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Epée (l’abbée de l’)

Charles-Michel de l'Epée naquit à Versailles le 25 novembre 1712. Il fit ses études au collège des Quatre-Nations, et fut l'un des brillants élèves de L. Geoffroy, professeur de philosophie. Son père, architecte du roi, le destinait à la carrière des sciences ; mais le jeune de l'Epée insista sur sa vocation pour l'état ecclésiastique ; il étudia la théologie et montra beaucoup de ferveur, mais aussi une grande indépendance de principes. Au moment de recevoir la tonsure, il refusa de signer le formulaire d'Alexandre VII, ne pouvant point, disait-il, admettre par serment ce qu'il ne connaissait pas bien. On renouvela l'épreuve, mais le jeune théologien persista dans son refus.

Les lois devinrent l'objet de ses nouvelles études. Il subit les épreuves des divers examens de droit, et fut reçu avocat au Parlement de Paris. Néanmoins, son passage au barreau fut de courte durée. L'évêque de Troyes, neveu de Bossuet, ayant appris que les sentiments de M. de l'Epée le ramenaient toujours vers le sacerdoce, résolut de combler ses voeux. En 1736, il l'admit aux ordres mineurs, et en 1738, après lui avoir conféré la prêtrise, il lui accorda un canonicat dans son diocèse.

Au bout de quelques années, la mort de ce prélat détermina l'abbé de l'Epée à s'installer à Paris. On connaissait son attachement à la doctrine de Port-Royal et ses relations très suivies avec l'évêque janséniste Soanen. C'est pourquoi il fut censuré et frappé d'interdiction par Me de Beaumont, archevêque de Paris.

Un jour, dans une maison de la rue des Fossés-Saint-Victor, il se trouva en présence de deux jeunes filles, soeurs jumelles et sourdes-muettes de naissance, qu'un religieux de la Doctrine chrétienne, le P. Vanin, avait entrepris de préparer à la première communion, en les instruisant au moyen d'estampes. L'abbé de l'Epée accepta de continuer, autant qu'il dépendait de lui, l'oeuvre de l'instituteur qui venait de mourir ; il se mit au travail, et c'est en cherchant les moyens de suppléer à l'ouïe et à la parole qu'il trouva, dans le langage même des sourds-muets, la solution du problème. Il étendit et perfectionna le langage des gestes, et fournit ainsi aux sourds-muets des procédés faciles et presque naturels d'exprimer toutes leurs idées. II réunit, vers 1760. un certain nombre d'enfants atteints de surdimutisme, et fonda un établissement d'instruction qu'il entretint de sa propre bourse et avec le généreux concours de son frère, architecte du roi, du duc de Penthièvre, etc.

Sans doute l'abbé de l'Epée n'est pas le premier inventeur de l'art d'instruire les sourds-muets, et il a soin de le déclarer dans ses ouvrages ; mais jusqu'à lui cette instruction spéciale n'avait été distribuée qu'à quelques enfants de familles riches ou aisées. Il est le premier qui ait ouvert une école, embrassé la classe entière des sourds-muets, généralisé un enseignement collectif sur ce principe qu'au moyen du langage des signes, il est possible, il est facile de faire arriver par les yeux jusqu'à l'intelligence du sourd-muet les idées que l'entendant-parlant perçoit au moyen des sons.

C'est en travaillant sans guide qu'il rencontra l'idée féconde sur laquelle il appuya son enseignement. Il ne se borna pas, comme ses prédécesseurs, à faire connaître sa méthode par la publication de mémoires ; il convia le public à ses leçons, invita les étrangers à interroger ses élèves, et éveilla ainsi en Europe un intérêt tout nouveau en faveur des sourds-muets.

En 1776, cédant aux sollicitations de ses admirateurs, il publia la méthode qu'il avait inventée, sous ce titre : Institution des sourds et muets par la voie des signes méthodiques. En 1784, il fit paraître un second ouvrage, qui est une réédition du premier augmentée de quelques chapitres.

Une controverse restée célèbre eut lieu entre lui et Samuel Heinicke, l'instituteur des sourds-muets de Leipzig, au sujet de la valeur de leurs méthodes respectives ; l'Académie de Zurich, prise pour juge, trancha le différend en laveur de l'instituteur français (1784).

L'abbé de l'Epée mourut âgé de soixante-dix-sept ans, le 23 décembre 1789, entouré d'une députation de l'Assemblée nationale ayant à sa tête Mgr de Cicé, archevêque de Bordeaux, de ses parents et de ses élèves. «Mourez en paix, lui dit l'archevêque ; la patrie adopte vos enfants. »

L'ensemble des travaux de l'abbé de l'Epée a été exposé par plusieurs écrivains dont voici les noms: L'abbé Fauchet. Oraison funèbre, 1790 ; Bébian, Eloge couronné par la Société académique des sciences, 1819 ; Bazot, Eloge ayant obtenu l'accessit du même prix, 1821 ; Rey de la Croix, Le philanthrope chrétien, Béziers, 1822 ; D'Alea, Éloge traduit de l'espagnol, Paris, 1824 ; De Gérando, De l'éducation des sourds-muets de naissance, 1827 ; Morel, professeur à l'Institution des sourds-muets de Paris, Notice, 1833.

Voir en outre, au sujet de la méthode de l'abbé de l'Epée comparée avec les autres méthodes d'institution des sourds-muets, l'article Sourds-muets.

Martin Etcheverry