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Egeworth (Maria)

Miss Maria Edgeworth, née en 1770 en Angleterre dans le comté d'Oxford, morte en 1849 à Edgeworth's Town, en Irlande, était la fille aînée de Richard-Lovell Edgeworth. Ses premières années se passèrent en Angleterre, jusqu'au moment où son père, Irlandais de naissance, ayant hérité du domaine patrimonial, alla se fixer en Irlande. Depuis ce moment, toute son existence s'écoula dans le village d'Edgeworth's Town, sans autres incidents que la publication de ses ouvrages, quelques séjours en Angleterre à différentes reprises, et deux voyages à Paris en 1801 et en 1820.

Richard Edgeworth, qui s'était marié quatre fois, eut de nombreux enfants ; et c'est en surveillant les études de ses jeunes frères et soeurs que Miss Edgeworth se trouva portée à s'occuper des questions relatives à l'éducation. Ses premiers ouvrages sur ce sujet furent écrits en collaboration avec son père : ce sont les Lettres sur la littérature (Letters for literary ladies), l'Ami des parents (the Parents Assistant), les Essais sur l'éducation pratique (Essays on Practical Education), et les Premières leçons (Early lessons).

L'Ami des Parents est un recueil de contes pour l'enfance, dans le genre des historiettes morales de Berquin. Les Premières leçons sont, de tous les livres de Miss Edgeworth, celui qui est resté le plus populaire : il offre un cours d'éducation sous la forme de trois récits destinés à la fois aux enfants et aux parents, Rosemonde, Frank, et Henri et Lucie. Quant aux Essais sur l'éducation pratique, c'est un traité didactique où Miss Edgeworth et son père ont exposé leurs vues sur l'éducation et les résultats de leur expérience. Ce dernier ouvrage, qui reçut du public un accueil très favorable lors de sa première apparition en 1798, et qui aujourd'hui encore peut être lu avec intérêt, mérite une courte analyse.

La première idée des Essais sur l'éducation pratique appartient à Honora Sneyd, seconde femme de Richard Edgeworth. Les chapitres sur la grammaire et la littérature classique, sur la géographie et la chronologie, sur l'arithmétique, sur la géométrie, sur la mécanique, et les remarques sur l'enseignement de la lecture dans le chapitre des tâches, sont dus à Richard Edgeworth ; le chapitre sur l'obéissance a été écrit par sa seconde femme ; le chapitre sur la chimie, par son fils Lovell Edgeworth ; le reste de l'ouvrage est l'oeuvre de Miss Edgeworth.

Sur les vingt-quatre chapitres qui composent ces Essais, les onze premiers sont consacrés plus particulièrement à l'éducation morale. Ils traitent des sujets suivants : 1° des jouets ; 2° des tâches ; 3° de l'attention ; 4° des domestiques ; 5° des relations ; 6° du caractère ; 1° de l'obéissance (par Mme Honora Edgeworth) ; 8° de la véracité ; 9° des punitions et des récompenses ; 10° de la sympathie et de la sensibilité ; 11° de la vanité et de l'ambition.

L'auteur insiste sur l'importance du choix des jouets. « Plus les enfants ont d'intelligence et de vivacité, moins ils s'accommodent des jouets qu'on leur met ordinairement entre les mains. Il leur faudrait des choses qui exerçassent leurs sens, leurs facultés imitatives et inventives. »

Au chapitre des tâches est exposée la méthode de la syllabation directe, pour l'enseignement de la lecture. L'auteur veut qu'on rende aussi attrayante que possible l'acquisition des connaissances, mais s'élève en même temps contre la théorie de ceux qui veulent faire de l'étude un jeu perpétuel. « Si l'on fait de l'instruction un jeu, on associe à son objet une idée factice de plaisir. Si l'on fait de l'instruction une tâche, on y associe une idée factice de peine : l'un et l'autre retardent les progrès de l'intelligence. Fixer l'attention de l'enfant, tel doit être notre premier objet. »

Une des particularités du système éducatif de Miss Edgeworth, c'est la séparation complète qu'elle veut maintenir entre les enfants et les domestiques: elle pense que tout contact de l'enfant avec les gens de service ne peut être que nuisible, et elle en donne de nombreuses raisons. A l'objection qu'elle prévoit, qu'une séparation pareille serait impraticable, elle répond que depuis vingt ans il en est ainsi dans sa propre famille. Elle veut aussi qu'on tienne autant que possible les enfants éloignés des grandes personnes, des relations de la famille, car souvent les propos inconsidérés des étrangers pourront compromettre les enseignements reçus, et développer chez l'enfant la vanité ou d'autres défauts.

Les chapitres sur le caractère, sur l'obéissance, sur la véracité, sur les punitions et les récompenses, etc., sont pleins de conseils judicieux et d'observations fines et sensées, à l'appui desquels l'auteur cite à profusion des anecdotes dont elle semble avoir un arsenal inépuisable. Nous ne pouvons songer à résumer ces pages si nourries, et souvent si attachantes ; nous nous bornerons à les recommander à tous ceux qui trouveront l'occasion de les lire.

Le chapitre sur les livres contient des critiques à l'adresse de Mme Barbauld, de Berquin, auxquels l'auteur reproche de présenter parfois aux enfants des idées fausses ou des exemples mal choisis ; de Condillac, dont le cours d'études est si peu approprié aux facultés naissantes de son élève.

Dans les chapitres écrits par Edgeworth père, concernant l'enseignement des langues classiques et des sciences, on trouve d'excellentes observations sur le choix des méthodes, sur l'importance relative des différentes études ; l'auteur entre dans le détail des procédés qu'il a suivis pour l'instruction de ses propres fils, rappelant toujours qu'il ne recommande rien que son expérience ne lui ait démontré être utile, et visant avant tout à rester « pratique».

L'ouvrage se termine par six chapitres où Miss Edgeworth reprend la plume, et traite de l'éducation publique et particulière, des talents agréables pour les femmes, de la mémoire et de l'invention, du goût et de l'imagination, de l'esprit et du jugement, de la prudence et de l'économie.

« Si nous voulions louer Miss Edgeworth, a dit son premier traducteur, Charles Pictet, nous aurions beaucoup à dire. Son ouvrage suggère un grand nombre d'idées ; il fait réfléchir, il donne d'excellentes leçons à qui sait les entendre. Il est, dans son ensemble, une production étonnante, soit pour son objet particulier, soit comme ouvrage de philosophie morale. C'est la première fois que l'idée de l'éducation expérimentale a été présentée et développée. Ce n'est point ici un simple projet : l'auteur trace les progrès et les épreuves des élèves en expérience. Tout le mérite qui dépend de connaissances très étendues, tout le poids que peuvent donner un esprit net et réfléchi, un jugement sain, une longue pratique, sont acquis à cet ouvrage. L'auteur a ouvert une route dans laquelle les bons esprits, les observateurs sages, pourront faire faire des pas utiles à l'humanité. Qui sait si l'observation et l'expérience, qui ont tant avancé nos connaissances physiques, ne pourront pas être appliquées avec fruit à la science de l'éducation ? si, à force d'observer la marche de la nature humaine, on ne réussira pas à fonder sur des connaissances positives une théorie plus sage? »

La traduction dé Pictet, qui est plutôt une suite d'extraits qu'une reproduction littérale de l'original, parut d'abord dans la Bibliothèque britannique de Genève, puis fut publiée en deux volumes in-16, en 1801.

Miss Edgeworth avait révélé, dans ses Premières leçons, un remarquable talent de conteur. Elle publia vers la même époque une série de Contes moraux pour la jeunesse (Moral Taies for young people), que suivirent des Contes populaires pour les jeunes filles (Popular Taies for young persons). Puis elle s'essaya dans le roman proprement dit, et écrivit successivement, sous cette forme, des tableaux de la vie irlandaise ou des moeurs du grand monde : citons entre autres : Castle Rackrent (1802), The modern Griselda (1804), Leonora (1806), Taies of fashionable life (1809), Patronage (1814). Walter Scott était un grand admirateur de Miss Edgeworth ; c'est la lecture de ses récits irlandais qui 1 engagea à essayer à son tour du roman pour y peindre les moeurs écossaises, « quoique, dit son biographe Lockhart, il désespérât d'égaler son modèle ».

Le dernier roman de Miss Edgeworth, Helen, parut en 1834. A l'âge de soixante-dix-huit ans, en 1847, elle reprit encore la plume pour écrire, sous le titre à Orlandino, un récit destiné à la jeunesse. Deux ans plus tard, elle achevait au milieu des siens sa paisible et laborieuse carrière. « Sa fin, dit un biographe, fut le soir d'un beau jour. Le pur milieu dans lequel elle avait vécu, ces générations renouvelées autour d'elle, cette perpétuelle jeunesse épanouie sous ses yeux, et qui semblait lui avoir communiqué, en échange de ses tendres avis, ses grâces et son charme juvénile, lui créaient une atmosphère de printemps qui semblait défier la vieillesse et la mort. »

Une amie de Miss Edgeworth, Mme Louise Belloc (née Swanton), a donné une version française des Early Lessons, sous le titre d'Education familière, en faisant à l'original anglais divers changements et des additions qui ne sont pas toujours heureuses.