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Formey

Jean-Henri-Samuel de Formey naquit à Berlin le 31 mai 1711 d'une famille de réfugiés français. Pasteur évangélique à Brandebourg à l'âge de vingt ans, puis professeur d'éloquence et de philosophie au collège français de Berlin, lié de bonne heure avec les personnages les plus distingués, il publia ou dirigea d'importantes collections littéraires, fonda le Journal de Berlin sous les auspices de Frédéric II (1740), devint directeur de la classe de philosophie de l'Académie de Berlin, et mourut en 1797 doyen de cette compagnie. Il a beaucoup écrit sur des sujets d'histoire, de philosophie, de littérature, d'histoire ecclésiastique, etc. Il fit la guerre aux philosophes et en particulier à Rousseau. 8a polémique contre Jean-Jacques en matière de pédagogie donna naissance à deux ouvrages par lesquels il est surtout connu chez nous.

C'est d'abord l'Anti-Emile (1762, Berlin), réfutation de l'Emile de J.-J. Rousseau sous la forme d'observations détachées et de remarques critiques, suivant pas à pas l'édition princeps de l'Emile en quatre volumes. En 1764, il donna son Emile chrétien, sorte d'édition expurgée et tronquée de l'Emile, dans laquelle la profession de foi du vicaire savoyard est remplacée par un exposé de doctrine tout contraire.

Voici quelques détails sur l'Anti-Emile. Le livre est dédié au prince Ferdinand, frère du roi de Prusse, et porte comme épigraphe ces mots: «Tais-toi, Jean-Jacques ! » malignement empruntés à une scène que Rousseau raconte dans son Emile. Négligeons les traits de satire mordante et venimeuse que Formey prodigue contre la personne de Rousseau (« Toi qui condamnes les autres, qui es-tu ?» — « Va chercher tes coquins ailleurs, coquin toi-même »), pour indiquer les principales critiques portant sur les doctrines elles-mêmes. Il ne faut pas « choisir, ainsi que le veut Rousseau, entre faire un homme et faire un citoyen », car, dit Formey, « la nature n'est que l'aptitude à recevoir les institutions sociales ». Selon Rousseau, « le grand secret de l'éducation, c'est de savoir perdre du temps» ; à quoi Formey réplique : « En arrêtant trop longtemps l'enfant dans ces avenues chimériques, vous ferez qu'il ne sera plus bon à rien ». L'emmaillotement, proscrit dans l'Emile, est loué dans l'Anti Emile. Rousseau veut qu'on ne châtie pas les enfants avant qu’ils « puissent connaître leurs fautes, ou plu tôt en commettre » ; Formey tient, au contraire, qu'il faut détruire chez l'enfant « par rigueur, en le frappant même », les mauvais germes et les répugnances qui plus tara lui seraient préjudiciables. Il s'élève fortement contre l'idée de laisser oisives le plus long temps possible les facultés de l'enfant et de n'exercer d'abord que ses membres et ses sens ; plus encore contre l'idée de ne parler de Dieu à l'enfant qu'à dix-huit ans. Dans le cinquième livre de l'Emile (qui traite de l'éducation des filles), Formey blâme Rousseau d'assujettir trop la personne morale de la femme, d'en faire un être passif, surtout en ce qui regarde la religion. Les conclusions de l'Anti-Emile sont d'une sévérité outrée : l'Emile y est donné pour un ouvrage entièrement chimérique, un répertoire de maximes subversives, un « code d'arrêts flétrissants pour le genre humain ». Formey ne reconnaît à Rousseau que le mérite de quelques observations justes, « mais qui ne sont pas neuves ». Il est, d'ailleurs, persuadé que « l'éducation est généralement sur un bon pied ». Rousseau, dans une réédition de l'Emile faite à Deux-Ponts, riposta par quelques notes ironiques, où il appela Formey un « esprit borné». Ce jugement sommaire de Jean-Jacques sera confirmé, croyons-nous, par ceux qui prendront la peine de feuilleter le livre du pasteur berlinois.

Paul Souquet