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Greaves

 James-Pierpoint Greaves, philanthrope et mystique anglais, né en 1777 à Merton (Surrey), fut destiné au commerce par son père, chef d'une maison importante de la Cité de Londres. Mais des revers de fortune le décidèrent à l'âge de trente ans à renoncer aux affaires. Il vécut d'abord dans la retraite pendant plusieurs années, livré à des études solitaires ; la lecture des mystiques Swedenborg et Jacob Boehm exerça sur la direction de ses idées une influence décisive, et il devint leur disciple. En 1817, son attention fut attirée sur l'entreprise pédagogique de Pestalozzi par la lecture de deux ouvrages intitulés Courte biographie de Pestalozzi, avec une esquisse de ses luttes pour établir son système d'éducation, par un voyageur irlandais, et Esquisse de la méthode de calcul intuitif de Pestalozzi, dont l'auteur était Synge, le premier citoyen du Royaume-Uni qui eût visité l'institut d'Yverdon. Enthousiasmé, Greaves résolut aussitôt de se rendre auprès de Pestalozzi. L'état d'esprit dans lequel il se trouvait lorsqu'il entreprit ce voyage a été décrit par lui-même dans une lettre qu'il écrivait vingt ans plus tard à l'Américain Amos-Bronson Alcott: « En l'année 1817, dit-il, ayant eu intérieurement de puissantes visitations spirituelles, je me retirai davantage de la société, afin de pouvoir m'abandonner à l'influence de l'Esprit de l'amour primitif, et d'agir entièrement suivant ses préceptes, sans avoir égard aux conséquences mondaines. Très peu de temps après cette retraite volontaire, il me fut donné communication du travail de l'Esprit en la personne du vénérable Pestalozzi ; et les actes de cet homme inspiré firent naître en moi un intérêt si puissant que je partis aussitôt pour la Suisse, où je vécus pendant quatre ans, dans un saint compagnonnage avec l'Inspiré. »

Greaves arriva à Yverdon à la fin de 1817, à l'époque où Krüsi et Niederer avaient déjà quitté L'institut. Il fut très cordialement reçu par Pestalozzi, qui l'admit dans son intimité. Ils ne comprenaient pas la langue l'un de l'autre et, détail curieux, Greaves ne s'occupa nullement pendant son séjour en Suisse d'apprendre ni l'allemand, ni le français, si bien qu'au bout des quatre ans que dura ce séjour il n'était pas encore capable de converser avec Pestalozzi sans l'aide d'un interprète. Cette circonstance donna naissance à un livre écrit par Pestalozzi expressément pour Greaves, et qui fut livré à la publicité quelques années plus tard. Ne pouvant converser directement avec son ami. Pestalozzi eut recours à la voie épistolaire pour lui exposer l'ensemble de sa méthode : il rédigea, à l'adresse du philanthrope anglais, une série de trente-quatre lettres, dont la première porte la date du 1er octobre 1818, et la dernière celle du 12 mai 1819. Pestalozzi écrivait en allemand ; le disciple se faisait traduire en anglais la lettre du maître, et pouvait ensuite en étudier le contenu à loisir.

La traduction anglaise des lettres de Pestalozzi à Greaves a paru en 1827, sous ce titre : Letters on early éducation, addressed to J. P. Greaves by Pestalozzi, translaled from the German manuscript, with a memoir of the life and character of Pestalozzi. Le traducteur était un docteur allemand nommé Worms ; il dut, comme il le dit dans sa préface, modifier en différents passages la forme des lettres, pour les présenter au public anglais ; mais il eut soin de soumettre son travail à Pestalozzi, et celui-ci, quelques mois avant sa mort, approuva tous les changements que la traduction avait rendus nécessaires. L'original allemand des trente-quatre lettres n'a jamais été publié.

Dans l'automne de 1818, Greaves, désirant prendre part d'une façon plus active à l'oeuvre qui s'accomplissait sous la direction de Pestalozzi, offrit d'enseigner l'anglais aux enfants de l'école de Clindy, qui venait de s'ouvrir. Son offre fut acceptée, et, sans savoir, pour ainsi dire, un seul mot de la langue parlée par ses élèves, il devint leur professeur. L année suivante, l'école de Clindy fut réunie à l'institut d'Yverdon, et Greaves continua son enseignement à Yverdon même, où il s'occupa d'initier à la méthode les nombreux élèves anglais qui y affluaient.

A cette époque, en effet, les écrits du « voyageur irlandais », le voyage du Dr Bell en Suisse (1816), et aussi les lettres que Greaves écrivait d'Yverdon à ses amis, avaient excité en Grande-Bretagne un vif intérêt pour l'entreprise de Pestalozzi : plusieurs pères de famille avaient isolément envoyé leurs enfants à Yverdon, et, au milieu de juillet 1819, le révérend Dr Mayo, fellow de Saint-John's College à Oxford, directeur de l'école de Bridgnorth (comté de Salop), arrivait en personne à l'institut, amenant avec lui une quinzaine d'élèves environ. La « colonie britannique» ainsi constituée forma dans l'institut pestalozzien comme une section spéciale, qui resta toujours presque uniquement confiée aux soins du révérend Mayo, de. Greaves, et d'un autre maître anglais, le révérend Brown, du collège de Worcester.

Greaves quitta Yverdon au commencement de 1822. Il se rendit à Bâle, puis à Tubingue, où il demeura jusqu'en 1825 ; à cette époque, le gouvernement wurtembergeois lui donna l’ordre de quitter le pays, sous prétexte qu'il répandait parmi les étudiants des doctrines subversives. Rentré en Angleterre, il y propagea les méthodes de Pestalozzi, continuant d'ailleurs à s'intéresser à toutes les idées nouvelles, s'occupant de phrénologie, correspondant avec divers, penseurs socialistes, anglais, français et américains, essayant de l'établissement d'un « atelier public », en vue d'améliorer le sort des ouvriers, et remplissant pendant quelque temps les fonctions de secrétaire de la Société des écoles enfantines. Par son initiative, une école fut fondée à Ham, près de Richmond, pour y appliquer les principes de Pestalozzi, modifiés et complétés suivant les idées de Greaves et de ses amis, Dans les dernières années de sa vie, il entra en relations avec le pédagogue américain Alcott ; et il songeait à partir pour les Etats-Unis lorsqu'il mourut à Ham, le 11 mars 1842. Après sa mort, ses amis publièrent un choix de ses lettres et des extraits philosophiques et mystiques tirés de ses notes.

Une étude sur Greaves, par M. E. Martin, étude à laquelle nous avons emprunté les éléments de cette notice, a été publiée dans la Revue pédagogique du 15 novembre 1886.