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Gerson

Nous n'avons à prendre que quelques points de la vie et des oeuvres de ce célèbre docteur, chancelier de l'Université de Paris à la fin du quatorzième et au commencement du quinzième siècle, l'un des auteurs présumés du livre de l'Imitation de Jésus Christ, l'homme honnête et courageux gui, dans un temps de grossièreté et de violence, n'hésita pas à flétrir publiquement l'assassinat politique sous les yeux mêmes de ceux qui l'avaient commis.

Jean de Gerson était sorti du peuple. Il s'appelait de son nom Jean Charlier, et ses parents étaient pauvres et occupés au travail des champs. Le nom de Gerson lui vint du lieu de sa naissance, près de Réthel. Né le 14 décembre 1363, il mourut le 12 juillet 1429.

Bien qu'ayant reçu une éducation purement scholastique, Gerson s'éleva avec vigueur contre les excès de la méthode en usage dans les écoles pendant tout le moyen âge ; il combattit l'astrologie et les superstitions mystiques: il soutint, particulièrement aux conciles de Constance et de Pise, l'indépendance de l'Eglise contre ce qu'on appellerait aujourd'hui les prétentions ultramontaines, non moins âpre d'ailleurs contre Jean Hus et Jérôme de Prague, au supplice desquels il contribua, comme il contribua à la déposition de Grégoire XII et de Benoit XIII. En politique, — ce fut l'honneur de sa vie, — il prit le parti des faibles et des petits. Il signala à Charles VI les misères où les querelles de ses oncles entraînaient le pays, refusant, malgré les menaces du duc d'Orléans, de se rétracter. Quand ce même duc d'Orléans fut assassiné par le duc de Bourgogne (1407), Gerson prononça l'oraison funèbre de la victime et condamna l'apologie que le cordelier Jean Petit avait faite du meurtre. Jean Sans Peur fit alors piller sa maison, et Gerson dut se cacher pendant deux mois sous les combles de Notre-Dame. Après le concile de Constance (1415), où il avait essayé inutilement de faire prononcer l'anathème contre le crime de Jean Sans Peur, Gerson, s'exilant volontairement, se retira en Allemagne d'où il ne revint en France qu'en 1419, après l'assassinat du pont de Montereau ; il se rendit alors près de son frère, qui était prieur du couvent des Célestins, à Lyon, et ce fut là qu'il passa les dernières années de sa vie.

Cet énergique lutteur n'en avait pas moins toute la tendresse d'âme d'un apôtre. Il composa pour l'instruction du peuple de petits traités en langue vulgaire: l'Art de bien vivre et de bien mourir, l'ABC des simples gens, etc. Il prêchait aussi en langue vulgaire, s'adressant de préférence au pauvre peuple ; il faisait le catéchisme aux petits enfants. Il paraît que quelques personnes se scandalisèrent de voir un ancien chancelier de l'Université se réduisant à cet humble rôle ; le petit écrit de Gerson De parvulis ad Christum trakendis («Qu'il faut amener les enfants au Christ») est en partie une réponse à ces critiques. Gerson y fait profession d'une vive affection pour les enfants, qu'il compare à de frêles plantes, à des fleurs qu'il faut arroser, qu'il faut protéger contre les influences mauvaises. Il considère l'éducation première comme un des éléments fondamentaux de l'ordre social ; il veut que l'on commence par les enfants la réformation de la société et de l'Eglise, et se plaint vivement du peu de soin que les maîtres et les parents prenaient de l'instruction morale de l'enfance. Dans un temps dont on a pu dire qu'en fait d'éducation toute la différence qu'il présentait avec les temps plus anciens, c'est que les fouets du quinzième siècle étaient deux fois plus longs que ceux du quatorzième, Gerson prêche à l'égard des enfants la douceur et la patience : il fait un grand éloge des bons instituteurs, de l'enfance, il veut que le maître s'abaisse au niveau de ses petits élèves. Si l'affection manque, à quoi servira ni volontion, les enfants ne pouvant être ni confiants. l'instructairement dociles ? Il faut se dépouiller de l'air dur et hautain, se faire enfant avec les enfants, sans se prêter, bien entendu, ni à leurs défauts, ni à leurs mauvais penchants. Ajoutez, dit Gerson, qu'au témoignage de Sénèque, la nature est opiniâtre, et qu'on réussit mieux à la diriger qu'à la contraindre. Un naturel d'enfant tant soit peu généreux se rend plutôt aux caresses qu'à la crainte, semblable en cela aux animaux domestiques qui, bien que privés de raison, subissent la même influence.

« Venez, dit-il en terminant, dans une sorte d'allocution adressée aux enfants eux-mêmes, venez avec confiance ; le chemin est sans embûches, l'herbe ne cache aucun serpent. Nous nous communiquerons mutuellement nos richesses spirituelles, car je ne de mande rien de vos biens temporels. Je vous donnerai l'instruction, vous m'accorderez vos prières, ou plu tôt nous prierons ensemble pour notre salut commun. »

Dans d'autres ouvrages de Gerson, on retrouve les mêmes préoccupations au sujet de l'enfance et de la jeunesse. Dans un sermon en latin sur saint Louis, il demande que le professeur ait pour ses élèves une tendresse de père, et lui interdit l'usage des châtiments corporels ; il veut aussi qu'il parle simplement, qu'il ait recours à des récits agréables et moraux. Il adresse une remontrance aux pouvoirs publics au sujet de la corruption de la jeunesse par les images obscènes et autres moyens du même genre, et déplore qu'on expose la pureté de l'enfance au spectacle de ces images, qui se vendent les jours de fête jusqu'aux portes des églises ; que les servantes, les mères ellesmêmes chantent aux enfants des chansons malsaines, etc., etc.

Il y a certainement dans cette prédilection touchante, dans ce respect et cet amour des enfants, la trace d'une inspiration pédagogique bien supérieure aux duretés sinistres de toute l'école du moyen âge, et qui devance Montaigne et Fénelon.

On sait d'ailleurs que, sur la fin de sa vie, à Lyon, celui qu'on appelait le Grand Gerson se fit, dans toute la rigueur du terme, maître d'école. « Un jour, dit un de ses biographes, M. Prosper Faugère, il vint dans l'église où il avait coutume de rassembler les enfants, il en fit fermer les portes et voulut leur parler sans témoins ; sa voix était émue et solennelle, et son allocution fut plus affectueuse encore que d'ordinaire. Il la termina en leur faisant répéter cette prière : «Mon » Dieu, mon créateur, ayez pitié de votre pauvre serviteur Jean Gerson ». Le jour suivant, le pèlerin (c'était le nom qu'il aimait à se donner, peregrinus, ou encore advena, l'étranger, alumnus Christi, l'élève du Christ) avait achevé son voyage en ce monde. »

Le souvenir de Gerson maître d'école ne se perdit pas à Lyon. Charles Démia, dans son Règlement pour les écoles de la ville et diocèse de Lyon, à la tin du dix-septième siècle, y fait allusion, et nous voyons qu'une des dix écoles que la ville de Lyon possédait alors portait le titre d'école Gerson.

Le traité De parvulis ad Christum trahendis a été réimprimé à Reims en 1834 (in-32 de 84 pages), et il en a été donné, en 1838, une traduction très libre par M. Armand Hennequin, inspecteur de l'académie de Douai, sous ce titre : « De l'éducation morale et religieuse des enfants, traduction du traité De parvulis ad Christum, ducendis, de Gerson, chancelier de l'Université de Paris et auteur de l'Imitation de J.-C., précédée d'une Vie de Gerson, et suivie de Sentences extraites de ses ouvrages. »

L'Eloge de Gerson, par M. Prosper Faugère (in-8, 1838), a été couronné en 1837 par l'Académie française.

Charles Defodon