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Economie domestique

L'économie domestique partage avec l'hygiène et la médecine le privilège d'être considérée à la fois comme une science et comme un art. L'étendue des connaissances qu'elles exigent, l'élévation des fins qu'elles se proposent, leur participation au bonheur de l'humanité tendent, en effet, à les promouvoir au rang de science. En fait, ce sont des arts, et plusieurs sciences sont nécessaires pour établir les principes fondamentaux de chacun d'eux. Pour réaliser l'organisation du foyer, ou la conservation de la santé, ou la guérison des maladies, il faut la contribution des sciences mathématiques, physiques, chimiques, naturelles.

L'économie domestique requiert aussi le concours d'autres arts, et nous verrons le programme d'enseignement de l'économie domestique voisiner sur plus d'un point avec celui de l'hygiène ; la place faite à l'ait culinaire dans ces mêmes programmes accentue encore le caractère technique de l'économie domestique, de même que l'adjonction des travaux manuels.

Mais, d'autre part, les rapports de la morale et de l'économie domestique sont si manifestes, si étroits, que l'importance de cette dernière en est notablement accrue. Considérée dans son union avec la morale, elle devient, comme science du ménage, régulatrice des moeurs domestiques, productrice de moralité et de bonheur, et c'est à faire le tableau de la félicité domestique engendrée par le gouvernement méthodique de la maison que s'appliquent à la fois et Xénophon dans l'Economique, et le Mesnagier du seizième siècle, et Fénelon dans le Traité de l'éducation des filles, et Mme de Maintenon dans ses Entretiens, ainsi que d'autres écrivains du dix-huitième et du dix-neuvième siècle.

De tous les ouvrages consacrés à l'éducation de la femme se dégage cette conclusion qu'il y a un art de gouverner la maison, qu'il s'exprime en règles, en préceptes auxquels il faut conformer ses actes. Où donc apprendrons-nous les secrets de cet art?

Nous l'enseignerons nous-mêmes à nos filles, nous répondent les mères, et là où il se pratique, à la maison, au foyer, au sein de la famille ; ne vous mettez pas en peine de vous substituer à nous. Faites votre office de maîtresse d'école ; apprenez à lire, à écrire, à calculer à nos filles : le reste, c'est notre affaire. Et c'est ce reste, hélas ! qui a été omis ou enseigné sans souci des nécessités présentes. Or, l'économie domestique, cet art du ménage, lié à la vie de la famille, mêlé à toutes les circonstances de cette vie, réclame impérieusement de l'ordre, de la méthode, de la prévoyance et du savoir. Sans donc dédaigner le concours des mères de famille, en le désirant même comme instrument de contrôle et de vérification, il faut revendiquer pour l'école moderne le droit et le devoir d'inscrire dans ses programmes l'enseignement des notions d'économie domestique.

Telle a été la conclusion adoptée par le Congrès de l'enseignement primaire qui s'est tenu à Paris en 1900, dans la réunion où M. Gréard faisait voter cette résolution de principe : « L'enseignement de l'économie domestique et des devoirs du ménage doit être obligatoire à tous les degrés de l'enseignement primaire».

Les traditions de cet enseignement ne sont point à créer en France ; des municipalités comme celles de Rouen, de généreuses bienfaitrices comme Mme Doyen, à Reims, des sociétés comme la Ligue de l'enseignement, ont fondé, bien avant 1900, des écoles ménagères spéciales ou des cours spéciaux ; la Ligue de l'enseignement a même rédigé et vulgarisé des programmes d'économie domestique auxquels nous conseillerons de faire des emprunts. En fait, l'enseignement des travaux de couture a toujours existé dans les écoles de filles, mais cet enseignement a pour ainsi dire masqué l'absence des notions générales d'économie domestique et a paru répondre à toutes les exigences en matière d'éducation domestique. Tout au moins subordonnait-on ces notions à l'exercice des travaux manuels.

Si nous examinons les programmes annexés à l'arrêté du 18 janvier 1887 (complétés par les arrêtés des 8 août 1890, 4 janvier 1894, 9 mars 1897, 17 et 20 novembre 1898), qui sont officiellement suivis aujourd'hui, nous y lisons en effet : « Le travail manuel des filles, outre les ouvrages de couture et de coupe, comporte un certain nombre de leçons, de conseils, d'exercices, au moyen desquels la maîtresse se proposera, non pas de faire un cours régulier d'économie domestique, mais d'inspirer aux jeunes filles par un grand nombre d'exemples pratiques l'amour de l'ordre, de leur faire acquérir les qualités sérieuses de la femme de ménage et de les mettre en garde contre les goûts frivoles ou dangereux. »

S'il faut apprécier la large initiative laissée à l'institutrice, il y a lieu de faire remarquer que c'était une nécessité, puisque l'enseignement de l'économie domestique n'était point déterminé, restait confondu avec celui des travaux manuels, et qu'en excitant les institutrices à inspirer des sentiments domestiques, on faisait fond plutôt sur une sorte d'éducation sentimentale que sur la régularité d'une série de leçons et sur les qualités de jugement que pouvait faire naître un enseignement enrichi de notions scientifiques. Assurément cette source doit alimenter un programme d'économie domestique ; on ne s'est pas fait faute d'y recourir, toute une littérature scolaire et domestique à l'usage des filles y a puisé. A l'heure actuelle, il n'est pas un livre de lecture destiné aux écoles de filles qui, sous une forme ou sous une autre, n'offre un cours plus ou moins complet d'économie domestique et d'éducation ménagère. La peinture des joies du foyer, le tableau des heureuses conséquences qu'entraîne la bonne gestion de la mère de famille n'y font pas plus défaut que dans leur modèle antique, dans l'Economique de Xénophon.

Les illustrations apportent leur part de vulgarisation : des images représentant les occupations domestiques qu'appelle chaque moment de la journée, les diverses circonstances de la vie du foyer, les scènes de famille intimes ou communes, viennent charmer les yeux, éveiller dans l'imagination la représentation de scènes analogues où chacun aimerait à jouer un rôle réel. Je ne connais pas un de ces livres qui, par l'art des auteurs, par le soin des éditeurs, ne soit propre à contribuer à cette éducation sentimentale qu'on a cru jusqu'ici suffisante pour préparer la femme à ses fonctions spéciales dans la communauté.

Cette éducation est un auxiliaire, un adjuvant dont on aurait tort de négliger l'importance ; mais, à côté de cet enseignement adventice, il faut des notions d'économie domestique qui fassent partie d'un ensemble d'études ; il faut, en un mot, un cours obligatoire d'économie domestique, revêtant tantôt le caractère propre à l'étude des éléments des sciences physiques et naturelles, c'est-à-dire expérimental, tantôt le caractère propre à l'étude des notions de morale, c'est-à-dire appuyé sur le raisonnement. Sous ce dernier aspect, l'économie domestique doit apparaître comme une conséquence rigoureuse de principes sociaux posés et de faits constatés. Il y a des unions, il y a des familles, il y a des groupes, des intérieurs où chacun remplit à la fois des fonctions communes et jouit d'attributions spéciales ; il faut connaître la vie de ces groupes, les causes qui en assurent la permanence, la nature et l'étendue des obligations que crée leur existence, afin de les remplir dans le sens du mieux, dans le sens du progrès pour chacun et pour tous. Il y a aussi des connaissances dont les applications sont journalières, qui sont causes de modifications dans l'existence, la durée, la composition des groupes ; il faut acquérir ces connaissances, il faut apprendre à les appliquer.

Sous cette forme impérative, l'art de l'économie domestique, qu'on avait paru croire restreint à la confection du pot-au-feu ou au récurage de la batterie de cuisine, se présente à nous comme une obligation, comme une nécessité, comme l'accomplissement d'un devoir social, de sorte que les détails multiples de la vie d'intérieur s'ennoblissent par leur participation à la réalisation du progrès. 11 va de soi aussi que l'enseignement de l'économie domestique se prêtera à toutes les modifications qu'exige l'organisation pédagogique : d'abord pur dressage, réduit à l'acquisition d'habitudes d'ordre, de propreté, de civilité, à la pratique d'exercices extrêmement simples, quand il s'agit d'enfants de cinq à neuf ans, il se présentera dès l'entrée dans le cours moyen sous une forme didactique quoique assez souple : causeries, descriptions, exercices d'observation, et nous recommandons même de faire noter sur les cahiers des élèves les titres de ces causeries, de ces descriptions, l'indication des sujets de l'exercice d'observation, afin de montrer sous cette forme indirecte et très réduite les différentes directions où peut s'engager spécialement l'activité féminine.

Le passage du cours moyen au cours supérieur sera marque par la liaison étroite de l'enseignement de l'économie domestique avec des notions élémentaires de physique, de chimie, d'histoire naturelle, et par le voisinage déjà signalé des parties du cours d'hygiène. Il semblerait même qu'arrivée à cette période de la scolarité, la jeune fille pût croire que l'enseignement de l'économie domestique se confondrait avec celui des sciences proprement dites, si la lecture d'ouvrages moraux, si des exercices spéciaux, si des réflexions personnelles suscitées par les leçons consacrées à la morale domestique, si les remarques d'éducatrices bien averties ne restituaient à cet enseignement son autonomie, sa valeur propre, et n'en déterminaient l'objet, qui est l'organisation du foyer, le maintien de l'équilibre des ressources de la communauté, l'usage rationnel du pouvoir domestique. « Ma femme, dit Ischomaque dans l'Economique, regarde-toi comme la conservatrice des lois de notre ménage. Tel qu'un commandant de garnison qui fait la revue de ses troupes, procède, lorsque tu le juges convenable, à la revue de nos meubles : vois s'ils sont bien tenus ; fais ton inspection comme le conseil fait celle des chevaux et des cavaliers. Reine de ta maison, use de tout ton pouvoir pour honorer et louer ceux qui le mériteront, pour réprimander et châtier ceux qui en seront dignes. »

Ce problème de l'union de l'économie domestique avec les éléments de sciences diverses et en même temps de son indépendance a été heureusement résolu par la Ville de Paris, au moyen de la création, en 1889, de cours complémentaires dits « manuels et ménagers ». Il ne faut pas vouloir prématurément transformer la petite fille en épouse, en mère de famille ; il convient de lui laisser le temps de se connaître elle-même, de vérifier ses aptitudes et de choisir les occupations féminines auxquelles des goûts, des dons naturels lui permettront de se livrer avec fruit.

Si des circonstances heureuses permettent à une enfant de douze à quatorze ans de voir exécuter sous ses yeux les travaux propres aux femmes : couture, lingerie, modes, cuisine, nettoyage, blanchissage, repassage, raccommodagej si elle y prend part dans la mesure de ses forces, s'il lui est donné de prolonger cette observation pendant un an, pendant deux ans, nul doute que son esprit, excité par cette diversité de travaux, rendu attentif au bon usage de son activité, n'établisse des comparaisons sur Je caractère et la portée de chacune de ces occupations féminines. Et comme, pendant le temps que dure cette observation, la jeune fille n'a pas cessé de s'instruire, d'apprendre à calculer, elle est capable de dresser le bilan de ces diverses sortes de travaux, d'en évaluer le rendement. Ce sont là d'excellentes conditions pour effectuer la séparation de l'économie domestique d'avec les travaux manuels proprement dits et déterminer la sphère d'action de la première. Or, sa limite, c'est celle du foyer ; son champ d'action, c'est l'intérieur : de sorte que si la jeune fille doit apporter sa contribution aux dépenses de la maison, soyez sûr qu'ayant compris et senti la valeur de l'économie domestique, elle s'ingéniera à trouver du travail à domicile, elle s'efforcera de concilier la nécessité de se livrer à un travail rétribué avec les soins du ménage, et du coup, voilà l'atelier écarté, le foyer consolide, la famille maintenue.

Telles sont les conditions naturelles et morales dans lesquelles une organisation novatrice a placé les enfants de certains cours complémentaires de la Ville de Paris. N'y a-t-il pas lieu de souhaiter que cette attirance créée à l'égard des choses familiales soit étendue au plus grand nombre possible d'enfants de douze à quatorze ans?

L'opportunité, la mesure, la convenance, sont de rigueur dans l'enseignement de l'économie domestique : une insistance indiscrète peut amener le dégoût de ces occupations si humbles en apparence, si importantes par leurs résultats ; il faut donc que l'élève y vienne librement, consciente de ce que vaut son activité dirigée vers la vie intime, pénétrée de l'idée que la tâche obscure qu'elle remplira quotidiennement n'est pas de mince importance pour elle et pour ceux qui l'entourent. « La solidité de l'esprit, dit Fénelon, consiste à vouloir s'instruire exactement de la manière dont se font les choses qui sont les fondements de la vie humaine ; toutes les plus grandes affaires roulent là-dessus. »

Ces réflexions que nous suggère la lecture des programmes d'économie domestique nous paraissent devoir s'appliquer tout aussi bien aux élèves des écoles primaires supérieures qu'aux élèves-maîtresses des écoles normales primaires.

Dans ces dernières écoles, l'enseignement de l'économie domestique vient de subir de profondes modifications.

Cet enseignement, obligatoire depuis 1881, comprenait d'abord une leçon d'une heure donnée pendant la 3e année. Le cours était surtout théorique et ne comportait aucune manipulation.

Les nouveaux programmes du 4 août 1905, qui sont entrés en vigueur au mois d'octobre 1907, donnent à la 3e année d'études à l'école normale un caractère tout particulier. L' « instruction pratique et professionnelle » l'occupe tout entière : aussi voyons-nous inscrites aux programmes trente heures d'économie domestique, une heure d'hygiène par semaine, trois heures de raccommodage, deux heures de cuisine, deux heures de blanchissage, deux heures de nettoyages en hiver, remplacées par deux heures de jardinage en été. Si les travaux du ménage occupent une place si importante, c'est que le nouveau programme « doit s'adapter particulièrement à l'éducation féminine et au rôle social de l'institutrice ».

Pourvoir à l'alimentation, veiller à l'hygiène, assurer le bien-être, régler la dépense, telle est une partie, et non des moindres, du rôle de la femme. L'institutrice, qui a besoin de pratiquer cet art multiple pour elle-même, doit pouvoir l'enseigner à l'école et contribuer autant par son exemple que par ses leçons à en inspirer le goût autour d'elle.

Aussi le programme ci-dessous ne doit-il être développé que pour servir aux applications ménagères que les élèves feront à la cuisine, à la buanderie ou au jardin. C'est un guide, et l'on souhaite voir les professeurs approprier leur enseignement aux besoins de chaque région, de chaque milieu, et lui donner un tour tout à fait personnel.

Programme.

ECOLES NORMALES D'INSTITUTRICES (3" année).

« Principes généraux d'économie domestique.

« La science du ménage, ce qu'elle comprend, son importance. — Qualités d'esprit et de caractère de la bonne ménagère.

« L'ordre : bonne disposition des objets, du temps, du travail.

« L'ordre dans la dépense : les livres de la ménagère.

« Entretien de la maison, du mobilier, des vêtements.

« La propreté dans la maison : planchers, murs, vitres, literie, cuisine, privés, etc.

« Le choix et l'entretien des appareils de chauffage, d'éclairage.

« Choix et entretien des principaux meubles.

« Le linge : lessive, blanchissage, repassage.

« Les vêtements : achat, entretien, confection, détachage et raccommodage.

« Conseils généraux sur la toilette : les robes, les chapeaux, les chaussures.

« L'alimentation.

« L'alimentation, les principales denrées, les provisions.

« La cuisine : ustensiles de cuisine, le fourneau, l'évier, la vaisselle.

« Le pot-au-feu, les soupes, les condiments gras, les sauces.

« Viandes de boucherie : choix des morceaux, modes de cuisson.

« Volailles, lapin, poisson.

« La pomme de terre, les légumes secs, pâtes alimentaires.

« Les oeufs : diverses manières de les préparer ; les entremets.

« Les fruits, les compotes, les confitures.

« Les boissons : eau potable, vin. cidre, bière.

« Le lait, le thé, le café, le chocolat. « Exemples de la préparation simultanée de la soupe, de la viande et du légume.

« Le jardin.

« Le jardin : emplacement, disposition des diverses cultures, défoncement, irrigations, engrais.

« Culture potagère : les principaux légumes de la maison.

« Arboriculture : plantation, taille et greffe des arbres fruitiers. — Maladies des arbres.

« Culture florale : semis, bouturage, écussonnage, disposition des corbeilles et des plates-bandes.

« Râle de la femme en agriculture.

« Administration intérieure, alimentation de la famille, vêtements, hygiène rurale.

« La basse-cour, le poulailler et le pigeonnier, le clapier, la laiterie, la porcherie, le rucher.

« Mode d'action et avantage des sociétés coopératives de production.

« L'épargne. — Principaux modes de placement de l'argent. ».

Comme on le voit, les programmes élaborés depuis 1898 traduisent tous le souci de voir se répandre des notions d'économie domestique, qu'on juge indispensables pour préparer les jeunes filles à leur rôle d'épouse, de mère de famille. Par delà les enfants des écoles primaires, les jeunes filles des cours complémentaires manuels et ménagers, les élèves-maîtresses des écoles normales, c'est la famille qu'on entrevoit, c'est le foyer domestique qu'on veut fortifier en donnant une culture spéciale à celles qui en sont l'âme, à celles qui, suivant l'expression de Fénelon, « ruinent ou soutiennent les maisons, règlent tout le détail des choses domestiques, et par conséquent décident de ce qui touche de plus près à tout le genre humain ».

Lucie Saffroy