bannière

f

Fortoul

Fortoul (Hippolyte) fut le premier des ministres de l'instruction publique du régime établi par le coup d'Etat du 2 décembre 1851. Né à Digne le 13 août 1811, il fut élève du lycée de Lyon, puis commença des études de droit qu'une maladie grave l'obligea d"interrompre. Son goût d'ailleurs le portait plutôt vers la critique d'art et vers les recherches archéologiques et littéraires. Diverses publications, entre autres un livre sur l'Art en Allemagne (1841), attirèrent l'attention sur lui. Il fut nommé professeur de littérature française à la faculté des lettres de Toulouse, et devint en 1846 doyen de la faculté d'Aix.

Elu député en 1849, il se rallia au groupe politique qui s'était attaché à la fortune du prince Louis Bonaparte. Son empressement, son zèle, la promptitude d'une intelligence qui s'attelait sans effort aux tâches les plus diverses, le firent distinguer du président. Il occupa un moment, en octobre 1851, les fonctions de ministre de la marine. Il devint ministre de l'instruction publique le 3 décembre 1851. Il garda son portefeuille jusqu'à la veille de sa mort, arrivée le 7 juillet 1856, à Ems.

En décembre 1851, un certain nombre des auteurs de la loi du 15 mars 1850 se trouvaient à Mazas. Ce n'était plus l'Eglise qui voulait se substituer à l'Université dans l'enseignement : c'était César qui voulait faire disparaître de l'Université toute velléité d'indépendance et la ramener plus étroitement encore qu'en 1808 à son rôle d'instrument de règne. Sur ce point, le considérant du décret-loi du 9 mars 1852 jette une lumière qui a son prix : « Considérant qu'en attendant qu'il soit pourvu par une loi à la réorganisation de l'enseignement public, il importe d'appliquer dès aujourd'hui des principes propres à rétablir l'ordre et la hiérarchie dans le corps enseignant ». Suivent les mesures que l'on sait : le concours est supprimé dans les facultés de droit (il avait été supprimé déjà par la Restauration, puis rétabli immédiatement après) et dans les facultés de médecine (auxquelles il avait été rendu en 1830) ; — les articles 14, 68, 76 de la loi de 1850 sont abrogés, c'est-à-dire que le président de la République ou le ministre nomment et révoquent tout le personnel de l'enseignement secondaire et supérieur, et que même dans les cas où les établissements conservent un droit de présentation, la volonté souveraine peut défaire ce qu'ont fait les corps constitués ; — l'art. 31 de la loi de 1850, relatif à la nomination des instituteurs, est réduit à néant (Voir la circulaire interprétative du 3 avril 1852, et celle du 12 mars de la même année, § 8) ; — le Conseil supérieur est nommé et non plus élu ; la section permanente, dernier vestige du Conseil de l'Université, disparaît.

On se méprendrait cependant si l'on ne voyait dans ce décret fameux qu'un acte d'hostilité contre l'Université. Les rigueurs et l'arbitraire étaient réels ; mais ce même décret dépossédait du même coup le Conseil supérieur de 1850 de son caractère le plus essentiel et d'une part notable de son autorité, en faisant disparaître l'élection et en transférant au prince ou au ministre le droit de juger et de punir.

Il faut noter en outre qu'à ce même moment il ne s'agissait de rien de moins, dans un certain camp, que d'obtenir la suppression de l'Université. Deux personnages considérables, Montalembert et Mgr Parisis, assiégeaient alors l'Elysée ; on inclinait à leur céder, et tout au moins on cherchait un expédient. Le décret du 9 mars 1852 fut cet expédient. On amoindrit certainement les garanties dont jouissait le personnel universitaire, disons mieux, on les supprima : mais au profit de qui? Tout compte fait et en allant au fond des choses, le décret de 1852 fut une atteinte à la loi de 1850, atteinte que la loi du 14 juin 1854 accentua.

Si la conduite de Fortoul a été sévèrement jugée, surtout par ceux qui voyaient en lui un transfuge, il serait injuste de ne pas lui tenir compte de certaines intentions. Ce fut un serviteur dévoué du pouvoir absolu ; mais ce fut aussi un politique, qui eut en vue, à travers tout, moins les intérêts de l'Eglise que la reprise par l'État de son action prépondérante. Il lui était interdit de marcher directement à son but ; il le poursuivit à sa manière, par les voies que l'heure permettait.

Nous croyons pouvoir affirmer qu'en rapportant de l'Elysée le décret du 9 mars 1852, Fortoul se félicitait « d'avoir sauvé l'Université ».

Qu'on n'oublie pas que sous son administration se placent la proclamation de l'empire, le mariage de l'empereur, le baptême du prince impérial. On avait besoin de l'épiscopat, on lui fit de grands sacrifices. Et néanmoins la loi du 14 juin 1854 n'est plus une diminution de l'Université. Les seize grands ressorts académiques succèdent aux académies départementales ; on choisit, pour représenter les facultés et les lycées dans les conseils académiques, les hommes les plus considérables dont on peut obtenir l'adhésion ; et en plaçant les instituteurs sous l'autorité des préfets ou se propose tout à la fois de les tenir sous sa main et de les abriter. C'est toujours le même système : on affiche la menace, la nécessité d'une discipline plus étroite ; au fond, c'est encore un rassemblement des fils dans la main de l'Etat, qui ressaisit ce que la loi de 1850 avait livré. On accepte l'Eglise comme alliée, mais on se défend comme on peut d'être son sujet.

Ministre d'un gouvernement établi par un coup de force, Fortoul devait apporter dans son administration des procédés autoritaires. Dès le 4 décembre 1851, il adressait aux recteurs une circulaire où on lit le passage suivant : « Vous connaissez les actes du 2 décembre : je ne doute pas de votre adhésion personnelle à cette grande mesure qui, en appelant le peuple tout entier à manifester solennellement et librement sa volonté, n'a d'autre but que d'établir sur des bases inébranlables l'ordre et la République ». Toute manifestation « libre » ne devait pas cependant être permise. Le 16 du même mois, M. Thomas, professeur à Versailles, est révoqué pour avoir proteste contre les actes de décembre. Le 29, le cours de Jules Simon à la Sorbonne est suspendu. Le 12 avril 1852, Quinet, Michelet et Mickiewicz sont révoqués ; le 19 du même mois l'inspecteur Anot de Maizières est révoqué ; le 3 mai Villemain et Cousin sont admis à la retraite. Le décret dictatorial du 9 mars était, comme on voit, un instrument dont on savait se servir.

Cependant l'autorité de Fortoul se signalait dans d'autres directions. Des réformes scolaires profondes atteignirent à la fois, et à la même époque, les facultés, les lycées et l'Ecole normale supérieure.

C'est d'abord le nouveau plan d'études du 10 avril 1852, qui renferme entre autres innovations le système de la bifurcation. Système bien décrié : et cependant Fortoul avait vu juste, nous n'en voulons pour preuve que les observations contenues dans son rapport. « Le système d'enseignement légué par l'ancienne Université, disait-il, ne répond plus aux exigences de la société nouvelle ; on emprisonne dans le même régime des enfants appelés à des carrières toutes différentes. ; on voit trop souvent les esprits les mieux disposés pour l'étude des sciences retenus dans les lettres sans but et sans profit ».

Le malheur est que la séparation que l'on jugeait nécessaire entre les candidats aux lettres et aux facultés de droit et les candidats aux facultés de médecine, aux écoles spéciales et aux carrières de l'industrie et du commerce, ne remédiait à rien, non seulement, comme on l'a dit, parce qu'elle était trop hâtive, placée comme elle était après la classe de quatrième, mais par-dessus tout parce qu'elle était un expédient mort-né, fondé sur trois choses également irréalisables : la vocation précoce des enfants, la volonté résolue des pères de famille, l'adhésion sincère des maîtres. D'ailleurs on ne séparait pas, on juxtaposait ; les élèves ne pouvaient se diriger qu'au hasard, les professeurs avaient leurs habitudes prises et leurs répugnances.

Fortoul ne s'en tenait pas là : persuade que « les discussions historiques et philosophiques conviennent peu à des enfants » et qu'elles ne peuvent produire « que la vanité et le doute », il supprimait l'agrégation de philosophie, qui ne devait être rétablie que le 29 juin 1863 par Victor Duruy, et réduisait l'enseignement philosophique à la logique, aussi bien pour la section des lettres que pour la section des sciences. Par ce moyen, on rassurait» les alarmes des familles », et l'on préparait « de modestes professeurs et non des rhéteurs ». La politique s'adaptait ici aux réformes scolaires, et visait plus particulièrement l'Ecole normale supérieure, jadis suspecte à la Restauration et dont on se défiait.

En même temps, le régime des baccalauréats était profondément modifié, et le baccalauréat ès lettres cessait d'être obligatoire pour prendre inscription dans les facultés de médecine où, dit le rapport, « nos élèves n'en ont aucun besoin ». Par contre, les étudiants en droit étaient tenus de se faire inscrire à deux cours de la faculté des lettres ; ce qu'on n'obtint pas.

La circulaire du 22 mai 1852 laisse entrevoir du reste que la révolution que l'on venait d'opérer donnait lieu à de nombreuses objections. Pour réaliser « le divorce », pour conjurer des dangers qu'on qualifiait d'imaginaires, on invitait le personnel enseignant à observer les élèves, à pénétrer, par une sorte de divination presque infaillible, dans les ténèbres de leur avenir (sic). La circulaire du 18 avril 1855 nous renseigne, après trois ans d'épreuve, sur les résultats obtenus : leur médiocrité est constatée dans les sciences et dans les lettres, les « pratiques vicieuses » persistent, et l'on invite les recteurs à « combattre avec opiniâtreté les derniers restes des routines et de la grossière ignorance d'un régime dont les inconvénients devenaient intolérables ».

Ce décret du 10 avril 1852, avec le décret du 9 mars 1852 et la loi de 1854, sont les trois actes principaux de l'administration de Fortoul : on sait ce qu'il en. reste.

Dans son éloge de M. Fourtoul, le maréchal Vaillant ne limite pas à ces trois actes l'oeuvre de son prédécesseur. Il signale encore l'introduction de l'enseignement de l'agriculture dans les écoles primaires (Arrêté du 3 juillet 1852 en exécution de l'art. 23 de la loi de 1850 ; Circulaire du 18 avril 1855 ; Rapport du 16 février 1856) ; l'institution des salles d'asile (Décret du 16 mai 1854 : les salles d'asile sont placées sous la protection de l'impératrice ; même date, formation d'un comité central de patronage) ; la création de nouvelles facultés, la réorganisation du Comité des travaux historiques, l'institution d'une nouvelle section à l'Académie des sciences morales et politiques. Enfin, dans le domaine des cultes, la cession du Panthéon à l'Eglise catholique et la réorganisation des cultes protestants.

Cette nomenclature est incomplète, et, en ce qui touche spécialement l'instruction primaire, nous rappellerons : 1° la loi du 9 juin 1853 sur les pensions civiles, qui admet enfin les instituteurs dans le cadre des fonctionnaires ayant droit à pension. Il y a là un bienfait ; — 2° le décret du 31 décembre 1853, qui institue les suppléants à 400 et 500 fr., réglemente les écoles de filles, prévoit l'allocation d'indemnités supplémentaires aux instituteurs après cinq et dix ans de service, admet les institutrices à diriger les écoles mixtes, et confère au recteur (au préfet, après la promulgation de la loi du 14 juin 1854) le droit d'arrêter la liste des élèves gratuits (Circulaires des 31 janvier 1854, 2 et 28 février 1855) ; — 3° les instructions générales du 31 octobre 1854 aux préfets et aux recteurs sur les attributions particulières de chacun de ces fonctionnaires. Si le préfet a la solution des questions « souvent politiques, presque toujours administratives, que soulèvent la nomination et la révocation des instituteurs, » le recteur reste le magistrat spécial de l'enseignement. Il faut exclure de l'enseignement le luxe et y chercher l'utilité pratique ; la loi de 1850 l'a sagement circonscrit. Ces instructions furent communiquées aux évêques le même jour : on réclame le concours de l'épiscopat « pour former des hommes honnêtes et religieux en même temps qu'utiles et dévoués aux institutions qui ont garanti la sécurité du pays. L'action du pouvoir civil a besoin d'être complétée par l'action féconde de l'autorité religieuse » ; — 4° le règlement pour l'administration et la comptabilité intérieure des écoles normales primaires.

Signalons encore, parmi les actes de Fortoul, la réorganisation de l'enseignement du dessin dans les lycées et collèges, et l'initiative de diverses publications telles que le Recueil des inscriptions de la Gaule et de l'Algérie ; les Chants populaires de la France ; la Collection des vieux poètes français ; le Catalogue de la Bibliothèque impériale.

Armand Dumesnil