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Expériences

L'introduction des notions de sciences physiques et naturelles dans les programmes de l'enseignement primaire à tous les degrés a été l'une des innovations les plus heureuses accomplies en faveur de l'éducation populaire.

On sera fort étonné plus tard qu'il ait fallu tant de temps chez nous pour réaliser un progrès que tout le monde réclamait et dont les pays voisins nous avaient donné l'exemple.

Comprend-on, en effet, qu'un enfant qui, de six à treize ans, a fréquenté assidûment l'école, ait été systématiquement maintenu étranger, par le genre d'études qui lui est imposé, au monde matériel qui l'entoure? Comprend-on que les phénomènes naturels dont il est journellement le témoin soient demeurés pour lui lettre morte ; qu'on ne lui ait jamais parlé qu'indirectement ou accidentellement des minéraux, des plantes, des animaux avec lesquels il est sans cesse en contact? Cependant, la science de la nature a, comme les autres sciences, une partie élémentaire, accessible aux intelligences les moins cultivées. Pourquoi ne figurait-elle à aucun titre dans le programme des écoles primaires?

Les raisons que l'on donnait pour justifier cette exclusion, tout le monde en connaît la valeur. Il y avait, sans aucun doute, une difficulté à résoudre ; mais était-elle vraiment insurmontable? Les maîtres nous manquent, nous disait-on ; où sont les instituteurs capables de donner des idées justes aux enfants sur la physique, la chimie et l'histoire naturelle? Ce sont des sciences que la plupart d'entre eux n'ont point apprises ; comment pourraient-ils les enseigner?

Il y a là un cercle vicieux : si beaucoup de maîtres ne se sont pas trouvés, au début, en état de suffire aux exigences, bien minimes pourtant, de cet enseignement élémentaire, c'est qu'ils n'avaient pas autrefois mission de le donner, c'est qu'il n'en était fait aucune mention dans les matières du brevet de capacité. En réalité, il a suffi de faire appel à leur zèle, de provoquer, en les encourageant, les efforts individuels, pour qu'aussitôt de simples instituteurs de campagne, des institutrices, dont quelques-unes avaient déjà vieilli dans l'enseignement, aient eu le courage de se mettre à l'oeuvre et la patience d'acquérir et de s'assimiler les connaissances qui leur manquaient.

Dans les cours les plus élémentaires, cette forme d'enseignement qu'on a nommée, improprement peut-être, leçons de choses, s'est promptement acclimatée chez nous au grand profit de l'éducation intellectuelle des enfants. Appliquées, au début, à la vulgarisation des notions historiques et de la géographie, les leçons de choses se sont bien vite attaquées aux questions de sciences usuelles, et elles sont devenues aujourd'hui un exercice régulier dans les petites écoles.

Nous n'affirmerions pas, à coup sûr, que cette sorte d'entretien familier entre le maître et l'élève, qui caractérise la leçon de choses, soit toujours bien conçu, qu'il soit mis partout à la portée des jeunes intelligences, qu'il ne puisse ici ou là introduire des idées fausses dans des esprits peu formés ; mais le point essentiel est acquis : on est entré dans une voie nouvelle qui ne peut manquer d'être féconde en résultats utiles ; le monde de la nature n'est plus un monde fermé pour les petits enfants.

Une autre difficulté se présentait. Pour parler histoire, littérature, etc., il suffit d'avoir de bons livres en sa possession et de savoir en extraire, avec tact et mesure, tout ce que les enfants peuvent apprendre et s'assimiler. Pour l'enseignement des sciences physiques et naturelles, le livre ne suffit plus ; son emploi exclusif est même dangereux. Le maître ne sera compris de ses élèves qu'autant qu'il placera sous leurs yeux les objets dont il leur parle ; s'il ne les possède pas en nature, il devra en montrer les modèles ou les dessins ; à défaut de dessin, il ira lui-même au tableau noir tracer à la craie leur forme générale et leurs détails les plus essentiels. Un enseignement scientifique élémentaire n'a de valeur qu'autant qu'il se transforme en un enseignement par les yeux. Cette nécessité a été si bien comprise qu'on voit aujourd'hui les musées scolaires s'organiser partout : et ici, il n'y a ni grands efforts à faire, ni grandes dépenses à prévoir : le maître qui a de la bonne volonté peut facilement, avec le concours de ses élèves et celui des familles, réunir en peu de temps tous les éléments d'un musée scolaire sinon complet, au moins suffisant.

Ainsi, en ce qui concerne le petit enseignement scientifique représenté par la leçon de choses, la difficulté signalée plus haut, celle des collections coûteuses à acquérir, des appareils délicats à se procurer, n'existe pas en réalité.

Quant au cours supérieur des écoles primaires, l'enseignement donné doit y être tout autre. La leçon de choses ne suffit plus, ou du moins elle doit se transformer. On s'adresse à des enfants de douze à treize ans dont la curiosité a déjà été éveillée, dont l'esprit d'observation a été mis en jeu. La physique, la chimie et l'histoire naturelle réduites à la partie descriptive ne satisfont plus l'esprit de l'auditeur. Le maître est cette fois conduit à donner à l'élève des explications raisonnées sur les phénomènes naturels ; et il ne le peut avec succès qu'en recourant à un nouveau procédé de démonstration, en recourant aux expériences.

Quand on se sert de quelques objets pris dans le musée scolaire pour Fendre la leçon plus intéressante ou plus instructive, l'enfant ne voit guère que les caractères extérieurs des corps qu'on lui présente ; mais s'il est un peu avancé, son esprit va au-delà. Il se demande si ces substances qu'on met sous ses yeux se conservent telles quelles quand on les chauffe, quand on les met au contact de substances de nature différente. Il se demande comment on peut séparer les éléments constitutifs de cette matière que le maître a dit être composée? Comment, inversement, on peut parvenir à la reconstituer à l'aide de ces mêmes éléments. Cette fois le maître, s'il veut fournir des explications, ne sera compris par l'élève qu'autant qu'il aura sous la main des instruments, des appareils qui lui permettront de faire réagir dans des conditions déterminées les corps dont il s'occupe ; il devra, en un mot, avoir recours à de véritables expériences.

Dans le cours élémentaire des sciences physiques et naturelles professé à l'école primaire, il y a donc, selon nous, deux façons bien distinctes de procéder. La première s'applique à la division des petits et des moyens. Là le musée scolaire est utilisé ; il permet d'appeler l'attention des enfants sur les corps qu'ils voient tous les jours, sur leur origine, leur extraction, leur utilité dans la vie. La leçon de choses ne comporte pas des explications détaillées et surtout complètes. Quelques petites expériences y sont seules possibles : on montre par exemple l'effervescence que subit le calcaire quand on le met en contact avec le vinaigre ; l'absence d'action de ce même acide sur les roches siliceuses, etc. Mais, quoiqu'il fasse, le maître est obligé de recourir, dans la majorité des cas, à des affirmations qu'il ne peut justifier ; l'élève doit le croire sur parole. C'est le côté descriptif qui domine, et ce genre d'enseignement convient tout spécialement aux jeunes enfants que la légèreté naturelle à leur âge rend peu propres à suivre un long raisonnement.

Dans le cours supérieur de l'école primaire ou dans l'école primaire supérieure, la méthode à suivre est un peu différente ; ce sont de véritables explications logiquement déduites des faits connus qu'il faut donner à cet auditoire plus avancé ; et, cette fois, les expériences deviennent le complément nécessaire de la théorie ; ajoutons même que dans bien des cas elles doivent la précéder.

Le maître doue du sens pédagogique attaquera toujours les questions par le côté expérimental. Quand l'expérience aura été réalisée devant les élèves, il se fera rendre compte par eux de ce qu'ils ont vu, de ce qui les a le plus frappés ; il appellera leur attention sur tel ou tel détail qui aurait pu leur échapper. Dans quelques cas, une seconde, une troisième expérience convenablement choisies viendront compléter et expliquer ce que la première pouvait laisser, dans l'esprit, d'insuffisant ou d'obscur.

Prenons un exemple : le professeur doit aujourd'hui parler à ses élèves de la dilatation des corps par la chaleur. Va-t-il leur dire tout d'abord le sens précis des mots dilatation, coefficient de dilatation"? Va-t-il énoncer, dès le commencement de la leçon, les lois générales de ce phénomène ? Non, mille fois non. L'élève qui entend parler de tout cela pour la première fois ne retiendrait que des mots et n'aurait acquis aucune idée nouvelle ; mais, au lieu de procéder ainsi, exécutez devant lui l'expérience très simple que voici : Une tige de fer posée au fond d'une cuve rectangulaire ouverte par le haut bute par l'une de ses extrémités contre un arrêt fixe ; son autre bout s'appuie contre le petit bras d'un levier coudé mobile, dont le grand bras sert d'aiguille et se meut sur un cadran (c'est l'appareil bien connu qu'on nomme pyromètre à cadran). Au début de l'expérience, l'aiguille correspond au zéro du cadran ; à ce moment, versez de l'eau bouillante dans la cuve. Aussitôt l'aiguille se mettra en mouvement, indiquant ainsi que l'extrémité libre de la tige' de fer s'est déplacée. Demandez alors à l'enfant quelle est la conclusion qu'il tire de cette expérience. Elle prouve, vous répondra-t-il, que le fer s'allonge quand on le chauffe. Une seconde question se présentera naturellement à son esprit ; et, si elle ne se présentait pas, le maître la ferait naître par des remarques convenablement choisies. La propriété d'allongement par la chaleur est-elle spéciale au fer ? Le maître aura recours alors à une seconde expérience : il substituera successivement dans le pyromètre à cadran, à la tige de fer, des liges de même longueur de cuivre, d'étain et de zinc, et il reproduira chaque fois, dans les mêmes conditions, l'expérience que nous venons de décrire. L'élève constatera alors deux faits nouveaux :

1° La faculté de s'allonger par la chaleur appartient à tous les métaux ;

2° Toutes les autres conditions restant les mêmes, la grandeur de l'allongement varie d'un métal à l'autre ; ainsi, il est plus grand pour le zinc que pour l'étain, plus grand pour l'étain que pour le cuivre, pour le cuivre que pour le fer, etc.

Demandez alors à l'enfant s'il estime que la question a reçu, par le fait des précédentes expériences, une solution complète. Dans le cas où il donnerait une réponse affirmative trop prompte, vous l'amènerez facilement à remarquer qu'il reste encore un point à élucider. L'accroissement d'un métal, quand on le chauffe, s'est effectué dans le sens de la longueur. Voilà ce que l'expérience du pyromètre à cadran a montré ; mais cet accroissement se manifeste-t-il aussi suivant les autres dimensions ? Vous tâcherez de lui faire comprendre qu'étant donnée l'homogénéité parfaite de structure du métal, il est probable que la chaleur agit également dans tous les sens ; pourtant une expérience complémentaire ne sera pas inutile. Vous aurez recours alors au petit appareil connu partout sous le nom d'anneau de St Gravesande.

Il ne sera pas nécessaire d'exécuter devant lui une expérience nouvelle pour prouver que lorsque le volume initial du métal choisi est double, triple, etc. l'accroissement total qu'il éprouve pour le même échauffement est aussi double, triple, etc., en d'autres termes que l'accroissement subi est proportionnel à la longueur initiale. L'élève vous croira facilement sur parole, parce qu'il se rendra aisément compte de la manière dont l'expérience propre à le démontrer aurait été conduite.

En résumé, vous aurez amené l'élève pas à pas, à l'aide d'une méthode expérimentale rigoureuse, à formuler les conclusions suivantes dont la démonstration ne laissera plus aucun doute dans son esprit :

1° Les corps soumis à l'action de la chaleur augmentent de volume, se dilatent.

Vous lui ferez remarquer que ce dernier mot est le mot technique. Il pourra par suite donner lui-même la définition du mot dilatation ;

2° Cette dilatation a lieu dans tous les sens ;

3° Elle est proportionnelle au volume primitif du corps et à l'échauffement auquel on le soumet ;

4° La dilatation varie avec chaque substance ; elle atteint pour chacune une valeur déterminée qui représente l'un de ses caractères distinctifs.

Ces principes bien établis et bien compris, il sera facile au maître de conduire son élève par le raisonnement à la notion du coefficient de dilatation d'un corps et à lui faire sentir l'importance de ce coefficient au point de vue des applications.

L'exemple de leçon que nous avons choisi ne se rapporte pas à un de ces cas particuliers qu'on peut appeler exceptionnels ; la plupart des questions de physique et de chimie peuvent être traitées de la même façon. Remarquons toutefois que ces expériences que nous venons de décrire, et que l'on peut nommer expériences de démonstration, ne sont pas les seules à utiliser dans l'enseignement. Les expériences de vérification sont aussi d'un emploi fréquent, et il est souvent avantageux d'y recourir. Vous venez de faire une leçon sur le principe d'Archimède ; vous l'avez établi à l'aide d'expériences bien coordonnées. Du principe démontré, vous déduisez par un raisonnement simple cette conséquence immédiate (ce n'est au fond qu'un autre énoncé de la même loi), que le nombre qui exprime la perte de poids d'un corps dans l'eau exprime en même temps son volume en unités correspondantes. C'est important à vérifier. Or, rien n'est plus facile que de réaliser une expérience qui prouve directement la vérité de ce nouvel énoncé, et cela sans recourir à un appareil compliqué. Nous laissons au lecteur le soin de l'imaginer.

Telle est en définitive la part importante qui appartient aux expériences, soit dans le cours supérieur de l'école primaire, soit à l'école primaire supérieure, soit en première et en seconde année d'école normale. A ces trois degrés de l'enseignement primaire, les expériences doivent (à un degré variable, bien entendu) servir de point de départ et de mode de démonstration dans les leçons qui se rapportent aux sciences physiques et naturelles. Plus rarement, mais fort utilement quelquefois, elles fourniront aussi un mode utile de vérification des conséquences que le raisonnement a permis de tirer des expériences fondamentales.

A l’encontre de ce que nous venons de dire, on ne manquera pas d'objecter que pour exécuter des expériences il faut des instruments, et qu'à celte heure les cabinets de physique et les laboratoires de chimie sont très peu répandus dans les établissements primaires. Nous répondrons, en premier lieu, que la difficulté soulevée n'existe nullement en ce qui concerne les écoles normales. Grâce à la générosité des pouvoirs publics, elles sont toutes aujourd'hui (écoles normales de garçons, écoles normales de filles) largement pourvues du matériel scientifique que réclame un bon enseignement.

D'autre part, les écoles primaires supérieures ne reçoivent de subvention de l'Etat qu'à la condition d'avoir acquis tous les appareils et instruments de démonstration expérimentale qu'exige un règlement spécial. C'est une garantie sérieuse que le matériel scientifique y sera convenablement représenté.

L'objection ne porte donc en réalité que sur les écoles primaires proprement dites. Il est en effet impossible de songer à l'acquisition d'un cabinet de physique, de collections d'histoire naturelle, et à l'installation d'un laboratoire de chimie dans chaque école primaire urbaine ou rurale. L'énormité de la dépense empêchera longtemps encore d'entrer dans cette voie. Que doit-on faire alors? Tourner la difficulté. On supplée au cabinet de physique qui manque par l'agencement simple et peu coûteux des objets les plus usuels. Un verre à boire, une casserole de fer étamée, un verre de lampe, un boulon de charrette, etc., peuvent dans bien des cas et avec un peu d'adresse servir à de très bonnes expériences de physique. Des indications ingénieuses dans ce sens ont déjà été données dans certaines publications périodiques. Il y a surtout à consulter, en cette matière, le livre de M. René Leblanc où l'on trouve la description d'un cabinet de physique et d'un laboratoire de chimie à l'usage d'une école primaire. La collection proposée renferme tout ce qu'il faut pour réaliser les expériences les plus essentielles : et cependant la somme à dépenser ne dépasse pas une cinquantaine de francs.

Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on peut même reproduire devant un nombreux auditoire d'excellentes expériences sans appareils spéciaux ; si le maître possède un peu le feu sacré et si l'intelligence et l'adresse des mains ne lui font pas défaut, il devient constructeur d'instruments à son heure et constructeur très convenable. On habitue aujourd'hui, dès l'école normale, les élèves-maîtres, nos futurs instituteurs, à construire eux-mêmes sous la surveillance de leurs professeurs les appareils dont ils se serviront plus tard dans leurs leçons de l'école primaire. C'est à l'école normale qu'ils doivent apprendre à utiliser les ustensiles les plus vulgaires, ceux que l'on trouve dans tous les ménages, en vue d'un enseignement expérimental des sciences physiques.

Nous indiquerons un dernier procédé qui peut rendre de grands services à l'enseignement populaire des sciences. Nous voulons parler du procédé des projections. Il remplace, dans une certaine mesure, les expériences que la pénurie des moyens dont l'instituteur dispose rend trop souvent irréalisables. Le maître trace à 1 avance au crayon noir sur une lame de verre, recouverte d'un vernis convenable, le dessin et la coupe des appareils qu'il ne possède pas, mais qu'il veut faire connaître à ses élèves. Ce dessin et cette coupe, il a pu les copier ou même les calquer sur les figures d'un livre. La lame de verre, introduite ensuite dans cette sorte de lanterne magique qu'on nomme l'appareil à projections, fournit, sur un écran placé à distance, l'image agrandie et très nette du dessin qu'elle porte. Toute une classe peut ainsi se rendre compte des détails de l'instrument nouveau que le maître décrit en même temps qu'il en projette l'image. L'instrument ne fonctionne pas évidemment sous les yeux des élèves, mais s'il est figuré sur l'écran aux différents moments de sa marche effective, les élèves comprendront facilement l'expérience dont on eût voulu les rendre témoins. L'appareil à projections est aujourd'hui d'un prix très réduit, et la source lumineuse qu'il utilise peut être quelconque : lampe à pétrole, lampe modérateur, etc. ; son emploi, déjà fréquent dans les cours d'enseignement supérieur et d'enseignement secondaire, tend a se généraliser de plus en plus. Nous le posséderons bientôt dans un bon nombre de nos établissements d'instruction primaire.