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Encre

Encre (du grec encauston, en latin incaustum, devenu enque, puis encre par intercalation d'une r) est le nom donné à la liqueur employée pour écrire. Quelle qu'en soit la couleur, elle doit se détacher nettement du fond sur lequel elle est appliquée, sans aucune fatigue pour la vue. Depuis longtemps, on a préféré l'encre noire pour écrire sur la surface blanche du parchemin ou du papier.

Pline nous apprend que de son temps on fabriquait l'encre avec du charbon provenant de bois résineux, pulvérisé dans un mortier et délayé avec de la gomme. Cette encre s'appliquait sur le papyrus au moyen d'un roseau effilé dont la pointe était fendue. C'est ainsi qu'on écrit encore dans les écoles musulmanes de l'Algérie ; seulement le papyrus y est remplacé par une tablette de bois blanchie avec une dissolution de craie ou d'argile blanche.

A partir du quinzième siècle, on a substitué au charbon, pour la préparation de l'encre, la noix de galle et le sulfate de fer (couperose verte). On obtient ainsi un tannogallate de protoxyde de fer qui, au contact de l'oxygène de l'air, devient un tannogallate de peroxyde de fer. « Il faut, dit Thénard, que l'encre soit une teinture et non pas seulement une couleur, c'est-à-dire qu'elle pénètre les fibres du papier et s'y fixe en s'y combinant, comme la teinture avec les fibres d'une étoffe, sans que, comme une couleur, elle puisse s'en détacher par le lavage. » Nous ajouterons que l'encre doit arriver au bec de la plume seulement en quantité suffisante pour l'écriture et ne pas s'écouler en pâte sur le papier. Elle doit donc avoir une certaine consistance, et on la lui donne au moyen d'une dissolution de gomme arabique.

Là fabrication de l'encre faisait autrefois partie des connaissances techniques indispensables au maître d'école, et toutes les anciennes méthodes d'écriture contenaient une recette pour faire de la bonne encre noire.

Voici celle qu'on lit dans l'Instruction facile et méthodique pour l'école paroissiale, sorte de règlement pour les petites écoles de Paris (édition de 1702) :

« L'encre se compose ordinairement avec du vin blanc ou de l'eau de pluie, ou de la bière, laquelle il faut mettre dans un pot de terre tout neuf, verni ou plombé, de grandeur à proportion de ce que l'on en veut faire, et il faut que le pot n'ait servi qu'à cet usage. Il faut mêler dans le vin, eau ou bière, par exemple pour avoir une pinte d'encre, un demi-quarteron de noix de galle, de la plus noueuse et de la plus noirâtre que l'on pourra trouver, qui sera cassée seulement en trois ou quatre morceaux et non pas broyée ; laquelle il faut laisser tremper dans ladite bière à froid, vingt-quatre heures, ou bien même, en été, exposée au soleil dans un lieu le plus aident. On se peut encore servir, pour faire de l'encre, d'eau de citerne ou de neige fondue ou de pluie, mais il faut que cette eau soit exposée plus longtemps au soleil, comme environ deux jours, avec ladite noix de galle ; laquelle eau doit être passée dans un linge délié auparavant que d'y mêler la noix de galle. Quand cela aura trempé un jour ou deux, selon ce qui est dit ci-dessus, il faut la mettre au feu et la faire bouillir deux ou trois bouillons, et, quand elle commencera à noircir, il y faut mettre un demi-quarteron de couperose broyée, puis environ une once de vraie gomme d'Arabie, bien broyée, que l'on fera bouillir encore deux ou trois bouillons. Que si elle était encore trop épaisse, il faut y ajouter un peu de vin, de bière ou d'eau de pluie ou de neige à proportion de ce qu'il lui en faudra ; que si elle était trop claire, il faut la faire bouillir davantage, et si elle perçait le papier dans l'essai, il y faudrait ajouter quelque peu de gomme, puis la laisser refroidir dans le même pot, et ensuite la couler avec un petit crible ou étamine dans la cruche, laquelle il faut bien boucher et resserrer en quelque lieu fraîchement. »

Cette recette n'est pas celle qui est ordinairement suivie aujourd'hui. La fabrication de l'encre a profité des remarquables progrès de la chimie et s'est perfectionnée en quelque sorte à proportion de la consommation bien accrue par le développement de l'instruction primaire.

On a employé, concurremment avec la noix de galle, le bois de campêche, qui joint au tannin une matière colorante fort utile, puis on a mêlé au sulfate de fer le sulfate de cuivre (couperose bleue) dans une faible proportion. Chaptal conseillait de l'aire à part la solution de sulfate de fer et de cuivre et celle de la gomme, puis de les mêler avec la décoction de noix de galle et de bois de campêche, dans les proportions suivantes : six mesures de la décoction et quatre mesures de chacune des deux solutions. L'encre obtenue était alors d'un beau noir.

M. Stark, qui a éprouvé deux cent vingt-neuf encres de diverses compositions, a trouvé que la meilleure et la plus durable est ainsi composée ?

12 parties noix de galle,

8 parties sulfate d'indigo,

8 parties couperose verte (protosulfate de fer),

4 à 6 parties gomme,

32 parties eau.

Il y ajoute quelques clous de girofle pour empêcher l'encre de moisir.

La composition de l'encre noire a donné lieu à des reproches depuis que l'usage des plumes de fer s'est généralisé. Outre que l'encre corrode promptement le bec des plumes, elle s'altère plus rapidement, et l'on a vu des écritures devenir presque illisibles au bout de quinze à vingt ans. C'est là ce qui a fait rechercher des encres de couleur bleue ou violette. Cette dernière est préparée assez ordinairement avec l'aniline, matière colorante extraite du goudron de la houille.

Mais, dans les écoles, l'encre qui restera préférée, c'est l'encre noire, dont la vue s'accommode le mieux.

Aujourd'hui on a trouvé le moyen de préparer en poudre ou en tablettes les substances pour la fabrication de l'encre, et on peut avoir au prix de 20 centimes la dose d'un litre (encres Antoine, Brachet, Demouy, Paul Roy, etc.). C'est là un extrême bon marché, et une grande facilité pour les écoles éloignées des magasins de papeterie ou d'épicerie. Les élèves ne seront plus tentés de fabriquer l'encre avec des baies d'hyèble ou de troène.

Le mode de fourniture de l'encre dans les écoles a son importance, tant pour le bon état des cahiers et la lisibilité de l'écriture que pour la propreté des tables et de la salle.

Autrefois chaque élève se procurait l'encre dont il avait besoin et la conservait dans un encrier mobile, qu'il emportait souvent dans la famille. Que de fois cet encrier se renversait sur le cahier ou se brisait sur le parquet ! Les tables étaient parsemées de taches ou même de longues traînées d'encre. Le plus souvent, c'était l'instituteur qui vendait l'encre, et, si on allait l'acheter ailleurs, il la trouvait de mauvaise qualité, gourmandait l'élève sur son écriture : tantôt les déliés étaient trop gros (l'encre étant trop épaisse), tantôt les pleins étaient trop larges (l'encre coulant trop abondamment).

Quand le mobilier s'est perfectionné, les encriers se sont trouvés fixés à la table, et l'encre a dû être fournie par abonnement, Moyennant dix centimes, et plus tard cinq centimes par mois, l'instituteur donnait à l'élève l'encre nécessaire. C'était un progrès, mais il restait au maître l'ennui de faire payer ce sou et le soin d'empêcher une consommation immodérée de l'encre.

Enfin l'instruction étant devenue gratuite, la fourniture de l'encre a été une dépense communale. Dans les écoles de la Ville de Paris, par exemple, l'encre est fournie à discrétion par un entrepreneur, après adjudication pour une période déterminée ; le directeur d'école n'a qu'à écrire à l'adjudicataire dès que la provision s'épuise (40 à 50 litres environ) : dans les deux ou trois jours, un tonneau plein est échangé contre un tonneau vide. Il y a bien encore quelques abus à craindre dans la consommation, mais il y a plus encore à dire, dans certaines écoles, sur la qualité de l'encre, renouvelée trop rarement et rendue boueuse par les poussières et les débris de tout genre qui s'y mêlent. Il serait bon que l'encre fût renouvelée dans l'encrier le lundi matin pour toute la semaine ; mais ce n'est pas suffisant : il faut nettoyer l'encrier.

Si l'usage mal réglé de l'encre peut tacher les tables, le parquet et même les murs, il peut aussi nuire à la santé des élèves. Ceux-ci sont généralement enclins à porter le bec de leur plume à leurs lèvres pour l'essuyer, quand il s'empâte ou traîne quelque léger filament. On les voit aussi enlever avec la langue le pâté qui salit leur page. Il faut combattre ces fâcheuses tendances en faisant connaître de bonne heure aux enfants les matières toxiques dont se compose l'encre, et en propageant l'usage des essuie-plumes. Rien d'ailleurs ne caractérise mieux les habitudes d'ordre d'une école que l'absence de taches d'encre, d'abord sur les tables et le parquet, ensuite sur les vêtements et les mains des élèves. Nous avons eu l'occasion de constater à cet égard la supériorité qu'ont sur la plupart de nos écoles françaises les écoles de la Suisse et des Etats-Unis. Des tables ayant la couleur naturelle du bois et servant depuis plusieurs années ne portaient aucune tache d'encre notable. Chez nous, on a dû généralement peindre les tables en noir pour éviter des marbrures qui n'avaient rien d'agréable à l'oeil.

Encre rouge ou carmin. ? Il est assez utile, dans la correction des devoirs, d'employer une encre de couleur différente, pour que les annotations apparaissent immédiatement. C'est l'encre rouge dont on fait généralement usage. Elle se fabrique parfois avec du carmin, matière colorante préparée avec la cochenille ; mais on y emploie plus fréquemment le bois de Brésil macéré dans de l'alcool ou infusé dans le vinaigre. On ajoute, comme pour l'encre noire, une dissolution de gomme arabique.

En général, il est bon de ne pas laisser aux élèves, pour leurs devoirs scolaires, l'emploi d'encre de diverses couleurs. On a souvent alors un barbouillage de mauvais goût. Ce à quoi il faut les habituer, c'est à la netteté et à la simplicité.

Encre de Chine. ? Pour les travaux de dessin linéaire et de lavis, on emploie une encre connue sous le nom d'encre de Chine, bien qu'elle ne nous vienne pas du Céleste Empire. Elle est formée de charbon de bois résineux, d'une dissolution de gélatine, et de corps odorants (musc, camphre, etc.). Voici, d'après Mérimée, à quoi on reconnaît la bonne encre de Chine : « Elle est, dans sa cassure, d'un noir luisant. La pâte en est fine et parfaitement homogène. Lorsqu'on la délaie, on ne sent pas le plus petit grain, et,, en l'étendant de beaucoup d'eau, on ne voit aucun précipité se former. En séchant, sa surface se couvre d'une pellicule d'aspect métallique. Elle coule bien sous la plume, même à une basse température, et, lorsqu'elle est sèche sur le papier, on ne la détrempe point en passant dessus un pinceau imprégné d'eau. »

Bonaventure Berger