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François de Neufchateau

Nicolas-Louis-François, poète, administrateur, agronome et pédagogue français, est né à Saffais en Lorraine, le 17 avril 1750, et mort à Paris, le 10 janvier 1828. Il était fils d'un maître d'école de Saffais. Le bailli d'Alsace, D'Hénin-Liétard, qui avait conçu de l'affection pour lui, favorisa ses études en le faisant entrer au collège des jésuites à Neufchâteau. Il prit le nom de cette ville en 1766. En 1777, ce nom lui fut confirmé par un arrêt du Parlement de Lorraine ; il l'avait reçu de la ville même en témoignage de l'estime qu'il s'était attirée déjà par la précocité de ses talents. Cette précocité lui valut aussi la qualification de petit prodige, justifiée par la rapidité avec laquelle il fit ses études et par le goût qu'il manifesta de bonne heure pour la poésie. Il composa des vers dès l'âge de treize ans, et en 1766, à quinze ans, il publia un premier volume de Poésies fugitives, réimprimé l'année suivante. Voltaire, à qui il avait envoyé ce volume, lui répondit par une épître. L'Académie de Dijon qui, quelques années auparavant, avait couronné J.-J. Rousseau, lui ouvrit alors ses portes, et bientôt après il fut reçu membre des Académies de Lyon, de Marseille et de Nancy. Il fut d'abord avocat à Reims, à Vézelise, à Paris, puis il entra dans l'administration, où il devait passer une grande partie de sa carrière et se distinguer par les services nombreux qu'il y rendit.

D'abord lieutenant général à Mirecourt, il devint ensuite subdélégué de l'intendance lorraine. En 1783, le maréchal de Castries, ministre de la marine, lui confia les fonctions de procureur général au conseil supérieur de Saint-Domingue. Il resta cinq ans dans cette colonie. Au retour, il fut assailli par une tempête qui mit sa vie en danger et dans laquelle il perdit ses manuscrits. C'était au commencement de 1788. Il prit sa retraite et se livrait à l'agriculture lorsque éclata la Révolution. François de Neufchâteau lut chargé de rédiger les cahiers du bailliage de Toul. En 1790, il devint l'un des administrateurs du département des Vosges. Député à l'Assemblée législative en 1791, il en fut nommé secrétaire et ensuite président. Elu membre de la Convention, il refusa d'y siéger, puis, désigné comme successeur de Danton au ministère de la justice en octobre 1792, il n'accepta pas. Il publia vers cette époque quelques écrits relatifs à l'agriculture et composa deux pièces imitées de Goldoni, dont l'une, Paméla, représentée en août 1793, obtint un grand succès ; mais elle fut interdite huit jours après : l'auteur fut arrêté et incarcéré à la Force, d'où il ne sortit qu'après les événements de Thermidor.

Nommé, sous le régime de la constitution de l'an III, commissaire du département des Vosges, il se vit appelé subitement au ministère de l'intérieur le 28 messidor an V. Il ne conserva que deux mois ces fonctions ; mais ce temps lui suffit pour imprimer à l'administration une grande activité. Il quitta le ministère pour remplacer Carnot au Directoire, le 28 fructidor an V. Le sort l'ayant désigné dix mois plus tard comme directeur sortant, il fut rappelé au ministère de l'intérieur (2 thermidor an VI), où il avait en même temps dans ses attributions l'instruction publique, les arts, l'agriculture, le commerce et l'industrie. Cette fois il y resta onze mois, et s'y distingua par d'importantes créations, telles que la formation du premier Conseil d'instruction publique (vendémiaire an VII) ; l'exposition publique des produits de l'industrie ; la réorganisation du Musée du Louvre, où il fit placer dans les galeries des statues et des tableaux qui y sont restés depuis ; la création du système de navigation intérieure ; l'établissement des pépinières départementales ; le défrichement des landes et l'assainissement des marais, etc. Deux points surtout attiraient son attention : les progrès de l'instruction publique et ceux de l'agriculture. Le 5 messidor an VII, il écrivait aux administrations centrales : « En quittant le ministère, ma dernière pensée est pour l'instruction publique ». On a une preuve de la prodigieuse activité qu'il déploya dans ses fonctions de ministre dans une publication faite par lui et intitulée ; Lettres, circulaires, instructions, programmes, discours et autres actes publics émanés au citoyen François de Neufchâteau, pendant ses deux exercices du ministère de l'intérieur (an VIII, 7 vol. in-4°).

C'est le coup d'Etat du 30 prairial an VII qui avait fait sortir François du ministère. Il vécut quelques mois dans la retraite : mais dès le 4 nivôse an VIII il devint sénateur, et se montra, depuis ce moment, l'un des serviteurs les plus complaisants de Bonaparte. Ce fut lui qui, en qualité de président du Sénat, remit le sceptre à l'empereur lors de la cérémonie du sacre (4 décembre 1804). En 1808, il fut nommé comte de l'empire. Il avait été élu membre de l'Institut national en l'an VI, et, lors de la Restauration, à laquelle il se rallia, il fut compris dans la réorganisation de l'Académie française. L'aménité de son caractère, sa modestie et ses talents ont fait oublier ses faiblesses politiques ; et l'on peut dire que lorsqu'il mourut, à l'âge de soixante-dix-huit ans, il ne laissa pas d'ennemis.

Dans les dernières années de sa vie, il s'était surtout occupé d'agriculture ; il a publié un certain nombre de mémoires sur des sujets relatifs aux questions agricoles ; l'un d'eux est intitulé : Essai sur la nécessité et les moyens de faire entrer dans l'instruction publique l'enseignement de l'agriculture (1802, in-8°).

Indépendamment de ses nombreux actes officiels ayant pour objet l'instruction publique, François de Neufchâteau a composé différents écrits qui témoignent du zèle qu'il montra toujours pour l'éducation. C'est d'abord une Anthologie morale, ou choix de quatrains et de distiques pour exercer la mémoire, pour orner l'esprit et former le coeur des jeunes gens (1784). Plus tard, poursuivant l'idée qui lui avait inspiré la rédaction de cette Anthologie, il publia une imitation ou traduction libre en vers français des distiques de Muret, sous ce titre : L'institution des enfants, ou Conseils d'un père à son fils, imités des vers que Muret a écrits en latin pour l'usage de son neveu, et qui peuvent servir à tous les jeunes écoliers (Paris, an VI, in-8°, 10 p., avec le texte latin en regard). Les distiques de notre savant compatriote du seizième siècle, Antoine Muret, avaient été traduits dans toutes les langues. Les quatrains de François de Neufchâteau furent aussi réimprimés plusieurs fois en France et à l'étranger ; on les traduisit également en différentes langues. En 1808, il en parut une édition accompagnée de traductions en allemand, en espagnol et en italien (Paris, Didot, in-8°). On doit aussi à François un petit poème intitulé la Calligraphie, qui serait aujourd'hui perdu pour le lecteur si M. Taupier ne l'avait réimprimé à la suite de son Texte explicatif de la Calligraphie.

Mais son ouvrage le plus important est sa Méthode de lecture (an VII, Paris, in-8°, 180 p.). Il est à noter que c'est pendant son second passage au ministère de l'intérieur qu'il composa et fit paraître cette méthode. L'étude qu'il avait faite des moyens d'instruction élémentaire l'avait convaincu que la cause des retards que rencontraient les progrès de l'enseignement primaire venait en grande partie des difficultés dont on l'avait hérissé et des vices des méthodes en usage. Il considérait, en conséquence, comme un devoir de faire tous ses efforts pour améliorer les livres d'enseignement, à commencer par ceux qui se rapportent à l'étude des premiers éléments. Aussi, en publiant sa méthode de lecture, il annonçait également une méthode d'écriture, qui n'a pas vu le jour.

François de Neufchâteau espérait beaucoup de la création des écoles centrales qui, en initiant les maîtres à la connaissance des bonnes méthodes, pouvaient conduire l'enseignement dans des voies meilleures. Elles lui paraissaient un excellent moyen de fournir aux instituteurs et aux institutrices les connaissances qui leur manquaient pour asseoir l'instruction sur de solides fondements. « Je crois ne pouvoir mieux payer ma dette à la pairie, lit-on au commencement de sa Méthode (p. vu), qu'en m'occupant sans cesse de ce qui a rapport aux progrès de l'instruction. Je m'applaudis d'avoir rallume l'émulation parmi les professeurs des écoles centrales ; mais il faut que ce feu sacré, ravivé dans les chefs lieux de nos départements, se répande de là dans les cantons qui en dépendent, et que chaque commune en soit éclairée à son tour. C'est ce qu'opérerait l'espèce d'école normale où les instituteurs et les institutrices viendraient, aux frais de leurs communes, puiser auprès des professeurs les connaissances qu'ils iraient ensuite reporter dans leurs écoles respectives. Trois mois de la saison, ajoutait-il, pourraient être employés à ces utiles exercices, et ce temps suffirait pour former des instituteurs et leur apprendre à enseigner suivant des méthodes plus aisées et plus sûres. » Il y avait beaucoup d'illusion dans cet espoir ; on a reconnu depuis qu'il faut plus de temps pour former un bon maître. Mais l'application du moyen que proposait François de Neufchâteau n'en eût pas moins produit des résultats utiles.

Entre autres causes de l'insuffisance des méthodes de lecture, il signalait celle-ci, qui n'a peut-être pas été assez remarquée : c'est qu'elles n'avaient jamais été conçues en vue d'un enseignement simultané ; elles ne s'appliquaient guère qu'à l'enseignement individuel, ce qui rendait les leçons très rares et très courtes pour chaque élève et devait singulièrement retarder les progrès. L'auteur n'a sans doute pas signalé aussi bien qu'on l'a fait de nos jours le mauvais arrangement des exercices et l'ordre défectueux dans lequel on présente aux enfants les premiers éléments de la lecture. Les réformes qu'il indiquait étaient toutefois assez nombreuses pour introduire dès lors une amélioration considérable dans l'enseignement, si la routine, toujours plus forte que les conseils les plus sensés, n'eu avait fait ajourner pendant de longues années l'application.

Parmi les changements conseillés par François de Neufchâteau, il faut noter sa proposition d'enseigner simultanément la lecture et l'écriture, méthode dont on a voulu faire honneur aux Allemands. François de Neufchâteau ne la revendique même pas pour lui. Il cite divers auteurs français qui avaient eu déjà cette idée avant lui, sans compter Tertullien et saint Jérôme qui l'avaient émise dans les premiers siècles de l'ère chrétienne. En Allemagne on a attribué une partie des idées de François de Neufchâteau, relatives à l'enseignement de la lecture, à Olivier, un des écrivains qui ont le plus contribué au perfectionnement des méthodes de lecture dans ce pays. Mais la méthode d'Olivier, avec laquelle celle de François de Neufchâteau offre une grande ressemblance, n'a été publiée qu'en 1801, tandis que celle de notre compatriote avait paru dès 1799. Gräfe et Schumann, deux des principaux pédagogues modernes allemands, ont reconnu cette ressemblance. Mais Gräfe va plus loin dans la deuxième édition de son livre Die deutsche Volksschule (t. II, p. 258), publiée en 1850 : il donne formellement à entendre que la méthode d'Olivier peut bien n'avoir été qu'une application de l'idée qui sert de fondement à celle de François de Neufchâteau. Ajoutons en terminant que l'ouvrage de ce dernier n est point, comme le titre le ferait supposer, une simple méthode de lecture. C'est aussi une espèce de résumé historique où l'auteur a mis largement à profit le livre de Cherrier ; il se plaît d'ailleurs à faire de celui-ci un éloge mérité. A ce double titre, la Méthode pratique de lecture de François de Neufchâteau suffirait à elle seule pour lui donner des droits, à la reconnaissance des amis de l'instruction primaire.

Jean-Jacques Rapet