en effet, aucun souci d'une ressemblance même vague, et seulement le désir manifeste de flatter le goût du public. Or le public d'alors ne comprenait pas les souverains autrement qu'à cheval. On lui montra donc Louis XVIII sur un cheval caracolant, revêtu d'un costume éclatant avec le manteau royal, la couronne en tête et le sceptre à la main.

L'imagerie d'Epinal publia aussi des images militaires d'une extrême naïveté, des images de piété, des images humoristiques, comme Monsieur et Mme Denis ; des images satiriques et allégoriques dont la série Le Monde renversé est la plus connue. Bien simples, d'ailleurs, les allégories : le cochon qui écorche le charcutier ; le cheval qui soigne le palefrenier, etc. ; et c'est le monde renversé. Des images amoureuses : L'Orage, Il pleut, il pleut, bergère. Et toujours le goût populaire des bergères enrubannées avec des costumes d'opéra-comique. Des images d'actualité : L Assassinat de Fualdès, La Crinoline et ses inconvénients. Des types de beaux jeunes gens et de belles jeunes femmes selon l'esthétique populaire. Et les innombrables histoires enfantines qui ont réjoui nos jeunes années et qu'on ne revoit pas sans émotion.

Imagerie naïve à tendances morales dont les quelques gauloiseries sont bien innocentes ; inspiratrice en somme de bons sentiments : ordre, économie, travail, fidélité conjugale, patriotisme ; mais bien pauvre au point de vue artistique, enluminée de couleurs aveuglantes, avec un dessin dont les proportions rappellent celles des primitifs, dont les tailles sont presque aussi frustes que les premiers bois. Il y a une manière de représenter les personnages, auprès de maisons et d'arbres beaucoup plus petits qu'eux-mêmes, que tous les primitifs répètent. Aussi les imageries populaires de tous les pays se ressemblent-elles.

Mais l'imagerie populaire allait trouver, au commencement du dix-neuvième siècle, dans la lithographie un moyen d'expression nouveau. Ce procédé permettant le tirage en quelques heures du dessin improvisé, on put répandre dans le public les compositions d'actualité. Aussi, dès que les événements politiques l'eurent rendue possible, vit-on surgir la satire politique d'après les événements quotidiens. Cependant, comme la liberté était encore hésitante, le grand succès de l'image populaire fut pour les profils cachés. On ne trouve pas, tout d'abord, ce profil mêlé au paysage ; mais, par un curieux phénomène de suggestion, quand on l'a découvert on ne peut plus voir que lui. Il y eut en ce genre des images vraiment ingénieuses et bien rendues. Les profils de Napoléon sont innombrables, car c'est surtout après sa mort que l'image a popularisé ses traits.

C'est aussi à la lithographie que l'on doit le développement prodigieux de l'affiche, qui eut certainement sur le goût populaire une influence considérable ; car l'affiche, c'est l'image qui s'impose. On ne peut l'ignorer, elle saute aux yeux, elle accroche le regard.

D'abord parurent des prospectus en noir, qui n'étaient pas sans mérite ; puis vinrent les premières lithographies en couleurs, aux tons violemment heurtés. Aujourd'hui certaines affiches en couleurs sont tout à fait agréables et ont même quelquefois un véritable caractère d'art ; les affiches franchement déplaisantes sont l'exception : on touche ici du doigt le progrès accompli.

Mais le besoin d'images populaires se faisait de plus en plus sentir par suite de la diffusion de l'instruction, de la facilité des moyens de communication ; pendant que la vue des nombreuses images, les points de comparaison qui en résultaient affinaient le goût du public, qui devenait plus exigeant au point de vue de la facture et de la fidélité des images.

Ces besoins nouveaux firent surgir encore des procédés nouveaux, tels que l'héliogravure et la phetotypie, qui ont révolutionné l'industrie et qui, combinés avec les procédés perfectionnés d'impression, permettent d'obtenir aujourd'hui à bon marché des images en noir ou en couleurs dont quelques-unes touchent à la perfection.

Aussi maintenant l'image, sous les formes les plus diverses, pénètre-t-elle jusqu'au tréfonds du peuple : affiches, réclames, journaux illustrés, cartes postales. Et dans ces différentes formes on constate, presque à vue d'oeil, un progrès considérable qui prouve non seulement l'ingéniosité des industriels, mais le développement du goût public ; car les industriels ne cherchent et ne trouvent que quand ils y sont obligés par le consommateur. Or, quel changement dans l'illustration des journaux, depuis les premières images du Père Duchesne et des autres pamphlets de la Révolution ; dans les affiches coloriées, depuis les premiers essais de 1840 ; dans les cartes postales, — dont l'apparition est cependant bien ! peu ancienne, — qui sont souvent, malgré leur prix infime, de véritables reproductions artistiques ! Nous assistons à la transformation de l'imagerie populaire.

La diffusion de plus en plus grande de ces images a élevé le goût du peuple, cela n'est pas douteux. Toutefois, il est bon de ne pas perdre de vue que toutes les images ne l'intéressent pas au même degré. Dans la forme, il lui faut des images charmantes ou franchement grotesques. Le réalisme pur et simple ne lui plaît pas. Il n'a pas encore atteint le degré de culture nécessaire pour goûter la poésie qui se dégage d'une image sincère de la vie. Aujourd'hui, bien qu'il soit devenu plus exigeant au point de vue des couleurs et de leur harmonie, ce sont encore les visages et les costumes charmants qui ont le succès populaire. Formes, visages et costumes trop jolis, trop réguliers, trop parfaits, soit ; mais répondant à l'idéal d'élégance et de beauté que rêve le peuple. Pour le fond, ce sont les questions simples, humaines et courantes qui le touchent profondément, — à condition encore qu'elles soient un peu déguisées, enjolivées ou gaiement présentées : l'amour, la maladie, la misère, la mort. La question d'argent a toujours figuré en bonne place dans les légendes illustrées : Bonhomme Misère ; Crédit est mort ; la Chasse à mon oye. Il aime encore des légendes comme le Juif errant, dont les aventures ornaient toutes les chaumières. Si le goût du peuple se modifie, son âme change peu. Il veut bien de la morale, mais il n'en veut pas sous une forme trop austère qui l'attriste. Dans une image d'Epinal, rapporte Champfleury, « une figure des derniers plans a son importance : un rémouleur, tout en faisant tourner sa roue, rit des mauvais payeurs et n'admet pas que la morale de mon oie fait tout soit la seule et véritable morale. Ce gagne-petit, personnifiant le travail, témoigne des sentiments de l'ancienne France : travailler beaucoup, gagner peu, vivre content de son sort. » La morale, sous cette forme, est facilement acceptée. Mais quand on veut la faire sortir d'une image pénible, comme celle qui fut publiée il y a quelques années et qui, pour inspirer l'horreur de l'alcoolisme, représentait un malheureux se tordant dans une attaque de delirium tremens, on n'obtient que la répulsion. On va alors contre le résultat cherché, car on dégoûte le peuple à la fois de l'image et de la morale.

L’image — cela, nous semble-t-il, ressort de cette courte étude — contribue donc à instruire le peuple et à former son goût. Sans doute le progrès à cet égard, comme à beaucoup d'autres, n'est pas continu. Il y a souvent des retours en arrière ; mais, en fin de compte, il finit par y avoir un peu de terrain définitivement gagné.

Il convient d'ailleurs de savoir être patient, car il serait infiniment dangereux de vouloir violenter le goût populaire. Il faut le guider, le diriger insensiblement, avec une extrême prudence, en se gardant bien de heurter les sentiments ni même les préjugés du peuple, ou l'idée qu'il se fait de la beauté.

Bibliographie : CHAMPFLEURY, Histoire de l'imagerie populaire. — Victor CHAMPIER, Les Almanachs. — J. GRAND-CARTERET, Vieux Papiers, Vieilles Images. — Léon ROSENTUAL, La Gravure.

Henri Valentino