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Gymnastique

 La gymnastique est le nom donné à la forme méthodique de l'éducation physique ; elle fait partie de l'éducation générale et est inséparable de l'éducation morale et intellectuelle. De tous temps l'exercice a été la manifestation la plus naturelle de la vie et la cause de notre perfectionnement physique. L'homme subit d'abord l'influence du mouvement qu'il se donne en recherchant sa nourriture, en luttant pour son existence ; vivant dans les conditions les plus simples et les plus dures, il put acquérir ainsi une force physique et une endurance considérables, et, subissant la loi de la sélection, il dut s'adapter à son milieu ou disparaître.

L'exercice était alors inséparable du travail utile et pratique. Il ne devint un art et une éducation proprement dite que dans les milieux plus civilisés où le loisir apporte la réflexion ; et lorsque, groupé en centres sociaux et débarrassé ainsi du souci constant de la défense personnelle, l'homme acquit la notion de son perfectionnement physique et moral, il fit des efforts pour atteindre cet idéal de beauté et d'énergie que l'on retrouve à l'origine de tous les peuples comme caractères des divinités religieuses.

La Chine nous fournit sur ce sujet des documents de la plus haute antiquité, remontant à plus de trois mille ans avant notre ère.

L'empereur Yu-Kang-Chi institua des exercices et des danses pour améliorer la santé de ses sujets. « On peut juger d'un règne, dit le livre sacré Li-Ki, par es danses qui y sont en usage. »

Le fondateur" de la dynastie des Chang (1766 ans avant Jésus-Christ) avait pour maxime fondamentale le perfectionnement de soi-même : « Renouvelle-toi complètement chaque jour, fais-le de nouveau, encore de nouveau et toujours de nouveau », Confucius conçoit l'unité de l'être humain ; les pratiques des bonzes nous ont été transmises dans le Kong-Fou ou art de la gymnastique médicale chinoise, qui consiste, abstraction faite de tout le charlatanisme religieux dont il est empreint, en diverses positions du corps, en attitudes variées, en des exercices respiratoires dans ces attitudes, ce qui montre chez les auteurs de cette époque une connaissance certaine de la circulation du sang et de l'influence des mouvements et des attitudes soutenues sur celle-ci. Ces méthodes chinoises embrassent également le traitement des difformités, des luxations, d'autres cas chirurgicaux, et même l'application de l'eau froide.

En Inde, le Véda ou révélation de Brahma (mille ans avant notre ère) contient des préceptes médicaux relatifs au mouvement. Les lois de Manou consacrent la diète, la sobriété, le bain, l'ablution et la friction comme des obligations religieuses. Le bouddhisme exigeait les pratiques d'hygiène suivantes : Se lever de bonne heure, purifier sa bouche, oindre son corps, se soumettre à l?exercice, au massage, à la friction, au bain. Le shampooing est un reste de ces pratiques hygiéniques qui ressemblent beaucoup aux pratiques chinoises. Il y avait aussi des mouvements préparant aux exercices militaires, lutte, escrime au sabre et au bâton.

La secte des Yoghi a professé la philosophie ou l'art de bien vivre. Elle se rattache à la doctrine dualiste : l'âme et le corps forment la nature humaine. Mais au lieu de mépriser le corps comme le catholicisme l'a fait, elle exige son entretien, son bien-être, sa force et tout ce qui tend à le conserver dans son état naturel et normal de santé. Le développement du corps est une tâche aussi importante que celle de développer l'esprit, car dans un corps malsain et imparfait l'esprit ne peut fonctionner convenablement, n'ayant qu'un mauvais instrument à son service.

Partant de cette conception de l'être humain, la doctrine des Yoghi a toutes sortes de moyens pour développer la force vitale de l'individu : l?alimentation, le bain, l'hygiène de la peau et de l'intestin, l'éducation de la respiration, l'influence de l'habitude et de la volonté, les règles du repos, et les agents physiques, lumière, chaleur, y sont employés méthodiquement. Toute la théorie des Yoghi repose sur l'idée de la conscience humaine et le retour à la nature : c'est l'occultisme moderne avec toutes les connaissances scientifiques de l'hygiène et de l'influence du milieu sur l'individu.

Avec les traditions égyptiennes, qui nous sont peu connues, les Grecs anciens élèvent la gymnastique à la hauteur d'une institution nationale. Leur gymnastique ne perd pas de vue le but physiologique, mais a un caractère politique, athlétique et militaire plus accentué que chez les peuples d'Extrême-Orient.

À époque fixe, la Grèce entière s'assemblait à Olympie, à Delphes, à Corinthe pour les Jeux olympiques, pythiques, isthmiques ; poètes, philosophes, artistes donnaient leurs productions en public. Les exercices présentaient surtout un caractère athlétique qui excluait les faibles de la palestre. Le gymnaste chargé de la direction des exercices indiquait au pédotribe ce qu'il devait faire et comment il devait entraîner la jeunesse. Lycurgue le Spartiate ordonne aux jeunes filles de s'exercer et de prendre part aux courses publiques pour être capables, plus tard, de donner le jour à des enfants vigoureux ; mais les jeunes filles étaient exclues des palestres. On se préoccupa alors de l'influence héréditaire et de la transmission de certaines maladies des parents aux enfants. Cette préoccupation de la valeur physique de la race est le mobile des éducateurs ; elle est aussi celui du gymnaste qui dresse ses éphèbes pour les concours olympiques : le gymnaste doit connaître l'état sanitaire des parents de son élève.

Les mariages bien proportionnés entre deux sujets présentant les attributs de la beauté et de la santé devaient forcément réaliser les types humains les plus parfaits. Cela explique l'essor de l'art grec, les artistes ayant toujours sous les yeux les athlètes les plus beaux au point de vue des formes et au point de vue des mouvements.

Les exercices du gymnase étaient variés et constituaient une sorte d'éclectisme d'où résultaient forcément des qualités physiques complètes : vigueur, santé, agilité, force et beauté.

La lutte, le pugilat, le lancer du disque et du javelot, la course à pied, a cheval ou en char, les diverses espèces de sauts, constituaient le programme des Jeux olympiques. Ceux qui sortaient victorieux des épreuves imposées avaient donc une réelle supériorité physique. Des honneurs étaient réservés aux vainqueurs des Jeux olympiques, et les plus célèbres artistes en immortalisaient le nom et l'image par les statues que nous pouvons encore admirer aujourd'hui. Mais l'athlète une fois couronné était tenu, s'il entrait de nouveau dans la lice, de donner un garant de sa vie, car, s'il était vaincu, il était condamné à mort.

Ces beaux temps de la Grèce eurent leur fin avec l'excès du luxe et des plaisirs. Les beaux principes inscrits au fronton du temple de Delphes : Connais-toi toi-même ; De la mesure en toute chose, furent méconnus, la gymnastique fut déviée de son vrai but éducatif.

Après avoir été envisagée comme une science s'accordant avec la médecine et comprenant tout ce qui touche au perfectionnement humain, elle devint une spécialisation aux exercices athlétiques destinée à faire briller seulement l'athlète aux yeux du public, en cultivant à l'excès ses qualités naturelles pour en obtenir des résultats extraordinaires au grand détriment de la santé ; la saine notion d'éducation physique est ainsi perdue, et les philosophes et les médecins de l'époque jettent le cri d'alarme.

« Se porter toujours bien vaut mieux que d'être fort ; l'empirisme est un danger, mais le raisonnement est difficile, l'athlétisme est contraire à la nature. » Telles sont les réflexions d'Hippocrate. Platon a une juste idée de la gymnastique quand il dit : « Nous imposons l'exercice corporel à nos enfants pour que leur corps, amélioré par son usage, soit complètement soumis à leur volonté » ; il se révolte contre le surmenage de l'athlétisme, et Aristote demande pour perfectionner l'homme une gymnastique harmonique et modérée.

Les principes de Platon et d'Aristote forment la base la plus complète et la plus admirable de l'éducation physique, et il n'y a qu'à puiser dans leurs ouvrages pour y trouver des expériences toutes faites. D'après eux, l'utilité de la gymnastique l'emporte sur celle de la médecine, la science gymnastique ne le cède à aucun art ; si les athlètes sont inférieurs en intelligence, ce n'est pas la faute de leurs exercices, mais parce qu'ils n'ont pas cultivé leur intelligence comme leurs forces physiques.

On tient compte des rapports entre la forme extérieure du corps et les qualités physiques. D'après Philostrate, le gymnaste juge d'un athlète à ses yeux, à son regard, à sa physionomie, à la conformation de son corps, au développement de sa poitrine, etc. ; il choisit pour briller dans chaque exercice particulier ceux dont la conformation du corps est la plus favorable.

Mais les excès de l'athlétisme, la mollesse et le jeu d'argent firent dévier l'éducation physique, et l'on vit bientôt la fin de cette phase admirable du perfectionnement humain.

Les Romains héritèrent du goût des Grecs pour la gymnastique ; ils importèrent chez eux les jeux olympiques, mais en dénaturèrent l'esprit ; ils eurent moins de méthode que les Grecs, et leurs exercices furent empreints de leur esprit de militarisme. Le maniement des armes, le tir à l'arc, la fronde, la course en armes, la construction des routes, des édifices et des cités, étaient, avec la guerre, leurs occupations principales. Mais aux exercices virils du champ de Mars, on substitue encore la dissolvante coutume des jeux du cirque. Galien, Celse, Sénèque et d'autres sages ont beau s'élever contre ces vices, ils ne peuvent enrayer le mouvement de décadence. Les Thermes étaient la vie romaine : c'était à la fois le bain, la palestre, l'école, la tribune et le salon de la Rome païenne ; ils devinrent, avec les cirques et les amphithéâtres, la honte et le tombeau des maîtres de l'Occident. Oribase essaie encore de régénérer l'influence bienfaisante de l'exercice, mais la décadence se précipite, et l'abandon des exercices corporels ouvre la porte à la débauche, à la mollesse et à la ruine. Ce fut le règne des gladiateurs et la fin d'une éducation virile et complète qui avait produit d'admirables résultats.

La période obscure qui s'étend jusqu'à la fin du moyen âge nous laisse peu d'indications sur les exercices que l'on y pratiquait. L'esprit mystique domine, on méprise les qualités corporelles ; la race s'abâtardit sous l'influence de ces préjugés ascétiques qui vont contre toutes les lois de la nature et de l'hygiène. Seuls les chevaliers et seigneurs ont encore une éducation virile, éducation guerrière se bornant à se préparer à la guerre ou à briller dans les tournois. La femme est négligée ; heureusement l'écolier joue dans les rues, mais aucune éducation méthodique ne le dresse dans l'école, réduite à des salles malpropres, basses et obscures.

Le bourgeois avait comme exercices la danse, le tir à l'arc et le jeu de boules. La féodalité eut les joutes, les carrousels et les luttes d chevaliers, habiles à tous les exercices de corps, d'adresse et de défense. Mais bientôt, avec l'invention des armes à feu, ces exercices furent abandonnés, la chevalerie trouva sa fin, et il ne survécut de tout cela que des jeux populaires : la paume, l'escrime, l'équitation et la chasse pour les nobles ; les quilles, la boule et l'arc pour le peuple. Ces jeux nationaux sauveront le pays d'une déchéance complète physique et morale, qui s'accentuait avec la croyance aux arts diaboliques.

Une poussée nouvelle vers la vigueur et la beauté s'élève au quinzième siècle avec la renaissance des arts. On essaie de reconstruire les gymnases anciens, mais ce mouvement est éphémère, il n'est pas bien dirigé, et suscite les critiques de Rabelais et de Montaigne. Rabelais (1542) donne dans son Gargantua un programme d'exercices physiques qui comprend tous les exercices militaires et tous les exercices athlétiques. Montaigne (1580) veut aussi renouveler l'éducation antique ; il conseille pour son élève un régime dur et excessif, afin de le rompre à toutes les fatigues et de l'aguerrir à toutes les intempéries. Mais ces idées des humanistes ne purent rien réaliser de pratique, malgré les écrits d'André Vésale (1514) et d'Ambroise Paré (1575).

La cour de Versailles, avec Louis XIV, méprisa tous les jeux et les exercices virils, subissant l?influence néfaste des idées religieuses et d'une piété exagérée. On ne trouve alors de travaux sur l'exercice et ses bienfaits que chez les philosophes elles grands médecins : Boerhave, Mercurialis, Locke (1693). Hoffmann (1660), Nicolas Andry (1658-1742).

Archange Tuccaro, sous Henri IV, avait déjà donné un livre remarquable sur l'éducation des rois.

L'école allemande, née sous l'impulsion de Hoffmann, eut pour représentants Basedow (1724-1790), qui fonda à Dessau un institut d'éducation complète, et essaya de reconstituer l'athlétisme grec en y ajoutant les travaux manuels.

Salzmann, son disciple, forma à son école Gutsmuths (1759-1839), le fondateur de la gymnastique allemande moderne. Son système pédagogique s'accordait mieux avec le but social, mais il était surtout pratique et tout à fait empirique. Jahn (1778-1852) sacrifia la gymnastique pédagogique à la gymnastique militaire ; il fonda au point vue patriotique les Sociétés de gymnastique avec la devise : « Frisch, Frei, Fröhlich, Fromm », dans le but de combattre la France et d'établir l'unité allemande. Spiess (1810-1858) adapta le système de Gutsmuths et de Jahn à la vie scolaire, il fut l'ami des jeux de l'enfant et peu partisan des appareils.

En France, Rousseau avait produit un grand mouvement en faveur de l'éducation. Les écrits d'Amar-Durivier et Jauffret, Tissot, Londe, Bérard, Royer-Collard, Clias (1819-1842) précédèrent la fondation de la gymnastique en France par Amoros. A la même époque, le Suédois Ling (1776-1839), avec les principes qu'il avait, pris en Danemark à l'école de Nachtigall et les traditions chinoises, indiennes et grecques, fonda l'école suédoise. Ses principes sont ceux de Platon, mais la réalisation de son système est tout à fait empreinte du milieu de l'Extrême-Nord dans lequel il s'est développé ; sa gymnastique, plutôt médicale qu'éducatrice, n'a pu évoluer à cause du respect exagéré de ses successeurs pour les traditions.

Le système de Ling n'a pas encore passé par le contrôle de l'expérimentation scientifique ; il ne peut être accepté à la lettre avec tout le purisme de ses adeptes ; il doit être complété par les jeux, les sports et les exercices d'application. Il y a tendance générale vers une éducation physique éclectique, composée de jeux de plein air, d'exercices correctifs destines à combattre les inconvénients de la scolarité et en particulier les déformations du rachis causées par les attitudes dissymétriques et soutenues, en y ajoutant les exercices d'application nécessaires à l'adulte et au soldat. Cette solution sage résulta des discussions entre les partisans des systèmes anglais, allemand et suédois dans les divers Congrès de 1900 et 1905 à Paris et à Liège.

Après avoir été purement empirique et quelquefois acrobatique, la gymnastique commence à se baser sur des observations de plus en plus précises ; sa méthode d'enseignement, dégagée de toutes les conventions, devient de plus en plus positive à mesure que les effets de l'exercice sur le corps humain sont mieux connus. Son but est d'ordre social : c'est le perfectionnement de notre nature dans notre milieu, l'augmentation de notre énergie physique et morale, et l'utilisation la meilleure de cette énergie. Les moyens et procédés de l'éducation physique sont éclairés par les sciences connexes ? la physiologie, l'hygiène, la mécanique. Nos qualités physiques essentielles consistent dans la santé et l'endurance, la beauté corporelle, l'adresse et l'agilité au service d'une volonté ferme, du courage et de l'initiative nécessaires pour se débrouiller dans la pratique de la vie.

Notre perfectionnement a son origine dans l'effort volontaire et sa direction vers ce but élevé. Sous l'influence de la volonté, nous faisons des efforts musculaires qui produisent des mouvements et du travail. Le travail fourni par notre machine est à considérer sous deux rapports : d'après son utilité pratique et d'après son retentissement sur notre organisme ; ces deux effets généraux sont le but et la fin de toute éducation physique complète. A ces deux résultats correspondent deux séries d'exercices : 1° les exercices éducatifs ou préparatoires, servant à développer l'enfant et à amener les faibles et les maladroits au degré voulu de santé, d'adresse et de confiance en soi sans lequel les applications deviennent un danger ; 2° les exercices d'utilité pratique ou d'application proprement dite.

La gymnastique éducative doit donner la santé et l'endurance, obtenir le développement harmonieux du corps ; faire acquérir l'adresse et la souplesse, augmenter l'énergie morale et affirmer la personnalité.

Pour obtenir ces résultats, elle exerce les différents organes qui président à ces qualités, les perfectionne, évite la spécialisation qui rompt l'équilibre de notre organisme en développant certaines aptitudes au détriment d'autres aussi importantes. Le perfectionnement physique est un ensemble de qualités obtenues par les différents modes et genres de travail auxquels nous nous soumettons.

1° La quantité de travail dans un temps donné et l'intensité des efforts influe sur l'effet général de l'exercice, produit un effet hygiénique salutaire ou du désordre des grandes fonctions ;

2° Le genre d exercice détermine des mouvements spéciaux qui localisent la contraction musculaire clans une région déterminée du corps et la développent en raison de son fonctionnement ;

3° La précision de nos efforts et l'adaptation parfaite des mouvements à un travail donné nous font bénéficier au mieux de notre dépense en l'utilisant avec le minimum de gaspillage possible ; 4° Le plaisir avec lequel nous faisons de l'exercice, l'énergie et les qualités viriles qu'il suscite, cultivent chez nous la volonté, et nous déterminent à agir et à persévérer.

Les mouvements peuvent alors être envisagés et classés sous le rapport de leurs propriétés physiologiques correspondant aux qualités ci-dessus indiquées. Un enseignement complet comprend les exercices méthodiques qui font acquérir ces qualités dans le plus bref délai.

La leçon de gymnastique scolaire se compose de mouvements destinés à activer la circulation du sang et la respiration, à développer harmonieusement le système musculaire, à remédier aux mauvaises attitudes de l'épaule si fréquentes chez les écoliers, amplifier la poitrine, à redresser les courbures exagérées de la colonne vertébrale, à développer spécialement les muscles du ventre ; elle doit comprendre aussi des exercices qui récréent l'élève, c'est-à-dire sont exécutés sous forme de jeux ou de danses, le rendent adroit et souple, atténuent le vertige ou l'appréhension que nous donnent les endroits élevés, perfectionnent les allures, marches, courses, sauts, apprennent à grimper, à nager et à être habile à tous les exercices utiles. Elle est ainsi complète et utile, graduée, intéressante, et doit être dirigée avec ordre et énergie.

Les exercices seront de préférence exécutés à l'air pur et suivis de frictions et d'ablutions d'eau froide. Le vêtement, large et élastique, comme le maillot de laine, ne doit point comprimer le cou ni serrer la poitrine et le ventre, ce qui mettrait un obstacle à la circulation du sang et aux mouvements respiratoires. Le choix des exercices et leur violence doit varier suivant la température et les saisons. Il ne faut jamais se livrer à des mouvements énergiques immédiatement avant ou après un repas copieux, ni boire de l'eau froide quand le corps est surchauffé.

L'état physiologique de l'individu ou son degré d'évolution ne correspondant pas nécessairement à son âge, on détermine l'importance relative des exercices de développement et d application d'après l'état des sujets auxquels on s'adresse. L'enfant n'est pas un petit homme, mais un être en formation ; si on lui demande trop de travail, ce sera au détriment de sa croissance et de son développement ; sa seule gymnastique, loin d'être athlétique, ne peut consister qu'en jeux et exercices correctifs. L'homme fort n'a plus qu'à entretenir sa santé et à appliquer sa force acquise.

L'application ne doit pas être confondue avec la recherche de difficultés exceptionnelles ou l'athlétisme. L'application consiste simplement à dépenser utilement son énergie avec le minimum de gaspillage et de fatigue pour l'organisme, c'est-à-dire avec le maximum de rendement en effet utile. La préparation militaire est le modèle de cette application, les sports divers en sont l'école.

Les efforts modérés alternant avec des repos et fréquemment répétés sont, avec les exercices respiratoires et l'hygiène générale, les secrets de la santé et de la vigueur. Les soins de la peau, l'alimentation choisie, plutôt végétale qu'animale, sans user d'excitants du système nerveux comme le tabac et l'alcool ; un régime régulier de vie, se lever matin et se coucher tôt, éviter les excès de toute sorte, sont les moyens sûrs de vivre vieux et de conserver son énergie. Ces pratiques doivent entrer dans nos moeurs, si nous voulons jouir de la plus grande somme de bonheur et contribuer à la formation d'une race forte et énergique.

L'expérience a montré : que l'exercice quotidien est nécessaire à la santé que les gros muscles n'indiquent point du tout la résistance à la fatigue ; ce qui importe, c'est le fonctionnement parfait des organes de la nutrition, surtout du coeur et du poumon, et l'élimination des poisons dont l'organisme est encombré à la suite de la fatigue ou d'une alimentation mauvaise. Il est de la première importance de prendre dans l'enfance des habitudes d'hygiène et d'exercice qui serviront toute la vie.

Les appareils de gymnastique sont des moyens de développer le corps en lui imposant des efforts énergiques ou des obstacles créant des difficultés à vaincre pour s'habituer à sortir d'un mauvais pas. Les appareils de gymnastique sont portatifs ou fixes. La gymnastique de chambre utilise les haltères, les barres, les massues, les cordes et bâtons servant aux luttes deux à deux, ainsi que les « exercisers » ou appareils à résistance en caoutchouc à ressorts ou à contrepoids. Pichery a le premier employé ces appareils à ressorts comme moyens de développement et obtenu des résultats très intéressants avec la gymnastique de l'opposant. Les appareils en caoutchouc sont préférables aux appareils à contrepoids, parce qu'ils présentent toujours une résistance continue, ce qui n'a pas lieu avec un contrepoids dont l'inertie et la vitesse modifient à chaque instant la tension des cordons.

Les appareils de suspension et d'appui, de grimper et d'escalade ; les appareils à sauter : le cheval de bois, les perches ; les appareils à lancer: disques, boulets, javelots ; enfin les armes et accessoires de la boxe, de l'escrime et du bâton, des jeux et des sports, composent tout le matériel de la gymnastique d'application.

Les appareils de gymnastique ne sont pas indispensables au développement du corps ni à son entraînement à l'endurance ; il y a encore beaucoup de préjugés sur ce point. La marche, la course, les sauts, la natation, la lutte, la boxe, le canotage, le lancer, les exercices respiratoires, en un mot tous les exercices naturels, sont infiniment supérieurs aux fantaisies acrobatiques qui étonnent, mais trompent sur la valeur physique réelle de l'homme.

Un sujet qui brille aux appareils de suspension et d'appui peut n'avoir ni santé ni fond ; il est simplement adroit et adapté à un appareil spécial. La caractéristique des appareils servant à la locomotion avec les bras est d'exiger de très gros efforts musculaires portant sur des muscles plutôt faibles, sans pour cela demander une grande somme de travail ; de là le peu de retentissement de ces exercices sur les grandes fonctions de nutrition et leur faible effet hygiénique.

Vu son importance démontrée, la gymnastique est entrée dans les préoccupations des pouvoirs publics. On l'a introduite dans les matières de l'enseignement, et l'on élève chaque jour le niveau moral du personnel enseignant afin de le mettre à la hauteur de sa tâche.

Amoros, colonel espagnol, disciple de Pestalozzi, introduisit la gymnastique en France vers 1815 ; il fonda et dirigea le gymnase normal militaire de Grenelle ; mais sa méthode était incomplète et ne pouvait convenir à l'enfance ni aux femmes. Son gymnase fut fermé en 1837, après avoir néanmoins rendu d'importants services à l'armée et aux sapeurs-pompiers.

Sous l'influence également des idées de Pestalozzi, Clias introduisait à la même époque l'enseignement de la gymnastique dans les écoles de la Ville de Paris. Sa méthode était plus pédagogique et plus esthétique que celle d'Amoros, elle se mettait à la portée des faibles, et, pour cette raison, donna de bons résultats constatés par un rapport de Bouvier à l'Académie de médecine. Cet enseignement fut interrompu en 1833, et il n'en est plus question jusqu'en 1846.

Amoros et Clias furent donc les maîtres de l'Ecole française ; ils eurent pour successeurs Napoléon Laisné et le colonel D'Argy, qui fondèrent l'école militaire de gymnastique de la Faisanderie, commandée ensuite par le capitaine de Féraudy. L'Instruction pour l'enseignement de la gymnastique dans les corps de troupes fut publiée en 1847 ; c'est une oeuvre empreinte de la doctrine d'Amoros, qui a sa valeur au point de vue militaire, mais ne présente pas d'intérêt au point de vue scolaire : elle fut acceptée et adoptée par les pays étrangers.

Alors se fondèrent des établissements et des gymnases particuliers, et les bons résultats constatés partout contribuèrent à orienter l'opinion en faveur des exercices du corps. Les ouvrages de Londe, de N. Dally, de Bouvier, de Blache, de Boyer-Collard, Bouchardat, Tardieu, Michel Lévy, Foissac, Demarquay, et les thèses nombreuses présentées sur le sujet, sont une preuve du mouvement important qui se produisit en France de 1819 à 1854 et aboutit à un décret rendant la gymnastique obligatoire dans les lycées de l'empire.

Napoléon Laisné enseigne alors la gymnastique pédagogique et médicale ; il fait avec le Dr Blache à la Salpêtrière le traitement de la chorée. Triat organise son gymnase modèle de l'avenue Montaigne, où il déploie un luxe considérable d'appareils. Ce mouvement est continué par son élève Paz, par de Jarry, et se répand en province, dans la région de l'Est surtout. Grâce à Clias et à Laisné, la gymnastique est mise à la portée des filles par l'adjonction du chant, de la musique, de la danse et de la callisthénie.

Mais tout cet enseignement est encore empirique, les résultats obtenus ne sont pas en rapport avec les dévouements, les peines et les dépenses. La plupart des maîtres concevaient encore la gymnastique à un point de vue trop athlétique pour convaincre les parents et les médecins. La jeunesse resta encore privée d'exercice pour cette raison. Pichery inventa la gymnastique de l'opposant. Les appareils à ressort permettent l'exercice raisonné de toutes les parties du corps ; ils sont le point de départ de tous les « exercisers » en caoutchouc servant actuellement à la gymnastique de chambre.

Paz fut envoyé en mission en Belgique, en Hollande, en Allemagne et en Suède ; à son retour, il contribua à introduire la gymnastique dans les écoles publiques à la suite du décret du 18 juillet 1868.

Duruy avait été l'âme de ce mouvement, et le Dr Hillairet, envoyé également en mission à l'étranger, publia un rapport très touffu et très intéressant dans lequel il condamnait la gymnastique amorosienne comme manquant de base scientifique. On se rappelle la phrase de Duruy : Nous ne voulons pas faire des bacheliers, mais des hommes. Cette phrase indique l'esprit qui animait les réformateurs. Des commissions fonctionnèrent de 1866 à 1868, et devinrent permanentesj elles avaient pour rapporteurs Bérard, Bouvier et Hillairet.

Le diplôme de maître de gymnastique est alors créé par le décret de 1869, et la gymnastique fait partie intégrante des programmes des écoles primaires, des lycées et des écoles normales ; un programme détaillé des exercices gymnastiques est rédigé et publié. Vient la guerre de 1870, la commission interrompt ses travaux ; mais, réorganisée, elle rédige des manuels de gymnastique, dont un pour les filles. Jules Simon lance des circulaires pour attirer l'attention sur les bienfaits des exercices ; le sénateur Georges fait voter une loi rendant la gymnastique obligatoire dans l'enseignement (27 janvier 1880). Paul Bert supprime la commission, qui avait rendu de grands services, et la remplace par la commission d'éducation militaire et civique.

De là sortit le bataillon scolaire, institution superficielle, condamnée par l'expérience. Jules Ferry envoie aux recteurs des circulaires pour préciser ce que doit être l'enseignement gymnastique et celui des exercices militaires dans les lycées et les écoles normales.

A ce moment se produit en France un mouvement important en faveur des exercices physiques. Ce mouvement a le double caractère sportif et scientifique. Le Cercle de gymnastique rationnelle est créé en 1880 par MM. Corra et G. Demeny, il est subventionné par la Ville de Paris, et ouvre aux professeurs et instituteurs les premiers cours de physiologie appliquée à l'exercice, sous la présidence de M. de Hérédia. Il publie le résumé de ses cours et des discussions qui ont lieu dans ses assemblée» générales en un bulletin périodique, l'Education physique, envoyé aux instituteurs du département de la Seine.

Le physiologiste Marey fonde la station physiologique du parc des Princes, annexe du Collège de France. De ce laboratoire, dirigé par M. Demeny pendant quinze ans, sortiront les travaux scientifiques les plus exacts sur le mouvement et la locomotion de l'homme, qui serviront de documents pour établir la méthode. L'initiative privée n'est pas en arrière du mouvement. La première Société de gymnastique fut fondée en Alsace, à Guebwiller, en 1860, et l'Union des Sociétés de gymnastique de France date de 1873. Sous l'impulsion et la direction des Paz, Ziégler, Sansboeuf, Félix Faure et Cazalet, elle a pris un développement considérable, et comprend aujourd'hui plus de mille sociétés affiliées avec un effectif de 250000 gymnastes. Elle donne chaque année une fête fédérale dans une ville de province, où sont invitées les fédérations étrangères, et qui est généralement présidée par le chef de l'Etat. La première a eu lieu à Paris en 1875 et a été présidée par Jules Simon.

Les Sociétés de sports se créèrent ensuite à côté des Sociétés de gymnastique, et rendirent les plus grands services en donnant le goût du plein air et de l'exercice naturel. Elles furent le résultat d'une campagne faite dans la presse par Paschal Grousset, dont le livre sur la vie de collège en Angleterre produisit un mouvement nouveau. Le baron Pierre de Coubertin publiait à la même époque son livre sur l'éducation physique en Angleterre, et ouvrait à la jeunesse l'horizon nouveau des jeux scolaires et des sports utilitaires. Diverses sociétés sportives : le Stade français, le Racing Club, l'Union des Sociétés de sports athlétiques, le Touring Club de France, le Club Alpin, l'Union Vélocipédique, puis les Sociétés d'instruction militaire, embrassent tous les jours un plus grand nombre d'adhérents et contribuent à l'éducation de la jeunesse.

MM. Sansboeuf et Strehly organisent des concours interscolaires entre les élèves des lycées et cherchent à conserver parmi les élèves le goût et la pratique des appareils de gymnastique amorosienne. En 1888, le Dr Philippe Tissié fonde la Ligue girondine de l'éducation physique, à la suite d'articles parus sur les jeux scolaires. Il s'emploie très activement dans des polémiques pour introduire en France le système suédois dans toute sa pureté scolastique.

M. Liard, vice-recteur de l'académie de Paris, encourage ce mouvement général, en restant au-dessus des luttes passionnées des diverses écoles qui veulent se partager l'enseignement. Déjà en 1887, sur l'initiative de Marey et avec l'appui de M. Buisson, directeur de l'enseignement primaire, une commission est instituée au ministère de l'instruction publique pour réviser les manuels de gymnastique scolaire. Le manuel nouveau parut en 1891 ; il était précédé d'une introduction donnant sur la valeur des exercices et leurs effets physiologiques des notions très précises ; il rejetait comme inutiles et même nuisibles les exercices de la barre fixe, du trapèze et des anneaux, et joignait les jeux et sports à la gymnastique méthodique.

Parallèlement à cette commission fonctionnait celle des jeux scolaires, chargée de la distribution des récompenses pour le concours Bischoffsheim, auquel un prix de cinq mille francs était attribué.

A la suite de ces travaux, MM. Demeny et Lagrange sont envoyés en mission d'études en Suède. La Ville de. Paris crée le premier cours d'enseignement supérieur d'éducation physique et le confie à M. Demeny en 1891. M. le colonel Dérué, inspecteur de la gymnastique dans les écoles de la Ville de Paris, introduit les principes de la gymnastique pédagogique nouvelle, et une commission municipale est chargée de l'application de cet enseignement. En 1900 a lieu le premier Congrès international de l'éducation physique, à la suite duquel le général André, ministre de la guerre, charge M. Demeny de la réforme dans l'armée. Le règlement de 1902 est bâti sur le plan du cours de M. Demeny ; il prend pour base de la méthode les effets physiologiques de l'exercice, les résultats d'expériences de la station physiologique.

Un enseignement régulier des sciences du mouvement est créé à l'Ecole de Joinville-le-Pont, et un laboratoire de recherches y est annexé.

Sur la demande de M. Charles Cazalet, président de l'Union des Sociétés de gymnastique de France, le ministre de l'instruction publique crée en 1903 le cours supérieur d'éducation physique. Ce cours, confié à la direction de M. Demeny, a lieu pendant les vacances et perfectionne, au point de vue pédagogique, les professeurs et instituteurs chargés de l'enseignement de la gymnastique. A la fin de ce cours, un diplôme spécial donnant droit à des prérogatives est décerné à la suite d'un examen portant sur les sciences appliquées à l'éducation et sur un ensemble d'exercices très variés.

Un décret du 22 décembre 1904 nomme une commission interministérielle chargée d'établir les bases communes aux manuels de la guerre, de l'instruction publique et des Sociétés de gymnastique. Elle propose l'admission comme élèves à l'Ecole de Joinville des instituteurs pendant leur service militaire.

Le Conseil supérieur de l'instruction publique approuve la création d'un diplôme de professeur de gymnastique (degré supérieur), et ce diplôme est institué par décret du 30 décembre 1907. Nul, à partir de 1909, ne pourra être nommé professeur de gymnastique dans un lycée ou collège de l'Etat sans avoir passé les épreuves des examens, écrit, oral, pratique et pédagogique. Le programme de ces examens est publié, et l'enseignement de la gymnastique est mis dès lors sur le même pied que celui du dessin et de la musique. Une commission met la dernière main à la rédaction du manuel du ministère de l'instruction publique d'après le plan de la commission interministérielle. La Chambre des députés est saisie de ces questions se rapportant à la préparation au service militaire ; une commission extra-parlementaire de l'éducation physique recherche les moyens de répandre les bienfaits des exercices du corps dans toutes les communes du pays. Un rapport du Dr Lachaud, au nom de la Commission de l'armée présidée par M. Berteaux, ancien ministre de la guerre, conclut à l'obligation de l'éducation physique pour tous les élèves des établissements d'enseignement public, à la formation d'écoles régionales militaires, et à la création d'une école supérieure civile d'éducation physique rattachée au ministère de l'instruction publique. [GEORGES DEMENY.]

Législation. ? La loi du 28 mars 1882, art. 1er, confirmant sur ce point les dispositions de la loi du 27 janvier 1880, a mis la gymnastique au nombre des matières dont l'enseignement est obligatoire dans les établissements d'enseignement primaire. Dans les écoles élémentaires, la gymnastique, outre les évolutions et les exercices sur place qui peuvent accompagner les mouvements de classe, doit occuper tous les jours, ou au moins tous les deux jours, une séance dans le courant de l'après-midi.

Dans les écoles primaires supérieures, les exercices gymnastiques se font en dehors des heures de classe. (Arrêté du 18 janvier 1887, articles 19 et 26.) Ces écoles doivent être pourvues d'un gymnase. (Décret du 18 janvier 1887, art. 39.)

L'enseignement de la gymnastique est donné dans les écoles maternelles et classes enfantines, dans les écoles primaires supérieures de garçons et de filles et les cours complémentaires, suivant les programmes fixés par l'arrêté du 8 août 1890. ? Voir Certificat d'aptitude à l'enseignement de la gymnastique.