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Heusinger

Jean-Henri-Gottlieb Heusinger, éducateur allemand, est né à Römhild près de Meiningen, en 1766 ; il est mort à Dresde en 1837. Après avoir étudié la philosophie et la pédagogie à Iéna, il remplit d'abord les fonctions de précepteur, fut ensuite Privat-docent à l'université d'Iéna, professeur dans un institut à Eisenach, se fixa en 1798 à Dresde, où il exerça quelques années l'enseignement privé, puis fut nommé professeur à l'Ecole des cadets et à l'Académie militaire. Nous lui donnons une place dans ce Dictionnaire à cause de deux ouvrages peu connus dont il est l'auteur, et qui ont exercé une influence directe, d'une part sur l'organisation de l'enseignement du travail manuel dans le célèbre institut de Schnepfenthal, fondé par Salzmann, d'autre part sur Froebel et sa doctrine pédagogique, qui paraît leur être empruntée en partie. Ces deux ouvrages sont une brochure sous ce titre : De l'emploi de la tendance si active qu'ont les enfants à s'occuper (Ueber die Benutzung des bei Kindern so thätigen Triebes, beschäfligt zu sein, 1797), et une sorte de traité de pédagogie intitulé la Famille Wertheim (Die Familie Wertheim, 1798-1799, Gotha, chez Perthes).

Dans sa brochure, l'auteur part de ce principe, qu'il démontre par de nombreux exemples, que le besoin d'activité ou d'occupation (Trieb zum Handeln) est le plus puissant des mobiles que présente la nature humaine. « Et pourtant, ajoute-t-il, on ne voit pas que jamais l'éducation ait cherché, d'une manière générale, à tirer parti de ce besoin ; on pourrait presque croire que les nombreuses contrariétés qu'il procure aux maîtres et aux éducateurs ont prévenu ceux-ci contre lui et les ont empêchés de le prendre au sérieux. On se plaint en effet sans cesse de l'inattention et de la distraction des enfants pendant la classe, distraction qui vient de ce que leurs esprits sont tout occupés des amusements qu'ils ont laissés aux champs ou à la maison. » Heusinger voudrait qu'on donnât un aliment à ce besoin d'activité. Il ne songe pas seulement à faire enseigner aux enfants quelques petits travaux industriels qui développeraient en eux l'habileté de la main et les prépareraient à l'apprentissage de leur métier futur ; sa pensée est plus philosophique. Il demande une réforme complète de la méthode routinière d'éducation, qui ne connaît d'autre instrument d'acquisition des connaissances que le livre. « Les enfants, dit-il, à partir de leur sixième année, sont instruits exclusivement au moyen des livres. Quoi d'étonnant s'ils deviennent à leur tour victimes de ce préjugé que les livres sont l'unique moyen d'acquérir des connaissances, et si tout jeune homme qui sent le besoin d'accroître son savoir n'a pas d'autre désir que de posséder des livres et de les étudier. L'acquisition des connaissances par l'observation personnelle, par les expériences personnelles, par le travail personnel, est une chose que l'éducation n'enseigne pas aux enfants, ou à laquelle on n'accorde pas le degré d'attention qu'elle mérite. »

Dans la Famille Wertheim, Heusinger trace un plan d'études très complet, où il donne au travail manuel la première place, comme principal moyen d'éveiller l'intérêt. Avant de recevoir un enseignement systématique de la géométrie et de la physique, par exemple, les enfants ont appris depuis longtemps à dessiner des cercles, des carrés, des cubes, des prismes, des cylindres, à confectionner des solides avec du carton, du bois ou du fer-blanc ; ils ont fabriqué aussi des leviers, des roues, des poulies, des manivelles, et en ont appris l'usage ; l'enseignement théorique est autant que possible rattaché aux expériences déjà faites et aux connaissances déjà acquises par ce moyen. Le premier enseignement de l'histoire naturelle se compose de ce que nous appelons aujourd'hui des leçons de choses : on doit parler aux enfants des objets ou des matériaux qu'ils ont entre leurs mains durant leur travail ; par exemple, à des fillettes qui apprennent à tricoter et à coudre, on parlera de la laine, du coton, du fer, etc. Les premières notions de géographie sont rattachées aussi à ces leçons : à propos du coton, les élèves apprendront dans quel pays il croît ; à l'occasion d'une aiguille anglaise, on leur expliquera où est l'Angleterre, et comment les aiguilles qu'on y fabrique sont transportées en Allemagne, etc.

Ce qui est surtout remarquable dans ce livre, c'est la façon dont l'auteur parle du jeu et de son importance en éducation. On croirait entendre Froebel. « Durant les six premières années de l'enfant, dit-il, le jeu mérite une attention toute spéciale. Le jeu est l'école de cet âge. Dans ces premières années, il se développe chez l'enfant, par le jeu, plus d'idées peut-être qu'il ne s'en développera durant les douze années suivantes ; et il est très essentiel de leur venir en aide à cet effet. Les enfants commencent à jouer, ou, pour mieux dire, à rassembler des notions par leurs propres expériences, dès qu'ils peuvent commencer à se servir de leurs bras et de leurs doigts, dès que leur oeil s'est habitué à se mouvoir conformément à leur volonté. Qu'on attire d'abord leur attention par des objets aux couleurs voyantes ; et plus tard, quand ils peuvent se servir de leurs doigts, qu'on leur donne des objets de formes et de volumes semblables, mais de pesanteur différente, par exemple des boules en bois, en pierre et en métal. Des boules de dimensions telles que l'enfant puisse les tenir à moitié dans sa main et les soulever, sont un excellent jouet. Les mains et les doigts sont ainsi exerces et développés. La boule s'échappe des doigts dès qu'elle cesse d'être serrée par ceux-ci : excellent moyen de provoquer l'attention des enfants. La différence de pesanteur de ces diverses boules fournira aussi l'occasion d'exercer chez l'enfant la faculté de comparaison et la réflexion. Etc. » Les enfants d'un an et demi à deux ans aiment beaucoup à jouer avec une boîte qu'ils peuvent tour à tour ouvrir et fermer: il faut leur donner de petites boîtes, de petites armoires, de petites commodes avec des tiroirs ; « donnez-leur en outre quelque chose à mettre dedans, et vous les verrez pendant des heures s'amuser, comme on dit habituellement, ou plutôt, comme on devrait dire selon moi, concevoir des idées et les exécuter ».

L'espace restreint dont nous disposons ne nous permet pas de prolonger ces citations, empruntées à un remarquable travail publié par M. R. Rissmann dans l'Allgemeine deutsche Lehrerzeitung. Mais elles suffiront, croyons-nous, pour faire apprécier l'intérêt qu'offrent les vues pédagogiques de Heusinger. Nous avons dit qu'elles avaient exercé une influence marquée sur l'enseignement donné à l'institut de Schnepfenthal. En effet, Blasches, qui était chargé à Schnepfenthal de cette partie de l'enseignement qu'on y appelait les « récréations mécaniques » (mechanische Nebenbeschäftigungen), nous apprend lui-même, dans son ouvrage intitulé Les ateliers des enfants (Die Werkstätte der Kinder), qu'il avait beaucoup emprunté à la brochure de Heusinger publiée en 1797. Quant à Froebel, il y a une analogie frappante entre les idées de Heusinger sur le jeu, sur les occupations manuelles de l'enfance, et celles que le fondateur des jardins d'enfants a exposées et mises en pratique, à Keilhau d'abord, et plus tard à Blankenburg. Resterait à savoir si Froebel a connu les ouvrages de Heusinger et a pu s'en inspirer. Or la question est résolue affirmativement : d'après une communication de M. le Dr Georgens à M. Rissmann, un exemplaire de la brochure sur l'emploi de la tendance qu'ont les enfants à s'occuper se trouvait dans la bibliothèque de Froebel : cet exemplaire porte les traces d'une fréquente lecture, et les marges en sont couvertes d'annotations de la main de Froebel lui-même.

James Guillaume