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Fourcroy

Antoine-François Fourcroy, naquit à Paris le 15 juin 1755, de parents pauvres. Il réussit néanmoins, grâce à la générosité de quelques protecteurs, à faire des études scientifiques, et fut reçu docteur en médecine. La chimie l'attirait particulièrement ; il devint l'élève, puis l'aide du célèbre Buquet, et en 1784, à la mort de Macquer, Buffon le nomma à la chaire de chimie du Jardin du roi. Fourcroy s'acquit promptement une grande réputation comme professeur : il avait une parole élégante et facile, un extérieur agréable, et ses cours attirèrent de nombreux auditeurs. En 1785, il fut élu membre de l'Académie des sciences. Lorsque éclata la Révolution, il en adopta les principes et se signala parmi les plus zélés partisans du nouvel ordre de choses. En 1792. quand le gouvernement fit appel à la science des chimistes, et les invita à fournir à la Révolution des moyens nouveaux de préparer la poudre qui manquait aux arsenaux, Fourcroy se consacra avec ardeur à cette oeuvre patriotique, qui l'absorba tout entier pendant près d'une année.

Il avait été élu député suppléant de Paris à la Convention : le 14 juillet 1793, il fut appelé à siéger parmi les représentants du peuple, en remplacement de Marat assassiné la veille. La Convention discutait le plan de Lepeletier sur l'éducation commune : Fourcroy prononça dans la séance du 30 juillet un discours qui fut remarqué et à la suite duquel le nouveau député fut nommé adjoint au Comité d'instruction publique. Il collabora à la préparation du projet voté dans la séance du 15 septembre 1793, et qui établissait, au-dessus des écoles primaires, trois autres degrés d'instruction : des écoles secondaires, sortes d'écoles professionnelles où devaient être enseignées « les connaissances indispensables aux artistes et ouvriers de tous les genres » ; des instituts, « pour les connaissances ultérieures, nécessaires à ceux qui se destinent aux autres professions de la société » ; et un lycée, espèce d'université consacrée « aux objets d'instruction dont l'étude difficile n'est pas à la portée de tous les hommes ». Dans la séance du lendemain, Fourcroy, en défendant le décret attaqué par quelques représentants, revendiqua pour lui personnellement la paternité du projet d'écoles professionnelles. « C'est moi-même, dit-il, qui ai proposé l'établissement d'une école dont personne n'avait présenté l'idée et dont je n'avais trouvé le plan dans aucun écrit. » On sait que malgré les efforts de Romme, de Fourcroy, de Lakanal, le décret du 15 septembre fut suspendu. Romme présenta néanmoins, le 1er octobre, un projet de décret établissant trois degrés d'écoles nationales ; mais ce projet n'aboutit pas.

Fourcroy n'avait pas l'entêtement de Romme, le « mulet d'Auvergne » ; il ne s'obstinait pas longtemps dans ses opinions lorsqu'il les voyait mal reçues du parti dominant. Il chercha toujours à se concilier la faveur des puissants du jour, et l'histoire de ses idées politiques n'est guère que celle de ses palinodies. Devenu président du club des Jacobins le 11 frimaire (1er décembre 1793), il entra docilement dans le courant d'opinion d'où sortit le projet Bouquier, et le 19 frimaire, on l'entendit faire à la Convention un rapport sur l'enseignement « libre » des sciences et des arts, où il combattait les idées de Condorcet et de Romme : » Si l'on adoptait, dit-il, les plans d'instituts et de lycées, qui ont été tant de fois reproduits sous différentes formes, on aurait toujours à craindre l'élévation d'une espèce de sacerdoce plus redoutable peut-être que celui que la raison du peuple vient de renverser. Solder tant de maîtres, créer tant de places inamovibles, c'est reformer des espèces de canonicats, c'est permettre enfin à des professeurs privilégiés de faire à leur gré des leçons froides que l'émulation ou le besoin de la gloire n'inspire plus. Ici, comme dans toutes les autres parties des établissements républicains, la liberté est le premier et le plus sûr modèle des grandes choses. Chacun doit avoir le droit de choisir pour professeurs ceux dont les lumières, l'art de démontrer, tout, jusqu'au son de voix, au geste, est le plus conforme à ses goûts. Laisser faire est ici le grand secret et la seule route des succès les plus certains. Commande-t-on au génie et aux talents de naître pour les placer à des postes qu'on leur a destinés d'avance ? L'adulation a seule pu créer ces idées fantastiques, pour des despotes à qui on ne parlait que de gloire, de protection et de protégés, et qui étaient assez sots et assez vains pour penser que les grands poètes, les grands orateurs, les savants illustres, les artistes célèbres naîtraient à leur voix, en leur distribuant annuellement quelques pièces de monnaie, en leur faisant écrire quelques billets insolents, et en leur préparant des fauteuils académiques. » Voilà une doctrine qui sonne assez étrangement dans la bouche du futur organisateur de l'Université impériale. Mais Fourcroy portait alors le bonnet rouge, et, fier d'être sorti du peuple, rappelait volontiers, dans ses harangues au club, « le sans-culotte son père et les sans-culottes ses soeurs ».

Cette première palinodie de Fourcroy fut relevée à la Convention même, dès le 2 nivôse, par Portiez (de l'Oise), en ces termes : « La pétition des corps administratifs et des sociétés populaires de Paris, tendant à obtenir plusieurs degrés d'instruction, fut vivement appuyée et défendue deux jours de suite par Fourcroy. Aujourd'hui Fourcroy se rétracte, et pour prouver qu'il a été dans l'erreur, il nous peint les abus du régime monarchique. Fourcroy, je crois à la vérité de ton récit, à l'exactitude de ta description : tu étais professeur, et, qui plus est, académicien. »

Après le 9 thermidor, une fois les Jacobins vaincus, Fourcroy passa dans les rangs des vainqueurs. Le 15 fructidor, il devint membre du Comité de salut public, d'où venaient de sortir Billaud, Collot et Barère. Le 3 vendémiaire an III, il présenta, au nom de ce Comité, un rapport sur l'organisation définitive de l'Ecole polytechnique (alors appelée l'Ecole centrale des travaux publics), qui avait été décrétée six mois auparavant, en pleine Terreur (décret du 21 ventôse an II). Dans ce rapport, Fourcroy injuriait fort ses anciens amis, qu'il représenta comme des « barbares », dont le but était « d'anéantir les sciences et les arts s. Ce fut lui également qui fit les rapports sur la création des Ecoles de santé et sur celle des Ecoles de services publics.

Il faut noter également que c'est Fourcroy qui, dans un discours prononcé au Lycée des Arts, le 14 thermidor an IV, donna sa forme définitive à ce mot « historique » apocryphe : « La République n'a pas besoin de savants », dont il avait trouve l'idée première dans un rapport de Grégoire du 24 frimaire an III, sous cette autre forme : « Nous n'avons plus besoin de chimistes ». Ce mot fameux n'a jamais été prononcé par personne.

Lorsque la Convention eut terminé sa longue session, Fourcroy entra au Conseil des Anciens, dont il resta membre jusqu'en prairial an VI, Il prit peu de part aux travaux de cette assemblée ; nous n'avons guère à mentionner, durant cette période, que le discours prononcé par lui le 11 germinal an IV, concernant l'impression des livres élémentaires. De l'an VI à l'an VIII, il se consacra à ses cours publics et à la publication de quelques écrits.

Mais après le 18 brumaire commence pour lui une carrière administrative longue et brillante. Le premier consul l'appelle au Conseil d'Etat, section de l'intérieur, où il est spécialement chargé de la rédaction des règlements et des projets de loi relatifs à l'instruction publique. Il prépare avec Roederer le projet qui devint la loi organique du 11 floréal an A, et il le défend devant le Corps législatif en qualité d'orateur du gouvernement. Bientôt après il devient directeur de l'instruction publique, en remplacement de Roederer (fructidor an X).

La place faite à l'instruction primaire par la nouvelle loi était bien petite ; Fourcroy, dans la discussion, avait traité de chimère l'idée d'établir, dans toutes les communes, une école primaire gratuite : « Il n'est pas dans la nature des choses que cela existe, avait-il dit ; il est hors de la limite du possible qu'une pareille organisation soit établie chez un grand peuple ». En revanche, la loi fondait et dotait des lycées et des écoles spéciales. De 1802 à 1808, Fourcroy présida à l'organisation de 300 collèges communaux, de 30 lycées, de 12 écoles de droit. Instrument docile des vues de Bonaparte, il déploya dans sa mission un zèle d'autant plus grand qu'il avait à se faire pardonner son jacobinisme de 1793. En 1805, lorsque le pape alla visiter le Jardin des Plantes, Fourcroy, en le recevant, se déclara « heureux de pouvoir étaler à ses yeux les monuments de la sagesse d'un Dieu dont il était sur la terre une image fidèle ». Chargé, à la même époque, par l'empereur, de préparer les décrets relatifs à l'établissement de l'Université, il se donna une peine inouïe pour arriver à satisfaire un maître dont il ne pénétra pas du premier coup toutes les intentions : « Il recommença vingt-trois fois son travail, » dit Cuvier qui était bien informé. Et lorsque ce travail fut enfin agréé, ce n'est pas Fourcroy, c'est un autre que Napoléon plaça à la tête du corps universitaire.

Quelle raison fit préférer Fontanes à Fourcroy comme grand-maître de l'Université? C'est que tout le dévouement de ce dernier n'avait pu faire oublier ses anciennes opinions ; on le tenait, malgré tout, pour un révolutionnaire mal repenti ; et Napoléon, qui voulait se concilier l'Eglise, sentait bien que Fourcroy n'inspirerait pas une entière confiance. Fontanes, au contraire, l'ancien insurgé de Lyon, l'ancien proscrit du 18 fructidor, monarchiste convaincu et catholique sincère, était tout à la fois l'homme des évêques et celui de l'empereur. En outre, Fourcroy, chimiste et médecin, inclinait vers l'enseignement réaliste et scientifique ; Fontanes, simple littérateur, ne concevait que l'enseignement classique : le programme que Fourcroy n'eût exécuté que par obéissance, Fontanes y adhérait de toutes ses convictions. Voilà pourquoi ce fut à l'ami de Chateaubriand et de M. de Bonald, non à l'ancien conventionnel, que l'empereur, le 17 mars 1808, confia la direction suprême de l'institution exclusivement chargée d'enseigner la jeunesse française.

Fourcroy ne se consola pas de cette disgrâce. « Il avait, dit Cuvier, la faiblesse d'attacher à la faveur plus de prix que ne doit y en mettre un savant et même un véritable homme d'Etat. » Quelque temps après, des dotations ayant été accordées à presque tous les conseillers d'Etat, il ne fut point compris dans cette distribution ; et ce procédé acheva de l'éclairer sur les sentiments du maître. Le chagrin qu'il ressentit de se voir sacrifié si complètement par l'homme dont il s'était fait le complaisant serviteur abrégea ses jours : il mourut d'apoplexie le 16 décembre 1809, à l'âge de cinquante-quatre ans.

Comme chimiste, Fourcroy n'a fait aucune découverte de premier ordre : c'était un vulgarisateur plutôt qu'un créateur. Son principal ouvrage est une rédaction de ses cours : elle a eu cinq éditions ; successivement augmentées, et dont la dernière porte le titre de Système des connaissances chimiques, et de leur application aux phénomènes de la nature et de l'art, Paris, 11 vol. in-8, 1801.

James Guillaume