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Egoïsme

Nous prenons ici ce mot, non dans son sens philosophique le plus large, où il serait synonyme d'amour de soi, mais dans l'acception restreinte consacrée par l'usage général : l'égoïsme désigne alors un vice, l'amour de soi ou l'intérêt personnel devenant le mobile exclusif, réfléchi ou inconscient, de toutes les actions.

On a pu attribuer à l'amour-propre un rôle en éducation (Voir Amour-propre, Emulation, Récompenses). Il n'en est pas ainsi de l'égoïsme, vice moral, produit d'une étroitesse du coeur et de l'esprit contre laquelle il faut lutter, en faisant successivement appel au sentiment et à la raison.

Dans l'ordre du sentiment, le meilleur remède à employer contre la tendance de l'enfant à tout rapporter à lui-même, c'est le développement des penchants altruistes qui existent chez toute créature humaine. L'amour des autres est aussi naturel à l'homme que l'amour de soi : il correspond, il est vrai, à une phase ultérieure de l'évolution morale ; il a besoin, pour croître et se fortifier, de trouver un encouragement et un aliment dans la réciprocité ; mais il n'en est pas moins inhérent au fond même de notre être moral ; et à mesure qu'en se développant il prend, dans le concert de nos sentiments, la place qui lui revient, il fait équilibre à l'amour de soi, il empêche celui-ci d'usurper la domination, il le réduit sans effort à ne pas sortir des limites où son existence est utile et légitime.

Une attaque directe contre les tendances égoïstes, par voie de réprimande et d'exhortation, pourra quelquefois sembler nécessaire. Mais l'efficacité des remontrances est contestable ; tandis que la méthode qui consiste à détourner le coeur d'un penchant mauvais, en suscitant à celui-ci la rivalité d'un penchant meilleur, est bien autrement sûre et recommandable. Il pourra être inutile d'adresser à un enfant des reproches : aussi longtemps que le penchant auquel il a obéi restera le plus fort, les reproches demeureront sans effet. On réussira toujours, au contraire, si l'on s'y prend bien, à éveiller chez l'enfant les sentiments de générosité, d'affection, de dévouement, de justice :

et une fois que ces sentiments, dont la racine existe chez tout homme, auront commencé à prendre leur croissance régulière, on se trouvera avoir élevé, contre les empiétements de l'égoïsme, une barrière dont la solidité augmentera tous les jours.

La raison viendra plus tard achever l'oeuvre du sentiment. Quand le jeune homme commencera à réfléchir sur lui-même et sur ce qui l'entoure, à se rendre compte de l'identité des préceptes moraux et des lois générales qui gouvernent toutes choses, il se formera une conception nette et personnelle du rôle de l'individu dans la société, de ses droits et de ses devoirs. Il verra clairement que l'égoïsme n'est pas seulement haïssable, mais déraisonnable. Il saisira le grand fait de la solidarité sociale ; il comprendra que l'individu, mis au monde par l'espèce et élevé par elle, vit à la fois pour lui-même et pour l'espèce, et que l'égoïsme, poursuite exclusive de fins personnelles et intéressées, est destructif de l'existence même de la société.

Si la maturité morale, dans laquelle les facultés sont normalement équilibrées et où par conséquent l'égoïsme est refoulé par les sentiments qui lui font contre-poids, si cette maturité est lente à se produire, il ne faudra pas désespérer. Comme l'a dit Herbert Spencer, « non seulement il n'est pas sage d'attendre beaucoup de la part des enfants en fait de moralité, mais il n'est pas sage de leur demander beaucoup. Aujourd'hui, la plupart des personnes reconnaissent les mauvais résultats de la précocité intellectuelle ; mais il reste à reconnaître que la précocité morale a aussi des résultats funestes. Nos facultés morales supérieures, de même que nos facultés intellectuelles supérieures, sont comparativement complexes. Par conséquent, elles sont les unes et les autres tardives dans leur évolution. » Que l'éducateur ne s'inquiète donc pas outre mesure de voir l'enfant manifester naïvement l'égoïsme irréfléchi du premier âge ; qu'il ne croie pas tout perdu parce que des qualités morales, qui s'épanouiront plus tard, n'ont pas encore fait leur apparition. Il faut patienter ; à mesure que l'adolescent, par une accumulation journalière de force, s'acheminera vers la plénitude de ses facultés physiques et intellectuelles, il tendra aussi de plus en plus au développement harmonique et complet de son être moral.

James Guillaume