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Egypte

Nous consacrons à l'Egypte deux articles distincts, dont le premier résume très brièvement ce qu'on sait de l'instruction dans l'Egypte ancienne, et dont le second traite de l'instruction publique dans l'Egypte musulmane et contemporaine.

Egypte ancienne.

De tous les pays célèbres dans l'antiquité, l'Egypte a été peut-être celui où l'instruction a été le plus généralement répandue : il fallait savoir lire et écrire pour arriver régulièrement à tous les grades, et le titre de scribe est l'accompagnement presque obligatoire de tous les autres titres. « Sois scribe, tu parviendras aux honneurs et à la fortune : le métier de scribe prime les autres métiers » : voilà ce que les maîtres de l'ancienne Egypte répétaient perpétuellement dans leur correspondance avec leurs élèves (Cf. Du style épistolaire chez les anciens Egyptiens de l'époque pharaonique, ch. II).

On connaît assez peu l'organisation des écoles en Egypte. Il semble que, dans les grandes villes comme dans les villages, l'instruction ait été donnée par les prêtres, et que certains temples aient été en même temps des maisons d'éducation. L'enfant restait aux mains des femmes jusque vers l'âge de six à sept ans, puis on le remettait au maître. « La mère allait lui porter chaque jour le pain et les aliments de sa maison », et probablement Je ramenait le soir au logis : il semble cependant que dans bien des cas l'écolier fût au nombre des servants du temple et y logeât tout le temps que durait son éducation. La méthode était toute de routine et probablement identique à celle qui est employée encore dans les kouttabs de l'Egypte musulmane. On mettait sous les yeux de l'écolier des syllabaires qui lui montraient, classés selon leur nature matérielle, les signes en usage, avec leur prononciation en caractères alphabétiques et l'indication de leurs sens principaux. Il les apprenait par coeur, il les copiait, et, quand il les connaissait, il savait à peu près lire et écrire. On lui remettait en même temps des extraits d'auteurs classiques ou des formules de lettres qu'il copiait au calame sur des tablettes en bois mince, recouvertes d'une légère couche de stuc blanc ou rouge, et analogues pour la forme aux tablettes dont se servent aujourd'hui encore les écoliers du Caire. Le British Museum et le Musée de Turin possèdent des spécimens de ces tablettes, recouverts d'écriture. Plus tard, on confiait aux écoliers du papyrus sur lequel ils copiaient ou écrivaient à la dictée d'autres morceaux choisis des auteurs classiques ; le maître revoyait le travail et traçait à la marge les signes mal dessinés ou les mots mal orthographiés. Une bonne partie de la littérature égyptienne n'est arrivée jusqu'à nous que sur des cahiers d'écolier.

L'école s appelait littéralement la maison d'instruction, ANSEB. La discipline y était sévère et l'écolier récalcitrant. « On apprend à voler au faucon », dit un professeur irrité a son élève, « à nicher au pigeon : je t'apprendrai bien les lettres, vilain paresseux » ; et ailleurs : « Il y a un des chez le jeune homme, il écoute quand il est frappé ». Un écolier écrivant à son maître lui rappelle, sans amertume du reste, les sévérités de l'école : « ses os ont été brisés comme ceux des ânes ». A force de travail et de coups, l'on arrivait à savoir, outre la lecture et l'écriture aux deux encres rouge et noire, l'arithmétique assez compliquée de l'époque, la géométrie pratique, la tenue des livres, ce qui était nécessaire de dessin pour tracer les vignettes des manuscrits religieux, des notions de religion et de théologie. Un scribe ordinaire se contentait de ce bagage : l'instruction d'un prêtre ou d'un homme de haut rang exigeait plus de soins. Clément d'Alexandrie énumère quelque part les livres qui étaient nécessaires à l'éducation du sacerdoce égyptien. Aucun des ouvrages qu'il cite ne paraît avoir été retrouvé jusqu'à présent, mais les ruines nous en ont rendu beaucoup d'autres qu'il ne connaissait pas. La théologie à elle seule pouvait remplir la vie d'un homme ; la médecine avait produit nombre de traités qu'il fallait étudier de très près avant de pouvoir obtenir le droit de pratiquer. Nous ne savons pas d'une manière certaine où l'on donnait ce degré d'instruction supérieure : c'était probablement dans les grands temples de Thèbes et de Memphis, d'Héliopolis et de quelques autres villes ; mais peut-être en dehors des sanctuaires y avait-il des écoles indépendantes où les médecins, les littérateurs, les mathématiciens recevaient ou complétaient leur éducation.

Nous pouvons aujourd'hui encore juger à distance des résultats que produisait le système employé chez les Egyptiens. En examinant les manuscrits que renferment nos musées et qui viennent d'époques différentes, on est frappé de la correction relative qu'ils présentent. Le texte en est souvent altéré, et souvent l'écrivain paraît ne pas avoir très bien compris le sens des phrases qu'il copiait ou qu'on lui dictait : mais généralement l'orthographe des mots est bonne et l'écriture bien formée. Le dessin des figures est sommaire, mais hardi et vivant. Les calculs sont exacts et bien posés. En résumé, l'instruction que recevaient les Egyptiens leur donnait le moyen de prospérer dans le milieu où ils étaient appelés à vivre : il fallait après tout qu'elle ne fût pas mauvaise pour avoir formé les littérateurs, les architectes, les ingénieurs, les savants dont les ruines nous rendent chaque jour les oeuvres plus ou moins mutilées.

[G. MASPERO.]

Egypte musulmane et contemporaine.

Il n'existe pas en Egypte un système scolaire uniforme qui puisse être justement appelé le système égyptien. L'enseignement n'est pas un monopole d'Etat et les écoles libres sont plus nombreuses, et, quant à l'effectif scolaire, plus importantes que les écoles officielles. Parmi ces écoles libres, on peut distinguer celles qui ont été fondées par des Egyptiens, sociétés ou particuliers, et celles qui ont été fondées par des étrangers. On est donc amené à distinguer trois grandes catégories d'écoles : 1° les écoles égyptiennes officielles ou gouvernementales ; 2° les écoles égyptiennes libres ; 3° les écoles étrangères.

En théorie, ces écoles peuvent suivre des programmes absolument distincts. Dans la pratique, les écoles égyptiennes libres tendent à se rattacher au ministère de l'instruction publique, et quelques-unes en reçoivent des directions ou des subsides. D'autre part, la plupart des écoles étrangères reçoivent une majorité d'élèves égyptiens, et suivent de près ou de loin les programmes officiels. Si bien que, malgré la diversité des origines, des langues, des races, des religions et des nationalités, une certaine unité se maintient dans les études.

Enfin, il faut faire une catégorie spéciale pour les seules écoles qui aient un caractère local et proprement égyptien, les kouttabs, petites écoles élémentaires où la langue arabe seule est étudiée et employée.

Historique. — Les premières écoles, toutes religieuses, n'eurent guère d'autre but que l'élude du Coran : étude élémentaire, lecture et écriture, dans les petites écoles populaires ou kouttabs ; études supérieures, littérature, droit, théologie, à l'université musulmane d'El Azhar. Ces écoles furent dotées par les sultans d'Egypte ou par des particuliers qui constituèrent en leur faveur des biens de main-morte, dits biens wakfs, et ne sont plus maintenant limitées aux études arabes. De la même manière s'organisèrent dans le pays des écoles, non plus musulmanes, mais coptes surtout ; et cet ensemble d'institutions de divers degrés constitue aujourd'hui le groupe des écoles libres égyptiennes.

Lorsque Mohamed Aly (Méhémet-Ali) voulut modeler son pays sur les pays d'Europe et introduire eu Egypte l'enseignement français, il créa en quelques années, avec l'impétuosité qui était la marque de son génie, un grand nombre d'écoles qui, destinées surtout à former des officiers, furent abandonnées vers 1840 lorsque l'armée égyptienne eut été réduite à 18000 hommes. Mais par contre, dès 1844, l'Egypte fit appel aux soeurs de Saint-Vincent-de-Paul et aux Lazaristes pour créer les écoles primaires qui devaient remplacer les écoles spéciales. En 1846, les soeurs du Bon-Pasteur fondent une école au Caire, et les Lazaristes appellent les frères des Ecoles chrétiennes qui fondent leur première école en 1852, et reçoivent de Saïd-Pacha en 1859 un immeuble au Caire et une somme de 30000 francs. Les Franciscaines s'établissent la même année au Caire et reçoivent 50000 francs à l'avènement d'Ismaïl-Pacha. Dans le même temps, les Missions américaines couvrent l'Egypte de leurs écoles protestantes. En 1866 se fonde au Caire un collège grec, et en 1870 un collège italien, établi à Alexandrie, reçoit d'Ismaïl-Pacha 60000 francs et du gouvernement italien une subvention annuelle de 3000 francs. Ce fut l'origine des écoles libres européennes.

Enfin Ismaïl-Pacha entreprit de créer un enseignement gouvernemental. Son ministre Ali-Pacha Moubarek eut le grand honneur d'apporter dans cette création une méthode qui n'existait point avant lui et de faire adopter la loi organique de 1868 qui instituait des écoles primaires, secondaires et supérieures se faisant suite. Malheureusement l'argent faisait souvent défaut et, plus que l'argent, les maîtres ; les écoles supérieures vivaient alors que les écoles primaires végétaient. Une école normale fut fondée, et, en raison des circonstances politiques, ce furent des Français qui furent appelés à l'organiser, en même temps que le savant Artin-Pacha était mis a la tête de l'enseignement égyptien. L'enseignement officiel, tel qu'il existe aujourd'hui, fut leur oeuvre. Si depuis lors les ressources, devenues plus abondantes, ont permis bien des créations nouvelles et bien des améliorations de détail, si le système scolaire et les programmes ont dû subir bien des modifications dues à la politique, du moins dans ses grandes lignes cette oeuvre est restée intacte.

Etat actuel. — En 1906-4907, la population de l'Egypte étant de onze millions d'habitants environ, l'enseignement est donné dans 505 écoles, de tous degrés, par 4341 maîtres, à 92107 élèves, dont 70455 Egyptiens et 21652 étrangers, parmi lesquels 7700 Grecs, 5901 Italiens, 1492 Français ou protégés, 1671 Anglais ou protégés. On y trouve 76666 garçons et 20441 filles. Sur 4341 maîtres, 2355 sont dans les écoles égyptiennes et 1986 dans les écoles étrangères. Sur les 505 écoles, il y a 91 écoles de filles, 281 écoles de garçons et 133 écoles mixtes quant aux sexes.

Dans ces chiffres ne figurent pas les petites écoles primaires ou kouttabs.

Les deux tableaux suivants indiqueront la répartition générale. Le premier tableau donne le détail des écoles et le nombre des élèves égyptiens et étrangers ; le second donne le détail des élèves étrangers :

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1. ECOLES OFFICIELLES. — Parmi les écoles égyptiennes, il faut distinguer entre les écoles du gouvernement et les écoles libres.

Le tableau suivant indique le nombre des écoles du gouvernement en l'année 1906-1907, ainsi que les localités ou elles sont placées. Nous avons distingué par les lettres a, b et c les trois écoles secondaires du Caire (a, Ecole Tewfikieh, 1880 ; 6, Ecole Khedivieh, 1868 ; c, Ecole Saïdieh, 1906), et par les lettres d, e, f les trois écoles supérieures du Caire (d, Ecole de droit, 1868 ; e, Ecole de médecine, 1824 ; f, Ecole polytechnique, 1868) :

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Le tableau qui suit indique le nombre des élèves inscrits dans les écoles comprises dans le tableau ci-dessus. Pour plus de clarté, nous avons répété la colonne relative aux écoles (c'est-à-dire que la dernière colonne du tableau précédent figure de nouveau dans le tableau ci-après, comme première colonne) :

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Dans les écoles primaires, la durée des études est de quatre années. Les élèves se présentent à l'examen du certificat d'études primaires, qui leur donne seul le droit d'entrer dans les écoles secondaires. Le programme comprend l'étude de l'arabe, celle des matières ordinaires de l'enseignement primaire élémentaire en langue arabe, et de plus l'étude d'une langue étrangère. Actuellement tous les élèves étudient l'anglais, mais, jusqu'en 1904, il y avait dans presque toutes les écoles du gouvernement une section française et une section anglaise.

Dans les écoles secondaires, la durée des études est également de quatre années, après avoir été fixée à cinq, puis à trois années. Actuellement les études secondaires se répartissent en deux cycles, les élèves étant divisés pendant la troisième année et la quatrième en deux sections : la section littéraire, qui prépare particulièrement à l'Ecole de droit, la section scientifique, qui prépare à l'Ecole de médecine et à l'Ecole polytechnique.

La disparition des classes primaires françaises entraînera presque inévitablement la disparition des classes secondaires françaises, qui ne subsistent plus que dans la seule Ecole Tewfik au Caire. Mais comme la connaissance de la langue française est absolument nécessaire en Egypte, et particulièrement aux jeunes gens qui doivent faire leurs études de droit, le français est enseigné comme langue accessoire dans les sections anglaises de lettres, et l'anglais est de même enseigné dans les sections littéraires françaises. Etant donné l'extraordinaire aptitude des Egyptiens à l'étude des langues étrangères, deux ans d'étude les mettent à même de lire et de parler le français.

(Le plan d'études des écoles secondaires, du 2 juillet 1907, se trouve à la page suivante.)

Lorsque le cours d'études était de cinq années, le baccalauréat égyptien était considéré comme équivalent au baccalauréat français. Quand le cours d'études fut réduit à trois années, l'équivalence fut supprimée. A l'heure actuelle, il serait possible de rétablir cette équivalence pour le baccalauréat de la section française.

Les élèves pourvus du baccalauréat égyptien sont admis dans les écoles supérieures : Ecole polytechnique, Ecole de droit et Ecole de médecine. A l'Ecole polytechnique et à l'Ecole de médecine, tous les cours sont donnés en anglais depuis une dizaine d'années : c'est une des mesures qui ont le plus contribué à la disparition des classes primaires et secondaires françaises. A l'Ecole de droit, on a dû créer une section anglaise et une section française, donnant le même enseignement, avec un léger avantage pour la section française résultant de ce que le droit mixte égyptien est fondé sur le droit français.

L'Ecole normale, fondée en 1881 par Mougel-Bey, Peltier-Bey, Bernard-Bey et leurs collaborateurs successifs, sortis pour la plupart de l'Ecole de Saint-Cloud, a disparu avec les sections françaises dans les

écoles du gouvernement. Les écoles normales actuelles préparent des maîtres donnant l'enseignement en arabe ou en anglais. La Mission égyptienne en France a perdu de son importance, et un certain nombres d'élèves sont envoyés chaque année compléter leurs éludes en Angleterre Parmi les écoles techniques, il y a lieu de signaler l'Ecole des arts et métiers de Boulaq, fondée par un Français, Guigon-Bey. Il n'existe pas d'école donnant l'enseignement commercial.

PLAN D'ÉTUDES

des écoles secondaire

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2. ECOLES EGYPTIENNES LIBRES. — Les écoles égyptiennes libres ou non-gouvernementales dépendent de l'administration des Wakfs, sorte de ministère des bien de main-morte, de diverses sociétés de bienfaisance musulmanes, coptes ou maçonniques, des communautés coptes, arméniennes ou israélites.

Le tableau suivant donne leur situation pour l'année scolaire 1906-1907:

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Sur un chiffre total de 40 335 élèves, il y a, comme le tableau l'indique, 38905 Egyptiens, auxquels s'ajoutent, par conséquent, 1430 étrangers. Relativement aux sexes, on compte, dans les écoles égyptiennes libres, 36857 élèves du sexe masculin et seulement 3478 élèves du sexe féminin.

Parmi les écoles dépendant des wakfs, il y a lieu de noter la grande et célèbre université d'El Azhar. La théologie, le droit et la littérature arabe y sont naturellement les principaux enseignements : il faut noter toutefois que les études ont perdu un peu de leur étroitesse stérile, et qu'un enseignement plus moderne a conquis sa place parmi les disciplines anciennes. Sur les 9069 élèves, venus de tous les pays de l'Islam, mais pour la plupart Egyptiens, Soudanais et Algériens, on comptait en 1906: 279 Syriens, 123 Turcs, 147 Marocains, 13 Kourdes et 15 Abyssins.

3. ECOLES ETRANGERES. .— L'un des traits caractéristiques de l'enseignement en Egypte, c'est le nombre et l'importance des écoles étrangères. Elles réunissent actuellement quatre fois plus d'élèves que les écoles du gouvernement (40 676 contre 11 096) et autant d'élèves que les écoles libres égyptiennes, qui en ont 40 335. En exceptant toujours les kouttabs (dont il sera parlé plus loin), elles réunissent près de la moitié de la population scolaire de l'Egypte, soit 40 676 élèves sur 92 107. L'influence éducative des kouttabs étant à peu près nulle, et les autres écoles égyptiennes étant relativement récentes, le rôle important tenu par les écoles étrangères dans le relèvement de l'instruction en Egypte ne saurait être méconnu, et en particulier le rôle des écoles françaises, qui réunissent 14 785 élèves et qui ont été fondées les premières.

Le tableau suivant donnera une idée de la situation de ces écoles pendant l'année scolaire 1906-1907 :

ÉCOLES ÉTRANGÈRES : ÉLÈVES EN 1906-1907

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Ce tableau donne lieu à quelques observations importantes.

1° Si on ajoute, aux 124 élèves étrangers des écoles du gouvernement, les 1430 élèves étrangers des écoles libres égyptiennes, on aura un total de 1554 élèves étrangers fréquentant les écoles égyptiennes, contre 49 877 Egyptiens.

Dans les écoles étrangères, nous trouvons par contre 20 098 étrangers contre 20 578 Egyptiens ;

2° En précisant davantage, nous voyons que les écoles américaines réunissent 9788 Egyptiens contre 308 étrangers, ce qui s'explique par leur but assez spécial de propagande religieuse ; les écoles grecques, 5291 étrangers contre 180 Egyptiens, et les écoles italiennes 4070 étrangers contre 1582 Egyptiens, ce qui s'explique par l'importance numérique des colonies italienne et grecque en Egypte ; tandis que les écoles françaises présentent les chiffres sensiblement égaux de 6661 Egyptiens pour 8124 étrangers ;

3* Relativement aux sexes, on trouve, dans les écoles étrangères, 16544 filles pour 24 132 garçons, et dans les écoles françaises, en particulier, 6140 filles pour 8645 garçons. Dans l'ensemble des écoles égyptiennes (kouttabs à part), on trouve 3897 filles et 47 534 garçons ;

4° Parmi les écoles françaises figure la seule école supérieure étrangère, l'Ecole française de droit. Fondée par quelques fonctionnaires français des Domaines de l'Etat sous forme de cours du soir, elle a gardé ses heures de cours et reçoit ainsi un grand nombre d'employés. Il ne semble pas que les études en souffrent, puisque les élèves qui préparent la licence et le doctorat au Caire subissent avec succès leurs examens en France. Des questions d'équivalence empêchent d'instituer ces examens en Egypte.

Dans le tableau qui précède ne figure pas une Ecole de commerce française qui fonctionne aussi avec succès sous forme de cours du soir, avec 254 élèves, et un lycée donnant l'enseignement français légèrement modifié, dont la création est toute récente.

Quelques chiffres sont intéressants à préciser en ce qui concerne la gratuité.

Dans l'ensemble de toutes les écoles, kouttabs à part, on trouve 39 643 élèves gratuits sur 92 107, ainsi répartis :

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On voit donc que, contrairement à l'usage dans les autres pays, ce sont les écoles du gouvernement qui renferment la plus faible proportion d'élèves gratuits : moins de 1 sur 10. Les taxes d'écolage y sont même relativement élevées : de 12 à 50 francs environ pour les petites écoles primaires, de 200 à 400 francs pour les externes des principales écoles primaires et des écoles secondaires ; ces chiffres comprenant, il est vrai, les fournitures scolaires. Et cependant ces écoles refusent des élèves. Cela s'explique par le fait que le gouvernement égyptien n'a reculé devant aucun sacrifice pour doter ses écoles d'un personnel hors de pair, d'un matériel moderne, et de locaux parfaitement aménagés et entretenus, — et en outre par cette autre considération que ses écoles ont acquis, par la valeur des études, une sorte de monopole de la préparation aux baccalauréats qui donnent l'accès aux écoles supérieures.

Quant aux écoles libres égyptiennes, qui sont pour la plupart des écoles de bienfaisance, il est normal que la moitié de leurs élèves soient gratuits. Mais en ce qui concerne les écoles étrangères, on comprendrait mal que 30 % de leur effectif scolaire fût gratuit, si cela ne devait s'expliquer par des considérations de charité universelle ou nationale et de propagande religieuse.

Pour les écoles françaises, qui sont les plus importantes parmi les écoles étrangères au point de vue de la valeur des études et du nombre des élèves, on trouve 4806 gratuits sur 14 785 élèves, ainsi répartis :

Ecoles privées : 139 gratuits sur 1701 élèves, soit une proportion analogue à celle des écoles officielles, environ 1 sur 10 ;

Ecoles congréganistes : 4667 gratuits sur 13 084 élèves, ce qui est à peu près la moyenne de gratuité pour les écoles étrangères.

Mais il faut considérer aussi que si les écoles grecques et italiennes ont respectivement 2943 et 3666 gratuits, elles ont aussi respectivement 5142 Grecs et 2780 Italiens, de sorte que cette gratuité profite aux nationaux, tandis que dans les écoles françaises on ne trouve que 953 Français, encore la plupart ne sont-ils que des protégés. Les écoles françaises jouent donc un peu trop le rôle d'institutions de bienfaisance en Egypte, et devraient arriver à réduire tout au moins cette charge d'un tiers d'élèves gratuits. Cela serait d'autant plus facile que les écoles françaises refusent chaque année des élèves faute de place.

L'inconvénient de cette surcharge d'élèves gratuits se fait sentir dans la suite des études par une proportion insuffisante d'élèves dans les classes secondaires. Les Jésuites, qui n'ont pas un élève gratuit, ont 171 secondaires sur 421 primaires (604 élèves). Les écoles privées françaises, qui ont peu de gratuits, ont 250 secondaires pour 940 primaires (1701 élèves), et cette proportion très satisfaisante tombe, pour l'ensemble des écoles françaises, à 1123 secondaires pour 10175 primaires (14 785 élèves).

4. LES KOUTTABS. — On peut observer que de toutes les écoles étudiées jusqu'ici, aucune ne donne l'enseignement primaire élémentaire, strictement limité aux besoins essentiels du pays : lire, écrire et compter en arabe. Cet enseignement est donné dans les kouttabs.

Le kouttab a été longtemps la joie des amateurs du pittoresque dans l'enseignement. N'ayant point de données précises, on prenait plaisir à décrire l'école : « Un maître, des élèves et un toit, encore le toit est-il superflu », et son enseignement naïf et suranné : la géographie des pays de Gog et de Magog, l'arithmétique amusante où « le mille vaut 3000 aunes, l'aune 3 empans, l'empan 12 largeurs de doigt, le doigt 5 grains d'orge et le grain d'orge 6 poils de mulet».

Mais, hélas ! au grand déplaisir des touristes, les Européens ont tué le pittoresque, et des études plus pratiques ont pris la place de cet enseignement poétique. Ce fut le grand effort des dernières années, et c'est un grand honneur pour ceux qui l'ont entrepris. Les programmes ont été développés, le personnel amélioré, et le nombre de ces petites écoles s'est prodigieusement accru, tant par les libéralités d'hommes riches et intelligents que par les efforts soutenus de l'administration de l'instruction publique.

En 1890, il y avait 50 kouttabs, 47 maîtres, 1961 élèves (dont 0 filles et 1961 garçons). En 1906-1907, on comptait 4554 kouttabs, 6850 maîtres, 165 587 élèves (dont 12 839 filles et 152 748 garçons).

Et comme ces résultats sont encourageants et les frais d'établissement peu élevés, il est probable que ce mouvement continuera, fournissant de nouvelles et abondantes recrues aux écoles primaires et secondaires égyptiennes, et relevant l'Egypte de la situation d'infériorité où la tenait cette écrasante proportion de 912 hommes et 993 femmes illettrés sur 1000.

Conclusion. — Gomme on le voit, il reste beaucoup à faire dans l'enseignement égyptien ; mais, servie par une extraordinaire prospérité économique, l'Egypte développe rapidement ses écoles. On ne saurait prévoir quel sera le terme de cette évolution: et cependant la présente étude serait incomplète si l'on n'essayait, avec beaucoup de réserve, d'indiquer les tendances du mouvement actuel.

Le ministère de l'instruction publique a pris récemment le nom significatif de Ministry of Education (ministère de l'éducation). Il forme maintenant un ministère distinct, ayant à sa tête un ministre égyptien, un conseiller anglais, et plusieurs inspecteurs, Français, Anglais et Egyptiens.

Il est certain que la tendance du ministère est de développer l'enseignement primaire et populaire par les kouttabs, et de grouper, dans la mesure du possible, les écoles libres égyptiennes. A cela près, son action est soumise aux fluctuations de la politique. C'est par suite de circonstances politiques que l'enseignement fut organisé par des Français ; c est également pour des causes politiques que l'anglais a remplacé le français dans la plupart des écoles officielles comme langue principale, cependant que le français-demeure comme langue accessoire.

Quoi qu'il en soit, qu'on invoque des raisons de fait ou des tendances, il arrive que les élèves des écoles officielles acquièrent le quasi-monopole des fonctions administratives et de l'admission dans les écoles supérieures, où presque tous les cours sont donnés en anglais, tandis que les écoles proprement anglaises sont peu nombreuses (environ 250 élèves secondaires dans les écoles anglaises). Il en résulte une gêne considérable pour les élèves des écoles françaises, qui n'ont d'autre issue que les Ecoles de droit et le commerce, bien que leur nombre mérite d'être considéré (1123 élèves secondaires) et qu'ils soient, presque tous, Egyptiens ou étrangers fixés à demeure.

Il est inévitable que cette situation anormale, vivement ressentie par toutes les colonies étrangères, provoque la création d'écoles supérieures de diverses nationalités, lourde entreprise à laquelle les élèves ne manqueraient sans doute point, mais qui présenterait pour l'Egypte même de sérieux inconvénients.

Aussi tout un parti nouveau s'est-il formé qui — partant de ce fait que la langue nationale de l'Egypte, commune à tous, n'est ni l'italien, ni l'allemand, ni le français, ni l'anglais, qui ont successivement dominé dans les écoles du gouvernement, mais bien la langue arabe — réclame l'emploi exclusif de la langue arabe dans toutes les écoles égyptiennes, dût-on enseigner le français, l'anglais ou "d'autres langues à litre de langues étrangères. A cette tendance, on pourrait opposer bien des objections de fait, mais l'avenir seul et la politique en décideront.

Quant aux écoles étrangères, dans toutes on remarque la tendance à créer des classes pour leurs propres nationaux, dont le nombre augmente et qui sont obligés d'envoyer leurs enfants très jeunes faire leurs études en Europe. Il y aurait ainsi deux catégories d'écoles étrangères : les unes suivant les pro grammes égyptiens, encore insuffisants pour assurer une culture générale, et les autres suivant les pro grammes européens, et tout à fait indépendantes des variations des programmes égyptiens, qui ne sont eux-mêmes que le reflet des fluctuations de la poli tique extérieure.