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Ecriture-Lecture

C'est par cette expression abrégée qu'on désigne souvent la méthode de l'enseignement simultané de l'écriture et de la lecture. Cette méthode, qui, après avoir été pratiquée en France 'dès le dix-huitième siècle par quelques novateurs, n'a reçu ses derniers perfectionnements que dans la seconde moitié du dix-neuvième, gagne rapidement du terrain dans tous les pays où l'instruction populaire est en honneur. C'est par un court résumé historique qu'il sera le plus facile de montrer les diverses séries de progrès qui, en se combinant, ont fini par produire une méthode à la fois rationnelle et expéditive.

Dans les écoles d'autrefois, la lecture et l'écriture formaient deux ordres d'enseignement parfaitement distincts. Un grand nombre d'élèves se contentaient d'apprendre à lire plus ou moins couramment, sans aborder les mystères de l'écriture ; ceux-là seuls dont les parents avaient le moyen de payer une rétribution plus élevée étaient initiés à l'art de tracer les lettres sur le papier : ils formaient dans la classe une catégorie à part, celle des écrivains. Il est clair que cette séparation des matières du programme scolaire ne reposait sur aucun principe pédagogique, et n'avait d'autre raison d'être que les convenances du maître d'école, qui cherchait à tirer le plus de profit personnel possible du savoir qu'on le chargeait de transmettre à ses élèves.

Cependant, dès le dix-septième siècle, on voit en Allemagne quelques bons esprits, préoccupés d'introduire dans l'enseignement élémentaire une méthode rationnelle, arriver à cette conclusion que l'écriture est inséparable de la lecture. Un règlement scolaire. de la principauté de Köthen, attribué à Ratichius, recommande de faire écrire les lettres aux élèves en même temps qu'on leur enseigne à les assembler en syllabes. Un siècle plus tard, un grammairien français, Pierre Delaunay, publiant la méthode de lecture due à, son père Py-Poulain Delaunay, s'exprime ainsi : « Une chose essentielle que je conseille aux parents qui voudront enseigner leurs enfants suivant cette méthode est de leur mettre la plume à la main dès qu'ils commencent la lecture, et de les faire écrire, quelque jeunes qu'ils puissent être ; cet exercice les avancera extraordinairement ». A la fin du dix-huitième siècle, l'économiste Dupont (de Nemours), qui s'était occupé d'éducation, déclarait « qu'il faut commencer l'instruction littéraire des enfants par leur apprendre à écrire, et qu'on ne doit s'embarrasser aucunement de la lecture, dont on n'aura pas besoin de faire une étude à part, si l'écriture est bien enseignée ». II ajoutait qu'il avait élevé lui-même de cette façon plusieurs enfants, « qui n'ont jamais appris spécialement à lire ». (Vues sur l'éducation nationale, Paris, an II.) Dans un Mémoire sur l'éducation nationale dans les Etats-Unis d'Amérique, publié en 181", Dupont, revenant sur cette question, ajoutait : « Nous ignorions à Paris [en l'an Il| que chez la nation allemande, moins frivole que la nôtre, l'usage de l'écriture, comme première étude, avait été plus heureux ; et c'est avec un plaisir extrême que je viens d'apprendre que, dès 1778, M. Joachim-Henri Campe avait fait imprimer à Altona un excellent mémoire où il développait, avec beaucoup d'esprit, de raison et de goût, les procédés dont je me croyais le seul inventeur. »

Campe, à qui Dupont (de Nemours) rend un hommage mérité, avait en effet entrevu la méthode moderne d'écriture-lecture ; un autre disciple de Basedow, le Prussien Gedike, était allé plus loin : il avait formulé dès 1779 le principe de la méthode analytique-synthétique, qui, employée dans toutes les sciences, devait s'appliquer aussi à l'enseignement de la lecture et de l'écriture. Toutefois, les idées de Gedike ne furent comprises et réalisées que de nos jours.

Pestalozzi, malgré ses bonnes intentions, ne sut rien faire pour améliorer les méthodes : celle qu'il adopta pour l'enseignement de la lecture ne saurait être regardée que comme une des nombreuses aberrations pratiques de cet initiateur, si grand d'autre part par le courage et le dévouement.

Les fondateurs de l'enseignement mutuel, Bell et Lancaster, avaient, comme Dupont (de Nemours), combiné les exercices d'écriture et ceux de lecture : on sait que, pour apprendre aux élèves la forme des lettres, ils les leur faisaient tracer sur le sable avec le doigt, procédé que Bell avait emprunté aux écoles hindoues.

Ce fut un pédagogue bavarois, J.-B. Graser, qui introduisit le premier à l'école primaire, sous une forme méthodique, le système d'écriture-lecture ou Schreiblese-Methode (vers 1820). Il enseignait d'abord aux enfants à écrire les lettres prises isolément, puis les leur faisait assembler pour former des syllabes et des mots. Quoiqu'il partît de ce principe erroné que la forme des lettres n'était autre chose qu'une représentation des diverses positions des lèvres, des dents et de la langue dans la prononciation des sons, il a rendu aux écoles allemandes un service signalé en ouvrant pratiquement une voie nouvelle, dans laquelle allaient le suivre de nombreux imitateurs.

Un de ses disciples, Scholz, imagina (1827) de combiner le système de Graser avec une réforme introduite dès 1803 par le Bavarois Stephani, la Lautier-méthode ou méthode phonétique, dans laquelle l'élève, au lieu d'épeler en disant le nom des lettres, se borne à émettre les sons qu'elles représentent. Enfin Lüben, s'inspirant du vieux Comenius, ajouta à l'étude des sons, des lettres et des mots l'enseignement intuitif des choses, de façon à faire voir à l'enfant, d'abord un objet réel qui lui est nommé, puis la manière d'en lire et d'en écrire le nom. La méthode d'écriture-lecture, avec les développements qu'elle comporte et dont nous parlerons plus loin, était désormais fondée.

Nous devons ajouter toutefois que la prononciation phonétique des lettres, non plus que les leçons de choses, ne sont point en elles-mêmes des parties intégrantes de la méthode d'écriture-lecture. On peut très bien concevoir et pratiquer celle-ci indépendamment de ces additions. Quelques-uns de nos lecteurs pourront même se demander si les partisans de l'épellation phonétique ne sont pas arrivés quelquefois à compliquer ce qu'ils voulaient simplifier, et si l'enfant de cinq ans ne possède pas déjà un pouvoir ! d'abstraction suffisant pour distinguer entre le nom de la lettre et le son que celle-ci représente. D'ailleurs, l'orthographe française n'est malheureusement pas phonétique, et, dès les premières leçons, l'enfant rencontrera des assemblages arbitraires de consonnes et de voyelles auxquels l'usage donne des valeurs toutes différentes de celles qu'indique l'alphabet. L'épellation phonétique ne peut donc pas conduire l'élève bien loin ; et, tout en en reconnaissant les mérites logiques, nous nous permettons de croire que l'élève qui apprendra à nommer les lettres par leur nom ne court pas le risque de faire des progrès moins rapides dans l'écriture-lecture que celui à qui on aura fait articuler les consonnes sans permettre à aucune voyelle de se joindre à l'articulation. Quant à la combinaison des leçons de choses avec les exercices de lecture et d'écriture, elle ne peut évidemment être que très profitable ; mais ce n'est là qu'un accessoire intéressant, et non, comme ont paru le penser quelques personnes, l'essence même de la méthode.

Les éducateurs partisans de la méthode d'écriture-lecture sont divisés sur la question de savoir s'il convient de n'enseigner à l'enfant, au début, que l'alphabet manuscrit, ou s'il vaut mieux lui faire connaître d'abord les deux alphabets différents, celui du manuscrit et celui de l'imprimé. Le plus grand nombre, croyons-nous, s'est prononcé pour l'alphabet unique : l'enfant, dans ce système, ne lit que des lettres semblables à celles qu'on lui fait écrire, et l'étude de l'alphabet imprimé est renvoyée à plus tard.

La méthode d'écriture-lecture, dont nous venons d'exposer la formation historique, était une méthode synthétique ; c'est-à-dire que l'instituteur fait connaître à l'enfant les éléments du langage parlé et écrit, les sons et les signes, qu'il doit assembler pour en former des mots.

Un perfectionnement pouvait encore être introduit dans la méthode. Gedike l'avait signalé : il s'agissait de la rendre à la fois analytique et synthétique. On devait y parvenir en présentant à l'enfant, non plus des éléments, les lettres, mais un tout, un mot, sur lequel on l'invite à faire lui-même le travail d'analyse, en décomposant ce mol en lettres ; une fois les éléments du mot obtenu, l'enfant fait le travail inverse, la synthèse : il reconstitue, avec les lettres que l'analyse lui a fournies, soit le mot qui a servi de point de départ à l'exercice, soit d'autres mots ou des syllabes.

C'est à peu près là ce que Jacotot faisait faire à ses élèves, lorsqu'il leur présentait la première phrase du Télémaque comme matière de leurs exercices d'épellation et de grammaire. Seulement, Jacotot faisait travailler ses élèves sur une phrase quelconque. Or, pour enseigner les premiers éléments de l'écriture et de la lecture, il est évident que le choix des mots qui doivent servir aux exercices n'est pas indifférent : il faut que ces mots soient simples, courts, qu'ils offrent un sens connu des enfants, que les lettres qui les composent s'y présentent avec leur valeur alphabétique habituelle ; il faut, pour employer une expression créée par l'Allemand Lüben, de qui nous parlions tout à l'heure, que ce soient des mots normaux. L'idée, une fois jetée dans le public, fit rapidement son chemin : Lüben, et avec lui bien d'autres, parmi lesquels il convient de citer Graffunder, à Erfurt, et Vogel, à Leipzig, travaillèrent à introduire ce perfectionnement dans la pratique ; et on eut alors, à côté de la méthode simplement synthétique, une méthode plus complexe, qui s'appela analytique-synthé tique, ou encore méthode des mots normaux (Normal-wörter). En Belgique, en Suisse, aux Etats-Unis, et jusqu'à un certain point en France, la méthode d'écriture-lecture analytique synthétique s'est imposée à l'attention : elle a été pratiquée, grâce à l'initiative de M. Maurice Block, à l'école-annexe de l'école normale d'instituteurs de la Seine, et elle a été vulgarisée, sous un nom de convention, celui de méthode Schiller, dans un excellent petit ouvrage écrit par Charles Defodon. Tout fait prévoir que c'est à elle qu'appartient l'avenir.

James Guillaume