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Géographie

 Jusqu'à une époque relativement récente, l'enseignement de la géographie a été très négligé en France ; on le donnait peu et mal. Il n'y a pas lieu de rechercher pour l'instant jusqu'à quel point on le donnait mieux ou plus abondamment chez des peuples voisins. Ce qui est certain, et ce qui doit nous suffire comme point de départ, c'est Sue cette science était particulièrement maltraitée ans notre enseignement à tous les degrés.

Deux causes, l'une particulière à la France, l'autre plus générale, ont attiré l'attention publique et les efforts des pédagogues sur la géographie. La première cause, souvent considérée comme la seule, c'est la guerre de 1870. Il nous est reste de nos désastres, outre la douleur, un certain sentiment d'humiliation : l'étranger était géographiquement mieux préparé à envahir notre sol que nous a le défendre. De là une impulsion subite, qui, pour avoir eu des résultats rapides, n'a pas été moins sérieuse et moins durable. Elle augmente plutôt que de diminuer ; on n'oubliera plus en France qu'il faut apprendre, la géographie à tout prix.

A cette cause soudaine de conversion, il faut en ajouter une autre plus puissante encore, sous peine de mal comprendre et de mal réaliser la réforme de l'enseignement géographique. Depuis que l'homme habite la terre, il s'était établi entre la planète et lui des rapports de toute sorte qui faisaient partie de son existence physique et morale. Ces rapports se sont brusquement modifiés depuis le commencement du dix-neuvième siècle. L'homme a acquis des moyens de locomotion qui ont fait de lui en quelque sorte un être tout nouveau. Les parties lointaines de la terre sont devenues proches. En même temps que le corps de l'homme acquérait, par cette augmentation de mobilité, des puissances nouvelles, sa pensée, elle aussi, devenait infiniment mobile ; par le télégraphe, elle pouvait voler instantanément sur toute la surface de la terre. De là, des relations étroites, continuelles, intimes, entre les différentes parties du globe et entre les hommes qui les habitent. Nous savons ce matin ce qu'on a fait hier au soir à New York. Bien plus, la pensée de l'homme, devenue plus rapide que les vents ou les tempêtes, a pu les soumettre à l'examen, les suivre du départ à l'arrivée, calculer la vitesse d'une onde liquide à travers le Pacifique ou d'un cyclone à travers l'Atlantique, et ces observations sont entrées dans notre vie de tous les jours. Nous prévoyons la pluie sur un télégramme de New York, nous modifions un projet de promenade sur l'annonce d'une tempête encore éloignée de 500 lieues. La terre, dans toutes ses parties connues, est comme étreinte par l'homme, tandis qu'il y a cent ans l'homme pouvait vivre sans étendre sa vue ou ses pensées d'existence au delà de son horizon visuel. Ces nouvelles conditions de vie nous obligent à apprendre la géographie, et surtout la géographie physique ; et cette obligation n'existe pas seulement pour nous Français et pour la géographie de notre patrie, mais pour tout homme et pour la géographie de la terre entière.

Il y a donc nécessité à apprendre la géographie, tout le monde est d'accord sur ce point ; mais une question se pose avant tout : Qu'est-ce que cette géographie? « C'est la description de la terre », répond la vieille et excellente définition. La description de la terre, soit ; mais toutes les sciences, excepté l'astronomie, ont leur siège sur la terre, et peuvent entrer dans cette définition. Où nous arrêterons-nous? Voilà ce qu'il faut tout d'abord examiner.

I

L'ancienne école géographique simplifiait hardiment la question. On apprenait, et on apprend encore trop souvent, une enfilade de noms groupés par catégories : « Il y a six caps, dont voici les noms ; il y a douze chaînes de montagnes, dont cinq grandes et sept petites ; il y a quatre points cardinaux ; il y a cinq parties du monde ; il y a quatre races d'hommes, il y a cinq océans. » Que sont ces montagnes, comment se groupent ces hommes, que se passe-t-il sur ces océans, quel est le caractère des diverses parties du monde? L'enfant l'ignorera, l'homme ne l'apprendra pas ensuite ; il se hâtera tout au contraire d'oublier ce qu'on lui aura appris. C'est ce point de vue faux et incomplet qui a fait renfermer la géographie dans l'enseignement littéraire. La géographie en soi n'existait pas. « Histoire et Géographie », disaient les programmes ; et la géographie n'était plus que la très humble servante de l'histoire, chargée de dire où s'étaient passés les grands faits historiques. Les annales de l'humanité s'étaient déroulées dans le temps et dans l'espace : il fallait dès lors appuyer l'histoire de deux nomenclatures, la chronologie pour le temps et la géographie pour l'espace. Du reste, ajoutons-le bien vite, cela n'avait pas lieu seulement en France, et l'Allemagne était tombée exactement dans la même faute.

Tout autre, par opposition, est l'école géographique moderne, surtout en France. Elle veut tout embrasser, elle ne connaît pas de bornes ; tout est géographie, tout est lié avec tout, les rapports se multiplient, s'enchevêtrent ; la statistique, l'économie politique, les institutions sociales, la production comparée, les budgets, la magistrature, l?effectif et les grades de l'armée, les attributions des préfets, le jeu de la constitution, tout cela doit, aux termes des programmes, faire partie de l'enseignement géographique.

Où est la limite? Que doit-on enseigner? Jusqu'où est-on dans la géographie et à partir de quel point n'y est-on plus? Voilà la première question qu'il nous faut essayer de résoudre. Avant de parler des méthodes, tâchons de savoir à quels objets ces méthodes devront s'appliquer.

Et tout d'abord, demandons-nous à quels différents points de vue la terre peut être considérée. Rien qu'en posant cette seule question, nous entrevoyons déjà la réponse. La terre peut être considérée soit en elle-même, comme un organisme indépendant, soit comme un ensemble de faits en rapport avec d'autres faits. Parmi ces faits, les uns sont des causes, par exemple la situation du monde terrestre, la rotation, la révolution annuelle, d'où dépend l'organisation même de la planète ; d'autres sont le résultat de cette organisation, par exemple les climats, la végétation, l'existence des animaux, le développement de l'espèce humaine. Voilà déjà le champ de la géographie qui se circonscrit : cette science devra décrire la terre comme un organisme planétaire, siège de phénomènes et de mouvements divers, et parmi ces phénomènes elle s'occupera de ceux qui se rapportent directement à la conformation actuelle du globe, et de ceux qui mettent ce globe en rapport avec le monde animé, avec l'homme, sommet de l'échelle des êtres. Nous partirons donc non point de l'astronomie, mais du point où l'astronomie touche à la surface terrestre, c'est-à-dire de la cosmographie, du soleil, du système planétaire. Et nous aboutirons, non point à l'histoire, mais au point où l'histoire touche à la surface terrestre, c'est-à-dire à la répartition des peuples, à l'effet des climats, au groupement des nations, au va-et-vient des empires. Sur la route, nous rencontrerons d'autres sciences : la géologie, qui nous dira les conditions dans lesquelles s'est formée la surface terrestre ; la météorologie, qui nous dira uniquement comment l'atmosphère se comporte avec cette surface ; la botanique, à laquelle nous demanderons simplement quels effets les plantes subissent des formes ou de la nature de cette même surface ; la zoologie, qui n'aura autre chose à nous dire que le rapport des grands groupes animaux avec cette surface. De même, pour toutes choses, la géographie s'arrêtera au point où elle quitterait la surface terrestre et commencerait à considérer des choses qui y sont étrangères.

Le lieu d'une bataille, le relief d'un massif rocheux, l'aire d'une végétation particulière, l'étendue d'un climat, la densité d'un peuple, cela sera de la géographie. Mais le nom des généraux qui ont livré cette bataille, les caractères spécifiques de cette végétation, les attributions ou les appointements des fonctionnaires de ce peuple, ce ne sera plus de la géographie.

Il nous est donc facile maintenant de définir et de délimiter la géographie ; c'est l'étude de la surface terrestre, et des rapports de cette surface avec l'univers ou avec les êtres qu'elle porte.

Pour que cette étude soit fructueuse et complète, l'élève devra savoir le nom des accidents du terrain, des caps, des golfes, des peuples, des montagnes, des déserts : c'est là l'objet de la nomenclature ; il devra savoir où sont situés, les uns par rapport aux autres, les accidents de terrain ou les peuples que ces noms désignent : c'est là l'objet de la cartographie ; il devra surtout savoir ce que sont ces pays, ce que sont ces peuples, en connaître la physionomie et la manière d'être : c est à ce prix seulement qu'il fera vraiment de la géographie.

II

L'enseignement de la géographie devra donc comprendre tout à la fois : 1° les choses ; 2° les noms de ces choses ; 3° les rapports qui unissent ces choses. Avant tout, il faudra se préoccuper de savoir ce qui existe ; on apprendra ensuite à le nommer et à le placer. Remarquons en passant que cette marche est commune à toutes les sciences (et il est bien entendu que la géographie n'est plus une annexe des « lettres », mais bel et bien une science). On n'enseigne pas la chimie en disant : « Il y a tant de corps simples, dont voici les noms : celui-ci se combine de douze façons, celui-là de quatorze, etc. » On montre ces corps simples en action et en combinaison dans la nature. A-t-on jamais eu la pensée d'enseigner l'histoire en disant : « Il y a dans l'histoire de France 42 batailles, 17 grandes et 25 petites. Les grandes sont. ; les petites sont. Il y a 65 grands hommes, dont 20 principaux et 45 secondaires ; » suivraient les noms. Non, on raconte l'histoire. Pourquoi ne raconte-t-on pas la géographie ? Essayez donc d'enseigner l'anatomie par le dénombrement et la nomenclature des os, des muscles et des nerfs? Vous n'enseignerez pas l'anatomie, mais seulement des noms qui servent à l'anatomie.

En aucune branche des connaissances humaines, une telle méthode ne résisterait un jour au ridicule. Que l'habitude ne nous fasse pas illusion ; cette forme d'enseignement par addition de mots, par enfilade de noms vides, par notions toutes faites et à jamais stériles, doit disparaître en géographie.

On s'est souvent demandé pourquoi la géographie était désagréable à tous ceux qui l'apprenaient, et pourquoi, dès qu'ils n'étaient plus forces de l'apprendre, ils la rejetaient comme l'estomac rejette une nourriture inassimilable. L'arithmétique, la grammaire? ils y mordent. La physique ? elle les « amuse ». L'histoire? elle les intéresse. Quant à la pauvre géographie, elle était, à l'unanimité moins quelques voix, déclarée insupportable. Suivons cependant les enfants en dehors de l'école, à l'heure où ils peuvent se délasser et prendre un livre de lecture. Est-ce un ouvrage de physique qu'ils prendront? Un livre d'histoire?

de chimie? de grammaire? Non : mais des voyages de découvertes ; des descriptions d'îles désertes, de climats lointains, de luttes contre le froid du pôle, contre le sable et la sécheresse du Sahara ; des « Robinsons », c'est à-dire l'homme aux prises avec la nature terrestre, c'est-à-dire, en somme, de la géographie. Et dans leur imagination, pendant cette lecture, surgirent des rêves grandioses, des immensités sablonneuses, des vagues croulantes, des deux sillonnés d'éclairs, des savanes à perte de vue, de longues avenues de palmiers. Voici donc deux faits qui semblent inconciliables : d'une part, la géographie est la science qui renferme le plus d'éléments parlant à l'imagination ; d'autre part, elle inspirait jusqu'à ces derniers temps un mortel ennui à ceux qui l'apprennent.

C'est tout simplement parce qu'ils ne l'apprenaient pas ; ils apprenaient à sa place quelque chose de sec, de fragmenté, de vide, comme l'anatomie de tout à l'heure, qui consistait dans l'énumération des os.

Ce que nous disons là n'est pas nouveau. Beaucoup l'ont dit, et depuis 1870 principalement on s'occupe à y apporter un remède. On y est parvenu dans une large mesure, mais peut-être pas suffisamment encore ; peut-être aussi n'a-t-on pas cherché le remède où il se trouve, dans le contact de la vie, de la nature active, dans la substitution de la géographie animée à la géographie immobile, du monde en action au monde en définitions. Ouvrez nos programmes, nos livres d'enseignement, et voyez combien petite est la place faite à la terre vivante, à la vraie géographie physique, dans l'enseignement primaire, secondaire ou même supérieur!

Cependant, soyons justes. Depuis quelques années, les progrès ont été grands, ils sont même allés croissant. A comparer les programmes du dernier quart du dix-neuvième siècle et les programmes actuels, on est forcé de convenir qu'une grande partie des reproches qu'on faisait à l'enseignement géographique ne seraient plus mérités aujourd'hui. Cependant une partie seulement du chemin à parcourir a été parcourue et, dans une certaine mesure, la réforme est restée plus formelle que fondamentale. Des notions nouvelles ont été introduites, de nouveaux groupements d'idées se sont produits, mais le lien qui doit les unir manque encore de force et de précision. Pour mieux nous en rendre compte, parcourons d'une façon très rapide et sommaire les programmes nouveaux de l'enseignement primaire et secondaire : peut-être discernerons-nous mieux les grands progrès accomplis et ceux qui restent à accomplir, du moins à notre point de vue.

Les programmes de l'enseignement primaire sont divisés en trois cours : élémentaire, moyen, supérieur. Le cours élémentaire contient les notions générales sur le globe et les cinq parties du monde. Le cours moyen reprend ces notions en leur donnant un degré de précision un peu plus avancé, définit les formes de la surface terrestre et indique les dénominations appliquées à ces formes ; puis, cela fait, la majeure partie du cours s'applique à la France et à ses colonies. Rien de plus naturel que cette prépondérance, et la place donnée à notre pays dans le deuxième cours pourrait s'expliquer par la pensée d'une interruption possible dans les études, si nous vivions sous l?ancien état de choses. Aujourd'hui, avec le régime de l'instruction obligatoire et du certificat d'études primaires, il peut paraître étrange d'étudier la France avant l'Europe, avant l'ancien continent, dont elle est le produit, et sans lesquels elle demeure un objet isolé, dépourvu de signification. Mais nous verrons plus loin de quelle lacune provient cette erreur, ainsi que beaucoup d'autres.

Enfin, pour continuer le résumé du programme primaire, l'étude des cinq parties du monde occupe le troisième cours.

Si maintenant nous cherchons, avant d'aller plus loin, à nous rendre compte du motif qui a fait étudier la France isolément, avant les ensembles auxquels elle appartient et dont sa vie même dépend, nous reconnaîtrons bien vite que ce motif, c'est l'utilitarisme immédiat. Avant de connaître l'Europe, on juge que l'enfant doit connaître la France. Avant de connaître l'Afrique, il étudiera l'Algérie, et cela dans le but unique de savoir d'abord ce qui l'intéresse de plus près. Or, nous posons cette question, sur laquelle nous reviendrons plus loin : est-il utile de savoir sans posséder les éléments de compréhension?

Pour continuer l'examen des programmes, passons à ceux de l'enseignement secondaire, et constatons tout d'abord le progrès énorme accompli de ce côté depuis un quart de siècle. Ce n'est pas seulement un progrès ; on peut dire que c'est une révolution. A comparer les programmes actuels à ceux dont l'examen sommaire figurait dans la première édition de ce Dictionnaire, on a l'impression de pénétrer dans un monde nouveau. Aussi le sentiment d'ennui qui accompagnait l'étude de la géographie, et que nous rappelions en commençant, a-t-il fait place à un intérêt réel de la part des élèves, presque sans exception. Est-ce à dire que ces programmes soient arrivés au point où ils ne laisseraient plus de progrès à faire? Nous reviendrons sur cette question après les avoir examinés sommairement.

Les cours vont de la classe de sixième à celle de philosophie, et comprennent par conséquent sept années, si nous ne mentionnons pas les cours préparatoires.

En sixième, l'enseignement débute très sagement, disons même très philosophiquement, par la description générale du globe. Puis, ces premières notions une fois posées, on en commence l'application par l'étude des parties du monde les plus éloignées non seulement de l'élève, mais de toutes les expériences sommaires et instructives que son jeune cerveau a déjà inconsciemment accumulées. Il vit en Europe, dans cet ancien continent dont les climats, la végétation, les grands groupements humains lui sont déjà familiers, sans qu'il les ait jamais étudiés. Par les faits et les conversations de chaque jour, par les saisons coutumières, par les grandes lignes d'histoire qu'on lui enseigne dans cette première année (programmes du 31 mai 1902. Classe de sixième, « L antiquité »), il se trouve sans cesse et instinctivement plongé dans les milieux de l'Ancien monde. Or, c'est par l'Amérique et par l'Océanie qu'on l'introduit dans l'étude de la Terre. En même temps que l'histoire de l'Egypte, il apprend la géographie des Etats-Unis ; c'est l'Australie ou la Nouvelle-Guinée, encore à demi-inconnues aujourd'hui et sans valeur historique ou humaine, qui s associeront pour lui à l'histoire de la Grèce ou de la Mésopotamie.

En cinquième, après avoir étudié, en histoire, ces pays « résultats », ces civilisations en croissance et encore inachevées, l'élève aborde la géographie de l'ancien continent, qui eût dû être la condition explicative de ce qu'il a déjà appris l'année précédente : c'est l'Asie, l'Insulinde et l'Afrique qui forment la substance du cours de cinquième. Il apprend donc maintenant les pays de premières origines, ceux dont l'histoire est déjà classée dans son cerveau, où elle n'a pu laisser que des impressions dépourvues de comparaisons terrestres.

En quatrième, c'est la géographie de l'Europe qui remplit toute l'année, alors que l'élève, depuis deux années, est censé avoir étudié l'Australie, nulle pour l'humanité, nulle pour lui et pour son développement intellectuel. La troisième l'attache à la France et à ses colonies, ce qui est parfait : la seconde reprend la géographie générale, avec raison, car à ce moment, ayant parcouru la terre en détail, il est apte, par sa préparation et grâce à son âge, à jeter un coup d'oeil d'ensemble sur la Terre, condition de l'humanité. Restent encore deux années : la classe de première reprend la géographie de la France avec plus de détails et à un point de vue plus élevé ; quant à l'année de philosophie, dans laquelle on a voulu introduire une sorte de clef de voûte de l'enseignement géographique, elle est employée à une sorte de voyage pratique dans les principales puissances du monde, au point de vue utilitaire ; voyage destiné à armer le jeune homme dans la lutte pour la vie, au moment où il va quitter l'apprentissage pour l'action.

A part l'interversion nécessaire des trois premières années, l'Amérique et l'Océanie ne pouvant avoir un sens quelconque qu'après l'étude et surtout la compréhension de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique, ce programme nouveau constitue sur les programmes anciens un tel progrès, qu'on peut dire qu'il a définitivement fondé l'enseignement géographique en France. La meilleure preuve en est que depuis sa réalisation la jeunesse française a « mordu » à la géographie, en a compris le charme profond, et, chose plus importante, l?a introduite comme facteur actif dans sa vie. Le jeune Français qui, après avoir bâillé au cours de géographie pendant la durée de ses études classiques, ne s intéressait, pendant le reste de sa vie, qu'à ce qui se passait sur le Boulevard, dans Paris, ou, comme cercle extrême, dans les limites de la France, n'existe plus qu'à l'état d'exception remarquée. La patrie s'est élargie, et le jeune homme entrant dans la vie en comprend les rapports nécessaires avec le reste du monde. Citoyen de son pays, il est en même temps citoyen de l'humanité, condition indispensable pour que ce pays prenne ou conserve dans l'humanité la place que la nature lui avait dévolue et que depuis quelques générations il semblait s'évertuer à perdre.

Le progrès a été si grand et si rapide, qu'il serait déraisonnable de s'étonner qu'il n'ait pas été plus grand encore.

Il faut en toutes choses ménager les transitions et les courbes ; on ne monte un escalier que degré par degré, dans l'ordre intellectuel comme dans l'ordre matériel. Aussi, loin de reprocher aux programmes actuels les quelques lacunes auxquelles nous faisions allusion un peu plus haut, serions-nous porté en toute sincérité à nous demander s'ils ont toujours été bien compris, et si l'esprit dont ils ont cherché à pénétrer l'enseignement est bien véritablement celui qui l'anime dans sa grande masse. Pour l'élite, cela ne fait aucun doute, elle s'en est imprégnée. Mais c'est surtout dans la généralité de l'enseignement primaire qu'il importe de fonder l'enseignement nouveau. C'est donc d'abord de l'enseignement primaire que nous allons parler, au point de vue de la réalisation des programmes nouveaux.

Le programme en lui-même est chose morte, si deux organes vivants ne lui communiquent la vie. Ces deux organes sont, d'abord, le livre ; ensuite et surtout, le maître. Nous disons : surtout, car le livre ne peut ni ne doit tout dire. Il est obligé de choisir, sous peine de fatiguer l'esprit et l'attention de l'élève, et de surcharger son cerveau de notions, sans pouvoir lui infuser le pouvoir de vie qui de ces notions fera des idées. C'est au maître de relier par un esprit les notions fournies par le livre. Cet esprit des programmes nouveaux, quel est-il? C'est là ce que nous voudrions nous demander maintenant, en priant les instituteurs qui nous liront de vouloir bien, par leur bonne volonté, collaborer ici avec nous.

Le livre a pour mission d'enseigner, c'est au maître qu'il appartient de faire penser, et le manuel qui voudrait remplacer le maître sortirait de son rôle. Il deviendrait un livre de lecture, au lieu d'un ouvrage d'enseignement. Le livre doit donc se borner à préparer, sans avoir la prétention de tout dire. Quel sera maintenant le rôle de l'instituteur à côté du livre? Nous supposons un enfant arrivé à la fin de ses études primaires, ayant consciencieusement appris ce que lui ont enseigné ses manuels de géographie. Il a la mémoire meublée de noms, ce qui est indispensable, et bien garnie de rapports topographiques entre ces noms, chose non moins indispensable : mais cela suffit-il? Il sait combien il y a de divisions militaires, de cours d'appel et d'académies en France. Il sait même où se trouve la chaîne appelée Alpes, par rapport à la chaîne appelée Pyrénées ; ce qu'il ignore encore, c'est le rôle de ces Alpes et de ces Pyrénées ; leur action sur le climat du continent, leur beauté souveraine, leur puissante influence sur la marche des peuples et le cours de l'histoire, leurs forêts, leurs cascades, leurs pâturages, leurs habitants, leurs glaciers perdus dans le ciel et d'où s'écoulent des fleuves.

Il sait où sont l'Océan et la Méditerranée, mais il ignore l'action de l'Océan sur le continent entier, son éternel envoi de nuages, sa tiédeur ici, ses blocs de glace ailleurs, sa sauvage houle qui ne s'endort jamais, sa profondeur noire, ses marées qui tiennent la vie à distance. Il ignore la Méditerranée bleue, berceau des civilisations occidentales, mer sacrée pour toute la race des hommes, douce, tiède, scintillante de soleil, avec ses villes blanches plongeant leurs pieds dans un flot sans marées. Il ne sait pas et ne saura jamais, si le maître ne le lui fait pas comprendre et saisir, pourquoi il y a de grands ports sur les petits fleuves d'Angleterre, et pourquoi il n'y en a pas sur les grands fleuves méditerranéens. Il ne comprendra pas Londres, il ne comprendra pas Alexandrie, il ne comprendra pas, ni aujourd'hui ni plus tard, l'arrêt de la civilisation africaine aux Pyrénées et les passages d'armées à travers les Alpes. Il ne comprendra pas pourquoi la culture des Grecs, pourquoi le débordement des Huns, pourquoi le développement des Etats-Unis, pourquoi n'importe quelle chose dans n'importe quel pays. Sans doute ce n'est pas aujourd'hui qu'il aurait pu saisir complètement tous ces « pourquoi » ; mais il aurait fallu au moins déposer dans son esprit de quoi les lui faire comprendre un jour. Cela n'y a pas été déposé et ne s'y déposera pas tout seul. Même au point de vue de l'histoire (si la géographie ne devait lui servir que pour l'histoire), cette étude n'éclairera rien ; mais si elle a un but par elle-même, c'est bien pis, ce but échappe à l'élève ; il sait beaucoup de mots et n'en voit rien germer, ne se doute pas même de ce qui pourrait bien germer. Mieux eût valu mettre en terre deux petits grains féconds, que toute cette masse déjà triturée et manufacturée.

III

Il y a longtemps, du reste, que tout a été dit sur ce point, et nous n'avons pas la prétention d'apporter aux pédagogues un seul argument absolument nouveau. Bacon, puis Coménius, puis Rousseau et les encyclopédistes, puis Pestalozzi et ses disciples n'ont cessé de prêcher l'instruction par les faits ; pour l'instant, le point sur lequel nous tenons à attirer et à garder un moment encore l'attention, c'est celui-ci, qui peut paraître paradoxal : la géographie proprement dite, oubliée dans l'enseignement géographique.

Chose étrange, c'est sur une idée juste, évidente, vieille de plusieurs siècles déjà, que s'est greffée cette erreur de méthode encore trop répandue. Et cette idée juste, que nous trouvons chez tous les réformateurs de l'enseignement, peut se résumer ainsi : « Partir du fait et non de la définition ; bâtir sur des choses et non sur des mots ; transformer toute notion en une vision claire ; rendre l'enfant acteur dans sa propre éducation ». Cela semble simple, évident, incontestable, et cependant suivez le raisonnement qui en a découlé dans ces derniers temps : Pour partir du fait, quoi de plus simple que de prendre d abord ce que l'enfant a sous ses mains? Par exemple, le banc de l'école! Partons donc du banc de l'école. Enseignons-lui à mesurer ce banc, puis la chambre, puis les objets voisins, jusqu'aux limites de la vision, « jusqu'aux bornes du département ». Cela serait parfaitement juste s'il s'agissait de former un arpenteur, un géomètre, mais ce n'est pas du tout juste s'il s'agit de donner les premières notions de géographie.

Un banc, une salle d'école, ne sont pas des objets plus géographiques qu'une chaise, qu'une table, qu'une assiette. On peut bien les considérer au point e vue du lieu, de l'orientation, de la position relative, mais alors, prenons-y garde, nous rencontrons la difficulté déjà signalée, nous faisons de la géométrie et non de la géographie.

Si la géographie consiste uniquement à comparer des mesures, le point de départ est bon ; si elle consiste surtout à comparer des objets, le point de départ est mauvais. Ah t le sens commun du petit enfant ne s'y trompera pas ; il ne mordra pas à cette science dont la première leçon le force à garder les yeux sur son banc, sous prétexte d'étudier le vaste monde! Abandonnez cette fausse géographie qui n'en est point, et enseignez-lui à regarder l'eau qui coule, la feuille qui descend lentement au courant, la berge qui s'affouille, la route chargée de voyageurs qui se rendent à la foire prochaine. Ou plutôt, remontez à l'origine de cette méthode, et voyez combien on a mal compris la pensée d'où on l'a fait procéder. C'est dans un excellent petit livre de M. Levasseur que nous trouvons les lignes suivantes :

« En leur disant (aux enfants) que la géographie est la description de la terre, on ne met dans leur esprit que des mots vides de sens. Dites-leur, en leur montrant la chose même sur le tableau noir ou sur la carte murale : Voici l'école ; elle est attenante à la mairie ; l'église est là-bas, sur la place ; au bout du pays, à gauche, est telle ferme, à droite est le bois. La géographie a pour objet de décrire ainsi tous les pays. »

Rien n'est plus juste, plus sensé, plus lumineux que cet éclaircissement, à une seule condition, c'est 'en faire une simple parenthèse dans autre chose, et cette autre chose (ne le perdons pas de vue) sera la géographie elle-même. Reste à savoir ce que nous entendons par ce mot de géographie, tout d'abord au sens primaire, puis au sens secondaire. Nous allons essayer de le définir avec un peu plus de précision.

« Les abeilles pillottent de ça de là les fleurs, dit Montaigne, mais elles en font après du miel, qui est tout leur ; ce n'est plus ni thym, ni marjolaine. Ainsi, les pièces empruntées d'autrui, l'enfant les transformera et confondra pour en faire un ouvrage tout sien, à savoir : son jugement. »

« En quelque étude que ce puisse être, dit Rousseau, sans l'idée des choses représentées, les signes représentants ne sont rien. On borne pourtant toujours l'enfant à ces signes, sans jamais pouvoir lui faire comprendre aucune des choses qu'ils représentent. En voulant lui apprendre la description de la terre, on ni apprend qu'à connaître des cartes ; on lui apprend des noms de villes, de pays, de rivières, qu'il ne conçoit pas exister ailleurs que sur le papier où on les lui montre. »

Mais nous n'en sommes plus au même point tout à fait, grâce en partie à Rousseau même : la géographie, comme nous le disions en commençant, s'est déplacée on avant dans une proportion que nul, au temps de Rousseau, ne pouvait prévoir. Il nous faut donc compléter la pensée du grand pédagogue en modifiant l'enseignement dans le sens même des modifications de la science.

Un extrait d'une lettre tout intime et inédite d'Elisée Reclus achèvera d'éclaircir et de confirmer ce point de vue.

« Je me garde bien, dit Elisée Reclus, de repousser l'élude de l'étroit milieu dans lequel se trouve l'enfant. Il est bon qu'il se rende compte de tout, mais chaque chose de cet étroit milieu le transporte dans le monde infini. Il a son ardoise devant lui : il est bon qu'il en connaisse la place et les dimensions, mais il est bien plus important qu'il sache ce que c'est, et voilà que l'instituteur parle des carrières et des montagnes stratifiées, et des eaux qui ont déposé les molécules terreuses, et des roches dont le poids les a durcies. Il est assis sur un banc ; le banc a trois mètres de long, je le veux bien, mais ce banc est en chêne, ? et nous parcourons en imagination les grandes forêts de la France, ? ou en sapin, et nous voici gravissant les montagnes de la Norvège. Et que de voyages, que d'excursions dans l'espace, que de conversations amusantes sur les pierres et les clous des maisons, sur les fleurs du jardin et le ruisseau du village. La géographie vient en même temps, mais sous forme vivante. » Et plus loin, cette remarque si profondément juste : « L'enfant a la passion du gigantesque, du colossal. Il en veut à tout prix. Il voit une pierre, il veut s'imaginer que c'est un rocher ; une taupinière, c'est une montagne pour lui. Quand nous lui disons d'une chose qu'elle est très grande, son imagination travaille sans cesse pour écarter les bornes que nous lui avons fixées d'abord. Je me rappelle encore le jour où mon grand-père me dit que le Sahara est un désert où l'on peut marcher pendant des jours et des jours sans trouver autre chose que du sable. Depuis qu'il m'a donné cette première leçon de géographie, je me vois essayant sans cesse en imagination de « réaliser » cet espace sans bornes,

Qui ne finit jamais et toujours recommence. »

Si Montaigne, Rousseau et Reclus ont raison, si les critiques que nous avons élevées contre le remplacement des choses par des rapports et des mots sont fondées, quel remède apporter à cette situation?

Nous hésitons à en formuler un. Trop souvent une idée vraie est le point de départ d'une voie fausse ; en prônant l'idée si juste des bassins de fleuves, Buache nous a valu pendant un demi-siècle des allas où l'orographie était absolument faussée. C'est donc avec la plus grande réserve que nous exprimerons quelques voeux précis.

Nous essaierions d'abord, c'est entendu, de fonder l'enseignement du maître sur les faits. Mais ces faits ne seraient pas la classe ou le département. La classe, nous l'avons dit, ne peut servir qu'a une explication de quelques minutes, toute spontanée ; c'est une parenthèse aussi bonne que toute autre, mais ce serait un mauvais point de départ. D'abord, l'enfant n'aimera sa classe que si, de cette chambre austère et frise, sa pensée s'envole vers les choses extérieures. Si c'est de la classe que vous lui faites voir le ciel, la terre et la lumière graduelle de la science, il transfigurera cette classe, il y courra avec joie, il sentira que là son esprit s'ouvre. En classe, faites-lui oublier la classe. C'est le seul moyen que plus tard il se la rappelle avec plaisir.

De plus (et ceci est aussi grave, sinon davantage), la classe n'est pas une forme terrestre, un accident naturel. Elle n'est pas plane, elle n'est pas géographique le moins du monde. En géographie, partons des faits géographiques. De même, le département est un mauvais point de comparaison. Rien de plus conventionnel qu'un département. Si nous devons partir de ce que l'enfant voit, qui donc a vu un département? Nous sommes en pleine abstraction. Mieux vaudrait partir du ciel infini, du soleil, de la lune, des étoiles. Cela, au moins, l'enfant l'a vu, ce n'est pas abstrait pour lui, ce sont des réalités qui l'ont frappé dès qu'il a ouvert les yeux à la lumière. Mais si nous avions à choisir un début, nous en choisirions un plus simple encore, plus à la portée de l'enfant, plus strictement limité aux faits. Nous supprimerions toute mesure de longueur, toute définition géométrique, toute nomenclature aride ; nous nous souviendrions seulement de deux choses : il y a une terre qui porte des hommes. Et nous raconterions la terre et les hommes. Le premier mois tout entier, deux mois peut-être, seraient employés exclusivement de la sorte : rien que des récits de faits, des histoires propres à passionner l'enfant, à jeter dans son esprit des semences fécondes. Et quelles histoires? Mon Dieu, celles qui, s'il les lisait, lui enlèveraient l'idée d'aller dormir. Grands glaçons polaires avec leurs ours blancs, déserts avec leurs files de chameaux, tempêtes démâtant les navires, Esquimaux poursuivant les phoques, forêts tropicales, Chinois aux moeurs étranges, grands fleuves d'Amérique roulant des forêts arrachées, avalanches recouvrant des villages, pays où il ne pleut jamais, pays où il pleut toujours, hautes montagnes, plaines interminables, découverte de l'Amérique, éruptions de volcans, tout cela avec images ou projections: des faits palpables avec leurs formes visibles. Ces faits pourraient être ceux que nous citons, ou d'autres tout différents. Cette partie de l'enseignement, répétons-le pour éviter tout malentendu, devrait venir du maître et non des livres : c'est dire que chacun y mettrait sa personnalité particulière. Ce ne serait qu'une sorte d'introduction à l'enseignement, plutôt que le premier chapitre de l'enseignement même. Mais, de toute façon, que de noms appris en route! que de notions justes, vives, réelles, implantées à jamais dans ces esprits neufs! quel approvisionnement d'intérêt et de passion pour tout le reste de l'étude à venir!

Tous les pays ne se ressemblent pas, se dirait l'enfant ; il y en a de très chauds, de très froids. Il y en a de très brillants et de très tristes ; des riches, des pauvres ; les uns peuplés et débordant sur le reste de la terre, les autres déserts, affreux, repoussant les hommes. « Il y a., Il y a., » voilà quel devrait être le mot d'introduction à la géographie. « Il y a des choses. » ? Et sont ces choses? Ah, voici le moment de toucher du doigt la réalité. Sortons : nous allons apprendre à mettre chaque chose à sa place. Voyez d'abord l'horizon. Qu'y a-t-il au delà? d'autres horizons. Jusqu'où ? jusqu'à la terre entière. Et, rentrés en classe, vous décrivez le globe, le globe immense, avec ses horizons de terre, d eau, l'est où le soleil se lève, l'ouest où il se couche, le nord, le sud, le jour, l'année. Voilà la grande porte par laquelle il faut entrer dans la géographie.

Regardez maintenant le confluent des deux ruisseaux. Voyez-vous cette eau qui lentement s'avance? d'où vient-elle? où va-t-elle ? que tous le dessinent sur leur ardoise, ce double ruisseau, tous, tel qu'ils l'auront vu. Et les enfants le dessineront en carte géographique, sans même y songer, parce que cela est tout naturel. C'est la perspective qui est compliquée, le plan ne l'est pas. Un cheval vu de profil, l'enfant fera sa tête de face ; il la mettra en plan, avec deux yeux. La maison dont il ne voit que deux côtés, il y ajoutera un troisième côté, et mettra ces trois faces en plan, normalement à lui, ignorant la perspective. Voilà donc nos deux ruisseaux dessinés, fort mal, peu importe. Le maître fera au tableau un dessin type. Eh bien, dans quel sens coulait l'eau? d'en haut? d'en bas? ? Et voilà une leçon sur les eaux courantes, du glacier à l'embouchure. Le ruisseau a suffi pour que le Mississipi ne soit plus une abstraction. Et la pluie, et les nuages, tout cela vient à son tour. On visitera la source voisine ; voilà le cercle des eaux complété. Il va sans dire que nous n'indiquons pas là un ordre de matières, mais simplement un esprit, une façon de comprendre et de donner l'enseignement.

Avez-vous près de là une butte? Allons la voir, et revenons en classe, si possible avec un peu d'argile. Que chaque enfant sur son ardoise reconstruise en petit la grande montagne de dix mètres de haut. Eh bien, voilà toutes les montagnes! Enseignez-leur les rochers, les neiges, les forêts, les torrents, les collines ; voilà une leçon sur le relief du sol. Ah, comme ils se rappelleront alors les avalanches de l'autre jour! en quelques leçons la cartographie est entrée dans leur esprit et y est entrée avec les notions réelles qu'elle doit représenter. Alors, explication du pays environnant, de tout le bassin de la rivière, du monde entier! La voilà cette boule énorme, avec son nord et son sud, son équateur et ses pôles, ses zones froides et ses zones torrides !

Nous allons donc apprendre maintenant où est l'Asie, avec ses montagnes si hautes et ses pays si froids. Et ce grand Mississipi? Et le désert du Sahara ? Nous savions déjà des choses, nous en apprenons d'autres tous les jours, la moitié de la leçon continue à y être consacrée, mais nous apprenons aussi la place et les noms de ces choses : la géographie, la cartographie, la nomenclature.

Parmi ces différents pays, il y en a un cher pour nous entre tous : notre nid, notre berceau, notre patrie ; la voilà tout à l'ouest de l'Europe ; et nous l'étudions avec soin, avec amour, avec attention et patience, ce petit morceau de la grande Terre où se trouve ce que nous aimons et ce qui nous aime le plus.

Nous dirons plus loin quelques mots de la proportion dans laquelle nous voudrions employer les cartes ou les figures, le travail au tableau ou sur le cahier. Pour l'instant, nous désirons ne donner que des indications très générales. Sans doute nous pourrions essayer de tracer un ordre logique. Pour l'étude physique du sol et des eaux, nous partirions, par exemple, du sommet du sol émergé, de la montagne, pour descendre vers les plaines, vers les côtes, plus bas même que la côte, jusques au continent voisin, par-dessous la mer. Combien de grandes personnes qui n'ont jamais songé aux racines profondes des îles? Une île, pour elles, comme pour le langage même, est un objet isolé. Il faut le rattacher à l'ensemble, montrer que la mer n'est qu'un revêtement partiel de la terre.

Nous passerions en revue les points de contact de la surface marine et de la terre, avec toutes les formes qui en résultent, golfes, caps, îles, etc., etc.

Nous parcourrions la mer, avec ses vagues, ses courants, ses marées, ses glaces, ses températures diverses, puis nous nous élèverions dans l'atmosphère avec les nuages : courants atmosphériques, cyclones, transport des vapeurs, vents alizés, moussons, pluies et neiges. Nous voici revenus au sommet des montagnes, d'où nous pourrions redescendre jusqu'à l'océan en suivant l'eau courante, avec les ruisseaux, rivières, lacs, étangs, marais, les fleuves enfin qui se perdent par les estuaires ou les embouchures dans la mer d'où les vapeurs étaient sorties. Ainsi se lieraient les détails avec l'ensemble, les notions particulières avec les considérations générales.

Pour ces dernières, il nous paraîtrait peu désirable que le maître les exposât avec tous leurs rapports souvent compliqués de cause à effet. Ces rapports ne devraient être mentionnés que s'ils étaient suffisamment simples pour être compris des enfants. Ainsi, on exposerait le rapport du soleil et des vapeurs, des vapeurs et de la pluie, de la pluie et des sources, des sources et des cours a eau, parce que ce rapport est immédiat et n'exige pas de réflexion ; mais on ne parlerait pas encore des rapports entre le climat de l'Europe-Asie et la marche des peuples, parce que cela dépasserait la portée actuelle de l'intelligence des élèves. C'est en cela qu'il faut compter sur le développement ultérieur des notions semées dans la mémoire et dans le jugement. Il va sans dire que ce que nous venons d'exposer pour l'enseignement primaire ne saurait s'appliquer textuellement à l'enseignement secondaire. Le « développement ultérieur » que nous venons de mentionner s'est précisément produit dans l'esprit, du jeune homme au cours de ce deuxième degré d'enseignement. Nous oserons donc faire un pas de plus et formuler un desideratum nouveau, sans nous bercer de l'illusion qu'il puisse être appliqué très prochainement dans les programmes. Il faut avant cela qu'il ait pénétré, si peu que ce soit, dans la mentalité générale, et nous en sommes encore loin. Quoi qu'il en soit, le voici :

La conception du monde moderne relativement aux rapports de la terre et de l'homme est fondée sur le point de vue industriel, non sur le point de vue philosophique : c'est-à-dire que l'homme est considéré comme l'exploiteur naturel du globe, et le globe comme le fournisseur obligatoire de l'homme. De là, l'esprit utilitaire qui règne dans la notion de la géographie. Il ne peut guère en être autrement à une époque et pour une génération qui a vu le développement, prodigieux des nouveaux moyens d'utilisation créés par la fin du dix-neuvième siècle. Cependant, ces moyens d'utilisation et la forme nouvelle de civilisation qui en est résultée ne tarderont pas, par l'expérience même qu'aura produite leur usage, à introduire dans la pensée générale l'élément nouveau dont je voudrais dire quelques mots. On a pu se faire pendant un demi-siècle l'illusion que les nouveaux rapports de l'homme avec la terre étaient appliqués d'une façon naturelle et normale. Un vague malaise de toutes les nations civilisées commence à les avertir qu'il n'en est rien ; ce malaise, d'abord diffus, va ou ira se précisant peu à peu ; c'est à ce moment que la géographie opérera de façon consciente son évolution nouvelle, que nous devons prévoir pour en faciliter la naissance.

En exposant les rapports des diverses nations entre elles, comme le fait la dernière année de l'enseignement secondaire, on admet implicitement que ces rapports sont fondés sur une série de faits stables dont l'enchaînement devra produire dans l'avenir rapproché des conséquences analogues à celles qu'il a produites dans le présent. C'est là une pétition de principe que démentent chaque jour davantage les faits bien observés.

Telle prospérité renferme un germe de mort prochaine ; telle pauvreté actuelle implique un grand avenir ; et ces évolutions partielles sont toutes fonction de la vie intégrale de la planète et de l'humanité. C'est donc cette vie intégrale qui devra, dans un avenir plus ou moins proche, prendre sa place dans la géographie et constituer même la géographie en soi, comme l'histologie est venue se placer à la base de l'étude des corps vivants. L'humanité actuelle, passée, future, ne vit que par un perpétuel échange avec la terre actuelle, future, passée ; l'Egypte est tombée après avoir grandi et duré ; les Etats-Unis, embryon hier, sont mûrs aujourd'hui : que seront-ils demain ? Les proportions d'activité industrielle et commerciale sont chaque jour modifiées ou bouleversées par des facteurs impondérés, mais que l'étude de la planète rendrait parfaitement pondérables. A ne vouloir considérer que l'utilitarisme immédiat, l'humanité n'est pas plus raisonnable que l'homme qui, pour ramasser à terre une pièce de monnaie, se ferait écraser par un train en marche. On nous permettra de ne pas insister davantage sur un sujet qui n'est pas encore entré assez profond dans la pensée contemporaine pour pouvoir être compris sans des développements qui ne seraient pas ici à leur place. Vienne le jour où deux idées devront se réunir pour en créer une troisième, elles se réuniront, fût-ce après dix ans ou vingt ans, et la pensée qu'elles contenaient en germe naîtra.

IV

Après ces considérations générales, examinons en détail certains points particuliers de l'enseignement, et voyons ce qu'ils deviendraient avec la méthode proposée.

De l'emploi de la mémoire, et de renseignement des noms. ? On ne peut pas se passer en science d'un approvisionnement de mots, appris comme mots, machinalement, et conservés par la mémoire comme instruments pour le travail ultérieur. Vouloir supprimer de la géographie l'enseignement des noms géographiques, serait enlever à cette étude toute précision, toute assiette solide. La géographie s'applique à des points, ces points ont des noms, il faut savoir ces noms. Cette partie de l'enseignement est aidée par la prodigieuse facilité des enfants à apprendre de mémoire, et par le plaisir qu'ils y éprouvent.

L'enseignement de la nomenclature géographique nous parait être un des trois points principaux de l'étude de la géographie. Mais cette nomenclature doit-elle être apprise par coeur, ou assimilée par un acte de la raison, comme faisant partie intégrante de l'enseignement total ? A notre avis, elle doit être apprise par coeur, et fixée dans la mémoire indépendamment de toute autre opération de l'esprit. Elle doit se trouver dans l'approvisionnement intellectuel de tout homme instruit, comme se trouvent dans son approvisionnement les mouvements nécessaires à la marche, les mots nécessaires au discours de chaque instant, c'est-à-dire que ces mouvements ou ces mots doivent en cas de nécessité se produire comme par un acte réflexe.

Il est même impossible de meubler la mémoire géographique par un autre moyen. Ceux qui voudraient, pour augmenter l'attrait de la géographie, en supprimer la nomenclature apprise, ne tarderaient pas à s'apercevoir du vague et de l'indécision qui régneraient dans leur enseignement. Eclairons cette nomenclature de notions propres à joindre une idée à chaque mot, mais faisons d'abord apprendre le mot, sans quoi nous perdrions la précision de l'idée.

Quelque simplification que nous apportions à la nomenclature, quelque nombreuses que soient les inutilités dont nous la déchargerons, elle restera toujours assez chargée pour que la mémoire qui devra se l'assimiler ait besoin d'être laissée à elle-même et de développer toute son activité sans être distraite du dehors. Pour ce travail mécanique, les commentaires rationnels seraient une surcharge plutôt qu'un secours. Ils devront venir ensuite, mais le travail consistera d'abord à graver dans le souvenir un certain nombre de sons dans un certain ordre préconçu.

Mais il est évident que les mêmes noms, les mêmes notions se présenteront plusieurs fois et dans des enchaînements divers. Bordeaux, par exemple, sera cité avec ses chefs-lieux d'arrondissement dans la géographie départementale ; mais il sera cité avec Toulouse ou Agen dans l'étude du cours de la Garonne ; il sera cité avec Paris, Lyon, Marseille, dans le premier coup d'oeil jeté sur la France ; et si, chaque fois, à la simple récitation vient se joindre la notion de lieu et la notion de chose, la nomenclature, base précise de l'enseignement géographique, finira par représenter non plus de simples mots, mais tout un ensemble d'objets unis, entre-croisés, enchevêtrés dans une sorte de réseau, dont les fils seront les actions réciproques de toutes choses les unes sur les autres.

Des cartes. ? Indépendamment des cartes que l'élève construit lui-même, et dont nous parlerons plus loin, on peut diviser la cartographie scolaire en deux grandes séries, les cartes d'atlas, les cartes murales.

Les premières sont faites pour être vues de près, les secondes pour être vues de loin. Les premières pour donner des renseignements détaillés, les secondes pour donner des aspects et des grandes lignes. Les premières pour répondre avec précision aux questions soulevées par le texte, les secondes pour suggérer la découverte du détail par la vue de l'ensemble, pour poser les éléments du problème plutôt que pour le résoudre.

Il faut donc demander tout autre chose aux cartes murales et aux cartes d'alias.

La carte d'atlas doit donner les noms avec plus de détails, elle ne doit pas craindre d'être plus chargée. Elle est faite pour être étudiée de près, à tête reposée, comme une feuille d'informations. L'aspect physique du pays qu'elle représente devra y être indiqué avec justesse, mais avec sobriété, et sans jamais écraser sous les traits physiques les noms des différents accidents physiques, ou sous les limites politiques les différentes dénominations politiques. La carte d'atlas devra être plutôt délicate et explicite jusque dans les détails.

La carte murale, au contraire, est faite pour être vue de loin et par toute la classe. Les noms qui y figurent doivent être rares, sans quoi ils couvrent le modelé physique, mêlent des stries noires aux mouvements du terrain s'ils sont assez gros, ou ne se lisent plus s'ils sont trop petits. Le but principal de la carte murale est de représenter le canevas purement physique sur lequel devra venir s'exercer la mémoire ou la faculté de raisonnement de l'élève. Dès lors, les traits physiques doivent y ressortir d'une façon exclusive. Ils doivent y apparaître sous une forme simplifiée, parfaitement claire, guidant la mémoire par une sorte de résumé graphique. La carte murale doit être belle d'aspect, simple et hardie de contours, harmonieuse de teintes. Elle doit donner a l'enfant la sensation d'un fragment détaché de la surface terrestre, malgré les teintes conventionnelles et enluminures dont on sera bien forcé de la colorier. Considérée ainsi, la carte murale d'étude devrait de préférence être muette ; car les noms, invisibles pour les élèves éloignés, sont comme un perpétuel souffleur pour l'élève proche qui travaille devant la carte, ou induisent le professeur à entrer dans des détails que les élèves ne suivent pas. Nos cartes murales laissent en général à désirer soit par un modelé de terrain rude et mal compris, soit par des teintes criardes, soit par une surcharge de noms inscrits en caractères historiés. Toutefois le progrès est continuel, et déjà nous avons en France de bonnes cartes murales. Les plus belles malheureusement se sont trop écartées de l'idéal de simplicité dont nous venons de parler ; certaines sont enluminées avec excès ; d'autres présentent un luxe de détails et de renseignements graphiques ou statistiques qui exigent autant de lecture qu'un volume, et qui ne se voient plus à la distance normale qu'implique la dimension du cadre. Il y a là confusion de deux buts distincts. Pour nous résumer, nous dirons simplement qu'une carte murale est d'autant meilleure qu'elle sait présenter les mêmes traits physiques ou les mêmes délimitations politiques avec plus de clarté, de vérité et de simplicité.

Pour les cartes physiques, soit d'atlas soit murales, on emploie de plus en plus l'excellent procédé des teintes superposées correspondant aux différentes altitudes. Ce procédé a l'avantage d'être plus parlant que celui des simples hachures. La hachure dit bien : « Il y a ici un mouvement de terrain brusque », mais elle est impuissante à faire sentir le relief général, le degré de relèvement d'une contrée entière ou d'un continent. Il est difficile, par exemple, de caractériser le relief de l'Asie avec quelque exactitude par un autre procédé que les teintes graduées. Ajoutons que les teintes hypsométriques rendent sensible à la fois et par la même gradation le mouvement orographique par massifs ou par chaînes, et le mouvement hydrographique par bassins.

Nous avons déjà dit quelques mots du travail de l'élève devant la carte murale. Il faut y ajouter quelques détails. Non seulement l'élève devra placer sur la carte la leçon apprise par coeur, mais le maître devra lui faire combiner de plusieurs façons et dans plusieurs sens les notions déjà acquises, lui faire faire des voyages non seulement topographiques par le passage d'un lieu à un autre, mais géographiques aussi par la différenciation des lieux où il passe ou par l'application des données physiques relatives aux différents climats, aux diverses productions, aux populations ou aux industries. Des manuels convenablement disposés rendraient à cet égard, aux maîtres et aux élèves, les plus utiles services. Ces livres ne manqueront pas de surgir si l'enseignement continue à se modifier dans le sens suggestif que nous avons essayé d'indiquer.

Des cartes dessinées par l'élève. ? Depuis qu'on enseigne la géographie presque exclusivement par la topographie, il y a abus de devoirs cartographiques. On donne aux élèves à faire chez eux des cartes qui leur demanderaient, pour être bien faites, dix fois le temps dont ils peuvent disposer. Aussi les font-ils mal. Les dessins de caries donnés en devoir aux élèves devraient toujours être : 1° peu compliqués ; 2° compris dans des limites naturelles :

1° Peu compliqués, parce que, si l'élève a trop de détails à dessiner, il est obligé, pour aller vite, de se transformer en machine à copier et de ne pas arrêter son esprit sur les traits que son oeil et sa main ont peine à tracer assez rapidement ;

2° Compris dans des limites naturelles, parce que les divisions physiques sont les seules véritables, les seules en harmonie avec la planète. Faire dessiner à un enfant les différents départements de la France, c'est lui mettre dans l'esprit des formes sans raison d'être. Lui faire dessiner la France appuyée sur les Alpes, le Jura, les Vosges, les Pyrénées, les côtes maritimes ; ou bien l'Afrique, ou bien l'Asie avec son noeud central et son pourtour déchiqueté, ou bien la presqu'île d'Italie, ou encore l'Europe avec ses subdivisions politiques, cela est utile et juste.

Rien de plus excellent que le travail au tableau, improvisé devant le maître et sous l'oeil de toute la classe. Mais là encore, il faut rester simple et ne pas demander à ce travail ce qu'il n'est pas destiné à donner. Certains professeurs ont imaginé des réseaux, des polygones, des angles compliqués dans lesquels on inscrira la forme du continent ou du pays demandé. Le moindre inconvénient de ce système est de substituer à la forme réelle, qui devrait rester inscrite dans la mémoire visuelle, une forme artificielle et par conséquent fausse. De plus, en quoi est-il plus facile de tracer un polygone que la figure qu'il doit contenir? Toutes ces complications proviennent de scrupules mal placés. La carte dessinée au tableau n'est pas destinée à autre chose qu'à éclaircir la physionomie d'un pays et à. permettre d'y placer les points les plus importants. Qu'importe dès lors l'exactitude géométrique du pourtour, exactitude qui disparaît dès qu'une autre projection vous force à changer vos polygones ou vos angles? Faites pour l'Asie une ligné allant du cap Tchéliouskine aux bouches du Gange, une autre allant du cap Oriental à Suez, vous aurez une Asie suffisamment exacte si vos deux lignes sont à peu près justes comme longueur et orientation. Tracez une projection à larges mailles et logez dans cette projection les grands traits de la carte. Le travail au tableau doit être improvisé ; s'il n'a plus ce caractère, il ne sert plus à grand'chose.

Des cartes en relief. ? Il serait utile que chaque école primaire possédât une carte en relief d'une région bien accidentée, à côté d'une carte plane de la même région. L'une et l'autre seraient sans cesse exposées à la vue des élèves et s'expliqueraient mutuellement. Nous ne croyons pas qu'on doive demander aux reliefs aucun autre genre de service. Ils n'ont de valeur qu'autant que les rapports de hauteur à planimétrie ne sont pas sensiblement faussés, et par conséquent ils ne peuvent servir à représenter utilement que des surfaces peu étendues. Un fragment des Alpes, des côtes de Provence, quelques formes caractéristiques en relief, voilà tout ce qui peut trouver place dans l'enseignement primaire. Il est probable que d'ici peu d'années le progrès des méthodes de reproduction photographique des cartes en relief aura fait de tels progrès que la gravure cèdera la place à ce nouveau procédé pour les cartes d'enseignement. Il suffit, pour en être convaincu, de voir le nombre croissant de prospectus industriels reproduits par ce procédé, et leur supériorité saisissante sur les produits obtenus par la gravure. C'est là une évolution qui tout d'un coup se trouvera mûre et apparaîtra subitement dans l'enseignement comme une révolution inattendue, après les résistances qui l'ont accueillie à son début, alors que les procédés industriels de reproduction n'étaient pas mûrs. Il en sera de même des globes en relief reproduits par la photogravure, et qui révéleront l'aspect réel et scientifique de la surface terrestre.

Quant aux globes en relief réel, sur lesquels les montagnes hérissent la surface d'une terre monstrueusement déformée, ils devraient être sévèrement exclus de tous les établissements d'instruction. (Voir Globes.)

V

Résumons en quelques mots les idées qui nous ont guidé au cours de cette étude.

La géographie doit enseigner non seulement des noms, non seulement des rapports de position, mais encore des choses.

Elle doit toujours faire marcher du même pas la nomenclature, la cartographie, la description physique.

Cette description physique ne sera juste que si l'on considère la terre et les hommes en action ; la terre, par les diverses manifestations de forces qui constituent le climat, la végétation, l'aspect du sol, la physionomie propre de chaque région ; l'homme, par les conditions de culture, d'activité, d'agglomération, qui font de lui le principal agent modificateur de la terre.

La nomenclature et la cartographie demeureront stériles dans l'esprit de l'enfant, si le maître n'y dépose en même temps la compréhension claire des conditions où se trouvent réciproquement le globe et l'homme.

Ces notions doivent être éclairées par la vue directe des objets géographiques les plus propres à frapper l'esprit de l'enfant. C'est en partant de cette base solide que les comparaisons ou les dissemblances pourront lui devenir sensibles, et que les détails se relieront à l'ensemble.

C'est le maître qui doit communiquer la vie à ce qu'il enseigne, abandonner les vieux errements et marcher dans les voies nouvelles. Sans maîtres, les méthodes restent mortes ; c'est donc par les écoles normales que doit se confirmer toute réforme profonde, comme celle qui a commencé à se produire en géo graphie.

|FR. SCHRADER.]

Programmes. ? ECOLES MATERNELLES. (Arrêté du 18 janvier 1887.) ? Section des petits enfants (de deux à cinq ans). ? Demeure et adresse des parents, nom de la commune. Petits exercices sur la distance ; situation relative des différentes parties de l'école. La terre et l'eau. Le soleil (le levant et le couchant).

Section des enfants de cinq à six ans. ? Causeries familières et petits exercices préparatoires, servant surtout à provoquer l'esprit d'observation chez les petits enfants en leur faisant simplement remarquer les phénomènes les plus ordinaires, les principaux accidents du sol.

ECOLES PRIMAIRES ELEMENTAIRES (Arrêté du 18 janvier 1887). ? Section enfantine. ? Causeries familières et petits exercices préparatoires, servant surtout à provoquer l'esprit d'observation chez les petits enfants en leur faisant simplement remarquer les phénomènes les plus ordinaires, les principaux accidents du sol.

Cours élémentaire. ? Suite et développement des exercices du premier âge. Les points cardinaux non appris par coeur, mais trouvés sur le terrain, dans la cour, dans les promenades, d'après la position du soleil. Exercices d'observation : les saisons, les principaux phénomènes atmosphériques, l'horizon, les accidents du sol, etc.

Explication des termes géographiques (montagnes, fleuves, mers, golfes, isthmes, détroits, etc.), en partant toujours d'objets vus par l'élève et en procédant par analogie.

Préparation à l'étude de la géographie, par la méthode intuitive et descriptive : 1° La géographie locale (maison, rue, hameau, commune, canton, etc.) ; 2" La géographie générale (la terre, sa forme, son étendue, ses grandes divisions, leurs subdivisions).

Idée de la représentation cartographique : éléments de la lecture des plans et cartes.

Globe terrestre, continents et océans.

Entretiens sur le lieu natal.

Cours moyen. ? Géographie de la France et de ses colonies : géographie physique ; géographie politique, avec étude plus approfondie du canton, du département, de la région.

Exercices de cartographie au tableau noir, et sur cahier, sans calque.

Cours supérieur. ? Revision et développement de la géographie de la France. Géographie physique et politique de l'Europe. Géographie plus sommaire des autres parties du monde. Les colonies françaises.

Exercices cartographiques de mémoire.

ECOLES PRIMAIRES SUPERIEURES DE GARÇONS. (Arrêté du 21 janvier 1893.) ? Une heure par semaine dans chaque année. ? Répartition générale des matières : Première année : Notions préliminaires générales. Océanie, Amérique, Afrique ; Deuxième année : Asie et Europe ; Troisième année : France et colonies. (Nous ne reproduisons pas les programmes détaillés de chaque année, ces programmes ne contenant qu'une nomenclature sans intérêt pédagogique.)

Dans les sections professionnelles (2e et 3e années), les programmes de géographie des sections industrielle et agricole sont les mêmes que celui de l'enseignement général. Mais la section commerciale a un programme particulier, que voici :

« Pour la section commerciale, deux heures au lieu d'une par semaine étant consacrées à l'enseignement de la géographie, tant en deuxième qu'en troisième année, le professeur, tout en suivant le programme général, emploiera l'heure supplémentaire qui lui est accordée à étudier plus complètement avec les élèves de cette section la géographie commerciale de la France ainsi que des principaux pays de l'Europe ; il consacrera le surplus du temps qui lui restera à l'étude des autres parties du globe, mais en s'attachant surtout à leurs relations commerciales avec la France. L'étude approfondie de la géographie commerciale des pays des deux Amériques se fera en seconde année. »

ECOLES PRIMAIRES SUPERIEURES DE FILLES. ? Même programme que pour les écoles de garçons. Quant aux sections professionnelles, les programmes sont arrêtés pour chaque établissement par, l'inspecteur d'académie, sur la proposition de la directrice.

ECOLES NORMALES D'INSTITUTEURS ET D'INSTITUTRICES. (Arrêté du 4 août 1905.) ? Première année. ? I. Notions générales de géographie physique (1er trimestre). ? 1° Le globe terrestre. ? Forme de la terre ; ses dimensions. Double mouvement de la terre : le jour et la nuit, les saisons. Pôles, équateur, tropiques, cercles polaires. Zones. Points cardinaux et collatéraux ; moyens de s'orienter. Parallèles et méridiens : longitude et latitude ; degrés. Différence de l'heure en raison de la longitude. Répartition des eaux et des terres.

2° L'atmosphère. ? a) Les vents. Vents constants : alizés et contre-alizés. Vents périodiques : moussons. Vents locaux. Effets des vents. ? b). Les pluies. Répartition des pluies. Régions à pluies périodiques ; régions à pluies variables ; régions sans pluies. Action et rôle des pluies. ? c) Les climats. Causes diverses qui influent sur le climat. Action sur la flore, la faune, l'homme.

3° Les continents. ? Les continents et les cinq parties du monde : principales formes de relief. ? a) Les montagnes. Grands systèmes orographiques du globe. Vallées. ? 6) Les plateaux. Grandes régions de plateaux. ? c) Les plaines. Grandes plaines du globe. ? d) Les modifications actuelles de la terre. Volcans, leur position sur le globe. Tremblements de terre. Soulèvements et affaissements ; action des vents et des eaux sur le relief.

4° Les eaux terrestres. ? a) Les neiges et les glaciers. ? b) Les eaux d'infiltration. Nappes souterraines. Sources. ? c) Les eaux courantes. Torrents, rivières, fleuves. Pente et régime. Estuaires et deltas. ? d) Bassins fluviaux. Lignes de partage des eaux et lignes de faîte. Utilité des cours d'eau.

5° Les mers et les côtes. ? Les océans et les grandes mers intérieures. ? a) Les mers. Profondeur. Mouvements de la mer, houle, marées, courants marins. La vie dans les mers. ? 6) Les côtes. Différents types de côtes. ? c) Les îles. Différents types ; îles madréporiques.

6° La vie sur le globe. ? a) La flore. Principales aires de végétation. ? b) La faune. Répartition géographique des animaux. ? c) L'homme. Répartition, densité, races humaines.

7° Notions élémentaires de cartographie. ? Lecture des cartes. Exercices.

II. Etude de l'Amérique, de l'Océanie, de l'Asie et de l'Afrique (2e et 3e trimestres). ? 1° Les deux Amériques. ? Limites, situation, forme et étendue. ? a) Etude physique. Nature et relief du sol. Climats. Grands lacs et cours d'eau. Côtes et îles. Productions naturelles et végétation. Isthmes de l'Amérique centrale. ? b) Etude politique et économique. (Note. Pour chacun des Etats, le professeur fera étudier, en se bornant aux notions essentielles, ce qui se rapporte aux points suivants : population et races ; langues et religions ; villes principales et grands ports ; régime politique ; richesses naturelles ; état de l'agriculture, des mines et de l'industrie ; relations commerciales. Dans l'Amérique du Nord, on étudiera plus longuement les Etats-Unis ; dans l'Amérique du Sud, le Brésil, le Chili et la République Argentine.)

2° L'Océanie. ? Notions générales. ? a) Le continent austral. Situation, forme et étendue. Etude physique : relief du sol, climat, cours d'eau, côtes, productions naturelles. ? Etude politique. Les indigènes. L'immigration européenne et chinoise. La Fédération australienne. Principales villes et grands ports. ? Etude économique. Les voies ferrées. L'élevage et l'exportation des laines. Les richesses minérales. ? La Nouvelle-Zélande. Développement de la colonisation. ? b) L'Insulinde ou Malaisie. Caractère général. Les colonies hollandaises. Les Philippines. La Nouvelle-Guinée. ? c) Les terres secondaires. Iles madréporiques et îles volcaniques. Ressources. Populations indigènes. Les colonies de l'Europe et des Etats-Unis. La Nouvelle-Calédonie.

3° L'Asie. ? Limites, situation, forme et étendue. ? a) Etude physique. Montagnes et grands plateaux ; plaines. Climats : région des moussons. Fleuves ; versants intérieurs et mers fermées. Côtes et îles. Grandes régions naturelles de végétation. ? b) Etude politique et économique (Voir la Note relative à la géographie politique et économique des deux Amériques). On étudiera particulièrement le Japon, la Chine, I'Indo-Chine et l'Inde. ? Grandes lignes de navigation et grandes voies ferrées transcontinentales, le Transsibérien et la route de l'Extrême-Orient par Suez.

4° L'Afrique. ? Limites, situation, forme et étendue. ? a) Etude physique. ? Disposition du relief, montagnes, plateaux et plaines. Climats : région équatoriale ; régions subtropicales et semi-tempérées. Les grands lacs et les fleuves, Nil, Niger, Congo, Zambèze. Côtes et îles : Madagascar. ? b) Etude politique et économique (Voir la note relative à la géographie politique et économique des deux Amériques). On étudiera particulièrement l'Egypte, l'Algérie-Tunisie, le Soudan français, le Congo belge, l'Afrique australe anglaise, et Madagascar. ? Relations avec l'Europe et grandes voies ferrées.

Deuxième année. ? I. L'Europe. ? 1° Etude physique. ? Limites, situation, forme et étendue. ? a) Relief du sol. Les Alpes ; montagnes secondaires. La grande plaine européenne. ? 6) Climats. Climat méditerranéen et climats septentrionaux, climat atlantique et climat russe. ? e) Cours d'eau. Principaux fleuves : le Rhin et le Danube. ? d) Mers et côtes. Principales mers : la mer du Nord, la Manche et la Méditerranée. Côtes allemandes ; côtes de l'Angleterre ; côtes méditerranéennes. ? e) Productions naturelles et zones de végétation.

2° Etude politique et économique. (Pour chacun des pays d'Europe, le professeur, après avoir dégagé les grands traits de la géographie physique, traitera de ce qui se rapporte aux points suivants : superficie, populations et races, langues et religions, institutions ; villes principales, grands ports ; richesses naturelles ; état de l'agriculture, des mines et de l'industrie, voies de communication ; commerce extérieur. Si le pays qu'on étudie a un empire colonial, on fera une révision d'ensemble des colonies qu'il possède, des zones sur lesquelles son influence s'exerce, afin de donner une idée de son importance dans le monde.) ? Grandes voies ferrées transcontinentales européennes.

II. La France et ses colonies. ? 1° Etude physique. ? Limites, situation, forme et étendue. ? a) Nature du sol. Etude sommaire de la carte géologique. ? 6) Relief. ? Caractères généraux. Principales montagnes : Alpes, Pyrénées, Massif central, Jura, Vosges. Plaines et régions de passage : bassin parisien, seuil de Poitiers, plaine du sud-ouest, passage du Languedoc, vallées du Rhône et de la Saône. ? c) Climat. ? Vents, pluies, température ; régions climatériques. ? d) Cours d'eau. ? Disposition générale. Les quatre grands fleuves français, Seine, Loire, Garonne, Rhône : pente, débit, régime, navigabilité. ? e) Mers et côtes. Mers limitrophes. Principaux caractères des côtes.

2° Etude politique. ? a) Formation de l'unité et de la nationalité françaises. ? b) Population. ? Nombre des habitants, répartition, densité. Natalité et mortalité. Emigration et immigration. ? c) Provinces et départements. Chefs-lieux et villes principales. ? d) Organisation politique et grandes divisions administratives. ? e) Frontières terrestres et maritimes. Grandes places-fortes ; ports de guerre.

3° Etude économique. ? a) Les voies de communication. ? Routes. Fleuves et canaux. Voies ferrées. ? b) L'agriculture. ? Zones de culture. Cultures alimentaires, blé, pomme de terre, légumes et primeurs. Vigne. Cultures industrielles, betterave, tabac ; pâturages, élevage. Bois et forêts, déboisement et reboisement. ? c) L'industrie. ? La houille, principaux bassins houillers. Industries métallurgiques. Industries textiles, lin et chanvre, laine, coton, soie. Industries alimentaires. Principales régions industrielles. ? d) Le commerce extérieur. ? Grandes lignes de navigation. Principaux ports. Importation et exportation.

4° La France dans le monde. ? a) Les colonies françaises. On fera une courte révision des colonies qui forment notre empire colonial. ? b) Comparaison de la France avec les grands pays de l'Europe et du reste du monde.

Troisième année. ? [En troisième année, l'étude de la géographie se borne à des exposés à l'usage de l'école primaire, faits par les élèves-maîtres sous la direction du professeur. Ces leçons d'exercice, dont les sujets seront pris dans le programme du cours moyen, seront au nombre de quinze. Le programme donne à cet égard les directions qui suivent :] « Les sujets seront empruntés à la géographie de la France et de ses colonies. Il ne s'agit pas, bien entendu, de faire un cours complet, mais d'enseigner, à l'aide d'exemples bien choisis, à bien faire une leçon. Bien qu'on ait raison d'avoir en vue plutôt l'enseignement du cours moyen, parce qu'il est à la fois plus simple et plus difficile que celui du cours supérieur, et plus complet et plus méthodique que celui du cours élémentaire, on exercera parfois les élèves à adapter le même sujet aux trois cours, et même, s'il y a lieu, à la classe enfantine.

« On s'attachera à leur faire transporter à l'école primaire les bonnes habitudes d'esprit qu'ils ont dû acquérir à l'école normale, habitude de voir, d'observer, de comparer, de raisonner, n'oubliant pas que si, par certains côtés, la géographie est la description pittoresque des pays, par d'autres elle est une partie de la science de la nature et de l'histoire des peuples.

« On les mettra en garde contre la tentation d'abuser de l'heureuse mémoire des enfants, et on les persuadera de la nécessité de faire de la géographie un enseignement concret. Ils s'exerceront à enseigner à l'aide du globe, des cartes murales, des croquis au tableau, des promenades, et même des constructions géographiques qu'ils pourront édifier dans la cour de récréation.

« A la fin de la troisième année, chaque élève-maître [ou élève-maîtresse] devra avoir constitué une sorte de petite bibliographie des lectures de géographie qu'il pourra faire à l'école primaire, et une collection d'images, de photographies, de cartes postales bien choisies qui lui serviront plus tard à illustrer ses leçons. »