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Distraction

 La distraction est un état d'inattention accidentel ou habituel, dans lequel l'esprit poursuit involontairement une série de réflexions intimes, ou s'abandonne à certaines impressions extérieures, en négligeant ce qui devrait être pour lui un objet unique et sérieux d'attention.

Disons tout d'abord que la distraction, qui peut être la faute du maître, est le plus souvent du fait des enfants. La moindre contention d'esprit fatigue leurs faibles cerveaux. Non qu'ils ne soient capables d'un certain nombre d'efforts intellectuels : mais encore faut-il que ces actes soient peu prolongés, et portent sur des objets souvent renouvelés. La mobilité est, pour ainsi dire, une des fonctions de l'enfant : il est aussi difficile de fixer son attention que d'empêcher ses membres de bouger.

Mais ce défaut commun à tous les enfants prend chez quelques-uns des proportions vraiment affligeantes. Il est des naturels maladifs, indolents, apathiques, sur lesquels la parole du maître glisse, aussi bien que les encouragements ou les réprimandes. « Tout leur est distraction, dit Fénelon, ils ne sont jamais où ils doivent être. » Ils oublient ce qu'ils savent le mieux, le lieu où ils se trouvent, les personnes qui leur parlent ; leurs réponses, leurs actes, sont toujours à contre-temps ; ils disent blanc pour noir, oui pour non ; ils ne se bornent pas à répondre aux questions avant qu'elles soient formulées, mais ils répondent aussi aux questions qu'on ne leur adresse pas. Têtes de linottes, dont l'attention ne peut un instant s'arrêter sur une idée.

En dehors de ces cas extrêmes, le maître doit se demander si la distraction de ses élèves ne vient pas en partie de sa faute. Si l'instruction, au lieu de mettre en jeu toutes les facultés de l'intelligence, ne fait appel qu'à la plus indifférente dé toutes, à la mémoire ; si on la force à n'enregistrer que des règles, des mots, des faits et des dates, en les accompagnant d'explications plus ou moins abstraites ; si l'on ne proportionne pas la quantité des devoirs ou la durée des exercices à la capacité individuelle d'attention ; si l'attrait de l'enseignement ne vient pas à chaque instant provoquer la curiosité et soutenir l'effort intellectuel, faut-il s'étonner que l'enfant ne cherche pas à comprendre, n'écoute pas, ne regarde pas ce qui se fait en classe? Et, comme il ne lui est pas permis de dormir, et qu'il ne saurait parvenir à cet idéal de la paresse, ne rien penser, n'est-il pas bien naturel qu'il s'occupe avec le plus sérieux intérêt à regarder voler les mouches ou à taquiner ses camarades, à moins que sa charmante imagination ne le promène dans les champs, aux bords des ruisseaux, ou à travers une belle partie de barres?

Ainsi donc, travail très court, variété dans les objets d'enseignement, mesure et à propos ; en un mot, autant d'attrait que possible, — voilà des moyens efficaces pour combattre la distraction. Ajoutez à l'attrait qui vient des matières enseignées celui qui peut naître des qualités naturelles ou acquises du maître, de son entrain, de son imagination, de ses sentiments, de ses gestes expressifs, des inflexions variées de sa voix, de son attachement évident à ses élèves, et il sera bien facile de neutraliser ce défaut inhérent à l'enfance. Quand l'étourderie, même excessive, vient d'un défaut naturel d'intelligence, mais accompagné d'une certaine vivacité, il n'y a que demi-mal : il ne sera jamais impossible de rendre attentif, à ses moments, et pour un temps donné, un enfant sensible : il y a toujours quelques ressources ignorées dans ces folles petites têtes. La sensibilité est la soeur aînée de l'intelligence.

Mais la difficulté est beaucoup plus grande, quand on a affaire à cette étourderie d'indolence qui accuse un état de langueur maladive. Dans ce cas, il est bon de ne perdre jamais ni espoir ni patience, d'agir avec tout le tact et toutes les précautions que réclament ces organisations malheureuses, et d'avertir, au besoin, les parents de la nécessité de leur appliquer une curation médicale. La contrainte n'aurait pour résultat que de briser ces cerveaux délicats, sur lesquels l'attrait lui-même a si peu de prise. C'est ici que la patience jouera un rôle dominant : ou le mal doit passer bientôt, et il faut attendre que la force avec la santé reparaissent, pour regagner le temps perdu ; ou le mal doit ne s'affaiblir qu'à la longue, et il faut se résigner à le combattre à petits coups répétés, comptant toujours sur la fécondité relative du sol même le plus ingrat. Trouvez un petit coin, dans cette intelligence, où le bon grain fructifiera, et, par l'heureuse influence de cette culture, la fertilité s'étendra peu à peu aux parties voisines. C'est ainsi que nous avons vu un enfant indifférent à tout, incapable de fixer son attention sur rien, développer ses facultés d'observation, de mémoire, de jugement, d'imagination, à propos du plaisir de la pêche, qui devint pour lui une occupation passionnée, et véritablement intellectuelle : sa faculté d'attention, pour ne parler que de celle-là, en reçut un grand surcroît de force, dont un maître intelligent tira parti pour ses études.

Bernard Perez