bannière

g

Guyton de Morveau

 Louis-Bernard Guyton de Morveau, magistrat, homme politique et chimiste français, naquit à Dijon en 1737. Son père était professeur de droit, et le jeune Guyton, destiné à la magistrature, fut pourvu à dix-huit ans de la charge d'avocat général au parlement de Dijon, qu'il exerça jusqu'en 1782. Il s'intéressa de bonne heure aux lettres et aux sciences, et en 1764, au moment même où La Chalotais venait d'exposer au parlement de Bretagne ses idées sur une réforme générale de l'éducation, il présenta au parlement de Dijon un mémoire sur le même sujet. Cet ouvrage, intitulé Mémoire sur l'éducation publique avec le prospectus d'un collège, est inspiré des mêmes principes que celui de La Chalotais : il faut ajouter toutefois qu'on n'y trouve pas des vues aussi étendues et aussi hardies, et que la réforme proposée par Guyton est moins profonde que celle dont l'illustre procureur général du parlement de Rennes s'était fait le promoteur. Le plan général de l'ouvrage est ainsi exposé dans le préambule: «Ce Mémoire sera divisé en six paragraphes ; dans le premier, je considérerai les collèges par' rapport aux moeurs ; dans le second, je les considérerai par rapport à l'enseignement ; j'examinerai dans le troisième à quel âge doit commencer l'éducation publique ; le choix des maîtres remplira le quatrième ; je comprendrai dans le cinquième tous les objets particuliers de l'enseignement, et la méthode de les enseigner ; le sixième donnera le prospectus d'un collège d'après les principes que l'on aura vus dans cet ouvrage ; la manière d'apprendre la religion, cette science des moeurs du chrétien, et la forme des exercices qui en dépendent, y tiendront la première place ; j'essaierai dans le surplus de tracer quelques-unes des règles les plus importantes de la discipline classique. »

On n'aperçoit guère encore, dans cette oeuvre de jeunesse de Guyton (il n'avait que vingt-sept ans en 1764), la trace des doctrines philosophiques du dix-huitième siècle, que l'auteur devait adopter plus tard. Il se range toutefois, sur un point, à l'avis de Rousseau ; il pense comme lui que « tous les hommes sont naturellement bons ». Les voeux qu'il exprime ne touchent presque jamais au fond même des choses : ainsi, il demande que l'enseignement de la philosophie se donne en français plutôt qu'en latin, et que le style dogmatique y soit substitué au style dialectique ; mais pour la doctrine, il s'en tient à celle qui avait régné jusqu'alors dans les collèges, et, tout en faisant le procès à la scolastique, il se montre imbu lui-même des préjugés qu'une éducation où dominait encore l'esprit du moyen âge avait donnés à la plupart de ses contemporains. Il ne s'occupe d'ailleurs que des collèges, destinés à former des lettrés et des savants, et ne s'intéresse en aucune façon à ce qu'on appelle aujourd'hui l'instruction primaire, à l'éducation de la masse de la nation.

Nous ne voyons guère à citer dans son livre qu'un passage intéressant, celui qui est relatif à l'enseignement élémentaire des langues. Il exprime des idées justes et qui sont aujourd'hui universellement acceptées en théorie, bien que dans la pratique la routine ait encore maintenu une partie des abus que signale Guyton de Morveau :

« On a défini la grammaire l'art de parler, dit-il ; mais si nous sommes forcés de reconnaître que les langues n'ont pas été faites par règles et par art, mais par accident, et par le commun usage du peuple ; s'il est constant qu'elles n'ont été chacune dans l'origine qu'un amas de matériaux informes, entassés de toutes parts, et peu faits pour s'ajuster ensemble d'une manière régulière ; s'il est vrai de dire enfin que toute langue a été formée longtemps avant d'avoir une grammaire, que toute grammaire ne peut être considérée que comme un corps d'observations sur l'usage d'une langue quelconque, et qu'il est très possible, très ordinaire même de parler avec élégance et politesse sans avoir aucune connaissance de la grammaire, sans savoir ce que c'est que temps, participe, adverbe et préposition (Locke, Education des enfants, § 193) : on conviendra sans peine que la grammaire serait plus justement définie l'art de rendre raison du langage ; et une conséquence nécessaire de cette définition sera qu'il n'est pas moins absurde de commencer l'étude d'une langue par la grammaire, que de faire rendre raison de ce que l'on ne connaît pas.

« S'il y a absurdité dans cette pratique par rapport à la marche des études, il n'y en a pas moins par rapport à l'âge auquel on impose cette tâche. Quelle occupation pour des enfants que la logique du langage, que des règles gui, naturellement isolées de tout objet sensible, deviennent encore isolées de tout signe représentant, par l'application que l'on en fait à des mots inconnus ! Quoi de plus froid pour l'attention, de plus rebutant pour l'intelligence, de plus pénible pour la mémoire?. Devons-nous, après cela, nous étonner de la répugnance que tous les enfants apportent à ce travail ? répugnance que l'on ne vaincrait que rarement, sans ce barbare appareil de châtiments, qui les met incessamment dans la triste nécessité d'opter entre deux maux pour le moindre, et dont l'effet le plus ordinaire est de les irriter par l'injustice, ou de les abrutir par l'épouvante, et dans tous les cas de leur inspirer une haine insurmontable pour l'étude. »

Si le livre de Guyton de Morveau sur l'éducation n'offre pas un grand intérêt, il n'en est pas de même des travaux scientifiques par lesquels il se signala bientôt à l'attention publique. Il donna le spectacle, rare à cette époque, d'un magistrat consacrant tous ses loisirs à l'étude des sciences, particulièrement de la physique et de la chimie. On lui doit la découverte du procédé de désinfection par le chlore (1773). En 1774, il obtint des Etats de Bourgogne la création à Dijon de cours publics de chimie, de minéralogie et de matière médicale, et il occupa lui-même la chaire de chimie. Ses collègues du parlement ayant jugé, qu'il dérogeait par là à la dignité de la magistrature, lui suscitèrent des désagréments qui l'engagèrent enfin à se démettre de sa charge d'avocat général. Libre alors de se consacrer tout entier à son goût pour les sciences, il travailla avec Lavoisier à la création de la nomenclature chimique, et publia un Dictionnaire de chimie. Lorsque éclata la Révolution, il en adopta les principes, fut élu député à la Législative, puis à la Convention, où il vota la mort de Louis XVI, et devint membre du Comité d'instruction publique. Dans ce Comité, il fut au premier rang de ceux qui s'appliquèrent à mettre au service de la patrie menacée les récentes découvertes de la science : ce fut lui en particulier qui créa l'aérostation militaire ; il monta lui-même en ballon le jour de la bataille de Fleurus pour reconnaître les positions de l'ennemi. Il contribua à la fondation de l'Ecole centrale des travaux publics, devenue l'Ecole polytechnique, où il professa pendant onze ans ; devint membre de l'Institut en l'an IV ; et fut nommé administrateur de la Monnaie, fonctions qu'il garda jusqu'en 1814. Napoléon lui avait donné le titre de baron. Au retour des Bourbons, il obtint une pension en considération des services qu'il avait rendus à la science. Il mourut en 1816, à l'âge de soixante-dix-neuf ans.