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Gauthey

Louis Gauthey naquit à Grandson, dans le canton de Vaud, en 1795. B fit ses premières études à Lausanne, au collège, puis à l'académie, et réussit aussi bien dans les sciences que dans les lettres. Il cultiva toute sa vie, avec prédilection, les mathématiques et surtout l'astronomie. Tout en poursuivant ses études de théologie, il donnait des cours de sciences.

Un séjour de quelques années qu'il fit en Angleterre contribua beaucoup à son développement intellectuel, et lui fit voir de près le système d'instruction primaire en vigueur chez nos voisins. Il fut ensuite nommé pasteur à Yverdon ; c'est là qu'il fit la connaissance de Pestalozzi. Gauthey devint son ami, le confident de ses joies et trop souvent aussi de ses déceptions. Il partagea toujours ses principes généreux ; il admirait les idées originales et fécondes du vénérable éducateur, sans adopter ce qu'il pouvait y avoir d'exclusif ou d'exagéré dans ses vues.

L'année 1830 avait vu s'opérer de grands changements dans la constitution du canton de Vaud. Les nouveaux magistrats chargèrent une commission nommée par eux de réorganiser l'enseignement populaire. Gauthey fut un des promoteurs du réveil de l'instruction ; il rédigea un mémoire, que l'on couronna, sur la meilleure manière de préparer les futurs instituteurs. Bientôt le gouvernement le chargea de fonder lui-même à Lausanne l'école normale dont le besoin se faisait impérieusemeut sentir. Gauthey resta douze ans à la tête de l'institution qu'il avait créée, et qui compta jusqu'à cent élèves à la fois. Plusieurs de ces jeunes gens devinrent des instituteurs modèles. En été avaient lieu des cours qui réunissaient les régents en vacances et d'autres externes, désireux de profiter des excellentes leçons du directeur. Celui-ci professait aussi dans l'école normale de jeunes filles, dirigée par Mlle Cornélie Chavannes. Gauthey reçut à cette époque les témoignages les plus encourageants de la part de César de Laharpe, du Père Girard, de Victor Cousin. C'est alors aussi qu'il publia les ouvrages suivants : Des changements à apporter au système de l'instruction primaire dans le canton de Vaud ; De l'éducation dans les écoles moyennes ; Droits et devoirs des citoyens ; Le livre du jeune citoyen. Ce dernier écrit fut adopté par le Conseil vaudois de l'instruction publique, pour servir de base à l'enseignement civique dans les écoles primaires.

La révolution de 1845, qui amena aux affaires le parti radical, obligea Gauthey à donner sa démission, Mais il allait retrouver un nouveau et plus vaste champ pour son activité.

Depuis 1829, la Société pour l'encouragement de l'instruction primaire parmi les protestants était à l'oeuvre en France. Ses modestes débuts ne faisaient pas prévoir l'extension qu'elle devait prendre dans la suite, Le moment vint, en 1846, où le comité résolut de créer une école normale protestante, à Courbevoie près Paris. On insista beaucoup auprès de Gauthey pour lui faire accepter la direction de rétablissement. Après quelques hésitations, il se décida à quitter sa patrie et consentit, sur l'avis de Victor Cousin, à subir à Besançon le modeste examen d'instituteur primaire.

A partir de ce moment, et pendant dix-huit ans, l'école normale de Courbevoie lut, de la part de son directeur, l'objet de la plus vive sollicitude. Les autorités locales se montrèrent toujours bienveillantes, et les rapports des inspecteurs furent si favorables que le gouvernement créa bientôt des bourses dans l'établissement. Deux cent soixante jeunes gens environ passèrent entre les mains de Gauthey. Sur ce nombre, cent quatre-vingt-trois devinrent instituteurs ou professeurs, neuf embrassèrent la carrière ecclésiastique, dix-sept trouvèrent à s'employer honorablement dans des professions diverses. La direction de Gauthey était toute paternelle ; sans permettre jamais que les règlements fussent enfreints, il laissait à ses élèves la plus grande somme possible de liberté, s'efforcant de former, non des automates, mais des hommes capables de se gouverner eux-mêmes. Il leur accordait une juste mesure de récréations honnêtes et de divertissements de bon aloi.

Gauthey s'intéressa toujours vivement à l'éducation des jeunes filles, et s'occupa activement d'un ensemble de cours fondés à Paris en 1856 et destinés à fournir à un certain nombre de jeunes filles une instruction secondaire très complète.

C'est de 1854 à 1856 que Louis Gauthey publia le plus important de ses écrits : De l'Education, ou Principes de pédagogie chrétienne. L'éminent auteur appartient à l'école qu'illustra Port-Royal, dont Rollin fut un des plus aimables représentants, et qui s'est continuée de nos jours par Mme Necker de Saussure. Il se distingue moins par un grand nombre d'idées neuves que par la manière dont il a su mettre à profit les travaux de ses devanciers. Chez lui, rien d'exclusif ; il est complet plutôt qu'original, mais il sait l'art de rajeunir ce qui a été dit avant lui. Comme Pestalozzi, il est le tendre ami des enfants ; il veut que l'école soit une famille, ayant l'instituteur pour père ; il exige le développement harmonique et simultané des facultés et ne permet pas que les aptitudes naturelles soient contrariées.

Avec Niemeyer, il demande qu'on fortifie l'entendement plutôt que de remplir la mémoire, ou, pour employer le mot de Montaigne, qu'on « forge l'âme de l'enfant plutôt que de la meubler « Mais les doctrines religieuses du professeur de Halle lui paraissent insuffisantes, parce qu'il croit à la réalité de la chute.

Avec Mme Necker, Gauthey veut que l'éducation commence au berceau, et que la mère en soit chargée tout d'abord. Avec elle aussi, il réagit contre l'idée du travail-amusement, tout en demandant que l'étude soit rendue aussi attrayante que possible.

A une introduction intéressante succède, dans l'ouvrage de Gauthey, une étude sur le développement général des facultés ; l'auteur traite ensuite de l'éducation physique, de l'éducation intellectuelle, de l'éducation du sentiment et de celle de la volonté. Le second volume se termine par des conseils spéciaux, un examen des défauts et des devoirs de l'éducation, enfin une étude sur l'harmonie des facultés humaines. Gauthey croit à la nécessité d'une régénération et n'admet pas qu'il existe, en dehors du christianisme, une pédagogie vraiment complète.

Chez lui, d'ailleurs, nulle étroitesse ; il aime les arts, les sciences, les lettres, et combat un ascétisme mal inspiré qui voudrait retrancher de l'éducation le développement du sens esthétique. Gauthey, on le conçoit, est l'ennemi de la routine et de la fausse émulation ; il veut qu'on mette en jeu dès le début les mobiles les plus élevés. Son livre, peu connu en France, trouva de nombreux lecteurs a l'étranger, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, en Hollande, en Russie surtout, et valut à son auteur des distinctions flatteuses ; on peut même attribuer à cet ouvrage une part très réelle dans les réformes éducatives entreprises chez certains peuples.

Deux opuscules de Gauthey, le Délassement après le travail et la Vie dans les études, sont d'une lecture très attrayante. Il est difficile de répandre plus d'intérêt sur une matière aussi sèche en apparence que l'énumération des jeux auxquels peuvent se livrer les enfants et les jeunes gens. Le tout est entremêlé de souvenirs personnels qui donnent un grand charme à ces petits tableaux. Gauthey a écrit aussi quelques ouvrages spécialement religieux, fort goûtés du public auquel ils sont destinés.

L'homme excellent que nous avons essayé de faire connaître à nos lecteurs possédait une culture universelle : histoire, philosophie, littérature ancienne et moderne, théologie, sciences naturelles, mathématiques, tout lui était familier ; il causait volontiers sur tous les sujets, même avec le plus modeste interlocuteur. Il avait le travail remarquablement facile ; son esprit ferme et positif avait en même temps un tour poétique. Le deuil attrista ses dernières années, et cette vie utile autant que modeste s'éteignit en 1864. Il eut la satisfaction de laisser l'école normale de Courbevoie entre les mains de son gendre, M. Gaudard, qui était depuis longtemps associé à ses travaux.

Marie Vallette (épouse Monod)