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Idiots et crétins

Les lésions cérébrales sont les mêmes chez les idiots et chez les crétins ; ces derniers sont, à vrai dire, les idiots de certaines régions de montagnes où le goitre est endémique.

Pour l'énumération des différentes formes d'idiotie, nous ne pouvons mieux faire que de reprendre la classification et les définitions établies, d'après les travaux du Dr Bourneville, par la Commission ministérielle de 1904 dont il a été parlé à l'article Anormaux (Enfants).

Classification et définitions. — Sous le nom d'idiotie, on désigne un état constitutionnel, physique, intellectuel et moral, dû soit à des troubles survenus pendant la vie foetale ou au moment de la naissance, soit à des affections pathologiques surtout de la première enfance, c'est-à-dire de la naissance à sept ans, moins souvent de la seconde enfance, c'est-à-dire de sept ans au début de la puberté (treize ou quatorze ans). L'idiotie est donc congénitale ou acquise.

Considérée dans son degré, elle est complète ou incomplète, se rapprochant, dans sa forme la plus atténuée, de l'état de l'enfant normal le moins bien doué. Dans toutes les variétés, l'idiotie peut être simple ou compliquée (paralysie, épilepsie, chorée, rachitisme, scrofule, etc.).

Idiotie complète, absolue, ou idiotie du premier degré. — Chez ces idiots, marche, préhension, paroles, attention nulles. Incapacité de s'aider en quoi que ce soit. Inconscience du besoin de s'alimenter, ou gloutonnerie avec absence du sentiment de la satiété. Ecoulement permanent de la salive (bave) et des mucosités nasales. Excrétions involontaires. Accès de cris, tics multiples (balancements, grimaces, agitation des mains, etc.). Bien que les organes des sens puissent être intacts au point de vue anatomique, l'ouïe, la vue, l'odorat, le goût, le toucher, semblent absents. Sensibilité générale très obtuse, d'où indifférence à la douleur, au froid et à la chaleur. Aucune connaissance de leurs parents, ni des personnes qui les soignent. Sans idée, sans parole, sans mouvement, les idiots de cette catégorie sont des êtres en quelque sorte végétatifs.

Idiotie profonde ou du second degré. — La motilité est moins atteinte que dans le premier degré. La marche est possible, parfois exubérante. La préhension se fait, mais d'une façon défectueuse, le pouce ne s'opposant pas ou s'opposant mal aux autres doigts. L'appétit est exagéré ; le sentiment de la satiété fait défaut ; le goût est nul ou obtus. La digestion se complique parfois de rumination. Les excrétions sont involontaires. La parole est nulle ou limitée à quelques monosyllabes ou à des syllabes répétées. Les besoins, les déterminations instinctives se traduisent plutôt par un langage d'action (cris de joie et de douleur). Ces idiots reconnaissent assez souvent leurs parents, les infirmières qui s'occupent d'eux. Ils témoignent de la préférence pour certaines personnes. Ils ont fréquemment des aptitudes musicales, retiennent d'emblée les airs qu'ils entendent et les chantonnent sans cesse, signe d'une mémoire au moins partielle. L'attention est fugitive ; ils regardent sans voir, entendent ce qui leur plaît et semblent absolument sourds pour les bruits ou les appels qui ne les intéressent pas. L'odorat et le toucher sont obnubilés ou indifférents. Ces enfants n'ont aucune conscience du danger, et, comme les idiots du premier degré, ont des tics très variés, sont destructeurs, rongent leurs ongles, se déchirent, se mordent ou mordent les autres, se livrent à l'onanisme, etc.

En résumé, vie végétative surtout, et vie de relation très bornée. Ce qui différencie ce second groupe du précédent, c'est l'existence du mouvement, Ta marche et la préhension, qui les rend dangereux pour eux et pour les autres, puisque le mouvement les expose à des accidents par suite de leur inconscience du danger, et expose les autres à subir les conséquences de leurs impulsions.

Imbécillité proprement dite. — Les facultés intellectuelles existent, mais à un degré très incomplet. L'attention est fugace, la mémoire peu active, peu sûre, la volonté sans énergie ; les imbéciles veulent et ne veulent pas. Ils peuvent comparer, combiner ; toutefois ils s'élèvent difficilement à des notions générales et abstraites. Ils ont des idées, mais en petit nombre : ils ne pensent et n'agissent que par autrui, bien qu'ils soient capables de quelques raisonnements. Ils ont des déterminations instinctives, comme les idiots du second degré, et y obéissent sans frein. Parmi ces malades, il en est chez qui l'imbécillité se complique d'une perversion des instincts. Ils sont menteurs, querelleurs, paresseux, poltrons, entêtés, mobiles, incapables d'un effort soutenu. Ils ont des besoins sexuels auxquels ils cèdent sans retenue. Ne possédant qu'une notion vague du tien et du mien, ils ont des impulsions à voler, détruire, incendier, etc. La parole existe, mais la prononciation est souvent défectueuse ; Leur langage est borné, leurs phrases imparfaites, le verbe en est parfois absent ; ils parlent d'eux à la troisième personne. Ils peuvent remplir des occupations simples, uniformes, toujours les mêmes. Ils ont des sentiments affectifs souvent superficiels. La sensibilité générale est d'ordinaire émoussée. Les sens sont fréquemment intacts, mais peu délicats.

Imbécillité morale. — Les enfants ou les adolescents de ce groupe peuvent posséder des facultés intellectuelles intactes, être les égaux des enfants de leur âge, appartenir à la même classe, avoir leur certificat d études, etc. Leur défectuosité intellectuelle, en tout cas, ne constitue qu'un caractère secondaire. Les stigmates de dégénérescence physique sont même quelquefois tout à fait absents. L'imbécillité morale, de même que l'idiotie, reconnaît pour cause l'hérédité, l'alcoolisme, mais elle est aussi due souvent à l'incapacité, à la brutalité, à l'immoralité des parents. Elle peut s'annoncer par des cauchemars, des accès de colère, des caprices irraisonnables, inaccoutumés, des périodes de bouderie, survenus après une maladie fébrile ordinaire, accompagnée ou non d'accidents cérébraux (délire, convulsions, etc.), ou à l'occasion d'une croissance précoce avec développement rapide de la puberté. A l'inverse des imbéciles intellectuels, ils devancent sexuellement leur âge ; d'où des impulsions génitales qui les rendent dangereux. L'instabilité et la perversion des instincts caractérisent au premier chef l’imbécillité morale. L'instabilité mentale se présente chez eux avec les caractères décrits dans le paragraphe consacré ci-après à l'imbécillité légère ou intellectuelle. Quant à la perversion des instincts, elle offre les traits suivants : la conduite de ces malades est inexplicable, en désaccord avec leur état antérieur et avec le milieu dans lequel ils vivent ; ils sont désobéissants, en révolte contre toutes les conventions sociales, récalcitrants à toutes les remontrances, à toutes les prières, aux témoignages d'amitié, aux encouragements, aux récompenses aussi bien qu'aux punitions. Ils se laissent aller à des mensonges intentionnels, soutenus avec entêtement. Ils sont souvent crédules à l'excès envers ceux auxquels ils s'abandonnent et qui les dominent. Les sentiments affectifs sont émoussés ou nuls, ce qui est dû parfois à l'indifférence coupable des parents. Ils sont sujets à tontes les impulsions mauvaises : vols, incendies, destructivité, cruauté envers les animaux, envers leurs camarades plus faibles, etc. Ils éprouvent du plaisir à la vue de la souffrance, aiment à voir couler le sang ; ils sont en général durs pour eux-mêmes, bien qu'ils soient égoïstes. L'imbécillité morale se complique quelquefois d'alcoolisme, d'épilepsie, de folie, de perversions sexuelles.

Imbécillité légère ou arriération intellectuelle.

Les facultés intellectuelles, considérées dans leur ensemble, existent mais sont retardées notablement au-dessous des facultés des enfants du même âge. L'attention laisse beaucoup à désirer, toutefois il est possible de la fixer, au moins pendant quelque temps: ce temps augmente si Ton varie les occupations intellectuelles. La réflexion, la prévoyance, n'existent qu'à un faible degré. La conception est lente, la mémoire paresseuse : les arriérés n'apprennent que par période. Ils ont des penchants particuliers, des aptitudes spéciales. Leur intelligence se manifeste principalement pour tout ce qui est relatif à ces penchants ou à ces aptitudes. On doit en profiter et s'en servir pour agrandir leur champ intellectuel. Parmi ces aptitudes, relevons les réparties piquantes, les saillies plaisantes, les manières joviales qui caractérisaient, par exemple, les malheureux qui remplissaient autrefois la fonction de fou du roi. Ils ont des sentiments moraux, de la gaieté, de l'affection familiale. Ils possèdent à un certain degré la notion du devoir, l'esprit d'ordre. Leur regard a peu d'éclat, mais ne fuit ni ne se perd dans le vague. Le mouvement, la marche, la préhension, la sensibilité générale, la sensibilité spéciale, sont en général intacts. Au point de vue physique, les arriérés offrent des stigmates de dégénérescence moins nombreux et moins prononcés que les imbéciles et surtout que les idiots.

Instabilité mentale. — Elle est parfois simple, constituant alors une variété distincte, mais est le plus souvent liée à l'imbécillité, à l'arriération intellectuelle, désignée encore sous le nom de débilité mentale. Les instables ont une mobilité physique exubérante. Ils ne restent en place nulle part, se lèvent de table à chaque instant, sans motif. S'ils jouent, ils passent rapidement d'un jeu à un autre. Leur mobilité intellectuelle n'est pas moindre. A peine ont-ils commencé à lire qu'ils veulent écrire ou compter, etc. Ils n'obéissent pas. Il en est de même au point de vue du travail manuel. Peu après avoir débuté dans l'apprentissage d'une profession qu'ils ont eux-mêmes choisie, ils veulent en changer, essayant tour à tour, sans se fixer/une foule de professions. Ils ont des impulsions subites, se sauvent de l'école, de la maison paternelle, errent durant un temps plus ou moins long, rentrent spontanément ou se font arrêter par la police. Ils sont prodigues de promesses, les font souvent de bonne loi avec l'intention, à ce moment, de les tenir, et, quelques heures ou quelques minutes plus tard, exécutent ce qu'ils avaient promis de ne plus faire.

Traitement médico-pédagogique. — Les enfants atteints d'idiotie au premier et au second degré, ainsi que les enfants affectés d'imbécillité morale, constituent le groupe des anormaux médicaux ; ils doivent être placés dans des services hospitaliers sous l'autorité constante du médecin. L'expérience a aujourd'hui démontré que, s'il est chimérique de prétendre ramener tous les idiots au niveau des êtres doués d'une intelligence même moyenne, on peut cependant obtenir des améliorations considérables, équivalant presque pour quelques-uns à une réintégration absolue. Un assez grand nombre peuvent tout au moins, grâce à des soins bien entendus, arriver à apprendre un métier et à vivre du produit de leur travail.

Les enfants frappés d’imbécillité proprement dite peuvent être placés, suivant leur état, soit dans ces services hospitaliers, soit dans les écoles de perfectionnement dont il est parlé ci-après.

Les enfants atteints, soit d'imbécilité légère ou arriération intellectuelle, soit d'instabilité mentale (sans perversion des instincts), devraient être placés dans des services scolaires spéciaux auxquels seraient attachés des médecins inspecteurs.

La création de ces écoles spéciales sera désormais possible ; elles ont été mises au nombre des établissesements d'enseignement primaire public par la loi du 15 avril 1909 relative aux classes et écoles de perfectionnement pour les enfants arriérés ; le décrit du 14 août 1909 et les arrêtés ministériels du 17 août 1909 en ont fixé les conditions d'organisation, les programmes, et même dans une certaine mesure les procédés d'enseignement. Mais cette loi, — dont MM. Léon Bourgeois, Paul Strauss, Ferdinand Buisson, Briand, Gasquet ont été les bienfaisants promoteurs, — n'a pu rendre obligatoire la création des classes ou écoles de perfectionnement. C'est aux assemblées départementales ou communales qu'il appartient de poursuivre l'application de cette réforme, qui aura pour résultat, non seulement de rendre à l'utilisation sociale un grand nombre d'anormaux, mais encore de dégager l'école primaire des sujets qui retardent ou démoralisent les autres élèves.

Comme on le verra par les brèves indications bibliographiques qui suivent, il a fallu un siècle d'efforts pour que l'éducation des anormaux psychiques (idiots et crétins, imbéciles, arriérés, instables) fût reconnue aussi utile et aussi nécessaire que l'éducation des anormaux sensoriels (sourds-muets et aveugles)

Bibliographie : Rapport au ministre de l'intérieur sur l'éducation du Sauvage de l'Aveyron, par le Dr ITARD ; Paris, 1807. — De l'idiotie chez les enfants, par le Dr Félix VOISIN ; Paris, 1843. — Traitement moral, hygiène et éducation de» idiots, par SEGUIN ; Paris, 1846. — Des principes qui doivent présider à l'éducation des idiots, par le Dr DELASIAUVE, Paris, 1859. — L'idiotie, par le Dr Jules VOISIN ; Paris, 1893. — Rapport sur l'Assistance des enfants idio s et dégénérés, par le Dr BOURNEVILLE ; Paris, 1894. — Internats de perfectionnement, par Gustave BAGUER ; Paris ; 1898. — Lettre à M. Charles Dupuy, ministre de l'intérieur, sur la création de clauses spéciales, par le Dr BOURNEVILLE ; Paris, 1899. — Le Dressage des dégénérés ou Orthophrénopédie, par le Dr H. THULIE ; Paris, 1900. — Assistance et éducation des enfants anormaux : Rapport au Congrès d'assistance, par Paul STRAUSS ; Bordeaux, 1903. — L'adaptation sociale des anormaux, par Paul DUBOIS ; Paris. 1906.

Gustave Baguer