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Frédéric II roi de Prusse

 Quoique les écoles et universités n'aient été déclarées en Prusse institutions de l'Etat que par le Code de 1794 (Allgemeines Landrecht), promulgué huit ans après la mort de Frédéric le Grand, ce souverain n'en doit pas moins être regardé comme le véritable créateur de l'établissement scolaire prussien, par l'impulsion énergique qu'il a donnée à l'éducation populaire, et par l'esprit qu'il a fait pénétrer dans tout le système d'éducation.

Les idées de Frédéric II en matière d'éducation et d'instruction publique se trouvent éparses dans un certain nombre de ses écrits, dont les plus importants sont l'Instruction au précepteur du prince héritier (1751), la Lettre sur l'éducation (1760), l'Essai sur l'amour-propre envisagé comme principe de morale, lu devant l'Académie de Berlin (1770), le Discours sur l'utilité des sciences et des arts dans un Etat (1772), et la pièce intitulée Schreiben an den Etats-Minister von Zedlitz (Lettre au ministre d'Etat von Zedlitz, 1779). Dans celle dernière Lettre, Frédéric pose comme premier principe de l'éducation la nécessité d'apprendre à l'élève à « raisonner par lui-même » ; aussi désire-t-il voir la logique enseignée jusque dans les écoles des petites villes, pour que chacun apprenne à tirer des conséquences justes dans ses propres affaires ; le premier paysan venu a besoin de réfléchir et de savoir raisonner. Il reproche d'ailleurs aux gymnases prussiens d'alors de s'occuper uniquement de remplir la mémoire de leurs élèves, et de ne pas leur enseigner à penser par eux-mêmes.

Il ne partage point l'opinion de Rousseau, si répandue à cette époque parmi les pédagogues allemands, que l'homme est naturellement bon. Un jour, comme il interrogeait l'esthéticien Sulzer, qu'il avait chargé de l'inspection des écoles de la Silésie, sur les résultats de sa mission, Sulzer répondit que depuis qu'on avait pris pour règle le principe de Rousseau, que l'homme est bon naturellement, les choses commençaient à mieux aller. « Ah! dit le roi, mon cher Sulzer, vous ne connaissez pas assez cette maudite race à laquelle nous appartenons. » Dans sa Dissertation sur les raisons d'établir ou d'abroger les lois, il donne en ces termes son opinion sur l'homme et sa valeur morale : « S'imaginer que les hommes sont tous des démons, et s'acharner sur eux avec cruauté, c'est la vision d'un misanthrope farouche ; supposer que tous les hommes sont des anges et leur abandonner la bride, c'est le rêve d'un capucin imbécile ; croire qu'ils ne sont ni tous bons, ni tous mauvais, récompenser les bonnes actions au delà de leur prix, punir les mauvaises au-dessous de ce qu'elles méritent, avoir de l'indulgence pour leurs faiblesses et de l'humanité pour tous, c'est comme doit agir un homme raisonnable. »

L'étude des langues anciennes et des classiques lui paraît indispensable. « Il faut absolument, dit-il dans la Lettre au ministre d'Etal von Zedlitz, que les jeunes gens apprennent le latin : je n'en démords pas ; on doit seulement rechercher la méthode la plus aisée et la meilleure pour le leur faire apprendre facilement ; s'ils deviennent plus tard des commerçants, ou se vouent à quelque autre carrière, suivant les aptitudes de leur génie, la connaissance du latin ne leur en sera pas moins toujours utile, et il viendra bien un temps où ils pourront s'en servir, » Comme il désire surtout qu'on ne se borne pas à étudier les auteurs anciens au point dé vue des formes de la langue, mais qu'on les lise à fond, pour se pénétrer de leur esprit, il recommande de les traduire en allemand. « Les auctores classici, dit-il, doivent tous être traduits en allemand, pour que les jeunes gens se forment une idée de ce qu'ils sont réellement, sans quoi ils apprendront bien les mots, mais pas la chose. Les bons auteurs doivent être traduits en première ligne : ainsi, parmi les Grecs et les Latins, Xénophon, Démosthènes, Salluste, Tacite, Tite-Live, et les ouvrages de Cicéron, qui sont tous excellents ; de même Horace et Virgile, quand ce ne serait qu'en prose. » Ailleurs il ajoute aux auteurs ci-dessus Thucydide, la Politique d'Aristote, les Sentences d'Epictète et de Marc-Aurèle.

Il insiste pour que dans l'étude de l'histoire on s'attache surtout à l'histoire moderne. « Proprement, dit-il dans son Instruction pour l'Académie des nobles, l'étude de l'histoire ne doit s'étendre que depuis Charles-Quint jusqu'à nos jours ; ces faits intéressants tiennent à nos jours, et il n'est pas permis à un jeune homme qui veut entrer dans le monde d'ignorer les événements qui sont liés à la chaîne des affaires courantes de l'Europe et la forment. » L'histoire de la patrie doit passer en première ligne : « Qu'un Anglais ne sache rien de la vie des rois de Perse, ou s'embrouille dans la multitude innombrable des papes qui ont gouverné l'Eglise, on le lui pardonnera ; mais on n'aura pas la même indulgence pour lui, s'il ne sait rien de l'origine de son Parlement, des coutumes de son île, et des diverses familles qui ont régné en Angleterre. »

Quant à l'enseignement religieux, il veut le renfermer dans des limites plus étroites que par le passé : trois heures de catéchisme par semaine doivent suffire. Il craindrait, de donner aux ministres du culte « une influence presque toujours fâcheuse, parce qu'il est rare que les prêtres ne soient pas ambitieux, et que le plus grand nombre des hommes est faible d'esprit ».

L'éducation des filles lui tient à coeur ; il la trouve beaucoup trop négligée. « Une fille, dit-il dans la Lettre sur l'éducation, peut s'amuser à des ouvrages de femme, à la musique, à la danse même ; mais surtout qu'on s'applique à lui former l'esprit, à lui donner du goût pour les bons ouvrages ; qu'on exerce son jugement, qu'on nourrisse sa raison par la lecture des choses solides. » Ailleurs, parlant des femmes, il déclare que « leur intelligence ne le cède point à celle de l'homme, et même qu'avec une éducation plus mâle elles l'emporteraient sur nous ».

Frédéric fit ce qu'il put pour donner, par des mesures pratiques, un vigoureux essor à l'instruction publique en Prusse. Au lendemain de la guerre de Sept Ans, à peine délivré des soucis de cette longue lutte, il promulgue le Règlement scolaire du 12 août 1763 (Generallandschulreglement), qui rend la fréquentation de l'école obligatoire pour tous les enfants de cinq à treize et quatorze ans, établit des peines contre les parents ou tuteurs négligents, et stipule que s'il y a des élèves trop pauvres pour payer la rétribution scolaire, la caisse communale devra payer pour eux. Nul instituteur ne sera admis à enseigner, avant d'avoir prouvé sa capacité par un examen subi devant l'inspecteur. Toutes les « écoles borgnes ». ( Winkelschulen), qu'elles soient tenues par des hommes ou des femmes, sont interdites. Toutefois les parents aisés peuvent continuer à faire donner à leurs enfants un enseignement privé, par un précepteur.

Mais malgré les bonnes intentions du roi pour le développement de l'école populaire, il ne fut pas possible de tout réformer du jour au lendemain ; on manquait d'instituteurs capables, et en 1769 Frédéric, en dépit des prescriptions de son Règlement de 1763, dut placer à la tête d'un certain nombre d'écoles de Silésie des militaires invalides, faute d'un personnel mieux qualifié pour l'enseignement.

Son activité se porta également sur l'amélioration des écoles moyennes et des gymnases. La première Realschule fut fondée sous son règne par Hecker à Berlin, et Frédéric l'entoura d'une faveur spéciale. Quant aux universités, il eût voulu voir leur enseignement s'inspirer d'un autre esprit, « car notre intention, dit-il dans un rescrit qui vise l'université de Königsberg, est qu'on n'embrouille pas la tête des étudiants par des subtilités creuses, mais qu'on les éclaire et qu'on les rende capables, par la philosophie, de comprendre et d'appliquer des notions réellement utiles. » Dans une note marginale adressée au ministre von Fürst, qui avait proposé de faire inspecter plus fréquemment les universités, il s'exprime ainsi : « Il faut qu'en médecine elles s'en tiennent à la méthode de Boerhave ; en astronomie, qu'elles suivent Newton, en philosophie Locke, en histoire la méthode de Thomasius. Une inspection sera très utile si elle est confiée à un homme capable. »

Les tendances et les efforts de Frédéric en matière d'instruction se résument dans ce passage d'une lettre qu'il écrivait à d'Alembert le 6 octobre 1772 : « Plus on avance en âge, et plus on s'aperçoit du tort que font aux sociétés les éducations négligées de la jeunesse : je m'y prends de toutes les façons possibles pour corriger cet abus. Je réforme les collèges ordinaires, les universités, et même les écoles de village ; mais il faut trente années pour en voir les fruits ; je n'en jouirai pas, mais je m'en consolerai en procurant à ma patrie cet avantage dont elle a manqué. »

A consulter : OEuvres complètes de Frédéric II, Berlin, 1846-1857. — Frédéric II philosophe, par G. Rigollot, Paris, Ernest Thorin. — Friedrich der Grosse und die Volkserziehung, von Dr P.-D. Fischer, Berlin, 1877.