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Discipline scolaire

Nous entendons sous ce nom l'ensemble des procédés pratiques destinés à assurer le bon ordre des exercices de toute nature dont se compose la vie scolaire. C'est ordinairement de l'administration qu'émanent les règlements généraux qui se rapportent à la discipline scolaire, et c'est aux directeurs des établissements qu'appartient, de concert avec les inspecteurs primaires, la règlementation de détail. Ces organisations particulières peuvent, on le comprend, varier beaucoup, non seulement d'une école à l'autre, mais d'une classe à l'autre d'une même école. Les exigences de la discipline ne sauraient être exactement les mêmes dans une école urbaine et dans une école rurale, dans une école de garçons et dans une école de filles, dans une école qui ne comprend qu'une classe et dans une école qui en compte plusieurs. Certains points, d'une grande importance dans les classes très nombreuses, en présentent moins quand le nombre des enfants confiés à un maître est moins considérable. La discipline scolaire embrasse un champ très vaste ; elle est la base même de l'organisation de l'école. On conçoit que chacun des points qu'elle comporte ne saurait être traité ici (Voir Organisation pédagogique, Classement des élèves, etc.). Nous ne nous occuperons que de cette partie de la discipline qui dépend surtout de l'instituteur et qui assure la bonne tenue des élèves, le silence et l'ordre pendant les différents exercices.

Nous ne nous arrêterons point à en démontrer la nécessité. Sans son secours, les efforts du maître sont vains ; tout désordre est une perte de temps ; toute leçon faite au milieu du bruit est une leçon perdue ; ce sont là autant de vérités évidentes, et l'on peut dire, en toute assurance, que tant vaut la discipline, tant vaut l'école.

Mais la discipline ne vaut que ce que valent les moyens employés pour l'obtenir. On ne saurait trop répéter que l'instruction des enfants n'est pas le but unique que doit se proposer l'instituteur : il a une mission plus haute, qui est de former des hommes, de les élever. Il ne doit donc pas se contenter des apparences de l'ordre. Si la discipline qu'il obtient n'est que le résultat de la crainte, si elle engendre, chez les enfants, l'effroi du maître, la haine du règlement, de la loi, si beaux que paraissent les résultats obtenus, il n'est point possible d'hésiter : cette discipline est mauvaise. Si, au contraire, elle résulte d'une estime et d'une affection réciproques du maître et des élèves ; si, loin d'être à charge à ces derniers, elle est devenue pour eux comme une heureuse habitude ; si elle s'impose comme une règle de conduite indispensable ; si, en un mot, elle produit l'amour de l'ordre, on peut tenir pour certain que cette discipline est bonne.

Entrons donc dans une école bien disciplinée et voyons comment les choses s'y passent ; voyons ce qu'un bon maître peut obtenir ; nous étudierons ensuite les moyens par lesquels il peut arriver à de semblables résultats.

A l'heure règlementaire, la porte s'ouvre chaque matin, et l'on voit apparaître de toutes les directions les enfants qui se rendent à l'école ; ils y viennent posément, sans courir, sans crier, sans insulter les passants: ils n'y viennent ni trop tôt, ce qui serait un désordre, puisqu'alors il leur faudrait jouer dans la rue en attendant l'heure, ni trop tard, ce qui dérangerait les classes. Les élèves qui ont manqué la veille sont accompagnés d'une personne de leur famille ou porteurs d'une lettre qui explique les motifs de leur absence. L'appel régulièrement fait au début de chaque classe, les avis adressés aux familles des absents, l'habitude prise de ne jamais manquer l'école sans permission, la porte rigoureusement fermée à l'heure règlementaire, enfin l'assurance, que « toute inexactitude est rigoureusement relevée», assurent l'assiduité des élèves.

Le maître tient aussi beaucoup à la propreté, propreté du corps et propreté des vêtements ; ce qui est, en effet, d'une grande importance au double point de vue des bonnes habitudes que doit faire contracter l'école et de l'intérêt de la santé générale des élèves. La visite des mains et des visages est faite chaque matin. Un vêtement malpropre ou déchiré n'est point toléré. Les cheveux des enfants sont tenus toujours courts et bien peignés.

Ventrée en classe a lieu pour tous les élèves réunis. C'est dans un préau qu'ils s'assemblent ; ils s'y tiennent en repos, employant leur temps à repasser les leçons de la veille. S'ils pénétraient dans la classe au fur et à mesure de leur arrivée, il en résulterait un désordre qui nuirait au respect qu'ils doivent avoir pour le lieu consacré à l'étude, et il deviendrait bien difficile au maître d'obtenir le silence, après avoir toléré d'abord le bavardage et la dissipation.

Pendant les mouvements généraux, entrée en classe, changements de placé, sortie, le plus grand silence est observé dans les rangs ; les élèves marchent en ligne, le corps droit, les' bras dans une position uniforme, soit croisés sur la poitrine, soit rejetés en arrière avec les mains au dos. On a beaucoup critiqué cette dernière posture qui, dit-on, donne aux enfants l'air de petits captifs ; elle est cependant, de l'avis des médecins, préférable à la première au point de vue de l'hygiène, car elle favorise le développement de la poitrine et force l'enfant à se tenir droit. Dans les marches ainsi conduites, on ne voit jamais les enfants se bousculer et même se battre, comme cela arrive lorsqu'ils conservent la liberté complète de leur attitude et de leurs mouvements : ils contractent de précieuses habitudes d'ordre et se préparent au travail par une sorte de recueillement. Quand ils ont pénétré dans la classe, ils ne se précipitent pas en désordre vers leurs places respectives, mais ils marchent d'abord autour des tables, en marquant légèrement le pas ; souvent un chant ou une récitation cadencée accompagne la marche ; chacun alors, au signal donné, se rend à sa place, s'y assied en plaçant ses bras dans la position indiquée par l'usage de la classe. Les enfants aiment ces marches en bon ordre, qui leur évitent beaucoup de punitions, car la répression devient inutile quand le désordre est prévenu. Ajoutons que cette contrainte apparente ne leur coûte jamais : le silence et le bon ordre sont contagieux tout comme le bruit et le désordre. Tous les mouvements, quels qu'ils soient, se font avec le même ensemble et à un signal donné, qu'il s'agisse de prendre ou de serrer les livres ou les cahiers, de passer les ardoises, les crayons ou les plumes ; on évite ainsi de petites pertes de temps dont le total est plus élevé qu'on ne pense.

Le silence pendant les leçons est le point de discipline le plus important ; mais il ne s'agit point ici d'un silence glacial, établi par une sorte de terreur, et qui peut bien provoquer pour un instant l'admiration d'un spectateur incompétent, mais qui ne manque pas de produire bientôt, chez l'observateur éclairé, un sentiment de tristesse, parce que l'immobilité complète, le silence absolu sont tellement incompatibles avec la nature de l'enfance, qu'ils sont évidemment la marque d'une pénible contrainte. Dans les classes ainsi conduites, le maître épargne sa peine, mais l'enfant s'étiole et ne fait rien, l'ennui se lit sur les visages. Dans l'école qui nous occupe, on sent au contraire circuler la vie, les physionomies sont éveillées, et il y a comme une sorte de communication intime entre les élèves et le maître. On entend bien un petit bruit, mais ce bruit ne fatigue pas, il plaît ; ce n'est pas ce tapage multiple qui transforme la classe indisciplinée en une récréation sans fin, c'est, comme on l'a dit avec raison, le bourdonnement de la ruche au travail. Ce que nous nommons le silence, c'est donc l'absence du bavardage, et c'est là le point difficile ; quant au silence absolu, le maître de l'école bien disciplinée l'obtient instantanément, à un signal convenu, toutes les fois qu'il en a besoin.

Quand un visiteur pénètre dans la classe, les élèves se lèvent en signe de politesse ; leur bonne tenue se fait alors particulièrement remarquer ; c'est ainsi qu'ils expriment le respect dû à tous ceux qui s'intéressent à leurs études et à leurs progrès. C'est d'ailleurs le moyen de faire remarquer favorablement leur école ; le bon maître ne manque jamais d'inspirer et de fortifier ce sentiment d'attachement au drapeau qui est le même que l'amour de la famille et que l'amour de la patrie. C'est pour cela encore que la tenue est excellente toutes les fois que l'école doit paraître au dehors, pendant les promenades, lorsqu'on se rend à l'église, dans les réunions nécessitées par les examens ou les concours.

La tenue reste bonne encore, dans les cas très rares où le maître est forcé momentanément de quitter la classe. On reconnaît à cela le bon esprit qui règne dans l'école et la force du sentiment du devoir qui fait que l'observation de la règle devient indépendante de la crainte qu'inspire celui qui commande.

Pour diminuer la peine du maître et pour donner plus d'autorité à sa parole en la rendant plus rare, les ordres généraux sont souvent transmis aux élèves à l'aide de signes connus. Ces signes sont exactement observés par les élèves. Il en est un surtout qui, sous des noms différents, commande, d'une manière spéciale, le silence et l'immobilité ; ce signal est très important, puisqu'il permet au maître de faire entendre sa voix toutes les fois que cela est nécessaire, sans éclat et sans se départir jamais de ce calme qui seul inspire le respect et commande l'obéissance. C'est sur un signe que cesse un exercice ou qu'un autre commence, sur un signe que les enfants se lèvent et se rasseyent, sur un signe que leur attention est appelée sur le tableau ou sur la carte, sur un signe qu'un enfant succède à un autre dans une lecture à haute voix, etc. Ces signes consistent ordinairement en de petits coups frappés avec un bâtonnet ; quelques maîtres ont essaye d'employer le sifflet comme dans les manoeuvres du chemin de fer ; on s'est assez longtemps servi du petit instrument en bois usité surtout dans les écoles congréganistes et appelé le signal, contre lequel on a réagi après en avoir peut-être abusé.

D'une manière générale, tous ces avertissements automatiques ne doivent jamais être trop multipliés : le bruit qu'ils produisent trouble le silence et ils perdent de leur autorité, parce que les enfants s'y accoutument et n'en ressentent plus aucune impression ; c'est ainsi que l'abus des meilleurs procédés en annule les bons effets.

Les règles d'une bonne discipline sont également observées pendant les diverses leçons.

En ce qui concerne la lecture, l'enfant qui lit seul élève la voix, afin que tous les autres puissent entendre et suivre ; dans les classes nombreuses du cours élémentaire surtout, le maître exige que les enfants suivent avec l'index de la main droite ; il peut ainsi d'un coup d'oeil s'assurer que tout le monde prend part à la leçon ; si les élèves lisent ensemble en cadence, ils élèvent très peu la voix afin de ne pas déranger les divisions voisines et aussi parce que cet exercice ne tarderait pas à dégénérer en désordre.

Pendant l'écriture, la tenue est uniforme et le silence complet ; on ne voit point d'enfants se croisant les bras, pendant que les autres travaillent parce qu'ils n'ont point de plume ou de cahier ; la vigilance du maître a pourvu à tout cela.

La tenue est la même pendant les récitations et les leçons orales que pendant la lecture. Les enfants ne répondent aux questions du maître que séparément et lorsqu'ils ont été désignés, à moins que ce dernier n'ait autorisé, ce qui est bon quelquefois dans les petites classes, les réponses d'ensemble. Mais tous ceux qui savent ou croient savoir le font connaître par un signe, en élevant la main par exemple ; cela indique que tous prennent part à la leçon et s'y intéressent. Jamais un élève ne prend la parole sang la permission du maître, que ce soit pour répondre à une question ou pour en poser une lui-même. Ce n'est que dans les classes mal tenues et indisciplinées qu'on entend à chaque instant des voix isolées interpeller Monsieur! pour se plaindre d'un voisin.

Jamais non plus un enfant ne quitte sa place sans permission, et, s'il y est autorisé, il marche toujours de manière à causer le moins de dérangement possible.

La politesse est rigoureusement observée ; ce n'est point cette politesse recherchée, affectée, qui est comme une sorte de déguisement nuisible à ce qu'il doit toujours y avoir de naïf et de vrai dans les allures de l'enfance, mais cette politesse qui est la marque du respect que nous devons avoir les uns pour les autres, de la déférence que l'enfant doit à ceux qui lui sont supérieurs. Jamais donc l'enfant de notre école ne passe devant le maître, ou devant une autre personne, sans saluer convenablement ; jamais il ne parle à quelqu'un la tête couverte ; jamais il ne s'approche du maître, s'il le voit occupé avec une autre personne ; jamais il ne lui répond sans donner à sa voix un ton convenable ; jamais non plus il n'est grossier avec ses camarades pendant les récréations aussi bien que dans la classe.

Tous les maîtres de l'école ont droit aux mêmes égards de la part de tous les élèves. Ce n'est pas une école bien disciplinée que celle où les élèves d'une classe n'ont aucune déférence pour les maîtres des classes inférieures, où les enfants distinguent le maître des « sous-maîtres » et marchandent l'obéissance et même la discipline à ces derniers. Il faut que les élèves sachent que tous les maîtres travaillent avec un égal dévouement au bon succès de l'école, que tous sont leurs supérieurs et que tous ont droit à leur déférence. Ils seront pénétrés de cette pensée que lorsqu'ils obéissent au maître-adjoint ou même à celui de leurs camarades que l'instituteur a distingué et à qui il a momentanément délégué une partie de son autorité, c'est à la règle qu'ils se soumettent ; et ils apprendront ainsi que, plus tard, ils devront obéissance à tous ceux qui représentent la loi, à quelque titre que ce soit.

Labonne discipline se reconnaît encore à la tenue et à la conservation des objets matériels. Dans l'école que nous essayons de décrire, les cahiers des élèves et leurs livres sont bien tenus : une couverture spéciale les tient en garde contre les taches et atteste le soin que les élèves en prennent. On ne voit point d'encre lancée sur les cartes ou sur les murs, on ne trouve point de tables sculptées au canif ou au couteau, on ne voit point d'images ou d'inscriptions grossières sur les murailles des classes, des escaliers ou des préaux. Les enfants prennent ainsi la bonne habitude de conserver ce qui leur appartient et de respecter la propriété d'autrui.

Quand la classe est momentanément interrompue, des élèves isolés ne restent jamais dans l'intérieur des classes hors de la surveillance des maîtres.

Pendant les récréations, les enfants jouent librement, mais ils apprennent que la liberté n'est pas la licence ; qu'il faut s'abstenir des divertissements qui sont une gêne ou un danger pour leurs camarades ; que l'entraînement du jeu et le feu qu'ils y mettent ne peuvent être un motif pour leur faire oublier les égards qu'ils se doivent, et l'on n'entend pas là, plutôt qu'ailleurs, de ces termes blessants qui choquent l'oreille ; on n'y constate pas non plus de ces brutalités qui font des petits les souffre-douleurs des grands. La récréation s'interrompt au premier signal pour rendre possibles les observations du maître, et elle cesse instantanément au son de la cloche.

La sortie de l'école, soit à midi, soit le soir, a lieu dans le plus grand ordre ; les élèves, divisés en plusieurs rangs, marchent deux à deux dans la direction de leurs demeures. Jamais ils ne deviennent, par leur mauvaise tenue, un sujet de scandale pour le voisinage. Il faut que l'école soit aimée dans le quartier où elle est située et non qu'elle lui devienne à charge.

Tels sont les principaux points de discipline observés dans une école bien tenue ; il en est beaucoup d'autres que nous ne pouvons énumérer ici, mais qui tous se rattachent plus ou moins à ceux que nous venons d'indiquer. Est-il nécessaire que toutes ces recommandations soient écrites dans un règlement? Cela ne nous semble pas indispensable ; ce ne pourrait être, en tout cas, qu'un règlement particulier, puisque, comme nous l'avons dit plus haut, les prescriptions peuvent varier avec les écoles et même avec les classes.

Quels sont maintenant les moyens à employer pour obtenir ces résultats? Nous plaçons en première ligne l'action du maître, parce qu'en effet tout dépend de lui. Il peut exister des causes qui, dans certaines écoles, rendent la discipline plus difficile que dans d'autres ; il n'en existe nulle part qui la rendent impossible. Le maître qui ne sait pas obtenir l'ordre et le silence dans une classe nombreuse ne les obtiendrait probablement pas davantage s'il n'avait que quelques enfants à conduire. Il est des instituteurs qui, presque naturellement, sans fatigue apparente, commandent l'obéissance, obtiennent la soumission et même la docilité ; il en est d'autres qui n'y parviennent pas malgré de réels efforts. Voyons donc à l'aide de quelles qualités les premiers réussissent et quels défauts font obstacle aux seconds.

La première nécessité pour le maître qui veut établir une sage discipline, c'est que tous les moyens qu'il emploie tendent à lui concilier l'affection et la confiance des élèves. A l'aide de ce levier puissant, il sera fort, il pourra beaucoup demander et beaucoup obtenir ; si l'enfant n'aime pas son maître, tout est perdu. Socrate, s'adressant un jour au père d'un jeune homme dont il avait entrepris l'instruction, lui dit : « Je vous rends votre fils, je ne puis rien lui enseigner, il ne m'aime pas ». E. Legouvé, citant cette remarquable parole, ajoute : « Maîtres et élèves ont un maître commun, l'affection ». C'est qu'en effet l'attachement des élèves naît de l'affection du maître pour eux ; l'instituteur sera aimé de ses enfants, s'il les aime. Mais cette affection, il ne doit pas l'obtenir par une familiarité trop grande. La douceur et la bienveillance n'excluent pas la gravité et la fermeté. Une telle familiarité amènerait vite le désordre, et nos enfants maladroitement aimés deviendraient des enfants gâtés, c'est-à-dire indisciplinés. Il faut donc qu'avec l'affection, la conduite du maître inspire le respect, qui n'est autre chose que cette retenue qu'on a désignée quelquefois sous le nom de crainte ; ainsi comprise, la crainte est nécessaire, elle est salutaire.

Le maître sera donc grave et ferme tout en demeurant doux et bienveillant, juste surtout ; il devra s'efforcer d'être toujours d'humeur égale, de ne se laisser guider jamais ni par la partialité, ni par le caprice. S'il veut être juste, il faut qu'il soit vigilant, il faut qu'il prévoie et qu'il voie tout, qu'il sache tout, qu'il connaisse tous ses élèves, qu'il pénètre, pour ainsi dire, jusqu'au fond de leur coeur. De là la nécessité de l'étude des caractères ; de » cette étude psychologique qui seule ? dit M. Gréard ? crée l'autorité et permet d'exercer sur le développement moral de l'enfant une action féconde ». « La première règle qui domine toutes les règles de la pédagogie, écrivait Th. Lebrun, celle qui devrait servir de base à tous les systèmes d'éducation et qui cependant est celle qu'on observe le moins, impose au maître l'obligation d'étudier et de connaître le caractère de chacun de ses élèves. » Tous les enfants ne sont pas les mêmes : « Il n'est peut-être pas plus difficile, dirons-nous avec Th. Barrau, de trouver deux feuilles d'arbre entièrement semblables, que deux caractères d'enfants parfaitement jumeaux. »

Tous ne peuvent donc être traités de la même manière. Les uns opposent à nos efforts une légèreté qui nous semble invincible ; les autres, une insouciance désespérante ; chez plusieurs, il faut abattre l'orgueil ; quelques-uns sont lourds et apathiques, il faut les aiguillonner sans cesse et réveiller leur attention ; les timides ont besoin d'encouragement, les ardents et les impétueux doivent être calmés sans cesse. Tels se laissent toujours conduire par leurs condisciples, n'ayant aucune initiative, tels autres toujours commandent et font les petits despotes. « Il en est, dit Th. Barrau, qu'il faut savoir deviner et qui, sous un extérieur presque stupide, cachent un esprit pénétrant et une sensibilité profonde. » Le tableau serait long des caractères divers que le maître peut rencontrer et des procédés appropriés qu'il doit employer pour les conduire et surtout pour essayer de les modifier.

Ces caractères divers, le maître les connaîtra bientôt s'il veut prendre la peine d'observer les enfants, non seulement en classe, où ils se dissimulent plus ou moins, mais au dehors et pendant les récréations, alors que, libres de toute contrainte, ils se montrent tels qu'ils sont ; il les connaîtra également par les relations qu'il entretiendra avec les familles.

Au premier abord, cette étude des caractères paraît moins utile dans les classes nombreuses ; on aperçoit moins le parti que le maître en peut tirer ; une rigoureuse nécessité exige que tous y soient soumis à la même règle, que tous obéissent, sans réserve, à une loi commune, et il paraît alors bien difficile que le maître puisse tenir compte de ces différences de caractères. 11 suffit toutefois de réfléchir un instant pour comprendre tout le profit qu'il peut tirer de cette étude ; elle lui permettra d'éviter bien des fautes. On ne le verra jamais, par exemple, entrer en lutte ouverte avec l'enfant dont il connaît l'opiniâtreté ; le mauvais exemple de sa résistance serait trop funeste à l'ordre général. Il fermera les yeux, trois fois sur quatre, sur les peccadilles de l'enfant léger qui se dissipe et se dérange, sans presque s'en apercevoir ; il gardera les admonestations vives pour les apathiques, sachant bien qu'elles profiteront à toute la classe. Les paroles encourageantes seront surtout réservées aux timides ; les éloges un peu vifs ne seront jamais pour les orgueilleux. A ceux qui ne savent qu'obéir, il donnera quelquefois le droit de commander ; à ceux qui manquent d'initiative, il saura confier de temps à autre de petites missions faciles qui les enhardissent et les obligent à tirer quelque chose de leur propre fonds ; nous pourrions sans peine multiplier ces exemples.

Si l'instituteur est convaincu de cette nécessité de connaître ses élèves et si sa conduite à leur égard est fondée sur cette connaissance, il se rebutera bien rarement à la tâche: il ne trouvera plus guère d'enfants intraitables, incorrigibles, comme quelques-uns les nomment ; il se rappellera, avec Fénelon, que si l'enfance est l'âge de la dissipation, desemportements, des plaisirs, « c est le seul âge où l'homme peut encore tout sur lui-même pour se corriger » ; il prendra les enfants tels qu'ils sont et il s'efforcera de les rendre tels qu'ils devraient être. La discipline qu'il aura ainsi établie leur aura enseigné à se vaincre eux-mêmes.

Le maître vigilant aura toujours de l'ordre et du silence dans sa classe, parce que, constamment occupé de ses élèves, il les occupera sans cesse. « L'humeur, la désorganisation morale, la mutinerie chez les enfants ayant presque toujours l'ennui pour cause, le secret de les rendre sages, c'est de donner de l'occupation à leur esprit » (Mme Necker de Saussure).

Si donc le maître est vigilant, il prêchera lui-même d'exemple, car que peut-il espérer sans cela?

Comment en effet exigera-t-il l'exactitude s'il est inexact ; l'application, la tenue, s'il n'apporte à ses leçons qu'un esprit distrait et un laisser-aller nonchalant? Qu'il ne l'oublie pas, les enfants le verront, les enfants le jugeront, et il ne leur apparaîtra plus que comme un tyran qui dit : « Je veux, parce que tel est mon caprice », et non comme un esclave du devoir qui, se soumettant lui-même à la règle, dit : « La loi commande, nous obéissons ».

Les meilleurs pédagogues sont unanimes pour affirmer que la plupart des défauts reprochés à l'enfance sont trop souvent la conséquence de la mauvaise direction donnée à son éducation. M. Th. Lebrun, un maître dans celte science d'élever la jeunesse, s'exprime à ce sujet en termes très vifs : « Plus j'observe l'enfance des écoles, écrivait-il en 1840, plus je vis avec les maîtres, plus j'étudie les règles de discipline et les méthodes d'enseignement, et plus je suis pénétré de cette vérité : que les plus coupables, que les seuls coupables, ce ne sont pas les enfants, ce sont les maîtres. C'est leur impéritie, leur maladresse, leur inexpérience qui fait tout le mal. Corrigeons les enfants, disent-ils ; corrigez-vous d'abord, ne cesserai-je de leur dire. » C'est la rigueur d'une discipline impitoyable qui, engageant l'enfant à dissimuler pour éviter des punitions trop dures, le rend menteur. C'est parce que l'étude, au lieu de lui être présentée sous une forme attrayante qui satisfasse sa curiosité naturelle, lui apparaît sous un aspect pénible et rebutant, qu'il devient paresseux. C'est parce que le maître abuse des punitions, parce que, dans la répression quelquefois nécessaire, il se montre toujours impitoyable, parce que la peine infligée apparaît plutôt comme une vengeance que comme un moyen d'amendement, que l'enfant devient lui-même méchant.

Montrer d'où vient le mal, c'est en indiquer le remède.

Il ne faut pas non plus que la vigilance dégénère en tracasserie ; que, parce que le maître doit tout voir, il se croie obligé de tout punir. « Tout n'est pas matière à punition dans la conduite des enfants, dit M. Salmon ; il est des étourderies, des actes de légèreté qui proviennent du caractère et de la constitution de l'enfant, qui lui sont préjudiciables sans doute, mais qui ne troublent pas l'ordre de la classe ; ce sont fautes vénielles que les châtiments n'atteindront jamais, ou dispositions naturelles qu'ils sont impuissants à modifier ; usez ici sobrement du droit de punir ; vous tempérerez la fougue du caractère par les conseils, vous l'irriteriez par des châtiments. »

Cela nous conduit naturellement à parler de cette autre vertu indispensable au bon maître, la patience. Il sera patient s'il aime les enfants et s'il connaît l'enfance. Il ne prendra pas feu à la moindre incartade, il ne s'étonnera, ni de la légèreté, ni de l'inconstance de ses élèves, ni même de leurs défauts les plus graves ; il se dira qu'on ne peut exiger raisonnablement, du premier coup, d'une réunion d'enfants ce qu'on obtient difficilement des hommes. Les difficultés qu'il rencontrera deviendront pour lui un nouveau sujet d'études, et il se mettra tranquillement à chercher de nouveaux moyens pour les surmonter. Que les maîtres se pénètrent bien de cette vérité, que plus ils seront patients, plus ils seront forts. « La patience, bien loin d'être une marque de faiblesse, est principalement le caractère des grandes âmes, de celles qui sont réellement fortes » [Conduite des écoles chrétiennes).

Le maître patient est calme, et le sang-froid triomphe des plus grandes difficultés. L'élève le plus emporté et qui paraît le plus intraitable est toujours démonté et vaincu par le calme du maître. Eclairons ce point par un exemple. Un désordre grave s'est produit dans une classe, une punition a été jugée nécessaire, le maître l'a infligée. Ce qui peut arriver de plus grave alors, c'est une sorte de révolte de la part de l'élève qui a été l'objet de cette répression ; cette révolte se traduit par un geste malséant, par un mot peu convenable, mettons les choses au pire, par une Parole injurieuse. L'enfant agit évidemment sous empire d'un sentiment violent, son imagination s'exalte, d'autant plus qu'il sent auprès de lui des témoins de la lutte qu'il engage, et que, parmi eux, il s'en trouve un certain nombre peut-être prêts à l'admirer. Que d'hommes agissent ainsi et se laissent entraîner à des actes coupables par ce sentiment de faux honneur 1

Si le maître engage la lutte avec l'enfant, le voilà dans la nécessité très grave ou de céder, ce qui compromet son autorité, ou d'employer la force, ce qui compromet sa dignité. L'instituteur, maître de lui-même, songe d'abord qu'il est homme et qu'un homme ne saurait être insulté par un enfant. Il se contente donc de sourire au spectacle de cet être faible qui commet l'erreur de se croire un moment le plus fort ; il apaise, d'un simple geste, l'émotion qui s était manifestée dans la classe. II évite de parler au coupable et, s'il a une observation courte à faire, c'est aux autres qu'il l'adresse, c'est sous le ridicule et presque d'un seul mot qu'il abat cette grande colère. Le petit rebelle était préparé pour le combat, son épée a frappé dans l'eau, il est désarmé, il est vaincu et tout honteux de son escapade. Dans une heure le maître peut l'appeler et lui tenir le langage de la raison ; il écoutera, il demandera pardon, il acceptera la punition.

La Fontaine a écrit, en parlant des enfants : « Cet âge est sans pitié ». Il a calomnié l'enfance, disent les uns ; il a dit vrai, proclament les autres. Tous ont raison et tous ont tort, parce que tous ne voient la question que d'un côté. Les enfants, comme les hommes, se laissent facilement emporter à l'exagération ; avec la vivacité de leur esprit, ils voient le ridicule et ils s'en moquent « sans pitié » ; mais qu'une voix aimée se fasse entendre et cherche le chemin de leur coeur, elle ne le trouvera pas insensible, et il ne lui faudra pas beaucoup de mots pour faire couler des larmes sur ce même visage qui tout à l'heure semblait ne pouvoir exprimer qu'une impitoyable raillerie.

Le maître qui par sa tenue, par ses gestes, par ses éclats de voix désordonnés, par ses colères constantes, vraies ou feintes, par des menaces exagérées qu'il lui est impossible de mettre à exécution, se rend ridicule aux yeux de ses élèves, est complètement perdu ; il ne les dominera jamais, il ne les disciplinera pas. Arrivât-il à les battre, il ne les empêchera pas de se moquer de lui. Au contraire, celui qui sait être calme sans être froid, grave sans être revêche, ferme sans être dur, juste sans être inflexible, zélé et vigilant sans être tracassier, patient et doux sans être faible, sera véritablement le maître de ses élèves, il les dominera, il les disciplinera parce qu'il possédera leurs coeurs.

Les principes que nous venons d'exposer en les présentant, le plus qu'il nous a été possible, sous une forme pratique, sont la règle de conduite des maîtres qui veulent établir dans leur école une sage discipline ; ils impliquent l'emploi de moyens variés dont la nomenclature ne saurait trouver place ici. Il y a là une question de tact et de mesure que l'expérience rend plus facile à l'instituteur pénétré de ses devoirs qu'elle ne paraît de prime abord. Ces moyens d'action ne s'apprennent pas, ils se devinent ; nous nous trompons, ils s'inventent, et il faudrait des volumes pour relater tous ceux que les bons maîtres ont découverts. Ils ne sauraient, d'ailleurs, être les mêmes dans toutes les circonstances ; ils ne sauraient non plus être toujours les mêmes, dans les mêmes circonstances. Il en est de ces moyens comme des remèdes qui guérissent certains malades et qui sont dangereux pour d'autres: c'est au médecin qu'il appartient de décider, mais il ne peut le faire sûrement que si des études sérieuses l'ont placé à la hauteur de sa mission. Il en est de même de l'instituteur ; il faut qu'il observe, qu'il étudie, qu'il cherche sans cesse. C'est en demander trop, diront peut-être quelques-uns ; nous leur répondrons avec M. Th. Lebrun : « Laissez alors, laissez une mission qui n'est pas la vôtre ; sans doute elle est pénible, elle exige un continuel sacrifice de votre temps et de votre personne ; mais qui vous force à ce sacrifice? si vous ne vous sentez pas le courage d'accomplir les devoirs impérieux de cette noble profession, je le répète, laissez à d'autres ce soin religieux. »

Si nombreux et si variés que soient les procédés dont nous parlons, ils peuvent cependant se ramener à quelques types généraux que nous essayons de classer aux mots Emulation, Récompenses, Punitions.

Les conditions matérielles dans lesquelles se trouve l'école ont aussi une grande importance pour l'établissement et le maintien d'une bonne discipline. Telles sont la situation loin de tout voisinage bruyant ; la disposition des classes, qui doit être telle que le bruit d'une division ne nuise point au silence nécessaire aux autres ; la disposition des tables, la structure du mobilier, l'acoustique des salles, la largeur des couloirs, la forme et la largeur des escaliers, la hauteur des marches, etc., etc. Toutes ces choses ont une grande importance et peuvent, si elles ont été bien comprises, faciliter beaucoup la tâche du maître. ? Voir Maison d'école, Mobilier scolaire.

Jean Gaillard