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Gédoyn

 L'abbé Nicolas Gédoyn, né à Orléans, le 17 juin 1667, mort le 6 août 1744 à Fontpertuis, fut élevé au collège des jésuites, où il fit de rapides progrès et donna de grandes espérances à ses maîtres, qui s'efforcèrent de le garder avec eux, une fois ses études terminées. Malgré les conseils et les supplications de sa famille, Nicolas Gédoyn entra au noviciat de l'ordre en 1684, et ne quitta cet établissement que lorsqu'il vit sa santé débile sérieusement compromise par la règle sévère à laquelle il s'astreignait. Mais s'il s'éloigna de la maison dans laquelle, disait-il, « il avait puise tout ce qu'il y avait de bon en lui », il fut toujours de coeur avec les jésuites et, rentré dans le monde, défendit leurs doctrines avec un zèle dont lui surent gré ses inspirateurs. Admis chez Ninon de Lenclos, sa parente, il se créa des relations qui lui valurent des bénéfices importants, et réalisa une fortune assez notable. Il avait été nommé membre de l'Académie des inscriptions en 1711, et en 1719 l'Académie française lui ouvrit ses portes. On doit à l'abbé Gédoyn une traduction de Quintilien, son auteur favori ; une traduction de Pausanias, 1731 ; des Réflexions sur le goût, et quelques opuscules publiés après sa mort en 1745, sous le titre d'OEuvres posthumes, et parmi lesquels se trouve un traité sur l'Education des enfants, écrit vers 1730, et dont nous allons faire une courte analyse.

Gédoyn manifeste d'abord son étonnement du peu de soins qu'on donne à l'éducation des jeunes gens de son époque, et proteste contre l'habitude de se conformer sans réflexion aux usages généralement adoptés. Les enfants sont l'espérance de l'avenir, la direction qu'on doit leur donner réclame donc toute l'attention des parents ; cependant, peu soucieux sur ce point, « le père n'observe pas que lui-même a passé neuf ou dix ans à n'apprendre qu'imparfaitement quatre mots de latin, et que, par suite naturelle, il est demeuré ignorant toute sa vie ». Les écoles publiques sont certainement préférables aux maisons particulières ; mais trop souvent le père envoie son fils au collège, parce que lui-même y est allé, et sans se préoccuper assez de l'emploi que l'enfant fera de son temps ni de l'éducation qui lui sera donnée. Gédoyn cite Quintilien qui fait le tableau de l'éducation nationale des Romains, « bien supérieure à la nôtre ». « Trois choses, dit Gédoyn, doivent concourir pour faire un honnête homme d'un enfant : des lumières dans l'esprit, des sentiments vertueux dans l'âme, des grâces dans la personne et dans tout l'extérieur autant qu'il est possible. On éclaire son esprit par du savoir, surtout par les connaissances qui sont le plus d'usage dans le commerce des honnêtes gens ; on tourne son âme à la vertu en lui inspirant des moeurs et par l'habitude de la vertu ; on répand des grâces sur sa personne par le secours de la musique, de la danse et de tous les exercices convenables. » Le programme des études chez les Romains était bien ordonné, ajoute-t-il : tandis que nous consacrons les premières années aux langues mortes, les Romains les employaient a l'étude de la langue nationale, à la grammaire, à l'éloquence, a divers exercices, à la musique, et a des voyages destinés à achever la culture des jeunes gens/Leur éducation nationale avait pour but de former des hommes « capables de servir l’Etat en temps de paix et en temps de guerre ». Le même sujet pouvait remplir une grande variété de fonctions, parce que tous recevaient la même éducation, qui commençait d'ailleurs dès la naissance. Chez nous, au contraire, « on prend pour nourrice une paysanne, dont les mauvaises habitudes, le langage, l'accent, le maintien, les moeurs, ont une fâcheuse influence sur le petit être confié a ses soins et retardent son développement ». Comme son livre s'adresse aux familles aisées, Gédoyn écarte toute idée de gêne dans la dépense pour la conduite de la maison, mais il voudrait que les privilégiés de la fortune, « si prodigues quand il s'agit de leurs fantaisies, fussent moins économes en ce qui concerne l'éducation de leurs enfants ». L'argent donné au professeur est un capital placé à gros intérêts ; il s'agit seulement de le déposer en mains sûres, c'est-à-dire de s'adresser à un homme sérieux, qui, comprenant l'importance de ses fonctions, s'engage â donner une attention constante à la conduite de son élève et à lui inculquer des connaissances qui le rendent capable d'être utile à sa patrie et à lui-même. Or, le latin seul est insuffisant pour obtenir ce résultat. Si l'on veut élargir la sphère de l'éducation, il faut étudier encore la littérature française, l'histoire, la géographie, la chronologie, etc.

« D'où vient — ajoute notre auteur — qu'une pratique si peu raisonnable est néanmoins si généralement suivie dans nos écoles? C'est que toute coutume ancienne se perpétue par le seul titre de son ancienneté, et que peu d'hommes se donnent la peine de penser que ce qui était bon dans un temps peut cesser de l'être dans un autre. » L'abbé Gédoyn admettait donc les langues mortes, non comme sujet exclusif d'études, mais comme moyen de perfectionnement de la littérature française, qui devait figurer en tête du programme, et à laquelle on ajouterait l'histoire ancienne et moderne, la physique expérimentale « par manière de divertissement et même de récompense, » etc., sans que la durée des cours fût augmentée.

L'ouvrage se termine par un plan d'éducation dont voici les dispositions principales :

1° De quatre à sept ans, l'enfant apprend à lire et à écrire, s'exerce la mémoire en apprenant par coeur quelques fables de La Fontaine, les commencements de l'histoire de France, et « étudie le blason » ;

2° De sept à dix ans, on lui enseigne les principes du grec, du latin, et du français, et on lui fait faire des thèmes pour s'assurer qu'il possède ces principes ;

3° De dix à seize ans, étude des trois langues ci-dessus ; l'élève parcourt le dictionnaire, apprend les racines, les déclinaisons et conjugaisons irrégulières, et lutte avec ses camarades à qui saura le plus grand nombre de mots. Cet exercice de mémoire doit être fortifié par la lecture des bons auteurs et les versions faites par l'élève comparées à la traduction d'un écrivain de renom.

Mais considérant que ce ne sont là que les fondements de l'édifice, l'abbé Gédoyn ajoute « qu'un maître ne fait que la moitié de ce qu'on attend de lui, s'il ne trouve le secret d'embellir l'imagination de ses disciples, de leur élever l'esprit, et de leur donner une certaine finesse du goût qui, de toutes les qualités de l'esprit, est peut-être la plus rare ». Il propose donc à cet effet d'embellir l'imagination par la lecture des poèmes d'Homère ; d'élever l'esprit par les oraisons de Démosthènes, les ouvrages de Cicéron, Virgile, Corneille, Racine, Bossuet, etc. ; de donner la finesse du goût avec les épîtres d'Horace, les comédies de Térence, de Molière, les satires de Boileau. A dix-sept ans viendrait la logique, qui servirait de couronnement à ces études ; après quoi, le gouverneur du jeune homme accompagnerait celui-ci dans des voyages ou excursions, l’entretiendrait dans le goût du travail et le préserverait des mauvaises compagnies. Voici la conclusion de l'ouvrage de l'abbé Gédoyn : « C'est pour tirer la France de l'espèce d'assoupissement où elle est plongée, qu'en bon citoyen j'ai jeté sur le papier ce qui m'est venu dans l'esprit, touchant l'éducation qu'il convient de donner à la jeunesse, et je n'ai eu d'autre vue que d'être utile à une nation qui, lorsqu'elle le voudra sérieusement, l'emportera en tout genre sur les autres ».

Simon Maire