bannière

g

Galin

Pierre Galin est né à Bordeaux le 16 décembre 1786 et mort à Paris le 30 août 1822. Ses parents, pauvres artisans, étaient hors d'état de lui faire donner de l'instruction : ce fut un instituteur de Bordeaux qui l'éleva. Il dirigea d'abord par goût ses études vers les mathématiques. Maître d'études dans un établissement d'instruction pendant quelque temps, il obtint ensuite au lycée une place de professeur de mathématiques élémentaires, puis enfin il fut nommé professeur-adjoint à l'institution des sourds-muets de Bordeaux.

Indépendamment de ses travaux sur les mathématiques, dit son biographe Aimé Paris, il s'était livré avec ardeur à l'étude de tous les systèmes de philosophie anciens et modernes, et il est aisé de voir dans ses écrits qu'il se rattachait à l'école des encyclopédistes français du dix-huitième siècle. Il avait étudie et approfondi tous les auteurs qui ont traité de l'économie politique, et ses réflexions ont été consignées dans quelques fragments qu'on a retrouvés après sa mort.

C'est dans cet état d'esprit, au milieu de ces fortes études, qu'il eut l'idée, pour se délasser, d'apprendre la musique sans maître. Il essaya vainement de comprendre les traités élémentaires de musique qu'il avait à sa disposition, et de se servir d'un instrument. Il se mit alors à réfléchir et à observer par lui-même. Considérant la musique comme une langue qui doit avoir son alphabet et sa grammaire, il chercha à en démêler les éléments, et finit par les trouver en faisant l'analyse des airs populaires qu'il connaissait.

Autant qu'on en peut juger par ce qu'il en a dit lui-même, et par le témoignage de ses élèves, il commença par séparer nettement l'un de l'autre les deux éléments de la musique, l'intonation et le rythme ou la mesure. S'occupant d'abord de l'intonation, il constata ce fait capital que les éléments de la musique, les lettres de l'alphabet musical, ne sont pas les sons, mais les intervalles qui les séparent, et qu'en musique, comme partout ailleurs, il n'y a rien d'absolu, il n'y a que des relations, des rapports.

L'alphabet de la musique, la gamme, est donc formé d'un certain nombre d'intervalles à apprendre avant tout.

En comparant entre elles des phrases musicales, Galin parvint à étudier les principaux de ces intervalles, à trouver les fonctions désignées par les mots tonique, dominante, médiante, sensible, etc., caractéristiques de toute mélodie musicale. Il en tira par une série de comparaisons et de déductions logiques toute une théorie de la musique.

D'autre part, en revenant sur le rythme, en remarquant dans toutes les mélodies le retour périodique d'un son plus intense ou tout au moins plus accentué que les autres, il découvrit la division des airs, au point de vue de la durée, en ce qu'on nomme des mesures, et la subdivision de celles-ci en durées égales: il en déduisit une théorie complète de la mesure ou du rythme.

Ayant ainsi établi un corps de doctrines fortement et logiquement liées, il put comprendre le langage si obscur des traités de musique qu'il avait essayé tout d'abord de prendre pour guides : puis il songea naturellement à faire profiter les autres des découvertes qu'il avait faites si péniblement. Après avoir constitué la théorie musicale, il chercha une méthode d'enseignement et des procédés pédagogiques : il les trouva (nous les indiquerons tout à l'heure), et se mit à professer la musique, d'abord à Bordeaux.

C'est à ce moment de son existence qu'avant de composer un traité de musique élémentaire, auquel il comptait consacrer plusieurs années et qu'une mort prématurée l'empêcha même de commencer, il publia à Bordeaux, en 1818, le beau livre intitulé : Exposition d'une nouvelle méthode pour l'enseignement de la musique.

Il vint ensuite à Paris pour y faire connaître la méthode d'enseignement qu'il avait créée de toutes pièces, s'installa dans une maison de la rue Notre-Dame des-Victoires, et y fit des cours qui restèrent longtemps sans éclat. Comme tous les inventeurs, il avait beaucoup d'illusions sur la propagation rapide de ses idées, et, de plus, s'il avait beaucoup de savoir, il manquait entièrement de savoir-faire. Pour un disciple comme Aimé Paris, qui comprit pleinement son génie, respecta ses idées, et sauva plus tard sa méthode d'un oubli au moins momentané, il trouva bien des élèves médiocres, et surtout quelques plagiaires, dont les actes abreuvèrent d'amertume le reste de sa courte vie.

Cependant son nom commençait à être connu : un journaliste influent de l'époque, F. Bodin, avait pris connaissance de sa méthode et en avait préparé des comptes-rendus pour le Constitutionnel et le Journal des Débats, lorsque Galin fut dénoncé comme un homme professant les opinions les plus dangereuses en politique, et les comptes-rendus ne furent pas publiés.

Atteint depuis longtemps d'une maladie organique sa frêle constitution ruinée par des travaux incessants, il se vit contester même la propriété de ses procédés d'enseignement : le chagrin hâta les progrès de la maladie, et il s'éteignit ainsi le 30 août 1822 dans une obscurité à peu près complète.

Heureusement pour sa mémoire, l'un de ses élèves, Aimé Paris, voyant qu'après sa mort aucun de ses autres disciples ne songeait à continuer sérieusement son oeuvre, reprit la méthode de Galin, la propagea, la compléta avec l'aide de sa soeur Nanine Paris et d'Emile Chevé qui devint son beau-frère, de sorte qu'elle est actuellement connue et appliquée sous le nom de Méthode musicale Galin-Paris-Chevé.

Cette méthode est contenue en grande partie dans le seul livre qu'ait écrit Galin, l'Exposition d'une nouvelle méthode pour l'enseignement de la musique.

Ce livre, nous l'avons dit, fut publié à Bordeaux en 1818. En 1835, Aimé Paris et ses élèves en firent à Lyon une 2e édition (la première étant épuisée), mais elle ne fut pas mise dans le commerce. En 1862, une 3e édition faite par E. Chevé fut publiée à la Librairie sociétaire, 6, rue de Beaune : elle reproduit l'édition originale, avec une table alphabétique et analytique des matières, et une notice biographique sur P. Galin faite par Aimé Paris et où nous avons puisé la plupart des renseignements et indications qui précèdent. Cette 3e édition est la dernière qui ait été faite jusqu'ici.

Il nous reste à donner une analyse de ce livre et de la méthode qu'il renferme.

C'est un livre de pédagogie et, à ce titre, il devait figurer dans ce Dictionnaire. Nous pensons même qu'il y doit occuper une place d'honneur ; car, à notre avis, c'est un véritable monument de pédagogie.

Ecrit dans un style simple et sans aucune espèce de prétention littéraire, c'est un modèle de logique, de netteté et de précision qui rappelle le Discours de la méthode de Descartes : ceux qui voudront le lire avec attention ne trouveront pas la comparaison exagérée. Le seul reproche qu'on pourrait lui adresser, c'est de manquer de divisions et de subdivisions, ce qui en rend la lecture un peu difficile : à cela près, c'est un chef-d'oeuvre d'exposition scientifique.

L'idée même du livre est définie par l'auteur dans les lignes suivantes : « J'entends par une exposition analytique, un livre tel qu'un homme de sens pût y apprendre la musique tout seul s'il y était condamné, et que, tous nos musiciens venant à se perdre dans une nuit, leur art ne fût pas néanmoins perdu pour le genre humain. » Quant au mode d'exposition adopté, il est très simple. L'auteur s'adresse aux maîtres et non aux élèves : il indique les idées successives qu'il faut faire entrer d'après lui dans l'esprit des élèves, les épreuves successives et variées auxquelles il faut les soumettre pour leur faire chercher et découvrir eux-mêmes les vérités qu'on veut leur enseigner : c'est vraiment la méthode expérimentale ou d'induction appliquée pour la première fois à l'enseignement d'un art. A ce point de vue, le livre est vivant et présente un grand intérêt.

On y trouve exposées deux choses qui se complètent à merveille : une théorie de la musique et un ensemble de procédés d'enseignement.

La théorie est fondée sur les bases suivantes :

La musique est une langue : les lettres de son alphabet sont les intervalles musicaux renfermés dans ce qu'on nomme la gamme, ou plutôt les gammes ou modes, car il y en a deux principaux : le mode majeur et le mode mineur.

En étudiant d'abord le mode majeur, on constate expérimentalement : 1° l'égalité des secondes majeures : 2° l'égalité des secondes mineures mi-fa, si-ut. La comparaison des intervalles par superposition, le problème qui consiste à reproduire les mêmes successions d'intervalles en prenant le point de départ à des hauteurs différentes, conduit à la définition des dièses et des bémols, à la génération des divers tons, à la théorie des modulations sans changement de mode. L'étude du mode mineur se fait par comparaison avec celle du mode majeur ; puis on combine les modulations par changement de ton avec celles par changement de mode.

A ce moment seulement Galin, qui s'est servi pour son exposition simplement d'une portée muette et d'une baguette ou bien de signes très simples, tels que des lettres ou les chiffres, explique les principes de la notation ordinaire de la musique, le mécanisme des clefs nécessité par l'imperfection des instruments à sons fixes comparés à la voix omnitone, des notions sur le tempérament, et sur la théorie des instruments.

La théorie de la mélodie au point de vue de l'intonation est ainsi complète. Galin y joint quelques notions sur les éléments de l'harmonie en les rattachant logiquement à ce qui précède ; mais il n'y a là, dans son livre, que des indications précieuses sans doute, mais incomplètes, qu'Emile Chevé a développées plus tard complètement dans son traité d'harmonie.

Galin expose ensuite la théorie du rythme ou de la mesure. Elle est fondée sur les deux bases suivantes : 1° au point de vue de la mesure du temps en musique, il y a trois idées à exprimer : celle d'un son articulé, celle d'un son prolongé, celle d'un silence plus ou moins long ; 2° notre oreille ne peut apprécier avec quelque exactitude que la division par 2 ou par 3 d'une durée déterminée, de ce qu'on appelle en musique un temps.

De là, la division des airs en mesures à 2 ou à 3 temps (la mesure dite à 4 temps n'est pour Galin qu'une double mesure à 2 temps), les divisions et subdivisions des temps en 2 ou en 3 parties, ce qui engendre les quarts, les sixièmes, les neuvièmes, les douzièmes de temps, et enfin une classification complète, d'une admirable simplicité, de toutes les mesures possibles de la durée en musique.

Toutes ces théories ? Galin insiste avec raison sur ce point à chaque instant ? sont indépendantes de la nature des signes écrits à l'aide desquels les idées musicales sont représentées. Pour l'intonation, Galin indique indifféremment l'emploi des mots ut, ré, mi, fa, sol, la, si, ou bien des lettres c d e f g a b, ou enfin celui des chiffres 1 2 3 4 5 6 7, proposé déjà par J.-J. Rousseau : la seule condition qui doive être, d'après lui, imposée à ces signes, c'est que chacun d'eux représente une seule idée, et toujours la même. Cependant il témoigne en plusieurs endroits de sa préférence pour les chiffres, notation qu'il perfectionna, en indiquant les points au-dessus ou au-dessous des chiffres pour exprimer les octaves supérieures et inférieures, d'une manière beaucoup plus complète et systématique que ne l'avait fait Rousseau, et les barres transversales, en forme d'accent aigu pour les dièses, et d'accent grave pour les bémols.

Pour les signes de mesure, Galin indique, pour représenter le son articulé, un signe quelconque : lettre, chiffre ou point noir à queue (tel que ce qu'on nomme la noire dans l'écriture ordinaire de la musique) ; pour la prolongation des sons, un point noir sans queue ; pour les silences, un zéro.

Pour les divisions d'un temps, il pose cette règle absolue ? réunir toujours les diverses parties d'un temps en groupes désignés nettement à l'oeil par un trait horizontal tracé au-dessus des signes. Pour les subdivisions, il emploie des traits supplémentaires au-dessous du trait indiquant les divisions, et indiquant nettement eux-mêmes si la subdivision est binaire ou ternaire, ou mixte. L'ensemble de ces règles et de ces groupements de signes constitue ce que Galin a appelé le chronomériste, l'un des plus beaux et des plus puissants procédés pédagogiques qui aient jamais été imaginés.

Il nous reste, pour compléter l'exposé des procédés d'enseignement inventés par Galin, à indiquer comment il enseignait l'intonation sans l'emploi de signes écrits. Il employait à cet effet un procédé auquel il donnait le nom de méloplaste. C'était une portée muette de cinq lignes noires avec quatre interlignes blancs, prolongée en haut et en bas par 2 petites lignes noires supplémentaires : le tout était dessiné sur un tableau. Armé d'une baguette à bout arrondi, il posait le bout de la baguette sur les divers barreaux blancs ou noirs de cette échelle, et figurait ainsi les points noirs qui représentent les notes sur les portées de l'écriture musicale ordinaire. Il se servait ainsi en quelque sorte d'une seule note mobile sur une portée fixe. On conçoit l'avantage d'un pareil procédé : l'élève, dit Galin, ne voit jamais qu'une chose à la fois, qui est la baguette sur tel barreau ; il ne la voit plus aux endroits qu'elle a quittés, et il ne la voit pas encore à ceux où elle n'est pas arrivée. Ainsi son attention est tout attirée vers un point unique : première condition d'une étude réfléchie.

« Il n'y a donc ici qu'une note, mais elle est mobile ; il n y a donc plus qu'une clef, mais elle est mobile aussi. Cette clef est de convenir, à chaque leçon, sur quel barreau l'on veut poser l'ut tonique, premier degré de la gamme ; c'est d'après sa position que les autres notes prennent rang sur l'échelle. L'heureux effet de cette habitude sera que l'élève n'attribue pas des noms invariables à chaque barreau, qu'il ne les dénomme que par leurs intervalles respectifs, et que, par conséquent, il connaisse toutes les clefs, sans qu'il lui en coûte pour cela ni plus de temps ni plus de peine. »

Nous avons tenu à faire cette citation en terminant, d'abord parce qu'elle explique nettement l'idée de Galin, et ensuite parce qu'elle donnera au lecteur une idée de son style.

Ernest Mercadier