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Extension universitaire

La forme d'enseignement populaire supérieur que l'on désigne sous le nom d'Extension universitaire a pris naissance et s'est développée dans les pays anglo-saxons. Des tentatives récentes pour l'acclimater dans notre pays n'ont pu aboutir. Il n'est pourtant pas sans intérêt de les rappeler, car il est arrivé maintes fois, on le sait, qu'un essai, avorté à un moment, ait été plus tard repris avec succès.

A l'Exposition universelle de 1889, les envois du Cercle littéraire et scientifique de Chautauqua furent très remarqués, et les éducateurs de profession étudièrent avec un intérêt particulier cet institut d'enseignement supérieur du peuple. Peu après parurent des publications et des articles de revue qui firent connaître à la France ce que les Anglais appellent University Extension. Voici la définition qu'en donnait M. Max Leclerc : « Des gradués des universités, des hommes ayant ou non pour profession d'enseigner, mais ayant tous directement participé à la haute culture universitaire, ayant tous, au moins pour un temps, assisté et pris part à l'élaboration de la science, ont voulu communiquer à de moins favorisés non seulement le savoir acquis par eux, mais aussi cette noble allégresse que communique la conquête de la vérité par l'effort personnel. Ils ont voulu tenter cette entreprise, en apparence irréalisable et pourtant réalisée, de faire goûter à ceux qui peinent tout le jour pour gagner le pain quotidien. la noble et pure joie de la culture désintéressée de l'intelligence. »

Il se trouva que, vers ce temps, on se préoccupait très fort chez nous de prolonger l'action de l'école au delà de l'enfance : en février 1895, une sorte de mission d'inspection générale était confiée à M. Edouard Petit pour étudier dans tout le pays les moyens propres à favoriser un nouvel essor de la seconde éducation du peuple ; et, en même temps, M. F. Buisson instituait sur I éducation des adultes en Angleterre une enquête dont les résultats furent publiés, en 1896, avec une préface de sa main. D'autre part, la loi du 10 juillet 1896, en constituant les universités, modifiait profondément les conditions d'existence de notre enseignement supérieur et lui ouvrait des voies nouvelles. L'éducation populaire, à cette heure à l'ordre du jour, ne lui offrait-elle pas l'occasion de développer l'action plus large qui lui avait été rendue possible? Nos universités rajeunies ne pouvaient-elles pas déterminer et diriger un mouvement analogue à la University Extension ? C'était là une question qui se posait d'ellemême, et l'on vif, en effet, se produire quelques tentatives pour la résoudre.

Prendre contact avec le peuple n'était pas, au reste, une nouveauté pour les professeurs de l'enseignement supérieur. On sait qu'au temps de Duruy, ils avaient fait très volontiers des cours publics dans les villes de leur ressort, et, depuis cette époque, ils répondaient aux invitations qui leur étaient adressées de donner des conférences pour le grand public. Sur certains points, à Clermont par exemple, ils devançaient même ces invitations et prenaient l'initiative d'organiser des séances en dehors de leurs leçons officielles, tantôt dans la ville où ils enseignaient, tantôt dans les villes voisines. A Clermont, en 1894, cinq professeurs des facultés s'étaient mis en rapports avec l'Union des syndicats ouvriers et, à la suite d'une entente, ils avaient fait dans la salle des syndicats une série de leçons auxquelles avaient été conviés non seulement les syndiqués, mais en général les ouvriers et leurs familles.

N'y avait-il pas là des germes d'extension universitaire? N'était-il pas permis d'espérer qu'ils pourraient fructifier et grandir?

La Société d'enseignement supérieur, siégeant à Paris, se trouvait indiquée pour devenir un centre d'action : elle ne manqua pas à son rôle. Dans sa séance du 16 mai 1897, elle rédigea un questionnaire sur l'extension universitaire et le fit parvenir à toutes les universités provinciales. Un an après, les réponses ayant été centralisées et examinées, elle approuvait dans sa séance du 27 mars 1898 un rapport qui contenait comme le programme de l'oeuvre à entreprendre. Ce document se terminait par une suite de propositions admises par la société et dont nous reproduisons les plus importantes : « 1° Il est utile d'organiser en France une extension universitaire, dont l'objet sera la diffusion de l'enseignement par l'action des universités ; 2° cette extension ne sera ni centralisée, ni revêtue d'aucun caractère officiel ; 3° elle fera appel principalement aux membres de l'enseignement secondaire et primaire ; 4° elle donnera à un auditoire aussi homogène que possible un enseignement général ou spécial, mais, en principe, dans des cours suivis et payants, en vue des résultats et de l'indemnité due aux professeurs, sauf à réduire les frais d'inscription pour plusieurs cours, pour certaines catégories de fonctionnaires ; 5° elle s'étendra aux diverses localités de la circonscription universitaire. ; 8° elle sera placée sous la direction de l'université, qui ne peut prêter son nom, son personnel qu'à ce titre. ; 10° elle revêtira un caractère exclusivement scientifique et vulgarisateur, à l'exclusion de toute polémique politique ou religieuse ».

Il semblait qu'un bon accueil pouvait être réservé à ces propositions ; l'extension universitaire avait été déjà mise en pratique sur certains points (Caen, Clermont, Grenoble, Lille, Nancy) pendant l'année scolaire 1897-1898. Pourtant, elles ne furent adoptées, du moins à notre connaissance, que par le Groupe bourguignon d'enseignement supérieur (séance du 12 juillet 1898). Furent-elles même discutées ailleurs? Nous l'ignorons.

Peut-être s'était-on ému des objections qui se produisirent de divers côtés. L'entreprise, à vrai dire, n'allait pas sans difficultés. Des difficultés matérielles d'abord : les professeurs des facultés, en se déplaçant pour se rendre dans les diverses villes de la région, perdraient du temps et auraient à faire des dépenses d'argent ; qui les en indemniserait ? la rétribution demandée aux auditeurs? Mais était-il rien de plus aléatoire? En Angleterre, les professeurs de la University Extension sont rétribués pour la tâche qu'ils font et qui leur vaut des émoluments de 8000 à 10 000 francs. Or, pouvait-on songer à rien de pareil en France? En, outre, une objection plus grave, objection de principe' était formulée par M. Espinas. Tout en admettant qu'il y a quelque chose à faire pour l'éducation du peuple, que les conférences peuvent servir à la vulgarisation des généralités des sciences humaines, que le professeur d'université peut jouer un rôle utile en donnant, dans la ville où il réside, des conférences de cette nature, il se refusait à penser qu'il fût possible de faire accéder les classes populaires à l'enseignement supérieur. Il lui semblait qu'une formule chère aux Anglais : to popularise and to deepen, impliquait contradiction. « La vulgarisation, disait-il, vit de sacrifices, elle n'approfondit pas, elle vide. »

Il y a quelque apparence que cette opinion de M. Espinas était partagée par beaucoup de ses collègues, et, sans chercher plus loin, cette raison suffirait à expliquer comment l'extension universitaire ne s'est pas généralisée en France. Mais il est de ce fait une autre explication : en 1898, la première université populaire était créée et, tout de suite, cette création provoquait des imitations nombreuses. Convenait-il que les universités officielles fissent en quelque façon concurrence à ces institutions nées de l'initiative privée? Ne pouvait-on pas craindre aussi que, s'il y avait un double enseignement, il n'y eût double emploi en bien des occasions?

Ce qui n'est pas douteux, c'est que, du moment où apparaissent les universités populaires, l'extension universitaire perd du terrain. La question fut pourtant discutée au Congrès de l'enseignement supérieur tenu pendant l'Exposition universelle de 1900, car elle avait, été naguère mise à l'ordre du jour. Mais, en lisant les procès-verbaux, on a l'impression qu'on ne la considéra pas comme une question d'intérêt actuel et vivant. L'événement ne l'avait-il pas déjà à demi enterrée?

De là il ne faudrait pas conclure que les membres de l'enseignement supérieur se désintéressent de l'éducation du peuple. On voit, au contraire, qu'ils y collaborent volontiers, et ils figurent en grand nombre dans le groupe des conférenciers populaires ; surtout, de jour en jour, ils se rapprochent davantage des membres de l'enseignement primaire, les attirent autour de leurs chaires, les encouragent, les dirigent, leur facilitent l'accès des hautes méthodes. Mais cette participation à l'éducation du peuple est individuelle et indirecte. Quant à faire exercer par les universités une direction immédiate, une action collective sur l'enseignement des classes laborieuses, c'est, semble-t-il une entreprise qui, à l'heure présente, est ajournée indéfiniment, sinon abandonnée pour toujours.

Bibliographie.Rapport sur l'Exposition universelle de 1889, par 13. BUISSON (Le Cercle littéraire et scientifique de Chautauqua), Paris, Imprimerie nationale, 1897. — Articles de A. CHEVALLEY dans l'Université de Paris (décembre 1890) et la Revue pédagogique (décembre 1890). — Max LECLERC, L'EDucation et la Société en Angleterre, Paris, 1894, 2 vol. — L'Education populaire des adultes en Angleterre, avec préface de F. BUISSON, Paris, Hachette, 1896.— Revue internationale de l'enseignement (années 1898, 1899, 1900, passim).

Congrès de l'Enseignement supérieur, Procès-verbaux sommaires, par F. PICAVET. Paris, Imprimerie nationale, 1901.

Maurice Pellisson