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Exercices scolaires (oraux et écrits)

Il ne s'agit pas d'entrer ici dans le détail des exercices afférents à toutes les branches de l'enseignement. Nous ne voulons que marquer en peu de mots l'importance des exercices en général, le rôle respectif des exercices oraux et des exercices écrits, avec les caractères propres à chacun de ces deux genres, et qu'il convient de leur maintenir.

Les exercices, sur lesquels on insiste tant aujourd'hui, ne sont pas une institution nouvelle : il y en a toujours eu ; mais ils étaient conformes à l'esprit des méthodes régnantes. Quand toute l'éducation, dans l'ordre moral comme dans l'ordre intellectuel, visait surtout à façonner l'homme du dehors, si l'on peut ainsi parler, plutôt qu'à le. « construire en dedans » et avec son propre concours de plus en plus actif, il était naturel de concevoir et d'organiser les exercices comme une pratique extérieure et presque machinale. Copier beaucoup, faire d'innombrables dictées d'orthographe, résoudre à outrance des problèmes, multiplier les analyses grammaticales et logiques, apprendre par coeur toute la grammaire, etc., c'était l'occupation à peu près exclusive de plusieurs années : et quelles années! celles où tout l'homme se dessine définitivement dans ses principaux traits.

Tout ce travail n'était pourtant pas sans raison ni sans fruit ; outre qu'il contribuait à procurer les instruments indispensables de toute instruction, il cultivait certaines aptitudes de l'esprit, mais dans le sens le plus formel, le plus rapproché du simple mécanisme : ainsi du raisonnement et de la faculté d'analyse, qui se mouvaient indéfiniment dans le cercle étroit des problèmes d'arithmétique ou de grammaire.

Aujourd'hui que l'éducation se propose nettement une fin plus élevée et plus complète, à savoir de cultiver chacune des facultés, au lieu de fournir une simple provision de connaissances, et, à l'aide des diverses facultés, d'instituer l'esprit lui-même, de l'amener à se posséder et à se diriger, de faire en lui la lumière, le mouvement, la vie, — les méthodes, en visant ainsi plus profond, réclament et ' enfantent d'elles-mêmes des exercices plus spirituels, plus en dedans, plus variés aussi et plus féconds. On a donné une importance considérable à la parole, vivante et libre, du maître ; peut-être même la réaction contre l'usage du livre en classe a-t-elle été trop loin ; mais on a raison de vouloir qu'en arithmétique, en histoire, en morale même, le maître interprète à sa façon, en son langage, selon qu'il la comprend ou la sent, la leçon du jour ; on le détourne de s'en reposer sur le manuel ; tout doit passer par son esprit et par ses lèvres avant d'arriver à l'élève.

Rien de mieux : mais plus on donne de place à l'enseignement personnel du maître, plus il importe de le définir, de l'éclaircir, de le fixer dans l'intelligence de l'enfant par l'exercice, écrit ou oral. Cet exercice, à son tour, aura le même caractère que l'on entend imprimer à la leçon du maître ; il sera le moins mécanique possible : il mettra en jeu l'initiative de l'élève ; sans négliger le secours de la mémoire, ni l'appui des règles précises et bien apprises par coeur, il fera incessamment appel à la spontanéité originale de l'enfant, à sa faculté de se représenter, de combiner, de raisonner, de juger, d'aimer, d'admirer. L'instituteur ne se sentira chaque jour en règle avec lui-même que si la leçon orale, l'interrogation, la récitation, ou tel autre exercice oral, ainsi que les travaux écrits, ont concouru tous ensemble à augmenter l'approvisionnement de connaissances de l'enfant et à développer chez lui certaines qualités, certaines forces intellectuelles ou morales. Tout enseignement qui, dans toutes ses parties et avec tous ses moyens auxiliaires, n'est pas conçu en vue de cette haute fin, est infidèle au principe libéral, éminemment naturel, humain, qui fait le Irait distinctif de la pédagogie moderne.

M. Dupanloup a dit quelque part : « Ce que le maître fait n'est rien ; ce qu'il fait faire est tout ». L'assertion est excessive dans sa forme paradoxale ; car la personne du maître, ce qu'il dit, ou mieux ce qu'il est, et qui se traduit dans son enseignement et dans son exemple, c'est toujours le grand, l'incomparable moyen d'action ; mais au fond, la pensée est vraie : l'action du maître ne se définit, ne se confirme, ne s'achève que par ce qu'il fait faire à l'élève. Dogmatiser, exposer, enseigner, bien enseigner, avec ordre, avec clarté, avec netteté, avec précision, c'est une première qualité assurément : et combien difficile à acquérir! Mais aller, par un questionnement habile, chercher l'esprit de l'enfant au point juste où il se trouve, afin de l'aborder plus sûrement et de ne pas enseigner dans le vide, l'amener à se débrouiller lui-même, à revêtir sa pensée incertaine d'une expression de plus en plus arrêtée, l'exciter ensuite par des travaux écrits a se rendre compte de ce qu'il a lu ou entendu, à le reproduire, mais à sa façon et en des conditions variées qui l'obligent à se rappeler, à comparer, à combiner, en un mot à réfléchir : c'est là que se manifeste le véritable instituteur ; là qu'il déploie toutes les ressources variées de son intelligence et de son zèle.

Comme il usera du livre sans en abuser, et de la leçon orale proprement dite sans l'étendre au point de suppléer l'initiative de l'enfant, il n'aura garde non plus de pousser à l'excès les exercices oraux de tout genre, qu'il anime et qu'il dirige lui-même. Ces exercices sont ce qu'il y a de plus fécond dans l'enseignement parce qu'ils forment, à vrai dire, un dialogue entre le maître et l'élève, où le maître apprend à mesurer par quelle latitude intellectuelle se trouve l'élève, ce qu'il a compris de la leçon, ce qu'il en peut comprendre et à l'aide de quelles explications ; où l'élève, de son côté, voit se représenter la leçon sous de nouveaux aspects dont les uns répondent mieux que les autres à son tour d'esprit ou à son degré de culture, où il s'essaie à parier, c'est-à-dire à penser. Mais cette épreuve même, outre qu'elle est insuffisante, a son danger ; danger d'autant plus grand, remarquons-le bien, que la méthode est plus spirituelle, c'est-à-dire vise plus profond, et que le maître est mieux armé de moyens d'action et plus ardent à les employer. Ce dialogue, en se prolongeant ou en se répétant trop souvent, risque de devenir peu à peu une sorte de duel inégal entre une volonté forte et une volonté faible, entre une intelligence adulte et une intelligence vacillante ; la pression exercée est excessive ; l'organisme cérébral se fatigue d'autant plus qu'on lui demande un plus onéreux effort.

C'est à quoi ne pensent pas toujours assez nos meilleurs maîtres, et les plus dévoués. Recommandons-leur de tempérer, à l'école même, la leçon et l'exercice oral par de petits devoirs écrits. Ces travaux permettent à l'élève de se retrouver lui-même en se retrouvant tout seul ; ils offrent à cause de cela un double avantage : d'abord, ils procurent un instant de rémission, de détente, l'enfant marchant à son pas et non au pas du maître ; ensuite l'élève est amené par une application toute personnelle, dont il règle à son gré et selon ses forces l'intensité, à fixer nettement l'idée, la règle, le raisonnement, le fait, en un mot la leçon qui lui a été expliquée. Cette seconde épreuve confirme et achève l'épreuve orale ; elle mesure, en même temps qu'elle l'assure, l'effet de l'enseignement didactique.

De tout ce qui précède, il est facile de tirer les principes pratiques d'après lesquels doivent se régler les exercices oraux. Qu'ils portent sur toutes les matières, tantôt précédant la leçon du maître en manière d'introduction ou d'amorce, tantôt la suivant pour l'éclaircir, la développer, la résumer, la fixer. Qu'ils soient toujours naturels ; c'est-à-dire qu'ils n'excèdent pas, non plus que la leçon même, la limite de ce que l'enfant est en âge ou en état de comprendre ou de sentir ; qu'ils ne forcent pas, sous la rude pression d'un maître peu judicieux et trop pressé, le ressort cérébral ; n'oublions jamais que si l'élève est notre interlocuteur, il n'est pas notre pair ; il est un pupille, selon la belle expression anglaise, et nous sommes ses tuteurs ; le dialogue que nous engageons avec lui, à propos de tout, doit servir à l'éducation de son esprit encore mineur, et non à notre satisfaction personnelle.

C'est dire que l'exercice oral doit être fréquent, mais assez court : il lui faut un certain espace pour se déployer, c'est-à-dire pour permettre à l'instituteur d'accoster la jeune intelligence, et à celle-ci de se produire au dehors ; mais au delà d'une limite qui varie selon les âges et les sujets d'étude, l'attention, fortement sollicitée, se lasse, et le travail est perdu. Pour la même raison on aura soin de varier les exercices, de façon que l'un repose de l'autre, et que les plus épuisants ne se succèdent pas de trop près ; on ne craindra pas de tempérer discrètement le sujet de la leçon par des questions étrangères, nées des incidents mêmes de l'entretien.

Enfin on ne laissera pas au hasard ou à la bonne inspiration le soin de décider du sujet des exercices du jour ni de la marche à suivre en chacun d'eux. Qu'il s'agisse de pratique ou de théorie, de grammaire, d'arithmétique ou d'histoire, de leçons de choses ou de simple lecture, les exercices seront disposés dans un ordre méthodique. Ils seront donc prémédités : le maître, non content de préparer sa leçon didactique à l'avance, préparera avec un soin égal et son interrogation et les petits thèmes d'application destinés à être eclaircis ou résolus de vive voix par les élèves. Il se marquera nettement à lui-même le but où il veut conduire son petit auditoire, les points qu'il veut mettre particulièrement en lumière, l'impression qu'il veut produire ; il ne se préoccupera pas moins des qualités qu'il veut cultiver de préférence chez un élève en particulier ou chez tous, parce que ces qualités lui paraissent encore trop peu développées.

Quant aux exercices écrits (nous ne parlons pas ici de l'écriture ni des dictées d'orthographe), ceux qui se font en classe seront très courts : il faut que l'élève ait le temps de se ressaisir au milieu de la diversité des leçons et des sollicitations extérieures, et qu'il fixe par un effort personnel ce qu'on vient de lui apprendre. Les devoirs à faire à domicile pourront être plus longs ou demander plus de temps ; toutefois le nombre en sera très réduit. Pour les uns comme pour les autres, l'excès dans la qualité, c'est-à-dire dans la nature ou le degré de l'effort imposé à l'enfant, n'est pas moins condamnable que l'excès dans la quantité. Peu, très peu de copies, d'écritures : mais, en n'importe quel sujet, une écriture soignée, une copie propre et bien ordonnée, une orthographe correcte.

On s'abstiendra surtout avec le dernier scrupule de proposer aux enfants des tâches que l'on ne puisse pas se promettre de bien corriger. Il y a là une règle d'honnêteté, qui est en même temps un moyen assez sûr de mesurer à quelle limite doivent s'arrêter nos exigences envers l'enfant. Des devoirs dont nous ne pouvons pas prendre sérieusement connaissance et nous rendre un compte effectif et utile sont plus qu'à demi-stériles : hâtons-nous donc, soit de les restreindre quant à l'étendue, soit de les abaisser d'un ou plusieurs degrés quant à la difficulté.

Qu'il nous soit permis de le dire : dans beaucoup d'écoles, conduites d'ailleurs par des maîtres pleins de zèle, les devoirs écrits sont devenus, à la suite des nouveaux enseignements, une aggravation de charge pour les enfants ; les méthodes, en devenant plus spirituelles, ont donné lieu à une mécanique d'un nouveau genre, à une routine perfectionnée, et d'autant plus fatigante. L'ancien abus a cessé des copies serviles, des conjugaisons machinales, des analyses grammaticales ou logiques : peut-être même n'y a-t-il plus assez de ces exercices. Mais, en revanche, que de prétendus exercices d'intelligence, rédactions historiques, étymologiques, littéraires, où l'élève ne met rien de son fonds, oh il ne fait que reproduire à peu près textuellement soit la leçon, soit le livre, et où le maître n'intervient par aucune correction allant au vif.

Ici se présente naturellement une question pratique fort importante : convient-il de mettre entre les mains des élèves des manuels d'exercices, — grammaire, composition française, arithmétique, etc., — où le maître marque chaque jour une tâche, correspondant à la leçon orale?

Non, en principe et dans la généralité des cas. Ce n'est pas que des livres de ce genre, dont quelques-uns sont composés avec beaucoup d'art, n'aient rendu en ces dernières années de précieux services. A. des maîtres peu familiers encore avec les nouvelles méthodes, ils ont apporté une direction générale, un plan, des sujets d'application nombreux et bien choisis.

Mais l'abus est tout voisin de l'usage. En se déchargeant sur le manuel du soin de fournir le thème d'exercices, le maître s'épargne une peine qui aurait été pleine de profit pour lui et pour l'élève. L'exercice écrit, avons-nous dit, doit correspondre exactement à la leçon du jour et au degré de culture des élèves : il n'y a pas, à parler rigoureusement, d'exercice qui convienne d'une manière absolue, sur tel point d'enseignement, à toute classe, ni à toute école. Les exercices ne seront pas tout à fait les mêmes dans une école urbaine et dans une école rurale, dans une école populaire et dans une école bourgeoise. Il y a en chaque école et en chaque classe un tempérament particulier que le bon maître discerne d'instinct et qui lui sert de régulateur dans le choix des sujets.

Un instituteur intelligent et actif ne se résoudra jamais à se mettre à la remorque d'un livre d'exercices. Il en composera un lui-même, au jour le jour, à son propre usage et à l'usage de sa famille scolaire, qui n'est pas la première famille venue ; il s'aidera, cela va sans dire, de l'expérience de plus habiles que lui, c'est-à-dire des bons manuels, mais sans s'y asservir ; le thème d'application naîtra de la leçon du jour elle-même, s'allongeant ou s'abrégeant selon le besoin, appuyant sur tel point, glissant sur tel autre, s'ajustant enfin comme un habit bien fait à la taille, et, s'il y a lieu, aux difformités de cet être collectif, mais vivant et original, qui est sa classe.

Il sauvera ainsi les élèves de l'ennui et de la stérilité d'un travail presque toujours machinal, où ils copient sans y même penser toute la partie du thème qui ne demande pas de correction ni d'invention, où ils se bornent pour le reste à boucher le trou qu'on a laissé vide à leur intention, en y appliquant la règle, là formule qu'on leur a enseignée.

Nous adopterions plutôt le manuel comme un instrument commode de revision orale, de récapitulation, à l'aide duquel le maître ferait appliquer, rapidement et presque à la course, des leçons qu'il juge à propos de remettre sous les yeux des élèves : dans ce cas, le livre a le double avantage d'offrir une grande variété d'exercices tout préparés et d'épargner le temps que réclamait la copie des textes.

Pour conclure, une règle, une seule pourrait tenir lieu de toutes les autres : que les exercices oraux et écrits, quant au nombre, au choix du sujet, à l'étendue de la tâche, à la forme, ne dépassent pas le vrai, la nature, c'est-à-dire ce que les forces physiques et morales de l'enfant, son état d'esprit, sa pro vision d'expérience lui permettent de faire avec attrait, et que le maître peut contrôler efficacement. — Voir aussi Devoirs scolaires.

Félix Pécaut