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Dumarsais (César Chesnau)

Né en 1676 à Marseille, Dumarsais fut élevé par les Oratoriens ; il vécut à Paris, donnant des leçons pour vivre, et il y mourut dans 1 a misère en 1756. Quelques-uns de ses ouvrages, notamment la Méthode raisonnée pour apprendre la langue latine (1722), et le Traité des Tropes (1730), lui ont fait en pédagogie une réputation honorable.

Mécontent de la longueur des études latines et préoccupé d'abréger le temps qu'on y emploie, Dumarsais proposait dans sa Méthode des moyens expéditifs. Son système consistait à remplacer la vraie langue latine avec ses inversions, ses ellipses, sa construction propre, par une langue latine de convention, arrangée et factice, dont les phrases, disposées à la française, se prêteraient à un mot à mot rigoureux. L'élève doit être occupé pendant un temps plus ou moins long à l'étude des textes ainsi transformés et francisés, où toutes les difficultés de construction auront disparu. C'est la première partie de la méthode, ce que Dumarsais appelle la routine. Dans la seconde partie, le maître abordera l'enseignement de la grammaire: à la routine succédera la raison. Alors seulement il sera question de déclinaisons et de conjugaisons, et l'élève fera connaissance avec la véritable construction latine.

En résumé, Dumarsais jette tout de suite le commençant dans l'explication des textes, et pour rendre ce travail possible, il désorganise les phrases latines et les refait sur le patron des phrases françaises ; il recule l'étude de la grammaire jusqu'au moment où l'élève a fait une ample provision de mots latins, afin qu'il n'ait à apprendre les règles grammaticales qu'à propos d'exemples déjà connus.

On voit quel est le but de celui que d'Alembert appelait un « grammairien profond et philosophe » : c'est de faire apprendre le latin par l'usage, le plus vite possible, comme on apprend les langues modernes. La question est de savoir d'abord si tel est bien le but qu'on doit poursuivre. Les méthodes d'abréviation et de simplification, malgré les résultats immédiats qu'elles procurent, n'ont-elles pas le tort de réduire le travail de l'enfant à une pure étude verbale, en éliminant précisément ce qui fait le prix des études classiques, les exercices lents et laborieux où se forment les facultés intellectuelles de l'élève? « Le profit inestimable qui réside dans l'étude d'une langue morte, dit M. Bréal (Quelques mots sur l'instruction publique, p. 164), c'est qu'elle dépayse l'esprit et l'oblige à entrer dans une autre manière de penser et de parler. Chaque construction, chaque règle grammaticale qui s'éloigne de l'usage de notre langue, doit être pour l'élève une occasion de réfléchir. La tâche du maître n'est donc pas d'écarter les difficultés de la route, mais seulement de les disposer d'une façon méthodique et graduée. Il ne s'agit pas d'abréger le chemin ; car c'est le chemin qui est en quelque sorte la fin qu'on se propose. » Dumarsais, dans son désir de supprimer les lenteurs nécessaires de l'enseignement, a complètement mis de côté les principes excellents que nous venons de rappeler ; il ressemble à quelqu'un qui, nous voyant disposé à faire une promenade hygiénique pour exercer nos muscles et fortifier nos membres, nous proposerait de nous conduire en voiture au but de notre course.

D'autre part, considérée en elle-même, la méthode de Dumarsais soulève de graves objections. Que penser d'abord du procédé qui consiste à exprimer, dans le texte arrangé pour les élèves, tous les mots sous-entendus? Sous prétexte de faire disparaître toutes les obscurités de la langue, Dumarsais y introduit systématiquement les incorrections. Par exemple, dans son prétendu latin, l'ablatif sera toujours précédé d'une préposition. N'est-ce pas ériger le solécisme en principe, et inventer, pour les enseigner à l'enfant, des locutions dont on sera plus tard obligé de lui interdire absolument l'usage? Un autre tort de la méthode de Dumarsais, c'est la dislocation qu'il fait subir à la phrase latine. N'est il pas à craindre que l'élève, habitué de bonne heure à un faux latin, ne puisse pas ensuite se familiariser avec le vrai latin, avec ses tours et ses constructions propres? Nous comprenons qu'on choisisse pour les commençants les textes les plus faciles, ceux dont les constructions se rapprochent le plus des constructions de notre langue. Mais qu'on n'aille pas jusqu'à leur imposer le double travail d'apprendre deux fois le latin, d'abord dans un ordre factice et de fantaisie, ensuite dans l'ordre réel.

La Méthode de Dumarsais, malgré certaines parties excellentes, ne méritait donc pas de réussir.

Dans l'article Education, qui lui fut demandé pour l'Encyclopédie, il expose avec précision des principes très justes : « Nous ne parvenons aux idées générales qu'après avoir passé par les idées particulières. Avant que de parler de dizaine, sachez si votre jeune homme a l'idée d'un ; avant que de lui parler d'armée, montrez-lui un soldat. Il y a un ordre à observer dans l'acquisition des connaissances. Le grand point de la didactique, c'est-à-dire de l'art d'enseigner, c'est de connaître les connaissances qui doivent précéder et celles qui doivent suivre. » C'est pour obéir à ces lois pédagogiques que Dumarsais avait composé un petit ouvrage, malheureusement perdu, où il s'efforçait de donner aux enfants une idée de la nature, des arts et des sciences. « J'espère, ajoutait-il, leur en rendre la lecture plus utile et plus amusante par le secours des figures. » C'était revenir à la tradition de Coménius, et devancer tous les écrivains pédagogiques qui de notre temps présentent aux enfants des leçons de choses illustrées par des images.

Gabriel Compayré