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Ernest le Pieux

Le duc Ernest Ier de Saxe-Gotha, surnommé le Pieux, fils du duc Jean de Saxe-Weimar, et frère du fameux général Bernard de Saxe, servit d'abord dans l'armée suédoise. Lors du partage de la succession paternelle, il eut pour son lot le duché de Gotha, et devint ainsi le fondateur de la maison de Saxe-Gotha. Durant un règne de trente-cinq années (1640-1675), il fit de louables efforts pour améliorer l'éducation populaire dans ses Etats. Les calamités de la guerre de Trente Ans avaient eu pour résultat de faire négliger complètement l'instruction de l'enfance, l'ignorance et la sauvagerie régnaient partout. Dès qu'il fut monté sur le trône, Ernest fit faire une inspection générale des écoles ; il voulut en outre, au moyen de visites personnelles, s'assurer par ses propres yeux de l'état des choses ; puis, ayant appelé auprès de lui le docteur Andreas Reyher, disciple de Ratichius et de Coménius, il chercha, avec l'aide de ce pédagogue intelligent, à remédier à la situation. En 1642 fut publié par son ordre le livre célèbre connu sous le nom de Méthode des écoles (Schul-Methodus). Cet ouvrage, divisé en treize chapitres, contient le plan général et détaillé de l'oeuvre de réforme scolaire entreprise par le duc Ernest, et sur bien des points il devance, par l'esprit, par la méthode, par les aperçus ingénieux et vrais, les grands pédagogues du siècle suivant. Aussi mérite-t-il une analyse.

Le chapitre Ier traite des dispositions générales relatives à l'école. La fréquentation de l'école est rendue obligatoire pour tous les enfants, à partir de l'âge de cinq ans jusqu'au moment où ils auront subi un examen attestant qu'il possèdent une somme suffisante de connaissances. Des listes d'absences doivent être tenues et remises régulièrement à l'autorité. Chaque enfant doit posséder les livres classiques, avoir un livre de lecture précédé d'un syllabaire, un évangile, un livre de chant et un livre de calcul. L'enseignement comprend trente heures par semaine ; les mercredis et samedis il n'est donné que trois heures de leçons. Les vacances de la moisson ne doivent durer que quatre semaines à la ville, six semaines à la campagne ; et même durant ces vacances les enfants qui ne sont pas retenus au travail doivent recevoir chaque matin deux heures de leçons. 11 est recommandé à l'instituteur de s'occuper surtout des enfants pauvres et à l'intelligence lente, qui ont de la peine à apprendre. L'enseignement comprend trois degrés : inférieur, moyen et supérieur.

Le chapitre II donne le programme du degré inférieur : mémorisation de versets de la Bible, de l'oraison dominicale, du symbole des apôtres, des dix commandements, etc., et étude de la lecture. Au chapitre III se trouve le programme du degré moyen : mémorisation du catéchisme luthérien et d'un certain nombre de psaumes ; exercices de lecture, étude de l'écriture, en commençant par les lettres les plus faciles ; addition et soustraction, étude de la table de multiplication ; chant. Le chapitre IV contient le programme du degré supérieur : suite des études précédentes, et exercices de composition. Les sujets de composition doivent être empruntés soit à la religion, soit aux connaissances séculières telles qu'économie domestique, lois du pays, ordonnances concernant les mariages, les baptêmes, les enterrements, loi somptuaire, loi contre l'ivrognerie, etc. Pour l'orthographe, la Méthode donne la règle suivante : « Lorsqu'il y aura doute sur la manière d'écrire un mot, l'instituteur doit consulter le pasteur, ou bien il s'en rapportera au livre de lecture, et particulièrement à la Bible allemande.

Les trois chapitres suivants sont moins importants : ils traitent de l'ordre dans lequel les leçons doivent être données ; de la mémorisation du catéchisme, et de son explication, faite par le pasteur une fois par semaine ; et de la manière dont les élèves doivent se comporter à l'église : il leur est ordonné, non seulement d'écouter le sermon avec attention, mais de prendre des notes, afin de pouvoir rendre compte à l'école, le lundi matin, de ce qu'ils ont entendu.

Le chapitre VIII est le plus intéressant ; il y est parlé des sciences naturelles et autres connaissances utiles, et de la manière de les enseigner. Là où l'école compte plusieurs instituteurs, cet enseignement doit être donné régulièrement dans les classes supérieures ; si l'école n'a qu'un seul instituteur, celui-ci pourra profiter à cet effet des exercices de lecture. C'est la méthode intuitive qui doit être employée dans ces leçons. « Tout ce qui frappe l'oeil doit être montré aux enfants, si on peut se le procurer sur place, comme l'or, l'argent, le cuivre, etc. Si ce sont des choses qu'on ne peut pas avoir dans la classe, par exemple des arbres, des animaux, etc., l'instituteur doit chercher l'occasion de les montrer aux enfants. Tout ce qui est nécessaire pour la démonstration des sciences naturelles et autres, on devra se le procurer peu à peu, et le garder dans un musée joint à l'école. Pour mieux enseigner à connaître les plantes, les arbres et les arbrisseaux, l'instituteur doit s'efforcer de les faire cultiver dans les jardins du voisinage, ou bien les faire sécher et les coller sur du papier et les faire voir ainsi. » — « Tout ce qui peut être montré, ajoute la Méthode, doit être montré aux enfants, à moins qu'il ne s'agisse de choses universellement connues. » Ainsi, pour expliquer aux élèves l'agencement intérieur des parties du corps, l'instituteur doit profiter de quelque occasion où on tuera un porc ou un autre animal ; il fera voir aux enfants les différents viscères et leur en dira le nom, en ajoutant que le corps des animaux a beaucoup de ressemblance avec celui de l'homme.

L'instituteur indiquera à ses élèves la longueur d'une heure, au moyen d'un sablier ou d'un cadran solaire ; il leur expliquera les signes du zodiaque, les phases de la lune, les saisons. Pour leur faire connaître les quatre points cardinaux, il les conduira dans l'église, et leur montrera que, l'autel étant toujours placé a l'orient, lorsqu'on le regarde on a l'occident derrière soi, le sud à droite, le nord à gauche. En parlant des étoiles filantes et des feux follets, il devra combattre la superstition, et enseigner « que ce n'est pas toujours le diable qui produit ces phénomènes, et que parfois Dieu aussi en est l'auteur ». En traitant de l'éclair et du tonnerre, l'instituteur se servira de la comparaison avec une décharge d'arme à feu, et fera remarquer « qu'on voit le feu d'abord, et que la détonation ne vient qu'ensuite et se répercute ». Il parlera aussi du pays et de ce qu'on y trouve, en expliquant ce qu'on entend par village, bourg, ville, murailles, fossés, fonctionnaires, hôpitaux, frontières, tribunaux, etc. La géométrie et l'arpentage ne seront pas oubliés : l'instituteur fera dessiner et mesurer des lignes droites, des cercles, des angles, des triangles. Il rendra sensible le rapport de la circonférence au diamètre, en faisant voir qu'une ficelle qui donne le tour d'un chapeau est un peu plus de trois fois plus longue que le diamètre du chapeau. Les élèves apprendront à se servir du fil à plomb, en vérifiant l'horizontalité de la table ou du plancher de la salle d'école. « Quand les enfants auront bien appris à dessiner et à calculer sur le papier une figure, on ira dans un jardin ou quelque autre endroit tracer et mesurer sur le terrain des figures semblables, telles que carrés, rectangles et ainsi de suite. » Ces exercices de géométrie sont réservés aux garçons.

Le chapitre IX traite de la discipline ; les fautes doivent être punies d'abord par des réprimandes sérieuses, et, lorsque cela devient nécessaire, par un châtiment réel au moyen de la verge ou en faisant agenouiller le coupable. « Mais le châtiment ne doit pas être appliqué avec colère ; il faut au contraire garder un grand calme d'esprit, et faire comprendre aux enfants que le mal doit être puni, que c'est Dieu lui-même qui l'a commandé, et qu'on ne cherche rien autre en le faisant, sinon de les préserver du péché et de les garantir contre le châtiment. »

Les chapitres X, XI et XII donnent des règles morales relatives à la conduite des enfants, des instituteurs et des parents. « Celui qui est chargé d'enseigner l'enfance, est-il dit entre autres, doit songer que ce n'est pas un moindre péché de négliger l'instruction d'un écolier que de séduire une jeune fille. » Enfin le chapitre XIII parle des examens, qui doivent se faire chaque année huit jours avant la moisson, en présence du surintendant ou d'un adjoint.

La Schul-Methodus fut accueillie d'abord avec raillerie et défiance, comme toutes les nouveautés ; mais le duc Ernest ne se découragea pas. Il fit composer par Reyher les livres classiques qu'il jugea nécessaire d'introduire pour l'application de sa méthode, entre autres un abécédaire et un livre de lecture qui furent délivrés gratuitement à chaque écolier. Il augmenta le chiffre des traitements des instituteurs, et fit donner chaque année, sur sa cassette, des gratifications à ceux qui se distinguaient par leur zèle ; il créa un fonds pour les veuves et les orphelins d'instituteurs. Ce prince était mu par un véritable amour pour les pauvres gens, dont il se regardait comme le père et le tuteur responsable devant Dieu ; son coeur souffrait des misères qu'il s'efforçait de soulager. Mich jammert des Volkes, « J'ai grand pitié du peuple », disait-il. Ses efforts furent récompensés ; pendant les trente-cinq années de son règne, il réalisa des améliorations véritables dans la condition matérielle de ses sujets, et releva leur niveau moral et intellectuel ; aussi un proverbe allemand put-il dire bientôt que « les paysans du duc Ernest en savaient plus long que les gentilshommes d'ailleurs ». Mais, après la mort d'Ernest le Pieux, ses Etats furent morcelés entre ses héritiers, et son fils aîné Frédéric, qui porta le titre de duc de Gotha-Altenbourg, ne continua pas les traditions paternelles.