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Ecriture

Ecrire, c'est exprimer en caractères graphiques les mots que la parole exprime par des sons articulés.

Nous n'avons pas à définir autrement l'écriture ni à faire l'historique de ses différentes formes. Il est inutile aussi d'énumérer les services qu'elle rond aux sociétés en tant que moyen de communication entre les hommes.

On apprend à écrire pour faire connaître sa pensée à autrui lorsque la parole ne peut être entendue de lui, ou pour fixer d'une manière durable, permanente, ce que la parole, fugitive et sans trace, ne peut conserver.

Pour être lu, il faut écrire avec netteté, comme pour être entendu, il faut parler avec clarté.

Une mauvaise écriture, sans être, comme le dit Grote, une forme du mépris d'autrui, n'en n'impose pas moins à celui qui la lit de l'effort et de la peine. Une bonne écriture dénote un certain degré de qualités moyennes d'ordre, de proportion, de propreté et de goût au-dessous duquel il n'est permis a personne de rester.

De là l'importance de l'enseignement de l'écriture à l'école primaire.

Pendant longtemps elle a été l'une des trois matières dont on s'occupait exclusivement, ou à peu près, dans les écoles : lire, écrire et compter, c'était tout le programme, et encore l'écriture ne devait venir qu'après la lecture. Ce n'est que quand l'enfant savait lire qu'on lui apprenait à écrire.

Aujourd'hui le programme est beaucoup plus compliqué, mais l'écriture y tient toujours une place importante. De plus, on doit l'enseigner dès le premier jour et, très judicieusement, on la lie même avec la leçon de lecture.

Il ne s'agit point de faire de nos écoliers des calligraphes. La calligraphie est un art qui a recours à des moyens spéciaux ; elle exige une longue pratique et beaucoup de temps, et il n'y en a point à perdre dans l'enseignement primaire. Il faut aller droit au but : écrire avec propreté et lisibilité, et, s'il se peut, avec rapidité, sans toutefois rejeter une certaine élégance qui peut être le résultat de la régularité et de l'ordre, même dans la méthode la plus simple. Ces données permettent de se rendre compte des qualités que doit présenter une bonne méthode : un enchaînement judicieux des principes, une gradation raisonnée des difficultés, la simplicité, la clarté, et surtout la rapidité.

Autrefois il existait des méthodes d'écriture à principes bien déterminés. Il en existe encore, mais il y a plutôt des cahiers d'exercices, dont les modèles, bien gradués sans doute et élégants, ne présentent pas toujours un ensemble de règles et de principes constituant des méthodes proprement dites.

De là une grande diversité d'écritures dans nos écoles, même dans les classes d'une même école.

Il semblerait donc nécessaire de revenir à plus d'uniformité et de s'arrêter enfin à une méthode qui, ralliant tous les suffrages, pourrait être considérée comme une sorte d'écriture nationale, comme l'était notre vieille écriture française.

Successivement on a eu pour, écriture nationale la gothique, la bâtarde (ou italienne), la ronde, la française (mélange de la bâtarde et de la coulée), et l'écriture anglaise ou anglo-américaine, celle qui domine actuellement.

Une question a partagé pendant longtemps les maîtres et donné lieu à des discussions nombreuses et passionnées.

Deux systèmes étaient en présence : l'écriture française, large, arrondie, de peu de pente, facilement uniforme sous toutes les mains, et très lisible ; l'écriture anglaise, ou plutôt anglo-française, aboutissant à la cursive aux formes allongées, élégantes, à pente marquée, à exécution légère et rapide, mais, quoi qu'on en ait dit, un peu mièvre, moins lisible que sa rivale et plus difficile à acquérir.

On combattit ardemment pour l'une ou pour l'autre. L'anglaise finit par prendre le pas sur la française, surtout dans les établissements congréganistes, et particulièrement dans les écoles des Frères des écoles chrétiennes qui l'adoptèrent uniformément.

Aujourd'hui une question analogue divise le corps enseignant et les pédagogues. Il ne s'agit plus, cette fois, d'une lutte nouvelle entre l'écriture anglaise et l'écriture française, cette dernière ayant à peu près définitivement disparu, malgré quelques tentatives de rénovation. Le débat s'est ouvert entre l'écriture penchée et l'écriture dite droite.

Les protagonistes des deux camps disposent d'arguments puissants, et, comme la querelle est toujours vive, il convient d'en examiner ici la genèse et les motifs.

En 1881, à la suite d'une étude publiée par le Dr Javal dans la Revue scientifique, une commission fut chargée par le ministre de l'instruction publique de « rechercher les causes du progrès de la myopie parmi les écoliers et d'indiquer les remèdes à apporter à une situation qui allait empirant de jour en jour ».

La conclusion du rapport de la commission fut « qu'un grand progrès serait obtenu en exigeant, suivant la formule de George Sand, une écriture droite, sur papier droit, corps droit. On évitera ainsi du même coup la scoliose, déjà signalée en 1880 par le Dr Dally à la Société de médecine publique et d'hygiène professionnelle, et la myopie. »

En 1891, le Congrès d'hygiène de Londres et l'Académie de médecine donnèrent un avis identique en faveur de l'écriture droite. L'année suivante, le Dr Javal signalait de nouveau comme une des causes de la myopie la pente de l'écriture.

Des observations semblables furent faites par M. Du-jardin-Beaumetz et par les médecins inspecteurs des écoles, qui y joignirent des statistiques établissant irréfutablement que le nombre des cas de scoliose et de myopie augmente à mesure que la scolarité se prolonge. Les mêmes constatations furent faites en Suisse. En présence de ces faits, le ministre prit un arrêté « autorisant l'emploi de l'écriture droite dans toutes les épreuves de l'enseignement primaire ».

C'était un encouragement aux partisans de l'écriture droite. Leur nombre s'en accrut. Au mois de janvier 1907, un comité privé, composé de MM. F. Buisson, le Dr Javal, E. Lavisse, adressa à toutes les personnes que la question intéresse un appel en vue de fonder une « Ligue gratuite pour l'écriture droite ». Cet appel reçut le plus favorable accueil. Rapidement de nombreuses adhésions se produisirent parmi les instituteurs, les inspecteurs, les professeurs de l'enseignement secondaire et de l'enseignement supérieur, et même parmi les industriels et les commerçants.

L'ardeur de leurs adversaires, opposants intéressés ou partisans convaincus de l'écriture penchée, s'en augmenta d'autant.

En réalité, il s'agit surtout, comme on le voit, d'une question d'hygiène plutôt que d'une question de méthode, bien que les uns et les autres fassent valoir des arguments sérieux d'ordre pédagogique.

Au point de vue de l'hygiène, il est certain que l'enfant, pour l'écriture penchée, est souvent assis sur son banc le corps penché, s'appuyant, d'un seul côté, sur le coude gauche. Son épaule gauche remonte ; sa colonne vertébrale dévie de la ligne verticale et se courbe avec convexité à gauche. En outre, cette position penchée l'oblige à incliner la tête à gauche et en avant, de telle sorte que les yeux s'accommodent à une vision trop courte et prennent un degré différent d'accommodation. La myopie et la scoliose peuvent être le résultat de cette attitude.

A cela, les défenseurs de l'écriture à pente répondent qu'il suffit de veiller à la tenue des enfants ; qu'on peut tenir le corps droit et les épaules à la même hauteur en écrivant penché, et qu'il suffit d'incliner le cahier à gauche pour obtenir le résultat cherché.

Il n'en est pas moins vrai que l'écriture droite n'exige pas cette surveillance et ces apprêts spéciaux. Les enfants ont une tendance naturelle à écrire droit. Le fait est aisé à observer. Ce n'est qu'en leur faisant violence, en contraignant leur inclination, qu'on les amène à acquérir la tenue et à obtenir la pente de l'écriture anglaise.

Les raisons d'ordre pédagogique et de méthode invoquées de part et d'autre ne sont pas non plus sans valeur.

L'écriture droite est simple, rationnelle, claire, lisible. Elle a de l'analogie avec les caractères imprimés et avec l'écriture obtenue aujourd'hui dans le commerce et l'industrie par la machine à écrire. Elle donne des habitudes d'ordre, de soin et de méthode. Elle permettrait d'atteindre, dans l'enseignement, à une uniformité à laquelle on n'a pu atteindre jusqu'ici.

L'écriture penchée, anglaise ou anglo-américaine, est rapide, élégante, gracieuse, bien que parfois assez peu lisible: elle est personnelle ; elle n'oblige point, comme l'écriture verticale, à un mouvement de va-et-vient, à un déplacement latéral du bras qui tient la plume. Enfin, les commerçants, a-t-on dit, la préfèreraient et l'exigeraient de leurs employés, bien que, cependant, il résulte d'une enquête récente de la Société libre pour l'étude psychologique de l'enfance que les magasins, les banques, le commerce n'imposent plus aujourd'hui à leurs comptables et à leurs employés un genre spécial d'écriture.

Somme toute, l'écriture verticale, une écriture large, à traits un peu arrondis, qui ne serait pas l'anglaise redressée et pointue, mais plutôt la vieille écriture française relevée encore davantage, qui aurait un aspect robuste et, en quelque sorte, plébéien, semblerait avoir les suffrages d'un grand nombre de maîtres et de personnes autorisées.

Tel est actuellement l'état de la question. L'écriture droite gagne dans l'opinion et se répand de plus en plus. Des méthodes spéciales surgissent qui réalisent des progrès, et comme méthode et comme facture. Le même mouvement s'est d'ailleurs produit aussi à l'étranger. Les Anglais, les Américains ont renoncé à l'écriture avec pente. En Allemagne, en Suisse, au Japon, l'écriture droite est enseignée dans toutes les écoles.

Enseignement de l'écriture. ? Tout d'abord, il faut poser en principe que l'écriture doit être enseignée, professée. Cet enseignement, peut-être trop dédaigné dans certaines écoles et par certains maîtres, demande, autant que les autres, une suite, une méthode, un enchaînement raisonné de principes. De plus, il exige une intervention personnelle et prolongée de l'instituteur, une dépense quotidienne considérable de temps et de soins, et presque un enseignement individuel, surtout avec les jeunes enfants. Des règles, des directions nombreuses ont été données de tout temps à cet égard aux maîtres des écoles primaires. Il suffit de rappeler les instructions minutieuses contenues dans la Conduite des écoles chrétiennes, dans le Guide de l'enseignement mutuel : ce dernier ouvrage, par une innovation remarquable, conseillait de mettre l'enfant, dès son arrivée à l'école, à l'étude simultanée de la lecture et de l'écriture. Plus tard, des instructions officielles, les ouvrages de pédagogie et de méthodologie sont venus compléter, fixer et coordonner ces directions.

Il est incontestable, tout d'abord, qu'il faut écrire de bonne heure ; l'écriture nécessite un long exercice pour devenir parfaite ou seulement convenable. Elle a, au reste, l'avantage de constituer un exercice intéressant qui rompt la monotonie de la classe, y apporte la variété, l'animation, et donne satisfaction au besoin de mouvement des jeunes enfants.

Le mode d'enseignement actuel, le mode simultané, impose, d'autre part, la marche générale, la méthode, pour l'écriture comme pour toute autre matière du programme : la leçon collective du maître, un travail d'application exécuté par les élèves, en commun et au même moment, une correction commune par le maître, sans préjudice de quelques corrections individuelles, qui s'imposent en la matière.

La leçon du maître doit avoir lieu au tableau noir, qu'il s'agisse de l'étude des éléments ou de leur récapitulation. Elle s'adresse à tous les élèves ; elle est faite en leur présence. L'écriture est surtout un art d'imitation. Le modèle doit naître sous les doigts de l'instituteur.

L'élément étudié (ou la lettre, s'il s'agit d'une lettre entière) est tracé en gros, expliqué quant à sa forme et à son exécution. Un ou plusieurs élèves sont appelés au tableau pour en reproduire le tracé. Au besoin, le maître guide leurs doigts ; il fait remarquer aux enfants où commence le tracé de la lettre, ce qui est essentiel, et où il finit.

Chemin faisant, les élèves sont initiés à la technologie spéciale de l'écriture : plein, délié, corps, boucle, jambage, etc.

Le travail d'application vient ensuite, soit à l'ardoise, soit sur le papier, libre ou à modèles.

Pour les commençants, le cahier a modèles paraît avoir des avantages, à condition toutefois qu'on n'en abuse point et qu'on ne se dispense pas, surtout, des explications préalables au tableau noir et de l'interprétation personnelle qu'on doit en faire.

Mais il est préférable de se servir, pour les cours qui suivent, de cahiers à papier libre, sans modèles. Ils donnent au professeur la possibilité d'insister sur certains exercices, de revenir même en arrière, de faire marcher de front toute la classe, et ils favorisent moins la routine et la passivité.

L'emploi du calque a été fort discuté. Peut-être a-t-il été condamné avec trop de sévérité. La forme des lettres est permanente ; la répétition fréquente, même servile, du même tracé en fixe l'image dans les yeux et dans la mémoire. Quoi qu'il en soit, ce ne peut être qu'un procédé accessoire et de transition.

Les indications qui précèdent constituent la partie générale de la méthode et en indiquent en quelque sorte les instruments.

Mais cet enseignement a ses principes particuliers, liés à la forme même des caractères et à la manière de les exécuter. Ils sont relatifs : 1° à l'ordre dans lequel les éléments doivent être appris ; 2° à la régularité et à la netteté de leur trace ; 3° à la tenue du corps, du cahier et de la plume.

L'ordre dans lequel doivent être étudiées successivement les lettres dépend des éléments fondamentaux qui les composent. C'est pourquoi toutes les méthodes les groupent en un certain nombre de séries comprenant les lettres composées des mêmes principes. Certaines lettres ont une forme radicale : l'i, l'n, le j, l'l, le c, qui se retrouvent dans d'autres lettres et qui permettent d'établir lesdites séries, lesquelles toutefois sont variables suivant les méthodes, mais ont nécessairement entre elles beaucoup d'analogie.

C'est par l'étude de chacun de ces éléments graphiques que commence celle des lettres de chaque série. L'on procède ainsi, selon toute bonne méthode, du facile au difficile, du simple au composé.

On n'étudie qu'une forme, qu'une lettre à la fois, surtout avec les commençants, et on y retient les élèves le temps nécessaire à l'obtention d'un résultat satisfaisant.

Les lettres apprises à chaque leçon sont l'objet d'un modèle ou d'un texte d'application renfermant ces lettres jointes à d'autres, précédemment expliquées et étudiées. Autant que possible, le modèle est rattaché à une autre leçon, de préférence à la leçon de morale du jour. 11 est lu, expliqué et développé, s'il y a lieu, pendant que les élèves écrivent.

La régularité de l'écriture s'acquiert par la netteté du plein, par l'écartement égal des lettres de même nature, par le parallélisme des boucles et l'uniformité de la pente, et, si l'on enseigne l'écriture droite, par la verticalité aussi parfaite que possible des jambages et des pleins.

La tenue du corps, du cahier et de la plume est l'objet de conseils répétés à chaque leçon. Ces conseils sont naturellement appropriés au genre d'écriture. Mais qu'il s'agisse de l'écriture avec pente ou de l'écriture verticale, la recommandation commune est de tenir le corps droit, d'aplomb sur le siège, la ligne des épaules et celle des yeux parallèles au-bord de la table, sauf, pour l'écriture penchée, à tourner un peu le corps et le cahier vers la gauche. La plume doit être tenue légèrement, sans effort et sans raideur, entre les trois premiers doigts de la main, qu'on incline a droite pour l'écriture penchée et à gauche pour l'écriture verticale. L'index, selon la pression qu'il exerce, fournit les pleins et les déliés ; les deux autres doigts soutiennent la plume et la conduisent. 11 y a lieu de recommander de ne pas mettre les doigts en crochets ; c'est la tendance naturelle de l'enfant parce qu'il croit devoir faire un grand effort de pression sur sa plume ; mais cette tendance se modifie si l'on a soin d'y veiller constamment.

Toute leçon d'écriture doit donc comprendre les parties suivantes :

Exposé et tracé en grand, au tableau noir, de l'élément graphique ou des lettres à apprendre ;

Analyse des parties qui les composent : déliés, pleins, jambages, boucles, dimensions, hauteur des lettres, largeur des pleins, pente, point de croisement des boucles et des jambages, etc. ;

Répétition de ce tracé par les élèves, au tableau, ou par des mouvements de la main, ou par un procédé quelconque s'appliquant à ce tracé. Un peu de mécanisme en la matière ne nuit pas ;

Exercice d'application sur les cahiers ;

Correction.

Après l'exposé de la leçon, le maître passe dans les tables, surveille l'exécution du modèle, procède rapidement à quelques corrections individuelles. S'il remarque une faute générale, il en fait l'objet d'une observation au tableau, et cette observation constitue la correction collective.

De cette façon la leçon est véritablement simultanée, surtout si le maître donne les recommandations nécessaires pour que les élèves commencent en même temps, marchent du même pas, et qu'on trouve, dans tous les cahiers, les mêmes exercices faits à la même date.

Pour confirmer les indications que nous venons de donner, nous invitons les instituteurs à se reporter aux directions de M. Gréard, contenues dans ses belles instructions sur l'Organisation pédagogique des écoles publiques du département de la Seine. Ils y trouveront les principes essentiels présentés dans cet article.

Victor Brouet